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Eléments biographiques, Témoignages, Études






ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES

TÉMOIGNAGES

ÉTUDES


Opus « Madame Guyon »

Quinze ouvrages

Madame Guyon Oeuvres mystiques choisies

I Vie par elle-même I & II. – Témoignages de jeunesse.
II Explication choisies des Écritures.

III Oeuvres mystiques (Opuscules spirituels choisis).

IV Correspondance I. Madame Guyon dirigée par Bertot puis Directrice de Fénelon.

V Correspondance II. Autres directions - Lettres jusqu’à la fin juillet 1694.

VI Les Justifications. Clés 1 à 44.

VII Les Justifications. Clés 45 à 67 - Pères de l’Église.

VIII Vie par elle-même III. – Prisons – Compléments – pièces de procès.

IX Correspondance III. Du procès d’Issy aux prisons.
X Correspondance IV. Chemins mystiques.
XI Années d’épreuves Emprisonnements et interrogatoires – Décennie à Blois.
XII Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure.

Éléments biographiques, Témoignages, Etudes.

Indexes et Tables.




ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES



S’agit-il de madame Guyon ou de sa fille? (Dessin découvert par Jean Bruno.)



Au sein d’un cercle mystique

Madame Guyon (1648-1717) n’a rien inventé au niveau théologique : elle ne s’intéressait pas «aux idées» et conserva l’orthodoxie commune dans laquelle elle baignait depuis l’enfance. Elle suivit la tradition mystique bien établie des Ordres anciens rénovés avant 1650 puisque chacun d’eux lui apporta son aide : la parole d’un franciscain l’éveilla, elle fut soutenue par une bénédictine, elle correspondit avec un grand carme et elle fréquenta un simple prêtre, monsieur Bertot. Des influences italiennes qui s’exerçaient déjà dans le Dauphiné français chez la Mère Bon, lui furent probablement transmises par l’intermédiaire de son confesseur, le Père Lacombe, et renforcées par sa rencontre avec Malaval et par son voyage en Italie.

La Mère Granger qui se sent décliner, confie Mme Guyon à M. Bertot : une nouvelle génération arrive. Des liens très importants vont se tisser avec divers membres du cercle normand de l’Ermitage : avant même qu’elle ne rencontre M. Bertot, Archange Enguerrand, qu’elle appelle «le bon franciscain», l’ouvre à la vie intérieure; or il a lui-même pour père spirituel Jean Aumont, disciple de Bernières : voilà une «chaîne secondaire» qui relie Mme Guyon à Bernières. Les dits de Marie des Vallées, voisine respectée de l’Ermitage, lui sont connus : lorsqu’elle rassemblera les écrits de Bertot pour qu’ils soient édités par le groupe de Poiret, elle y fera ajouter le beau mémoire sur Marie des Vallées1. Enfin elle fréquentera et appréciera Mectilde devenue la Mère fondatrice du Saint-Sacrement : elle la qualifiera de «sainte». Certes, elle ne pouvait citer Bernières compte tenu de la condamnation post-mortem de ce dernier2, bien gênante puisqu’elle se produisit pendant ses années actives publiques parisiennes, mais nous verrons que Bernières restera dans la mémoire des cercles spirituels établis en Hollande, Écosse, Suisse3, Allemagne.

En dehors d’Enguerrand, les liens avec la mouvance franciscaine sont importants. Dans ses Justifications, Mme Guyon cite un autre franciscain contemporain qu’elle appelle «l’auteur du Jour mystique» : il s’agit du capucin Pierre de Poitiers, autre influence franciscaine, mais hors du Tiers Ordre du P. Chrysostome. Enfin, on voit que le groupe guyonien faisait confiance aux franciscains puisque les papiers de Bertot furent déposés au couvent franciscain de Nazareth, alors dirigé par Paulin d’Aumale, qui les fit parvenir à Mme Guyon.

On voit bien à son propos comment un réseau informel d’amitiés spirituelles permet à des mystiques de s’entraider dans la pratique de l’oraison : les relations entre personnes sont fondamentales. Les «aînés» sont au service des «novices» et le réseau d’amis s’active lorsqu’il s’agit d’aider une jeune « novice » et de lui trouver une bonne direction spirituelle : Archange Enguerrand éveille Mme Guyon à la vie intérieure4 et lui fait rencontrer la Mère Granger5. Celle-ci la prend en charge6 et la jeune femme a ainsi la chance d’être en contact avec une grande ancienne née en 1600 (Bernières est né en 1601). À son tour la supérieure du couvent de Montargis veille à ce que Mme Guyon rencontre le meilleur directeur de l’époque et la présente à M. Bertot. D’où cette séquence d’amis : Archange Enguerrand > Geneviève Granger > Jacques Bertot.



Naissance — Milieu familial — Jeunesse

Rendre compte des événements vécus lors de la jeunesse et du mariage, de voyages hors de France, des honneurs de la Cour à la honte des interrogatoires policiers et des emprisonnements? Il existe de bonnes introductions à la période «publique» et Louis Cognet avait l’espoir d’achever sa monographie. Ce qu’il a eu le temps de réaliser sous le titre de Crépuscule des mystiques ainsi qu'une entrée du Dictionaire de Spiritualité7 demeure inégalé8. J’ai assuré une suite pour éclairer la période des enfermements9. Quelques approches modernes sont recommandables10. Et la Vie écrite par elle-même s’est avérée la meilleure source vérifiée par des études modernes11. Elle témoigne d’une existence surmontant des résistances variées au prix de tourments qui laissèrent peu de place à une «quiétude» vue de l’extérieur. La timidité et le respect des conventions de la jeune femme avant et au début de son mariage laissent place à une volonté de fer et à un esprit de liberté qui affronte la coalition des structures civiles et religieuses de l’époque avec une intelligence dont témoignèrent amis et ennemis. Finalement, après la tempête, demeure chez la vieille dame une vision paisible et ample qui associe respect de la tradition et liberté des opinions.

La petite fille est confiée à quatre ans aux bons soins de religieuses. Éveillée, elle sait comment éviter le simulacre de martyre joué par ces dernières, en leur objectant : «Il ne m’est pas permis de mourir sans la permission de mon père!12» Livrée à elle-même lorsqu’elle retourne dans sa famille, elle va «dans la rue avec d’autres enfants jouer à des jeux qui n’avaient rien de conforme à sa naissance.» Sa demi-sœur religieuse du côté de son père, «si habile qu’il n’y avait guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle» — et qui savait le latin — l’éveille à la vie de l’esprit. Mais la jalousie de l’autre demi-sœur religieuse et les réprimandes de confesseurs assombrissent cette adolescence.

Elle est mariée à seize ans :

«mon mari avait vingt et deux ans de plus que moi, je voyais bien qu’il n’y avait pas d’apparence de changer… outrée de douleur, il n’y avait que six mois que j’étais mariée, je pris un couteau, étant seule, pour me couper la langue… J’eus quelque temps un faible que je ne pouvais vaincre qui était de pleurer… L’on me tourmentait quelquefois plusieurs jours de suite sans me donner aucune relâche… Je m’en plaignais quelquefois à la Mère Granger 13 qui me disait : “Comment les contenteriez-vous, puisque depuis plus de vingt ans je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir à bout”?»

Elle a été initiée à la vie intérieure par deux mystiques : le franciscain Enguerrand14 et cette religieuse bénédictine. Après

« douze ans et quatre mois de mariage»

son mari meurt avec courage et reconnaissance :

«Il me donna des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre des gens…»

Archange Enguerrand (1631-1699), «le bon franciscain».

Le premier à aider Madame Guyon fut donc Archange Enguerrand15 : en 1668, il revenait d’un séjour au mont Alverne, le célèbre «désert» franciscain, quand il rencontra à Montargis Mme Guyon âgée seulement de vingt ans, et en pleine recherche spirituelle. Elle raconte ici avec quelle efficacité il l’introduisit à la vie intérieure :


De loin qu’il me vit, il demeura tout interdit, car il était fort exact à ne point voir de femmes, et une solitude de cinq années dont il sortait ne les lui avait pas rendues peu étrangères. Il fut donc fort surpris que je fusse la première qui se fut adressée à lui, ce que je lui dis augmenta sa surprise, ainsi qu’il me l’avoua depuis, m’assurant que mon extérieur et la manière de dire les choses l’avaient interdit, de sorte qu’il ne savait s’il rêvait. […] Il fut un grand temps sans me pouvoir parler. Je ne savais à quoi attribuer son silence. Je ne laissai pas de lui parler et de lui dire en peu de mots mes difficultés sur l’oraison. Il me répliqua aussitôt : «C’est, Madame, que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. Accoutumez-vous à chercher Dieu dans votre cœur et vous l’y trouverez.16» En achevant ces paroles, il me quitta, disant qu’il allait chercher des écrits afin de me les donner. Il m’a dit depuis que c’était bien plutôt la surprise afin que je ne m’aperçusse pas de son interdiction.17

Le lendemain matin, il fut bien autrement étonné lorsque je fus le voir et que je lui dis l’effet que ses paroles avaient fait dans mon âme; car il est vrai qu’elles furent pour moi un coup de flèche qui perçèrent mon cœur de part en part. Je sentis dans ce moment une plaie très profonde, autant délicieuse qu’amoureuse…18

Le «bon religieux fort intérieur de l’ordre de Saint François» resta probablement quelques mois au couvent de récollets de Montargis : c’est lui qui lui fit rencontrer la Mère Granger. Par la suite Mme Guyon le reverra de loin en loin : à Corbeil en 1681 ; au moment où elle décidera se rendre à Gex, il la préviendra judicieusement contre les Nouvelles Catholiques dans lesquelles elle comptait s’engager. Enfin, en 1696, elle le demandera en vain comme confesseur lors de son emprisonnement :

En cette extrémité, je demandai un confesseur pour mourir en chrétienne. L’on me demanda qui je souhaitais; je nommai le P. Archange Enguerrant [sic], récollet d’un grand mérite, ou bien un jésuite. Non seulement on ne voulut m’en faire venir aucun, mais on me fit un crime de cette demande.19

Gardien du couvent de Saint-Denis (1670-1672), prédicateur assez réputé en 1677, provincial en 1683 de la province couvrant Artois, Hainaut et Flandre française, il fut ensuite exilé dix ans à l’autre extrémité du royaume à Saint-Jean-de-Luz, à cause d’une affaire (inconnue) qui avait provoqué une intervention de la Cour. En 1694 il fut chargé d’une communauté de sœurs visitandines : « C’est à quoi je ne suis plus guère propre après dix ans d’exil». Il mourut à Paris le 23 avril 169920.

Archange Enguerrand avait été formé par Jean Aumont21, et se rattachait donc par son intermédiaire au réseau d’amis de l’Ermitage. Il fut aussi en relation avec Le Gall du Querdu22. Il connaissait bien Mectilde, la Mère du Saint-Sacrement (que Mme Guyon fréquentera à Paris) : la réformatrice bénédictine pratiquait l’adoration perpétuelle, sujet du premier ouvrage imprimé d’Archange23.

Celui-ci eut la bonne idée de confier Mme Guyon à la Mère Granger, supérieure du couvent des bénédictines de Montargis24.

Geneviève Granger (1600-1674).

Dès qu’elle fut mariée, la jeune Madame Guyon fut en prise avec un vieux mari et une belle-mère difficile, qui étaient opposés à l’attirance de la jeune femme vers l’intériorité. Elle fut très heureuse de pouvoir se réfugier auprès de Geneviève Granger, qui va lui apporter un soutien «maternel» et la guider à partir de

1668. La Vie par elle-même25 fait le récit de cette bonne direction, qui savait joindre prudence, encouragement, incitation au retour intérieur, engagement et dépassement :

À mon retour, je fus trouver la mère Granger, à qui je contai toutes mes misères et mes échappées [infidélités, 1.14.1sv.]. Elle me remit, et m’encouragea à reprendre mon premier train; elle me dit de couvrir entièrement ma gorge avec un mouchoir… [1.14.5.]

Sitôt que je vis la petite vérole au logis, je ne doutai point que je ne la dusse prendre. Je fus consulter la Mère Granger aux Bénédictines qui me dit de m’éloigner si je pouvais. [1.15.1]

Elle devait se cacher ou trouver des subterfuges pour la fréquenter :;

[Mon Dieu,] Vous me faisiez trouver des providences toutes prêtes pour écrire à la Mère Granger lorsque j’étais le plus pressée de peines, et je sentais de forts instincts de sortir quelquefois jusqu’à la porte, où je trouvais un messager de sa part qui m’apportait une lettre qui n’aurait pu tomber entre mes mains sans cela. [1.17.5]

J’avais une extrême confiance à la Mère Granger. Je ne lui cachais rien, ni de mes péchés, ni de mes peines, je n’aurais pas fait la moindre chose sans la lui dire : je ne faisais d’austérités que celles qu’elle me voulait permettre. […] Mon confesseur et mon mari me défendirent de nouveau de la voir. Il m’était presque impossible d’obéir. […] Comme je l’aimais beaucoup, je ne pouvais m’empêcher de la justifier et d’en dire du bien; et cela les mettait en telle colère qu’ils veillaient encore de plus près pour m’empêcher de l’aller voir […] Je prenais prétexte d’aller voir mon père et j’y courais, mais sitôt que cela était découvert, c’était des croix que je ne puis exprimer […] Ma belle-mère se mettait sur un certain petit vestibule, personne ne pouvait sortir du logis qu’elle ne les vît et qu’ils ne passassent auprès d’elle. Elle leur demandait où ils allaient, et ce qu’ils portaient : il fallait le lui dire, de sorte que quand elle savait que j’avais écrit à la Mère Granger, c’était un bruit terrible […] Je m’en plaignais quelquefois à la Mère Granger, qui me disait : «Comment les contenteriez-vous puisque, depuis plus de vingt ans, je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir à bout?» [1.17.6-7]

La Mère Granger pouvait réagir vivement :

Un jour que pénétrée vivement de cette pensée et de cette peine [l’absence de Dieu] je lui dis que je ne vous aimais plus, unique Objet de mon amour, elle me dit en me regardant : « Quoi! vous n’aimez plus Dieu?» Ce mot me fut plus pénétrant qu’une flèche ardente. Je sentais une peine si terrible et une interdiction si forte, que je ne pus lui répondre, parce que ce qui s’était caché dans le fond se fit d’autant plus paraître dans ce moment que je le croyais plus perdu. [1.23.3]

Elle lui fit signer un «contrat» le jour de la Madeleine :

La Mère Granger m’envoya un petit contrat tout dressé, je ne sais par quelle inspiration. Elle me manda de jeûner ce jour-là et de faire quelques aumônes extraordinaires, et le lendemain dès le matin, jour de la Madeleine, d’aller communier une bague dans mon doigt, et lorsque je serais revenue au logis, de monter dans mon cabinet où il y avait une image du Saint Enfant Jésus […] Le contrat était tel : «Je promets de prendre pour mon époux Notre Seigneur Enfant, et me donner à lui pour épouse, quoiqu’indigne.» [1.19.10.]

L’aide se poursuivit par delà la mort :

J’appris avant de m’en retourner que la Mère Granger était morte. J’avoue que ce coup me fut le plus sensible que j’eusse encore eu. […] Il me semblait que si j’avais été à sa mort, j’aurais pu lui parler et m’instruire de quelque chose […] Il est vrai que quelques mois avant sa mort, j’eus une vue que, quoique je ne la pusse voir qu’avec une extrême difficulté et sans souffrir, elle m’était encore un soutien. [1.20.4]

M. Bertot, quoiqu’à cent lieues du lieu où la Mère Granger mourut, eut connaissance de sa mort [le 5 octobre 1674] et de sa béatitude, et aussi un autre religieux. Elle mourut en léthargie, et comme on lui parlait de moi à dessein de la réveiller, elle dit : «Je l’ai toujours aimée en Dieu» et ne parla plus depuis. Je n’eus aucun pressentiment de sa mort. [1.20.7]

À quelques années de là, la Mère Granger m’apparut en songe, et me dit : «Soyez assurée que Notre-Seigneur pour l’amour qu’il vous porte a délivré votre mari du purgatoire le jour de la Madeleine…» [1.22.7]

C’est lors d’une fête de la Madeleine que, six ans après la mort de la religieuse, Mme Guyon sera délivrée d’une longue nuit intérieure.

Geneviève Granger, se voyant vieillir, décida de confier Mme Guyon au mystique qu’elle estimait le plus : le successeur de Bernières, M. Bertot. Elle sera la plus grande de ses disciples.

La Mère Bon (1636-1680), ursuline.

Mme Guyon ne la connut pas, mais elle pensait que la Mère Bon prenait soin d’elle par delà la mort. Elle raconte dans sa Vie qu’elle l’avait vue en rêve :

Il se présenta à moi à quelque temps de là, la nuit en songe, une petite religieuse fort contrefaite, qui me paraissait pourtant et morte et bienheureuse. Elle me dit : «Ma sœur, je viens vous dire que Dieu vous veut à Genève.» Elle me dit encore quelque chose dont je ne me souviens plus. J’en fus extrêmement consolée, mais je ne savais pas ce que cela voulait dire. Selon le portrait de la mère Bon, que j’ai vu depuis, j’ai connu que c’était elle; et le temps que je la vis se rapporte assez à celui de sa mort. 26

Si Mme Guyon n’a pas connu directement la Mère Bon, elle aimait lire son Catéchisme spirituel puisqu’on le trouve relié avec des copies des Torrents. On sait aussi que le P. La Combe l’admirait. Mme Guyon fut sûrement en contact avec les amis de la Mère Bon : on sait que celle-ci dirigea une comtesse piémontaise, qui fonda à Turin un couvent d’ursulines, or madame Guyon sera en relation avec une comtesse et son couvent lors de son séjour turinois.

La Mère Marie Bon, suspectée de quiétisme, n’a pas été reconnue à sa juste valeur malgré le livre du P. Maillard27. Ce n’est qu’à l’époque moderne que Bremond fera d’elle «la vivante réalisation de ce que les théoriciens de la mystique ont décrit de plus sublime. »28.

Elle donna sa vie à Dieu. Née d’un père avocat au Parlement de Grenoble, elle perdit sa mère à l’âge de deux ans. «Les religieuses ne voulaient pas la recevoir à cause de sa petite taille et de ses infirmités29 ». Elle entra cependant en religion à vingt et un ans, le 20 décembre 1657. En 1661, une vision du Crucifié mit fin à une période de troubles intérieurs. Elle obtint de Dieu de cacher toute manifestation de ses grâces tandis qu’elle assurait l’enseignement des filles selon la vocation des ursulines.

Les religieuses «attribuaient ses faiblesses à la continuelle attention qu’elle apportait aux opérations de Dieu dans son cœur. Mais elle dit à l’une de ces religieuses que son mal venait au contraire de ce qu’elle ne s’appliquait pas assez à Dieu. Elle ajouta qu’elle puisait ses forces dans la contemplation [54]». Un jour, elle eut la vision d’une «personne renfermée dans un globe de cristal», ce qui lui fut expliqué ainsi : Vous êtes dans Moi, Je vous environne de tous côtés : tout ce qui vous vient de la part des créatures passe par Moi [66].

Alors qu’elle était accoutumée

de former des intentions très pures au commencement de ses actions [86] […] [Dieu] lui montra qu’il y avait quelque amour propre […] la satisfaction d’être assurée qu’elle faisait ses actions pour Dieu. Afin de détruire ce défaut […] elle devait regarder Dieu seul, Lui abandonner ses propres intentions […] Le voir opérant dans elle comme dans un néant qui ne peut produire aucune chose; qu’Il régnait ainsi dans l’âme, laquelle n’usait alors de sa liberté que selon les mouvements de la grâce, lui disant : « Sacrifiez-moi le désir que vous sentez [101] d’avoir de l’humilité, pour vous rendre conforme à ma volonté et ne considérez pas cette vertu en vous, parce que vous la perdrez lors que vous croirez la posséder […] vous devez suivre seulement la lumière que Je répands dans votre esprit, comme les israélites suivaient l’Ange. »» 

Vers 1664, Courbon, vicaire de l’archevêque de Vienne, lui commandant d’écrire, elle adressa à son directeur l’exposé suivant :

Mon âme se trouve dans un simple regard de Dieu, ou pour mieux dire, dans une simple attention à la parole de Dieu dans mon [124] cœur, se tenant dans un profond respect et dans un silence semblable à celui que l’Amante Madeleine gardait aux pieds de son Sauveur. Car c’est ainsi qu’Il me l’a fait voir Lui-même…

Il n’y a de ma part dans cette divine opération que l’acquiescement […] Tout ce qui n’est pas Dieu éloigne l’âme de lui, et empêche le cours de [125] Sa grâce : laquelle exige de couler continuellement dans l’âme afin qu’elle s’y étende. Et de même que l’eau d’une vive source court promptement, lors qu’ayant été retenue elle trouve un passage libre par quelque canal bien net et bien préparé. Ainsi cette grâce ayant arrêté son cours par l’infidélité de l’âme, elle se répand à la même vitesse, quand cette âme retourne à sa première fidélité. C’est ce qui m’arrive quelquefois…30

L’assassinat de son père le 21 septembre 1664 la plongea dans une nuit spirituelle :

Lorsque vous êtes fortement poussée à vous jeter par la fenêtre, vous n’y consentez pas, car vous vous retirez promptement : sachez qu’il en est de même de vos autres tentations [163]. Elle reconnut que son amour propre lui faisait craindre de devenir folle…

Elle appliquait sa prière au soulagement des âmes du Purgatoire :

Je m’étonnais de ce qu’Il voulait se servir de moi pour sauver les âmes […] Ne sais-tu pas que tu es un néant et que c’est pour cela que Je t’ai choisie? [245]

On lui ordonnait souvent de se mettre au parloir malgré ses infirmités. Dieu lui révélait les secrets des consciences. Les gens accouraient de tous côtés :

Elle disait avec une sainte liberté […] aux gens de qualité et aux autres, les défauts […] Ils n’avaient aucun repos de conscience qu’ils n’eussent exécuté ce qu’elle [250] les avait priés de faire. Il n’était pas nécessaire que chacun lui dit ses dispositions intérieures [251] pour lui déclarer son état : les lumières de la grâce les lui faisaient voir aussitôt qu’on commençait à lui parler.

Ceci lui attira des jalousies : son Traité de l’oraison la fit accuser d’hérésie, mais une traduction italienne fut approuvée.

Elle fut deux fois supérieure, avant une persécution qui dura sept ans :

[La nouvelle supérieure] lui ordonna de la lui demander [la communion], comme les novices le pratiquent, toutes les fois qu’elle voudrait s’approcher des saints mystères […] elle se soumit volontiers […] elle prenait le temps des assemblées de la Communauté et se mettait à genoux devant la Supérieure [279].

Cette persécution s’acheva dix-huit mois avant sa mort à l’âge de quarante-cinq ans.

Madame Guyon aimait lire son «catéchisme» qui traite des grands thèmes mystiques : Dieu seul, le chemin désintéressé, l’adhérence à la grâce. Il a été écrit sous forme d’un dialogue :

D. Que peut faire l’âme ainsi dénuée de tout plaisir, jugement volontaire et intérêts propres? — M. Elle n’a jamais fait de si bonnes affaires qu’elle en fait pour lors, parce que jouissant de [662] Dieu d’une manière inconnue aux sens, elle opère par Lui, et Il opère en elle, de sorte que ses opérations sont toutes saintes et d’un mérite très grand. C’est pour lors […] qu’elle peut être appelée spirituelle; parce qu’elle n’est plus que pour adhérer à l’esprit de la grâce […] pour lors elle peut dire avec vérité les paroles de St Paul : «je vis en moi, mais non plus moi, mais l’esprit de Jésus-Christ vit en moi».

[668] M. L’anéantissement doit détruire toute présomption et donner la gloire à Dieu de toutes ses bonnes œuvres. Il faut de plus retrancher les paroles, je ne suis rien, je suis un grand pécheur et je ne fais que du mal, d’autres semblables, lesquelles ordinairement ne sont que compliment de l’amour propre.

[676] D. Ce que c’est qu’adhérer simplement à Dieu? — M. Adhérer simplement à Dieu, c’est se soumettre à Sa volonté, sans raisonnement, par la connaissance qu’Il en donne; ne pas prendre conseil avec soi-même pour savoir si on doit se soumettre ou non; et enfin, faire la volonté de Dieu intérieurement et extérieurement sans perdre la vue de Dieu pour la faire, et sans s’occuper l’esprit […]

D. Pourquoi il faut ainsi nous détruire nous-mêmes pour agir simplement? — M. Cette simplicité, pour être parfaite, demande ces anéantissements parce que son occupation est de regarder Dieu en tout temps et en tout lieu comme son unique objet et sa fin dernière sans permettre même à l’âme qui la pratique de considérer distinctement ce qu’elle fait en cette pratique et ce qu’elle y acquiert, non pas même de voir si Dieu est son unique objet par une application particulière [678] de sorte que l’on pourrait dire de l’âme qui agit simplement qu’elle agit purement, parce qu’elle est toute perdue en Dieu et n’agit que par Lui, c’est pour lors qu’elle est, parce qu’elle cesse d’être à elle-même pour être à Dieu.

M. [682] Le chemin que je veux vous montrer et que je souhaite que vous marchiez à grands pas, porte le nom de la Voie ou Chemin Désintéressé […] — D. Ayez la bonté de me conduire à cette porte. — M. Cette porte n’est autre que l’humble prière […] [683] qui se fait dans le cœur par adhérence aux mouvements de l’esprit de la grâce, lequel donne à un cœur qui lui est soumis, ce qu’il doit demander et la manière…

En analysant les difficultés rencontrées dans l’oraison, elle met en garde contre les pensées contrôlées par l’entendement et qui empêchent le vide nécessaire à l’opération divine. Elle sous-entend par là les méditations (considérations) sur un thème :

D. S’il arrivait de bonnes pensées dans l’imagination […] faudrait-il les détruire? — M. Il n’y a pas de nécessité de détruire les pensées qui occupent l’imagination : il se peut même faire que l’imagination étant ainsi occupée sans que l’âme ait pris aucun soin, donnera à la volonté une plus grande facilité pour faire sa prière. [692]

D. Quelle différence mettez-vous entre la considération et la pensée qui vient de l’imagination? — M. Ce qui fait cette différence, est que la volonté se porte délibérément à faire que l’entendement soit occupé dans une pensée ou sujet pour le considérer […] Si bien que [693] toute l’âme, ou du moins ses trois puissances, se trouvent toutes occupées et remplies de telle sorte qu’il n’y reste point de vide pour recevoir l’opération de Dieu, [mais] au contraire une opposition générale par l’attachement volontaire qu’elles ont au sujet qui les occupe.

Par contre, les pensées qui surgissent spontanément n’ont pas d’importance :

Cette opposition n’est pas dans la pensée qui se présente à l’imagination, parce que l’âme ne l’ayant pas choisie elle n’y a pas de volonté, ni par conséquent de propriété et d’attachement, et venant à s’en apercevoir, elle s’en défait ordinairement comme d’un sujet qui vient la séparer de celui qu’elle s’est choisi et auquel elle veut se tenir…

Elle insiste sur le libre don de Dieu à tous, montrant le même optimisme que Mme Guyon dans son Moyen court :

[700] M. Ceux qui disent que l’oraison est un don de Dieu, disent le vrai. Mais lorsqu’ils ajoutent qu’il ne le donne pas à tous, ils se trompent […] Il ne tient qu’à l’âme de faire oraison […] un peu d’amour pour Dieu ou pour elle-même la ferait profiter de l’esprit de prière et d’oraison qui est en elle […] on viendrait à connaître par expérience qu’il n’est pas difficile de suivre les divins mouvements pour prier.

Elle montre que l’obsession des vertus n’est qu’attachement à sa propre perfection :

La privation des effets sensibles de la grâce [a lieu] pour retrancher les dérèglements de l’amour propre […] il faut qu’elles [les âmes] se perdent si bien en Dieu qu’elles ne voient que Lui et non plus elles-mêmes…

[723] D. Il faut donc préférer l’attrait qui unit l’âme à Dieu à tous ceux que l’on a pour la pratique de la vertu? — M. Oui, il le faut […] Combien de personnes s’éloignent de la perfection par le défaut de fidélité [724] sans néanmoins en manquer aux autres attraits qu’elles ont pour la pratique des vertus […] de sorte que regardant les dispositions que la présence de Dieu lui communique comme moyen de se rendre plus parfaite, elle s’y attache et s’en sert par intérêt propre et ne craint point de perdre la vue de Dieu pour celle qu’elle prend plaisir d’avoir en Ses dons; de sorte que si la divine Bonté ne retirait pas Ses dons pour la remettre en son devoir, elle resterait dans son aveuglement. […] Pour tout avoir, il ne faut rien avoir…

Un acquiescement de volonté en silence à celle de Dieu par lequel l’esprit [739] agit ou n’agit pas suivant ce que cette divine Volonté ordonne, et cet acquiescement produit sans bruit […] [la] pure foi.

Si l’on est préoccupé par son imperfection, une seule solution :

[745] Dieu est ce grand miroir […] dans la glace duquel l’âme chrétienne aperçoit ses défauts, et la fidélité qu’elle a à s’y regarder, lui mérite la grâce de les détruire; c’est là que les imperfections lui paraissent telles qu’elles sont, l’amour propre n’ayant [aucun] moyen de les couvrir du manteau de déguisement. L’âme qui veille à Dieu, Il a Lui-même la bonté de veiller pour elle sur elle-même; de sorte qu’elle pourrait dire qu’elle se voit par les yeux de Dieu et non point autrement.

L’âme est abandonnée au divin :

[763] L’âme qui est à Dieu par l’abandon ou donation qu’elle lui fait d’elle-même et de tout ce qui la touche, demeure en repos et en silence auprès de Lui sans souci, sans dessein, sans volonté, éloignée de toute inquiétude parce qu’elle ne veut que la volonté de Dieu à laquelle elle adhère simplement, bien que l’amour-propre et la conduite humaine s’y opposent […]

La mère Bon récapitule ce que l’âme a traversé, en insistant sur la nécessité de la discrétion et d’une vie cachée :

[781] Par la connaissance de soi-même on se voit inhabile à la pratique du bien sans le secours de la grâce…

[793] l’âme dans cette vie de Dieu reçoit de sa bonté un nombre infini de bons sentiments qu’elle rend en même temps à son bienfaiteur […], mais comme elle n’a pas encore la pureté d’amour qui lui est nécessaire, elle reste dans ses élans et transports d’amour, par l’ardeur desquels elle se purifie et dépouille des sentiments naturels, des désirs des choses créées, des attachements qu’elle y a […]

[794] Ces transports et élans amoureux doivent être modérés en sorte qu’ils ne paraissent pas à l’extérieur […] cette grâce demande que celles qui l’ont reçue commencent à mener une vie cachée […] et pour cet effet elle doit taire tous ses bons sentiments, ne pas parler de Dieu ni de la vertu, quelque bonne intention qui la pousse.

La belle fin du Catéchisme décrit l’occupation de l’âme qui a tout quitté pour Dieu :

[802] L’occupation de l’âme dans cet état n’est autre qu’une cessation de toute occupation pour se laisser occuper de Dieu seul, un anéantissement continuel de ses puissances intérieures pour se [803] perdre en lui et en être possédé; son oraison peut être appelée un silence intérieur par lequel elle prie […] contemplation infuse de la part de Dieu et passive de la sienne pour le recevoir.

[831] Aimer Dieu par lui-même c’est avoir anéanti toutes ses propres opérations, exceptée celle de la simple attention à Dieu par la foi et la simple adhérence […] il lui semble toutefois souvent qu’elle est sans amour parce qu’elle n’a plus de sentiment sensible ni d’affection dans le cœur qui l’en assure : comment pourrait-elle en avoir puisque pour aimer purement il faut de nécessité n’être plus.

[832] La vertu de simplicité […] est une émanation de l’être simple de Dieu […] elle fait que l’âme quitte la multiplicité pour se tenir dans l’unité, qu’elle quitte toutes pensées et même les lumières surnaturelles et les grâces reçues pour ne voir que Dieu.

D. L’âme n’acquiert-elle point d’autre bien […]? — M. La connaissance expérimentale d’elle-même, par laquelle elle est en état de ne se fier plus à elle-même, et de ne s’attribuer jamais la gloire du bien qu’elle fera, mais à Dieu qu’elle voit en être l’auteur.

Transmission : Monsieur Bertot dialogue avec une dirigée…

La plupart des spirituels estiment nécessaire de partir à l'écart du monde pour chercher l'expérience intérieure. Ils pensent que la nature humaine est trop faible pour se passer d’un cadre fort. Ils construisent des bâtiments prévus à cet effet et embrassent la vie monastique pour ne pas être distraits de la contemplation.

Les mystiques dont nous parlons ne nous ont laissé ni bâtiments ni règles, mais des lettres31. Par chance, sont parvenus jusqu’à nous trois vastes recueils épistolaires qui se relaient en formant une belle continuité : nous avons vu les lettres de Bernières qui couvrent les années ~ 1635 à 165932, celles de Bertot vont de 1660 à 168133, et les lettres de Guyon de ~1686 à 171734. C’est là l’extraordinaire édifice qu’ils nous ont laissé. En dehors de cette « École », on ne rencontre guère d’échanges complets de lettres entre spirituels, car la tradition religieuse privilégie souvent les écrits du saint fondateur, mis sur un piédestal, et néglige ses interlocuteurs et ses successeurs. Les correspondances passives ont souvent disparu.

Ce cas unique d’une « conspiration » réussie où le devoir de mémoire est accompli, n’est-il que la réponse typique d’une minorité persécutée ? Plutôt conscience de la valeur unique d’entretiens essentiellement mystiques — pas d’affaires d’intendances — et préservés « sans coupures » par omission de l’un ou de l’autre interlocuteur.

Chaque génération était très consciente de la valeur de ces lettres qui transmettaient toute une expérience. Ils ont pris soin de les sauver à tout prix. Ils voulaient éviter la disparition de ces témoignages de la vie mystique menée en commun.

L’histoire de ces sauvetages reste à faire et l’on peut la résumer ainsi : Mectilde a repêché avec difficulté des écrits de Chrysostome gardés par ses confrères du Tiers Ordre Régulier, et Jean de Bernières l’a préservé en l’éditant à ses frais à Caen ; puis sa sœur Jourdaine a sauvé son oeuvre du désastre de la réécriture opérée par le co-rédacteur du Chrétien intérieur. Mme Guyon a sauvé de même Bertot avec l’aide d’une amie car pendant ses emprisonnements elle a pu faire préserver par ses proches les lettres qu’elle-même avait reçues de son Directeur. L’admiration de Pierre Poiret a préservé entièrement les écrits de Mme Guyon malgré l’opposition de certains disciples qui se disputaient après sa mort sur l’opportunité de publier la Vie par elle-même. Enfin, les bénédictines « filles » de Mectilde ont sauvé cette dernière en recopiant durant trois siècles  des milliers de fois les lettres et « dits » de leur fondatrice, y compris de précieuses lettres de Bernières, nous permettant d’authentifier ce qui nous en est parvenu.

La rencontre du maître et de la dirigée eut lieu le 21 septembre 1671.

Jeanne de la Motte-Guyon (1648-1717) a d'abord été une jeune fille de la riche bourgeoisie provinciale. Éduquée chez les bénédictines, elle eut la chance de rencontrer la Mère Geneviève Granger (1600-1674) dont la profondeur et le rayonnement l'attirèrent très jeune vers la vie contemplative. Elle menait donc de front la pratique de l’oraison et la vie traditionnelle d’une jeune fille  : elle consacrait plusieurs heures par jour à la prière et faisait des retraites. Mais elle fut arrachée à ce cadre idéal quand on la maria au riche et vieux M. Guyon qui voulait qu'elle lui consacre tout son temps ! Sa belle-mère la surveillait et l'empêchait de prier. Ces contraintes la rendaient malade, engendraient chez elle une immense souffrance et un désir de solitude impossible à satisfaire.

Par bonheur, la Mère Geneviève Granger, qui se sentait vieillir, lui fait rencontrer l'un des plus grands mystiques de son temps, le prêtre Jacques Bertot (1620-1681), dont nous avons vu qu’il avait apporté à l’abbaye de Montmartre la spiritualité de l’Ermitage fondé à Caen par Jean de Bernières. Mme Guyon se plaça sous son autorité, ce qui nous vaut maintenant de lire leurs échanges. Elle lui confie combien elle souffre dans une belle famille où elle ne peut pas se consacrer à la recherche de Dieu.

Monsieur Bertot connaissait bien lui-même cette attirance vers la solitude où l’on pense trouver Dieu plus facilement. Voici la jolie lettre envoyée à Mme Guyon en 1674 où il avoue sa nostalgie35 :

L’air du monde non seulement est infecté en plusieurs manières, mais encore il n’a nul agrément, comparé à celui de la solitude où l’on goûte en vérité le printemps et une sérénité qui contient le goût de Dieu. Dieu seul est le printemps de la solitude et c’est là qu’on le goûte.

Il est vrai qu’avant que cela soit et que l’âme ait le calme, le désembarrassement et le reste que Dieu communique en solitude, il faut peiner et travailler, la nature se vidant d’un million de choses qui empêchent l’âme de goûter à loisir cet air doux et agréable d’une solitude calme et tranquille qui, à la suite, lui est vraiment Dieu : car qui fait cette solitude si belle, si sereine, si douce et si agréable, sinon Dieu, qui, se donnant à l’âme et l’âme l’ayant trouvé, elle le goûte et en jouit comme nous jouissons de l’air agréable du printemps, de la beauté des fleurs, de leur odeur plaisante et de tout le reste.

En vérité, les créatures, et le soi-même encore plus, sont un vrai hiver à l’âme qui y habite, et quand l’âme trouve Dieu, elle trouve le printemps en toute manière par la solitude et l’éloignement du créé, en repos et cessation de tout. Je vous avoue qu’un je ne sais quoi me fait soupirer, avec patience et sans désir, après l’entier dégagement de la manière que Dieu le voudra. »

Et pourtant, il refusa toujours de céder à ce désir, considérant qu'il fallait pratiquer l'oraison là où, selon son expression, « l’ordre de Dieu » l’avait placé. Jamais il n’encouragea Madame Guyon à fuir son environnement, mais au contraire il lui ordonna une pratique qui se révélera plus profonde, car elle transcende les contraires : l’oraison au milieu des contraintes domestiques. Leur échange de lettres montre une jeune femme qui obéit comme elle peut aux instructions de Bertot. Petit à petit, on la voit passer du dégoût d'avoir à veiller un vieux mari et du regret de ne pouvoir prier tranquillement dans sa chambre, à une acceptation paisible. Elle part d'un état où elle croit que toute occupation humaine est une perte de temps en comparaison de la vie en Dieu : ce serait tellement mieux si elle était ailleurs. Or, à sa grande surprise, elle va expérimenter tout le contraire :

Il m’est arrivé une fois ou deux, parce que je m'y trouvais fort recueillie, de me retirer pour m'en aller faire oraison, croyant aller faire merveille, et j'expérimentais tout le contraire : c'était une inquiétude et une dissipation qui me peinai [en] t beaucoup et je ne pouvais pas être là en repos, voyant que ce n’était pas l’ordre de Dieu36.

C'est donc dans la médiocrité du réel que se trouve la perfection, car là, à cet instant, Dieu se manifeste. Bertot approuve cette nouvelle expérience :

[…] dire que la soumission et la subordination à un mari et tout le reste d’une condition soit à une âme éclairée divinement un ordre si divin, il faut l'expérience pour le croire ; cependant cela est vrai. C'est pourquoi vous trouverez toujours, lorsque l'ordre divin demandera quelque chose de vous, que vous trouverez plus Dieu en son exécution qu'à faire oraison ou à vous employer dans les plus divins exercices, car l'un vous est Dieu et l'autre ne vous peut être tout au plus qu'une sainte et vertueuse pratique37.

Quand l’état de son mari empire, elle sait maintenant rester bien centrée au cœur de la grâce et ne désire plus rien d’autre que ce qu’elle est en train de vivre :

Depuis dix ou douze jours, M. N. [M. Guyon] a eu la goutte. J’ai cru qu'il était de l'ordre de Dieu de ne le pas quitter et de lui rendre tous les petits services que je pourrais. J'y suis demeurée, mais avec une telle paix et satisfaction que je n'en ai expérimenté de même. Quoique tous ces ajustements me soient insupportables, je ne puis désirer autre chose et j'y suis tellement contente que je ne me trouve pas ailleurs de même. Car quand je le quitte pour des moments pour faire quelques lectures ou prières, c’est avec inquiétude de ce que je n’y vois pas l’ordre de Dieu38.

En acceptant les difficultés comme étant d’origine divine, elle commence donc à ressentir la vie de la grâce, et Bertot en est tout heureux :

Je ne puis vous exprimer ma joie [en] remarquant que vous commencez de goûter les effets de cette eau vive et que, comme vous dites fort bien, ce qui vous aurait donné la mort et qui vous aurait été insupportable vous est présentement délicieux et que non seulement vous y trouvez la vie, mais une souveraine consolation39.

Bertot et Mme Guyon à sa suite vivent donc l'intériorité au milieu des tracas de la vie ordinaire et des circonstances où la Providence divine les met. On ne cherche pas à y échapper, on n’en change pas volontairement, car ce serait affirmer une volonté propre :

La vraie dévotion est de mourir à sa volonté et conduite propre par l’état que la divine Providence nous a choisi, nous laissant entre les mains de la divine Providence comme un morceau de bois en celle d’un sculpteur pour être taillé et sculpté selon son bon plaisir. Il faut bien savoir que cela s’exécute assurément par l’état de votre vocation : les ouvriers qui doivent travailler à faire cette statue sont monsieur votre mari, votre mère, vos enfants, votre ménage40.

Ce que Bertot pratique et enseigne là a été énoncé bien avant lui par Ruusbroec (1293-1381) sous le nom de « vie commune ». Chez lui, le mystique n’est pas accompli tant qu’il n’est pas capable de vivre en même temps sur les deux plans, accueillant les mouvements de la grâce divine tout en agissant sur le plan humain. Voici ce qu’il en dit à la fin de La Pierre brillante :

[…] il est un instrument de Dieu vivant et disponible, avec lequel Dieu opère ce qu’il veut et comme il veut ; et il ne s’attribue pas cela, mais il en donne à Dieu l’honneur ; et voilà pourquoi il reste disponible et prêt pour faire tout ce que Dieu commande, et fort et vaillant pour pâtir et supporter tout ce que Dieu établit sur lui. Et c’est pourquoi il mène une vie commune, parce qu’il est également prêt à contempler et à agir, et il est parfait dans les deux41.

On vit donc comme tout le monde, on ne se réfugie nulle part. Si la solitude vient, c’est qu’elle est voulue par Dieu. Et elle n’est pas toujours agréable, comme les années de prison vécues par Madame Guyon. Toute la personne s’abandonne entre les mains de la grâce. Pour le faire comprendre, Bertot utilise la comparaison suivante :

N’avez-vous jamais pris garde, sur le bord de quelque rivière, comment elle entraîne à son gré par son mouvement propre quelque morceau de bois qui flotte dans l’eau : il ne fait rien et il fait tout, car il se laisse aller au gré de l’eau qui le porte insensiblement jusqu’au plus profond de la mer. Voilà l’exemple d’une âme qui correspond en simple abandon au vouloir divin dans le mal, lequel supplée et contient pour lors tout exercice, de telle manière que souvent même on les perd ; mais encore toutes les lumières, tous les goûts, et tout ce que l’on savait des voies de Dieu s’efface, devenant dénué de tout42.

La métaphore sera développée par Mme Guyon dans les Torrents43 :

Pour les âmes du troisième degré que dirons-nous sinon que ce sont comme des Torrents qui sortent des hautes montagnes ? Elles sortent de Dieu même, et elles n’ont pas un instant de repos qu’elles ne soient perdues en Lui. Rien ne les arrête. Aussi ne sont-elles chargées de rien. Elles sont toutes nues et vont avec une rapidité qui fait peur aux plus assurées. Ces torrents coulent sans ordre çà et là par tous les endroits qu’ils rencontrent propres à leur faire passage. Ils n’ont ni leurs lits réguliers, comme les autres, ni leur démarche dans l’ordre. […]

De tels textes susciteront l’indignation du clergé, car il y verra la permission de faire n’importe quoi. En réalité, même si ces gens vivaient au milieu de la société, ils menaient discrètement une vie très sérieuse. Témoin les vœux secrets de chasteté et de pauvreté que Mme Guyon confia au duc de Chevreuse, et qui la situent dans la mouvance du Tiers-Ordre franciscain44. Son troisième vœu nous intéresse directement :

[…] une obéissance aveugle à l’extérieur à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans d’une totale dépendance de la grâce.

Mme Guyon suit donc exactement la même voie que son père spirituel : un abandon qui nécessite d’instant en instant d’ouvrir sa vie aux impulsions divines. Cette ouverture ne nécessite même pas d’effort : elle n’est pas un acte, mais un état où l’on se perd en Dieu d’instant en instant :

Remarquez bien que, quand je vous dis que le moment de ce que vous avez à faire ou à souffrir devient Dieu et est Dieu à une telle âme […] j’entends que tout ce qu’elle a à faire ou à laisser, quelque petit ou naturel qu’il soit, comme le travail, la conversation, le boire, le manger, le dormir et le reste d’une vie sagement raisonnable, est Dieu à telle âme et qu’elle doit être et faire ces choses dans les mêmes dispositions sans dispositions, car c’est par état45.

Le monde entier devient alors signe de Dieu, chaque événement est divin :

[…] il n’y a rien de naturel pour les âmes qui sont assez heureuses de vivre en foi, et qu’encore que les choses arrivent naturellement, tout est divin et conduit par l’infiniment sage Providence. Si bien qu’il ne faut jamais rien regarder naturellement, mais divinement, soit les maladies ou le reste qui nous arrive, tout étant pour la perfection de l’état où nous sommes46.

Si l’on vit dans un monde où le divin est partout, on ne dépend pas d’un lieu pour trouver Dieu. Se retirer dans un lieu particulier n’a pas de sens. Bertot et Guyon ne veulent plus faire des allées et venues entre vie ordinaire et moments de contemplation : ils cherchent la grande unité, la plongée permanente dans le divin, tandis que l’extérieur est soumis aux aléas voulus par la Providence divine. Leur désir est de passer de la dualité extérieur/intérieur, de l’alternance contemplation/vie ordinaire à l’unité en Dieu sans interruption. C'est le but vers lequel Bertot guide la jeune Mme Guyon, là où Dieu disparaît en tant qu'objet à atteindre, pour devenir la Présence au sein de laquelle on vit :

[…] quand, par dénuement et simplicité, l’âme tombe en Dieu, elle devient sans objet, et ce qu’elle a à faire et à souffrir de moment en moment lui devient Dieu et véritablement lui est Dieu. Heureuse une âme qui est appelée de Sa Majesté pour cette grâce ! Car elle trouve le moyen de jouir de Dieu sans moyen [intermédiaire], par où Dieu peu à peu lui devient toutes choses, et toutes choses lui deviennent Dieu47.

Cette vie en Dieu a une contrepartie : une solitude tout intérieure, faite de nudité et d’éloignement du créé. C’est une sorte de désert, de mort, car l’on quitte intérieurement ce qui est humain pour vivre dans le divin :

[…] ainsi insensiblement en nous dérobant de la lumière humaine, nous trouvons la divine, et en nous enterrant en quelque façon tout vivant, nous trouvons la mort qui nous perd aux créatures, à nous-mêmes et à l’humain (comme le tombeau nous dérobent nos amis), pour nous trouver dans la vérité de la foi, qui a et renferme toute vérité48.

Malgré la sévérité de ce texte, il ne faut pas imaginer Bertot attiré par le grand modèle de l'époque qu'était la Trappe. S'il s'incline devant ces héros de la spiritualité, on sent qu'il a quelques doutes sur leur volontarisme et leur orgueil ascétique. Il préfère la modération et quand il analyse sa propre façon de vivre la solitude, c'est avec modestie et réalisme :

[…] en vérité il faut que cela soit bien modéré puisque, quand il y en a plus qu’il ne faut, cela fait toujours un autre tracas et embarras. Heureuses les âmes qui ont le don de la pauvreté absolue, car par là elles ont l’entière solitude sans aucune crainte. Mais c’est une chose que j’admire de loin, me contentant de ma petite grâce et de ma petite solitude. Car selon ce don de pauvreté, la solitude est grande. Pauvreté de biens, d’amis, de créatures : voilà la grande solitude, à laquelle je ne prends part que selon le don de Dieu à mon âme.

Il termine en appelant Mme Guyon à prendre conscience que tout est « bruit » en comparaison du grand silence intérieur :

Je prie Dieu de vous y donner et de vous faire bien entendre le grand bruit des créatures, du soi-même et généralement du créé49.

.

Lorsque Guyon a succédé à Bertot et pris la direction spirituelle de son groupe, la continuité a été totale. Contrairement à Fénelon qui tentait de convertir les gens, elle a toujours jugé sans intérêt de changer de lieu, d'état ou de religion, car l'essentiel est intérieur : s'abandonner à la volonté du Seigneur et accueillir sa grâce dans une solitude intérieure de plus en plus profonde.


À cause de son rayonnement intérieur exceptionnel, s'est formé autour d'elle un groupe extrêmement soudé, qui a résisté vaillamment aux attaques des pouvoirs ecclésiastique et royal. Ils n’étaient soumis à aucune règle, ils ne formaient pas un ordre, ils ne se sont pas réfugiés dans un bâtiment spécial et ne sont pas partis dans la montagne pour vivre l'oraison. Chacun reste là où Dieu l'a placé, et il se trouve qu'au début, ce lieu de vie fut paradoxalement la Cour de Versailles puisque Fénelon était précepteur du Dauphin et Chevreuse ministre de Louis XIV. Ils se réunissaient discrètement pour pratiquer l'oraison dans les appartements des uns ou des autres50 : Fénelon vivait à trente mètres des Chevreuse ! Mme Guyon venait quand le Roi était à Marly, pour ne pas attirer l’attention.

Mais leur rêve de convertir la Cour fut détruit par la disgrâce royale : Fénelon perdit son appartement, Mme Guyon fut enfermée à la Bastille pendant des années, supportant une solitude imposée. Fénelon subit les attaques de Bossuet et finit sa vie exilé à Cambrai où il recevait et dirigeait discrètement ses amis mystiques51  :

Vous me direz peut-être, ma bonne D[uchesse], que ce silence intérieur est difficile, quand on est dans la sécheresse, dans le vide de D [ieu] et dans l’insensibilité que vous m’avez dépeinte. Vous ajouterez peut-être que vous ne sauriez travailler activement à vous recueillir. Mais je ne vous demande point un recueillement actif, et d’industrie. […] Il suffit de laisser souvent tomber l’activité propre par une simple cessation ou repos qui nous fait rentrer sans aucun effort dans la dépendance de la grâce.

Il se forma à Cambrai un cercle spirituel parallèle à celui de Mme Guyon à Blois : en union avec elle, il pouvait transmettre la grâce en silence à ses visiteurs. Mais ne nous est parvenu qu’un témoignage sur la « vie commune » menée par de paisibles convives traités à égalité par l’Archevêque.

Mme Guyon fut libérée, mais comme elle était surveillée, la seule solution fut d'être accueillie à Blois près de son fils. Des amis de toutes nationalités, catholiques et protestants, vinrent y visiter « notre Mère ». La spiritualité y était très cachée : en apparence, une vieille dame recevait ses amis… Ils étaient forcés de vivre la quintessence de la mystique sans aucune forme extérieure. Dans la plus grande simplicité, la grâce faisait partie du quotidien, comme le raconte ce texte :

Plusieurs Anglais et Écossais protestants firent connaissance avec elle durant son exil à Blois. Ils avaient aussi vu M. de Cambrai et M. Poiret. Ils se rendirent chez elle et mangeaient à sa table […] Elle vivait avec ces Anglais comme une mère avec ses enfants […] Souvent ils se disputaient, se brouillaient ; dans ces occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder ; elle ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s'en occupaient en sa présence, et lui en demandaient son avis, elle leur répondait : « Oui, mes enfants, comme vous voulez. » Alors ils s'amusaient de leurs jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue en Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d'elle.52 

Voilà donc une expérience de la grâce au beau milieu de la vie ordinaire sans que « notre Mère » ait besoin de leur dire quoi que ce soit. S'ils menaient une vie retirée, c'était par nécessité, face aux menaces extérieures qui les contraignaient à se cacher. Le problème n'était pas pour eux de trouver la vie d'oraison grâce à la retraite hors du monde, mais de se soustraire à l'hostilité du monde envers la mystique.

La plongée mystique leur permettait de concilier les contraires, qu’ils fussent politiques (les Écossais contre les Anglais en 1715, dans le récit précédent), ou religieux à cause des règles d’exclusion observées entre catholiques et protestants. Les protestants restaient en compagnie de « notre Mère » même pendant la messe catholique en présence du prêtre catholique qu’envoyait Mgr Berthier, évêque de Blois et ami de Fénelon, moyennant un peu d’ingéniosité :

Quand on lui apportait le Saint Sacrement, ils se tenaient rassemblés dans son appartement, et à l’arrivée du prêtre, cachés derrière le rideau du lit, qu’on avait soin de fermer, pour qu’ils ne fussent pas vus parce qu’ils étaient protestants, ils s’agenouillaient et étaient dans un délectable et profond recueillement, chacun selon le degré de son avancement, souvent aussi dans des souffrances assorties à leur état.

Mme Guyon lui fut présentée le 21 septembre 1671 dans des circonstances qui resteront gravées dans sa mémoire. La Providence veillait visiblement à ce que cette rencontre se fasse :

 […] je dirai que la petite vérole m’avait si fort gâté un œil que je craignais de le perdre tout à fait, je demandai d’aller à Paris pour m’en faire traiter, bien moins cependant pour cela que pour voir M. B [ertot] que la M [ère] G[ranger] m’avait depuis peu donné pour directeur et qui était un homme d’une profonde lumière. Il faut que je rapporte par quelle providence je le connus la première fois. Il était venu pour la M [ère] G [ranger]. Elle souhaitait fort que je le visse; sitôt qu’il fut arrivé, elle me le fit savoir, mais comme j’étais à la campagne, je ne trouvais nul moyen d’y aller. Tout à coup mon mari me dit d’aller coucher à la ville pour quérir quelque chose et donner quelque ordre. Il devait m’envoyer quérir le lendemain, mais ces effroyables vents de la St Matthieu vinrent cette nuit-là de sorte que le dommage qu’ils causèrent [attesté et daté dans le journal d’un Montargeois] m’empêcha de retourner de trois jours. Comme j’entendis la nuit l’impétuosité de ce vent, je jugeai qu’il me serait impossible d’aller aux Bénédictines ce jour-là et que je ne verrais point M. Bertot. Lorsqu’il fut temps d’aller, le vent s’apaisa tout à coup, et il m’arriva encore une providence qui me le fit voir une seconde fois53.

Les instructions de Bertot furent plus simples que les trente points de Chrysostome adressés à Mectilde. Un décalogue fut suffisant, qui allait droit à l’essentiel dans un style incisif et remarquablement clair. Loin de l’ascétisme courant à l’époque, tout y est intérieur; loin de toute exaltation, on est dans le réel et la simplicité. Bertot connaît le redoutable inconvénient des scrupules d’un Bernières ou de l’ascétisme de Port-Royal : être obsédé par la perfection de soi-même. Plein d’amour et de douceur, il n’impose donc aucune culpabilité, ce qui est rare. Par contre, il met son interlocutrice devant l’exigence fondamentale de la mystique, ne s’arrêter à rien qui ne soit Dieu :

Vous avez vécu jusqu’ici en enfant avec bien des ferveurs et lumières.

Lisez et relisez souvent ceci; car c’est le fondement de ce que Dieu demande de vous. […]

1. […] Si le bon Dieu vous donne des lumières […] vous pouvez vous y appliquer par simple vue et recevoir de sa bonté ce qu’il lui plaira de vous donner; et si votre âme n’a aucun désir de cette application, il ne faut que continuer votre simple occupation.

2. Continuez votre oraison, quoiqu’obscure et insipide. Dieu n’est pas selon nos lumières et ne peut tomber sous nos sens.

3. Conservez doucement ce je ne sais quoi qui est imperceptible et que l’on ne sait comment nommer, que vous expérimentez dans le fond de votre âme; c’est assez qu’elle soit abandonnée et paisible sans savoir ce que c’est.

4. Quand vous êtes tombée dans quelque infidélité, ne vous arrêtez pas à la discerner et à y réfléchir par scrupule; mais souffrez la peine qu’elle vous cause, que vous dites fort bien être un feu dévorant, qui ne doit cesser que le défaut ne soit purifié et remédié.

5. Pour la douceur et la patience, elles doivent être sans bornes ni mesures. […]

6. Pour les pénitences, la meilleure que vous puissiez faire est de les quitter […]

7. Soyez fort silencieuse, mais néanmoins selon votre état […] en observant ce que vous devez à un mari, à vos enfants […]

8. Ce que vous me dites est très vrai que vous êtes bien éloignée du but […] Pourvu que vous soyez fidèle, je ne vous manquerai pas au besoin, pour vous aider à vous approcher de Dieu promptement.

9. Vous expérimenterez très assurément que plus vous travaillerez de cette manière, plus vous vous simplifierez et demeurerez doucement et facilement auprès de Dieu durant le jour, quoique dans l’obscurité : au lieu de vous nuire, cela vous y servira.

10. Quand vous avez fait des fautes et que vous y avez remédié […] oubliez-les par retour simple à Dieu sans faire multiplicité d’actes […]54.

Avec amour et douceur, il va la pousser toujours plus loin, au repos en Dieu, ce qui signifie abandonner tout par amour pour Dieu :

Vous ne pouvez assez entrer dans le repos et dans la paix intérieure; car c’est la voie pour arriver où Dieu vous appelle avec tant de miséricorde. Je vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre : car vous ne devez pas vous y reposer ni y jouir; mais passer doucement plus loin en Dieu et dans le néant; c’est-à-dire qu’il ne faut plus vous arrêter à rien quoiqu’il faille que vous soyez en repos partout. Sachez que Dieu est le repos essentiel et l’acte très pur en même temps et en toutes choses au-dedans et au-dehors de Sa divine essence, Il agit toujours, et Se repose toujours. De même vous devez vous reposer sans cesse et agir néanmoins doucement et paisiblement, quoique fortement, pour tendre toujours à Dieu et au néant dans la simplicité et unité. Ce repos ne doit point interrompre cette action, ni l’action votre repos : c’est là dormir et veiller, agir et se reposer; et c’est ce que Dieu demande de vous.

Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu : si vous y êtes attentive, vous l’entendrez. Soutenez-vous en Dieu nuement et simplement, seule et une, c’est-à-dire dépouillée de toutes choses, simplement toute telle que vous êtes, seule sans idée, et ramassée dans l’unité d’une seule chose, d’une seule pensée, d’une seule affaire : une à un Dieu, une en Dieu, enfin un Dieu, et après cela plus rien, ni de vous, ni des créatures, mais Dieu seul, Dieu seul en qui tout doit être perdu et abîmé pour le temps et pour l’éternité. N’ayez donc plus d’idées, de pensées, de sentiments de vous-même, non plus que d’une chose qui n’a jamais été et ne sera jamais. Qu’il en soit de même de tout ce qui n’est point Dieu seul55.

Il lui écrit parfois non seulement sur le plan personnel, mais pour lui transmettre son expérience de la voie en général. Par exemple, il décrit ici la découverte du centre de l’âme et la joie qui en découle. S’il appelle sans cesse à dépasser les états du début, on va voir qu’il en connaît fort bien les joies :

Il est à remarquer que Dieu est le centre de notre âme de telle manière, qu’en quelque lieu qu’elle soit, et à quoi qu’elle puisse être occupée hors de là, elle ne peut trouver son centre. Qui dit centre de l’âme, dit son lieu de repos véritablement naturel, et pour lequel elle est créée : si bien que qui dit le centre, dit son repos, sa joie, sa liberté, et véritablement une dilatation d’âme, qui fait bien juger que ce que l’on a, et où l’on est, est son centre véritable, et que tout autre lieu, toute autre situation, et généralement tout ce que l’on peut avoir, n’est qu’étranger à l’âme. Elle peut bien de fois à autre y trouver quelque petite satisfaction passagère : car n’y ayant rien dans la terre qui ne soit créé de Dieu, il n’y peut rien avoir par conséquent [424] où l’âme ne trouve quelques vestiges de Sa beauté; mais passagèrement, car n’étant pas créée pour ces miettes et pour ces parcelles, mais bien pour Dieu lui-même, elle n’y peut trouver que des plaisirs fort médiocres et fort passagers. […]

Cela donc supposé, il est certain que Dieu étant le centre de toute notre âme, l’âme arrivera à Lui par la mort et par conséquent par l’éloignement des créatures, pour peu que cela [425] soit, commence à y trouver une joie qu’elle a cherchée sans pouvoir la rencontrer; mais qu’elle commence à trouver non passagèrement, comme j’ai dit, que l’on en trouve dans les bonnes et saintes créatures, mais avec quelque permanence. Ce qui donne beaucoup de satisfaction, d’autant que l’on sait bien que l’on a de la joie solidement; mais sans savoir d’où elle vient ni comme elle vient. On que c’est seulement que tout donne de la joie, et que pour être en oraison, et pour être bien, il suffit à l’âme d’être en joie et en satisfaction.

De là naît une certaine dilatation de cœur qui met l’âme bien plus au large, la rend plus étendue et bien plus maîtresse qu’elle ne l’avait jamais été. Et enfin le particulier s’ôte, et le général est donné, où l’âme trouve bien plus de plaisir et de satisfaction qu’elle n’a jamais trouvée dans tout ce qu’elle pouvait faire, quelque grand qu’il fût. L’âme ne se plaît ici qu’au général, et le particulier et le distinct lui est une grande peine.

Cependant et très souvent se voyant si générale, si dilatée, si libre et si en repos, il lui passe des peines en l’esprit, que tout cela ne soit trop naturel et même le naturel et qu’ainsi elle ne fasse pas oraison. Qu’elle ne s’embarrasse pas, car Dieu étant le centre de notre âme, Il est vraiment son lieu naturel; et si ce petit commencement de jouissance de Dieu dans son centre paraît naturel, il l’est vraiment; d’autant qu’il n’y a rien de plus naturel à notre âme que Dieu comme centre. Il ne l’est pas, comme l’on appelle les choses naturelles pour s’y reposer comme créature et en faire sa fin; car cette joie, cette dilatation et ce général [426] qui commence à l’arrivée du centre sont en l’âme pour la faire sortir d’elle-même et la faire toujours aller en repos et en perte, pour trouver Dieu plus amplement; ce qu’elle fait en se quittant soi-même par l’augmentation de cette joie, de cette dilatation et de ce général qui n’a non plus de fin dans l’âme que Dieu en peut avoir.

[…] plus elle sera et plus longtemps dans ce général et cette dilatation, quoiqu’elle n’y voit pas de particulier ni tant de mouvement, elle y expérimentera pourtant une fécondité qui la nourrira tout autrement qu’elle n’a fait autrefois; et ce n’est proprement que par là que commencent la fécondité et la nourriture en l’âme. Car n’étant créée que pour Dieu, il n’y a que ces choses générales en joie et dilatation où elle trouve du pâturage et le solide véritables ; ce qui est un commencement de foi tout autre, tout contraire et tout différent de [427] la manière de la créature corrompue et rejetée de Dieu parmi les créatures, où elle ne se peut nourrir, et où elle ne trouve que le particulier, le distinct, et ainsi est contrainte de faire comme les poules, lesquelles prenant une petite gorgée d’eau, lèvent la tête pour l’avaler et de cette manière réitèrent selon la nécessité.

[…] il semble que ce soit fainéantise; et cependant c’est un travail solide, auquel il faut par nécessité parvenir pour rencontrer Dieu dans son centre.

Comme ce commencement d’expérience du centre change beaucoup l’âme et son opération pour ce qui est de l’intérieur et à l’égard de Dieu, il le change encore autant pour ce qui est du dehors, et pour l’emploi auquel Il nous appelle. Car il est certain que l’âme mourant à soi, sent peu à peu qu’elle est soulagée dans ces croix, dans ces emplois, et dans tout le reste qu’elle a à ménager, et que son intérieur étant plus en joie, plus dilaté et plus général, elle est aussi plus en liberté, plus forte, et généralement commence à être changée, pour mieux faire ce qu’elle doit dans son état; ses défauts se minent insensiblement, et elle trouve ouverture pour s’en défaire, mais cela à l’aise et avec facilité; et enfin elle se voit commencer une autre capacité pour aimer et pour converser; ce qu’elle n’avait [428] autrefois qu’avec embarras; elle voit enfin que n’ayant rien ou qu’une seule chose, elle se trouve améliorée et changée pour tout.

Où l’âme commence à comprendre que Dieu venant en elle, et elle s’écoulant vers son centre en mourant à soi, elle commence à trouver tout bien, tant intérieurement qu’extérieurement. Car il n’est pas concevable, sinon par expérience, comment […] toutes choses s’ajustent et s’arrangent merveilleusement bien […]56

Cette voie est exigeante : il faut savoir ce que l’on veut. Si l’on fait le choix de Dieu, on sacrifie tout, y compris soi-même, par amour de Lui. Cette mort à soi-même s’accomplit au milieu de la vie :

Vous avez observé une chose de grande conséquence que, dans l’état où vous êtes, l’oraison et la solitude, soit intérieure soit extérieure, ne vous sont qu’une aide pour vous approcher de plus en plus de Dieu, mais que les occasions où vous avez à mourir, à vous rabaisser et à vous écraser sont l’essentiel et le plus nécessaire que vous devez cultiver et rechercher de tout votre cœur. […] Cette vraie mort de soi par toutes les petites rencontres de son état est une vraie fonte où l’on prend toutes les figures, et en vérité je puis dire que par ce moyen divin de mort on peut faire plus en un jour que l’on en fait en plusieurs années57.

Il ne faut pas perdre son temps : Bertot secoue les disciples qui s’enlisent dans un état, car, par expérience, il sait qu’il y a tellement mieux! La marque personnelle de Bertot est sa soif inextinguible de Dieu : ce qu’il veut, c’est le face à face avec Dieu et en être dévoré. Il tend toujours plus loin avec une hardiesse impressionnante et ne se satisfait de rien moins que l’infini :

[…] je ne crois pas que nous ne devons jamais nous borner ni nous arrêter à quoi que ce soit. C’est pourquoi, afin d’être plus infini, il faut toujours passer au-delà de toute vue, de tout sentiment et de tous dons, car l’âme qui s’arrête à quelque chose, quelque sainte et divine qu’elle puisse être, s’arrête toujours à quelque chose de créé et par conséquent borné et fini, au lieu que l’infini doit être notre fin.

Ah que pour aller au-delà de tout, il faut bien dire : rien, rien! C’est à force de n’être rien que l’on trouve l’infini puisque l’on trouve Dieu : car je passe au-delà de tout ce que je pense, même de Dieu et de tout ce que les savants en ont dit. Au-delà de tout ce qui est concevable, alors je tombe dans une négation de tout le créé et de tout le créable. Et où suis-je pour lors? En Dieu. Mais je ne sens, je ne vois rien? Si vous sentiez et conceviez quelque chose de Dieu, vous seriez dans le créé et non pas dans l’incréé, dans le fini et non pas dans l’infini.

Allons donc au-delà de tout, à force d’être néant et vide de tout ce qui n’est pas Dieu seul. Ne faisons pas même cas des pensées et des beaux sentiments que nous avons de Dieu, parce que tout cela n’est pas Dieu. Tout ce qui est en nous est moins que rien. Il y a bien de la différence entre ce qui est de Dieu et ce qui est Dieu en Dieu. Tout ce qui est en Dieu est Dieu, mais en nous ce qui est de Dieu n’est pas Dieu. Allons donc au-delà de tout ce qui est de Dieu en nous-mêmes, pour entrer en Dieu Lui-même58.

Certaines phrases sont mystérieuses. Que veut-il dire quand il lui écrit dans son décalogue : Pourvu que vous soyez fidèle, je ne vous manquerai pas au besoin, pour vous aider à vous approcher de Dieu promptement, et dans la lettre 75 que nous avons citée : «Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu : si vous y êtes attentive, vous l’entendrez. ?

Bertot semble être le premier dans cette voie à avoir compris que la grâce passait à travers lui. Il en parle ouvertement, en tous cas à Mme Guyon, son interlocutrice privilégiée. Bernières avait peut-être expérimenté cette union avec ses amis à l’Ermitage, mais ce n’est jamais dit explicitement. Tandis que Bertot a pris conscience que la grâce passe à travers lui, qu’il peut porter ses amis et disciples dans ses prières, et leur permettre ainsi d’aller vers Dieu plus rapidement («promptement») que par leurs propres moyens. Il sait qu’il peut faire partager son propre état spirituel, plus avancé, et les faire plonger en Dieu en unité avec lui. C’est cela qu’il révèle à Mme Guyon à la fin de la lettre 75 :

Demeurons ainsi, j’y veux demeurer avec vous et je vais commencer aujourd’hui à la sainte messe. Je suis sûr que si je suis une fois élevé à l’autel, c’est-à-dire que si j’entre dans cette unité divine [249], je vous attirerai59, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre. Et tous ensemble, n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul, unis à Son Unité, ou plutôt n’étant qu’une unité en Lui seul, par Lui et pour Lui. Adieu en Dieu60.

Il avait déjà offert à Mme Guyon de transformer leur relation en moments de silence où il pourrait lui communiquer la grâce de cœur à cœur. Il lui apprend comment faire :

[240] Puisque vous voulez bien que je vous nomme ma Fille, que vous l’êtes en effet devant Dieu qui l’a ainsi disposé, vous souffrirez que je vous traite en cette qualité, vous donnant ce que j’estime le plus, qui est un profond silence. Ainsi lorsque vous avez peut-être pensé que je vous oublierais, c’était pour lorsque je pensais le plus à votre perfection. Mais je vous parlerai toujours très peu : je crois que le temps de vous parler est passé, et que celui de vous entretenir en paix et en silence est arrivé. Demeurez donc paisible, contente devant Dieu ou plutôt en Dieu dans un profond silence. Et pour lors vous entendrez ce Dieu parlant profondément et intimement au fond de votre âme.

Là Dieu ne parlera en vous que comme Il parle en Lui-même, et Il ne vous dira que ce qu’Il se dit à soi-même. Il se dit : «Dieu»; Dieu le Père en se connaissant dit : «Dieu», et c’est la génération du Verbe; le Père et le Fils, se disant une parole d’amour, en produisent l’Amour qui est Dieu, et c’est la production du Saint-Esprit. Dieu a proféré de toute éternité dans Soi-même «Dieu, Dieu», et c’est ce Dieu que Dieu veut exprimer et imprimer en vous. Et comme je ne suis que l’écho de Dieu, je ne puis vous répéter autre chose, et dans le temps et dans l’éternité, que : Dieu61.

On constate dans la Vie qu’à cette époque la jeune femme n’a pas compris cette relation silencieuse et aurait désiré se raconter davantage :

Je vis M. Bertot, qui ne me servit pas autant qu’il aurait fait si j’avais eu alors le don de m’expliquer […] Sitôt que je lui parlais, tout m’était ôté de l’esprit, en sorte que je ne pouvais me souvenir de rien que de quelques défauts que je lui disais. Ma disposition du dedans était trop simple pour en pouvoir dire quelque chose, et comme je le voyais très rarement, que rien n’arrêtait dans mon esprit, et que je ne lisais rien qui fût conforme à ce que j’éprouvais, je ne savais comment m’en expliquer. (Vie, 1, 19, 2)

Gageons qu’au contraire Bertot était satisfait de ce silence forcé, dû à la force de la grâce qui s’écoulait de lui.

Cette union spirituelle transcende l’espace :

Je vous assure, Madame, que mon âme vous trouve beaucoup en Dieu, et qu’encore que vous soyez fort éloignée, nous sommes cependant fort proches, n’ayant fait nulle différence de votre présence et de votre absence, départ et éloignement. Les âmes unies de cette manière peuvent être et sont toujours ensemble autant qu’elles demeurent et qu’elles vivent dans l’unique nécessaire : là, elles se servent et se consolent aussi efficacement, pour le moins, que si elles étaient présentes et la présence corporelle ne fait que suppléer au défaut de notre demeure et perte en Dieu62.

Étant à la fois anéanti en Dieu et en union spirituelle avec elle, il peut porter à sa place tous les obstacles qui sont en elle et l’en soulager en les abandonnant au feu divin :

Je veux bien satisfaire à toutes vos obligations et payer ce que vous devez à Dieu : j’ai de quoi fournir abondamment pour vous et pour beaucoup d’autres. J’ai en moi un trésor caché : c’est un fond inépuisable qui n’est autre que mon néant. C’est là que tout est, c’est là que je trouve de quoi satisfaire à vos obligations. Ce trésor est caché. Car on croit que je suis quelque chose! C’est qu’on ne me connaît pas. Ce fond est un trésor, car c’est toute ma richesse, c’est mon bien et mon héritage, c’est mon tout. Et s’il est dit que là où est le trésor, le cœur y est aussi, je vous assure que mon néant est mon trésor, car mon cœur y est et je l’aime tendrement. Il est inépuisable, car Dieu en peut tirer tout ce qu’Il veut. Voyez ce qu’Il a tiré du néant en la Création, et jugez ce qu’Il peut faire du nôtre en la sanctification.

[244] Il faut laisser ce néant entre Ses mains : Il en fera tout ce qu’Il voudra. Si bien qu’en laissant ce néant à la volonté de Dieu, je donnerai tout pour vous. Et après cela, ne me demandez plus rien. Je donne tout d’un seul coup, et je suis ravi de n’être et de n’avoir plus rien. Je vous soutiendrai que Dieu ne peut épuiser notre néant, comme Il ne peut épuiser Son tout63.

Ce charisme fut probablement la cause du respect qui entourait Bertot. Cette possibilité merveilleuse, Mme Guyon l’appellera plus tard «état apostolique», aboutissement de la vie mystique qu’elle décrira dans ses lettres beaucoup plus explicitement que son père spirituel. Cette expérience de transmission de la grâce sera centrale pour tous ceux qui fréquenteront Mme Guyon et Fénelon : son évidence sera le ciment qui liera tous les membres de ce groupe spirituel.

Cette relation avec M. Bertot fut centrale, mais ne fut pas la seule : Mme Guyon se lia également avec les grands carmes par la correspondance qu’elle entretint avec Maur de l’Enfant-Jésus à l’époque de sa rencontre avec Bertot.

Maur de l’Enfant-Jésus (1617-1690) disciple de Jean de Saint-Samson (1571-1636)

Nous avons présenté ces deux grands carmes si fervents dans le tome II des Expériences et dans nos éditions64. Dans le choix de textes mystiques des Justifications rassemblées en 1695 avec l’aide de Fénelon, Mme Guyon témoigne de son admiration pour Jean de Saint-Samson, maître spirituel de la réforme des grands carmes, en lui donnant une place prioritaire.

C’est avec son disciple, Maur de l’Enfant-Jésus, qu’elle eut un échange de correspondance : il vivait dans la région de Bordeaux, tout en s’employant à établir un ermitage à Fontainebleau. Elle recourut à lui alors qu’elle n’avait que vingt-deux ans et se sentait perdue au milieu d’un «désert intérieur». Nous possédons vingt et une lettres que Maur lui adressa entre 1670 et 167565, parce que Mme Guyon les considérait comme assez importantes pour les intégrer au Directeur mystique. On notera le respect avec lequel il écrit à Madame Guyon dont il mesurait le destin. Voici sa réponse à propos du «désert» dont elle se plaint :

Il faudra y entrer plus avant et le traverser, si vous voulez atteindre à la jouissance du Bien souverain qui vous a touché le cœur dès votre enfance. N’y pensez pas trouver de route, ni des sentiers où vous puissiez avoir quelque assurance de votre voie. (Lettre 1)

[…] regardez Sa volonté en toutes choses, tâchant que la vôtre passe tellement en celle de Dieu qu’elle devienne comme une même chose avec elle. (Lettre 2)

Il l’appelait vers ce qui est au-delà de tout état :

[…] l’on ne voit plus ni perte, ni abandon, ni dépouillement, ni ravissement, ni extase, ni présent, ni éternité, mais la créature expérimente que tout est Dieu. (Lettre 1)

[…] L’abandon et le néant ne nous paraissent plus, lorsque nous y sommes consommés et abîmés. Nous y vivons et demeurons comme nous voyons les poissons vivre et se mouvoir en l’eau. (Lettre 4)

Dans sa dernière lettre, il lui lança :

Hé bien! Ne vous accrochez donc plus à rien. (Lettre 21)

Le P. La Combe (1640-1715), confesseur.

Un peu plus âgé que Mme Guyon, ce simple prêtre barnabite fut le compagnon de ses débuts, son confesseur et son disciple66. C’est ensemble qu’ils ont découvert la transmission de la grâce de cœur à cœur. Il est resté dans l’ombre lorsqu’il ne fut pas simplement, sommairement et fort bassement mis en cause. Pour le connaître, nous disposons de ses lettres et d’opuscules. Notre première source d’information reste la Vie par elle-même de Mme Guyon où elle décrit leurs relations67. La Combe (le nom s’orthographie aussi Lacombe) s’y révèle comme un excellent directeur mystique. Lorsqu’il sera définitivement mis au secret des prisons, seul Fénelon l’emportera en confiance et en estime.

François La Combe avait des dons brillants, mais ne bénéficia pas d’appuis particuliers : né à Thonon en 1640, il reçut l’habit des barnabites à quinze ans; il est ordonné à vingt-trois ans, enseigne avec succès au collège d’Annecy, prêche et collabore aux missions du Chablais. Consulteur du Provincial à Paris à vingt-sept ans, il enseigne, de trente et un ans à trente-quatre ans, la théologie à Bologne et à Rome. Supérieur à Thonon, de trente-sept à quarante-trois ans, il jouit d’une excellente réputation.

Il est nommé par M. de Genève directeur de Mme Guyon à Gex en 1681, année de la mort de Bertot. Mais jalousé par le demi-frère de Mme Guyon, qui répand des calomnies, il est arrêté en 1687, lors de la première période de prison de Mme Guyon. Abandonné par son Ordre, donc sans protection, le père barnabite ne fut jamais libéré. Il resta vingt-sept années en prison : pendant les deux premières, il fut transféré de la Bastille à l’île d’Oléron, puis à l’île de Ré, ensuite à la citadelle d’Amiens; ensuite, de 1689 à 1698 au château de Lourdes, où il eut la joie de reconstituer un groupe de prière où se vivait la transmission de la grâce.

Malheureusement, son exaltation lui fit commettre des imprudences énormes dans ses lettres à Mme Guyon. Il y appelait ce groupe « lapetite Église» :

Les amis et amies de ce lieu vous honorent et vous aiment constamment, principalement ceux qui sont comme les colonnes de la petite Église68.

Le terme fort mal choisi va scandaliser les juges de Mme Guyon et alimenter ses interrogatoires. Imprudence c’était effectivement le pb

Voici ce qu’en dit le rapport inquiet de La Reynie :

«… il y a certainement un nombre de personnes que le père de La Combe a séduites, qui font ensemble, selon qu’il l’a écrit, une petite Église en ce lieu et qu’il dit être de l’étroite confidence, et il en désigne même les personnes qui sont les plus considérables, en les appelant les colonnes de la petite Église. Mme Guyon est aussi qualifiée du titre de mère de la petite Église, et il y a sur les lieux une femme, entre autres, connue à Lourdes sous le nom de Jeannette, qui a été inspirée, instruite ou dressée sur le modèle de Mme Guyon qui, s’il peut être permis de le dire, paraît être une sainte de la petite Église. Mme Guyon ne fait aucune difficulté de dire que Dieu a donné réciproquement à Jeannette et à elle de grandes connaissances l’une de l’autre, sans qu’elles se soient jamais vues. Le sieur de La Sherous, prêtre et aumônier du château de Lourdes, […] assure Mme Guyon qu’il soutiendra partout sa doctrine et qu’il n’en rougira jamais. […] D’un autre côté on croit que le Gouverneur ou Commandant du château est aussi tellement prévenu et rempli du père de La Combe, qu’on peut douter à cet égard qu’il soit autant exact qu’il pourrait être désiré69»

La Combe fut traité comme un dangereux comploteur ayant embrigadé dans sa secte un aumônier et un gouverneur : il sera transféré à Vincennes au moment où Mme Guyon subit le plus dur de l’épreuve des prisons. À soixante-douze ans, un rapport de police le déclare fou : peut-être atteint de sénilité, il est transféré à Charenton où il meurt trois années plus tard, le 29 juin 1715. Ce «petit prêtre» qui avait été lâché par son Ordre, sera vénéré comme martyr par les membres du groupe guyonien de Morges-Lausanne. Son sort fut pire que celui de Mme Guyon qui, après huit années d’emprisonnements, fut partiellement protégée de par son origine et ses fréquentations à la Cour : sans doute délivrée par l’intervention cachée d’amis puissants, elle eut le temps d’accomplir sa tâche de directrice mystique.

Sur le plan spirituel, La Combe doit beaucoup à la Mère Bon. Sa doctrine est très simple. Les grands thèmes en sont : la contemplation, indissociable de l’amour, suppose l’abandon de la volonté propre; nous ne pouvons comprendre l’Immense qui nous contient, mais pouvons acquiescer à son bon vouloir (comme Moïse dans la nuée); l’appel de Dieu est notre seule fin et il s’adresse à tous.

    Le Traité sur l’Oraison mentale

Le style de son Traité70 contient bien des expressions heureuses. Voici comment il précise le passage de l’oraison mentale à la contemplation :

1. L’oraison contemplative est le regard fixe, simple et libre, porté sur Dieu […] imposant silence aux puissances, elle s’attache à Dieu par une simple vue, l’embrasse par un acte continuel de foi et d’amour et se repose en lui par une jouissance tranquille […]

6. […] L’oraison moins parfaite qui avait été discursive, fait place à une plus parfaite qui est simple, c’est-à-dire lorsque l’intelligence de celui qui pense devient la contemplation de celui qui aime; ce qui est sortir de la méditation par la méditation même, et par elle passer à la contemplation. Presque tous les saints ont éprouvé cette dernière, et ont souhaité ardemment que chacun en fît l’expérience.

9 De la part de l’homme, le but et la fin de l’oraison sont doubles; la première d’élever l’homme à Dieu, la seconde de l’unir à Dieu. De la part de Dieu, la première condition nécessaire, c’est que l’Esprit saint préside à l’oraison et qu’il l’inspire puisque celui qui sonde les cœurs, sait ce que l’Esprit désire, parce qu’il le demande pour les saints selon Dieu71. […] un des plus grands obstacles à l’Oraison, surtout quand elle est avancée, est une sorte de dureté et d’attache au propre esprit, qui l’assujettit à certaines règles, qui le lient comme de chaînes, ou qui l’occupent de vains scrupules, ou lui imposant des pratiques d’obligation, ou l’engageant à se les imposer à lui-même, afin qu’il ne puisse s’élever librement à Dieu, ou qu’il se resserre par des actes multipliés, singuliers, imaginaires ou sensibles, dans lesquels il s’entortille et se fatigue, de manière qu’il ne puisse point s’unir à Dieu, qui est très simple, très tranquille et très unissant.

11. […] qu’au contraire [de la méditation], il se sente doucement entraîné à la contemplation, et au repos en soi, en admiration et en amour de Dieu, dont il sent intimement la présence; alors il est clair qu’il faut laisser la méditation et embrasser la contemplation, alors il est commandé à cette personne de rechercher des dons plus excellents72 et de monter plus haut; c’est-à-dire, au pied de son amour qu’elle a trouvé pour son souverain bonheur et de s’y reposer. Et personne ne doit regarder cela comme une témérité ou une arrogance, ce serait bientôt une orgueilleuse opiniâtreté de résister à l’appel de Dieu puisque nous avons surtout été créés pour cette fin, pour jouir du souverain bien, ce qui ne peut pas avoir lieu sans cette intime et tranquille union.

Le divin est inconcevable par l’esprit humain :

[2e cahier :]

14. […] ce cœur est pur qui présente à Dieu sa mémoire vide de toute forme et de toute espèce, prêt à recevoir tous les rayons du Soleil lui-même, qui peut l’éclairer : le poète Prudence73 a bien dit : «Le Dieu éternel est une chose inestimable; il n’est renfermé ni dans la pensée ni dans la vue. Il surpasse toute la conception de l’esprit humain, il ne peut tomber sous nos sens, il remplit tout en nous et hors de nous, et il se répand encore au-delà.»

C’était une chose incontestable parmi les anciens Pères du désert. La plus pure qualité de l’oraison, disaient-ils, est celle qui non seulement ne se forme aucune image de la divinité, et qui dans sa supplication ne lui donne aucune figure corporelle (ce qu’on ne peut faire sans crime), mais qui même ne reçoit dans son esprit aucun souvenir de parole, ni aucune espèce d’action ou forme de quelque caractère. […]

Enfin, cela arrive par la manifestation de Dieu dans l’âme, et l’affluence immense de la divine lumière de la pure contemplation, qui surpassant et absorbant entièrement les forces naturelles de l’esprit, ne peut jamais tomber sous sa conception.

16. L’homme pâtit [est passif devant] les choses divines, il est plutôt mû de Dieu qu’il ne se meut lui-même, car immédiatement après que l’Esprit du Seigneur s’est emparé de quelqu’un, il est changé en un autre homme accordant à l’opération divine un consentement aussi simple que paisible; et cependant l’amour du Créateur se joue en lui selon son bon plaisir et fait ce dont celui qui opère a seul l’intelligence. Et il en est de ce genre dans l’Église un plus grand nombre qu’on ne pense communément, ce don sublime ne consistant pas seulement dans les signes merveilleux qui frappent les yeux des mortels, mais bien plus dans la déiformité de l’esprit, dans le plus intime de l’homme, qui le plus souvent sous l’apparence d’une pauvreté méprisée mène une vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu.

La contemplation est faite pour tout le monde :

17. […] Il n’y a aucun état des fidèles qui puisse exclure de la grâce de la contemplation; quiconque a un cœur peut être éclairé de la lumière de la contemplation. […] Quel dommage il arrive aux âmes par la défiance qu’elles ont presque toutes de parvenir à la contemplation et le désespoir de pouvoir y atteindre! Si ceux-là seulement doivent désespérer d’obtenir cette grâce qui n’ont point de cœur; ceux au contraire dont il est bien disposé pour les choses intérieures, peuvent certainement y arriver […] comme il arrive […] dans les femmes et les filles, dans les gens doux et les humbles…

19. Si donc la plupart des objets naturels sont connus par la simple appréhension, pourquoi serons-nous surpris que plusieurs objets surnaturels le soient aussi par le simple regard? […] [par] simple acquiescement. […] Car comment pourrait-il arriver que celui qui nous exhorte partout et nous presse partout dans l’Écriture74 à prier sans cesse, à s’occuper uniquement de lui, à s’attacher uniquement à lui, à marcher toujours en sa présence, à se le proposer dans toutes nos voies, et à contempler les vérités éternelles, sachant75 que nous ne pouvons rien faire sans lui; comment76, dis-je, nous refuserait-il les secours nécessaires pour faire ces choses?

Il appelle à la contemplation passive perpétuelle, où l’on se donne à Dieu de tout son être :

24. […] Les marques de la contemplation passive sont un souvenir perpétuel de Dieu, l’attention continuelle du même Dieu très présent partout et surtout dans le cœur, un état d’oraison perpétuel indistinct, uniforme, très étendu […] l’affranchissement de tout mode, de tout temps, de tout exercice, de tout lieu, de toute méthode, de tout moyen, par lesquels on acquiesce à Dieu seul au-dessus de toute conception; car ici l’âme se trouve comme établie et enlevée du temps présent dans l’éternité, et contemple en elle-même Dieu d’une manière qui lui est inconnue. Les dons singuliers de Dieu sont, la continuité de l’oraison sans fatigue, un merveilleux rassasiement, avec une perpétuelle soif d’oraison, la vue et le sentiment très intime de Dieu en toutes choses et de toutes choses en Dieu; ce qui fait que celui qui a pénétré ce secret s’écrie avec raison «Toutes choses me sont Dieu et Dieu m’est toute chose.»

Enfin lorsque cette manière d’oraison aura été forte avancée, elle produit en l’homme la sortie de lui-même, et de toutes les créatures; ensuite il demeure libre en toutes choses, et étant heureusement mort dans le Seigneur, il rentre dans le repos de son Seigneur. Il est surpris d’être fait une même chose avec Dieu et cependant il ne doute point qu’il ne soit distinct de Dieu. Il est réduit à l’anéantissement et ne se voit plus. Enfin par l’émulation de sa patrie céleste [Saint-Augustin] lorsqu’il a reçu cette joie ineffable, l’esprit humain disparaît en quelque façon et est divinisé […] Il est recoulé comme dans son origine, d’où il est passé en Dieu. […] Or dans cette parfaite abnégation et soumission, tout se consomme; et quiconque voudra éprouver ces merveilleuses et grandes choses, doit commencer par devenir très petit et très abject à ses propres yeux, et se renoncer toujours et en toutes choses.

Lorsque quelqu’un aura cherché le Seigneur son Dieu, il le trouvera, si cependant il a cherché dans toute l’angoisse de son âme77. Voilà la seule chose que nous devons chercher, voilà le chemin le plus sûr de le chercher, celui qui cherche Dieu seul et qui le cherche de tout son cœur; celui qui le cherche dans toute l’angoisse, son âme le trouvera certainement et sûrement.

Voyages

Madame Guyon commence ses voyages peu après la disparition de Bertot : elle va participer à l’établissement des Nouvelles Catholiques connues de ce dernier78 près de Genève. Mais elle découvre vite l’ambiguïté de la situation des converties.

La jeune Jeanne-Marie Guyon perd ses premiers guides sur le chemin intérieur : la supérieure du couvent de Montargis Geneviève Granger en octobre 1674, puis le confesseur au couvent de Montmartre Jacques Bertot en mars 1681. Elle se tourne vers le Carmel dont elle apprécie des vocations mystiques (elle connaît bien les écrits de Jean de la Croix et ceux de Jean de Saint-Samson, et aura tout lu des mystiques reconnus à son époque). Vers 1674, elle entre en correspondance avec le grand carme Maur de l’Enfant Jésus qui mène une existence retirée à Bordeaux.

Devenue veuve en juillet 1676, elle acquiert sa liberté, confortée par une pleine autonomie financière, par sa solide culture et ses dons d’organisation. Elle cherche alors une vie active auprès des Missions étrangères et consulte Dom Martin, le fils de Marie de l’Incarnation du Canada. On lui propose de contribuer à l’apostolat des Nouvelles Catholiques : elle arrive à Gex près de Genève en juillet 1681.

Je donnai dès Paris… tout l’argent que j’avais… Je n’avais ni cassette fermante à clef ni bourse. » À Gex « l’on me proposa l’engagement et la supériorité » des Nouvelles Catholiques. Mais « certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas ».

L’ambiguïté de leur action auprès de petites protestantes enlevées à leur famille l’en écarte vite : elle refuse d’être supérieure et perd ainsi la sécurité qui eut découlé d’un rattachement à une fondation religieuse (elle se brouille avec l’évêque in partibus de Genève ce qui aggravera son cas par la suite). Il faut ici rappeler la figure et l’influence probable post-mortem de la mère Bon, dauphinoise et en liaison avec l’Italie. Alors elle quitte Gex pour Thonon en Savoie-Piémont.

Dépouillée de tout, sans assurance et sans aucun papiers, sans peine et sans aucun souci de l’avenir», elle y rédige les Torrents : «Cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n’étais pas encore accoutumée à cette manière d’écrire… je passais quelquefois les jours sans qu’il me fût possible de prononcer une parole…

Mais elle découvre une autre manière de converser”, un échange de grâce en union avec le P. Lacombe :

J’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait… Peu à peu je fus réduite à ne lui parler qu’en silence.

Suivent deux séjours fructueux en Italie (à Turin et Verceil) pendant près d’une année, puis à Grenoble. Enfin elle revient à Paris :

Malaval (1627-1719), l’aveugle de Marseille.

Un accident le rendit aveugle dans son plus jeune âge. Devenu malgré cela docteur en théologie et très cultivé, il fut en relation avec le français Gassendi comme avec le cardinal italien Bona. Il rencontra Madame Guyon en 1685 et appréciait son Moyen court79 qu’il défendit contre les disciples de Saint-Cyran. Mais sa propre Pratique facile pour élever l’âme à l’oraison (1670) fut accusée de quiétisme et mise à l’index en 1688. Condamné au silence, il poursuivit ses activités charitables, et mourut en renom de sainteté, très apprécié de ses concitoyens qui lui firent des funérailles magnifiques.

Dans la tradition des mystiques rhénans, il soulignait fortement l’impuissance de la raison à connaître Dieu tel qu’il est, comme celle du langage humain, y compris de l’Écriture80 :

Il n’y a que Dieu qui s’explique à l’âme d’une manière ineffable, qui ne tient ni de la parole, ni de la pensée humaine, qui, sans se faire comprendre, nous fait au moins sentir qu’il est incompréhensible […] C’est une lumière qui provient de la foi, ou pour mieux dire, c’est la foi même qui devient lumineuse.» (1ere partie de la Pratique).

La contem­plation est une ignorance, parce que c’est une abnéga­tion de toutes les connaissances humaines, un silence des sens et de la raison; mais cette ignorance est docte parce qu’en niant tout ce que Dieu n’est pas, elle ren­ferme tout ce qu’il est. (12e Entretien).

Il a influencé directement le confesseur de Catherine de Bar, Épiphane Louys, ainsi que son disciple Michel La Ronde.

La succession de Bertot

Elle a trente-huit ans et arrive à Paris peu avant la condamnation de Molinos (1687). Des religieux jaloux « firent entendre à Sa Majesté que le père Lacombe était ami de Molinos… [le roi] ordonna… [qu’il] ne sortirait point de son couvent… ils résolurent de cacher cet ordre au Père» qui est finalement arrêté (il ne sortira jamais plus de prison). Quant à elle : «l’on me signifia que l’on ne voulait pas me donner ma fille ni personne pour me servir; que je serais prisonnière, enfermée seule dans une chambre… au mois de juillet dans une chambre surchauffée.» On veut en fait marier sa fille au neveu dissolu de l’archevêque de Paris, lui-même peu recommandable. Elle se défend lorsque l’official lui reproche de prendre Dieu à témoin : «Je lui dis que rien au monde n’était capable de m’empêcher de recourir à Dieu.»

Délivrée suite à l’intervention de sa cousine Marie-Sylvie de la Maisonfort et de Mme de Maintenon, elle retrouve le cercle créé par Bertot. Elle «était, disait-il, la fille aînée, et la plus avancée81» : elle va en assurer la direction mystique. Sur le plan de la vie intérieure, elle atteste d’une transmission de la grâce de personne à personne qui ne dépend que de Dieu seul et qui s’effectue en silence dans le recueillement :

Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur comme il Lui plaît; et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le cœur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur. On discerne alors fort bien qu’on éprouve quelque chose au-dedans de soi-même que l’on n’éprouvait pas auparavant, mais pour ce temps-là seulement […] Cela ne dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient nous donner cette disposition; au contraire notre activité ne servirait qu’à l’empêcher82.»

Les textes où se trouvent décrites les modalités de cette transmission figurent dans les Discours spirituels, dans la Vie par elle-même83, dans les Explications des deux Testaments. Elle commente ainsi le célèbre verset «… lorsqu’il y a en quelque lieu deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je suis là au milieu d’elles»84 :

Ils se parlent plus du cœur que de la bouche; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes […] dans une si grande unité, qu’ils se trouvent perdus en Dieu […] l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point. […]Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce.

Madame Guyon affirme un lien intérieur avec Fénelon, qu’elle considère comme son fils spirituel le plus proche :

… j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon cœur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin85.

Fénelon répond :

Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis? ou bien serais-je à l’avenir sans guide? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer […] Je puis me trouver dans l’embarras ou de reculer sur la voie que vous m’avez ouverte, ou de m’y égarer faute d’expérience et de soutien. Je me jette tête première et les yeux bandés dans l’abîme impénétrable des volontés de Dieu. Lui seul sait ce que vous m’êtes en Lui et je vois bien que je ne le sais pas moi-même, mais je vous perds en Lui comme je m’y perds86

Madame Guyon le considérera comme son successeur :

Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné. […] Je laisse aussi cette Vie que vous m’avez défendu de brûler, quoiqu’il y ait bien des choses inutiles87. 

Mais il meurt avant elle.

Nous avons omis le récit d’événements publics qui se limite à moins de dix années (1686-1695), car la «querelle du quiétisme» a été largement commentée (mais rarement étudiée dans la profondeur du vécu dans la quiétude mystique) : on se reportera aux études citées dont se détache le Crépuscule des mystiques de Cognet; on lira la Vie par elle-même puis la Correspondance88.

Libérée, elle quitte le couvent-prison de la Visitation pour habiter «une petite maison éloignée du monde.» Elle est active auprès d’un cercle de disciples et à Saint-Cyr où «Madame de Maintenon me marquait alors beaucoup de bontés; et pendant trois ou quatre années que cela a duré j’en ai reçu toute sorte de marques d’estime et de confiance.» Le duc de Chevreuse lui fait connaître Bossuet, auquel on communique la Vie écrite par elle-même que ce dernier «trouva si bonne qu’il lui écrivît qu’il y trouvait une onction qu’il ne trouvait point ailleurs, qu’il avait été trois jours en la lisant sans perdre la présence de Dieu.» Mais tombé sous influence et cédant à la pression exercée par Madame de Maintenon d’amie devenue persécutrice, Bossuet participera « à une chasse » : elle a quarante-sept ans lorsque commence sa seconde période d’épreuve en prisons, dont la Bastille.

Si j’ai passé sur les péripéties de la période publique, ne rappelant que ce qui porte à la vie intérieure, la reprise du cercle fondé par Bertot et la rencontre mystique avec Fénelon, j’insiste en livrant ses détails sur la suite d’épreuves qui «teste» expérimentalement une valeur mystique89. Elle couvre les années « oubliées » 1696 à 1703 : Une vie mystique

Le fond de cet état [mystique] est un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable. Tout ce que je sais, c’est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux; qu’il renferme en soi tous les biens, et moi toutes les misères. Je ne vois rien au-dessous de moi, ni rien de plus indigne que moi. Je reconnais que Dieu m’a fait des grâces capables de sauver un monde, et que peut-être j’ai tout payé d’ingratitude. Je dis peut-être, car rien ne subsiste en moi, ni bien, ni mal. Le bien est en Dieu, je n’ai pour partage que le rien. Que puis-je dire d’un état toujours le même, sans vue ni variation? Car la sécheresse, si j’en ai, est égale pour moi à l’état le plus satisfaisant. Tout est perdu dans l’immense, et je ne puis ni vouloir, ni penser. Si l’on croit quelque bien en moi, l’on se trompe, et l’on fait tort à Dieu. Tout bien est en lui et pour lui. Si je pouvais avoir un contentement, c’est de ce qu’il est et qu’il sera toujours. S’il me sauve, ce sera gratuitement, car je n’ai ni mérite ni dignité90.

Madame Guyon fut une personnalité exceptionnelle à plusieurs titres : elle habitait les sommets de la mystique, sa vie étant totalement imprégnée et gouvernée par la grâce. Elle a reçu le don très rare de transmettre la grâce en silence et de porter ses disciples par sa prière. Enfin elle a eu le don d’écriture qui lui a permis de parler de cette vie mystique : bien souvent les spirituels ne savent pas parler de leur expérience, mais cette contemporaine de Racine a su l’analyser finement.

Nous la connaissons bien par ses livres, ses lettres et de nombreux témoignages conservés en partie «grâce» au procès dont elle fut victime. Puis la vénération de son entourage était telle que le moindre de ses écrits a été recopié et que son œuvre complète a été éditée après sa mort par Poiret à Amsterdam.

Plus que d’autres, elle est proche de nous, car, tout en étant mystique, elle a mené une vie laïque de femme mariée et de mère, gérant ses biens et refusant de devenir religieuse, sort habituel des veuves au XVIIe siècle. Elle n’était pas protégée par les murs d’un couvent, mais elle a vécu au beau milieu de la Cour et des troubles de l’époque. Elle a subi des interrogatoires, un procès, un emprisonnement à la Bastille. Après avoir fréquenté les appartements des proches du Roi91 en l’aile gauche du château de Versailles, elle connaît les enfermements religieux puis civils.

Intérieurement la profondeur de son expérience l’a fait transcender les querelles entre catholiques et protestants au point de les recevoir ensemble à Blois à la fin de sa vie. Elle n’encouragea ni Fénelon dans sa tentative de conversion de Poiret, ni la conversion catholique de Ramsay, mais sans pour cela relâcher sa vie sacramentelle personnelle.

C’est pourquoi, selon les auteurs, elle apparaît sous des aspects divers : soit comme une mystique arrivant trop tard à l’époque d’une normalisation centralisatrice despotique (pour Brémond, Cognet), soit comme une veuve libre et décidée, un modèle féministe avant l’heure (pour Mallet-Joris, Bruneau), soit comme laïque religieuse sans Église d’accueil (pour Kolakovsky, Gondal), soit comme précurseur d’une union entre catholiques et protestants. Quelle interprétation choisir?

Toutes ces facettes existent, mais ne l’auraient pas du tout intéressée, car le centre de sa vie était la grâce divine : tous ses actes s’y réfèrent et l’important pour elle était d’obéir à ses incitations. C’est en restant à l’écoute de ce Centre que Mme Guyon répond à ses juges et supporte les épreuves.

Mais la grâce ne concernait pas seulement sa personne. Ses lettres et sa Vie par elle-même92témoignent de la découverte émerveillée du don qui lui avait été donné : communiquer la grâce cœur à cœur en silence à ceux qui venaient la voir. Ses amis et disciples ressentaient ce flot de grâce qui passait à travers elle : c’est cette expérience intérieure qui a été la cause de leur fidélité sans faille. Elle considérait que sa mission était de mettre l’oraison à portée de tous. Mais le contexte était défavorable après la condamnation déjà prononcée de Molinos et de «pré-quiétistes» (même Bernières post-mortem !) par les Inquisitions italienne et espagnole.

Le désastre fut complet, bien prévisible compte tenu de la disparité des forces en présence. Plus de dix années après la condamnation romaine de Molinos en 1687, l’atmosphère était à la vérification de l’orthodoxie des âmes. Mme Guyon fut réduite au silence, mise à l’isolement dans l’une des huit tours de la Bastille.

Il ne s’agissait pas tant d’une querelle d’idées que du trouble créé par une femme dans un ordre social masculin : simple laïque, elle refusait de devenir religieuse, mais dirigeait des religieux; bourgeoise, elle détournait les grandes familles du «couvent de la Cour» (Saint-Simon). Prétendre vivre sous l’impulsion de la grâce et la transmettre indépendamment de toute autorisation ecclésiastique, suscitait le scandale chez les clercs et la méfiance du pouvoir royal habitué à maîtriser les libertés.

Bossuet, au début, sembla sous le charme, mais, soucieux de sa carrière, il se fit l’exécuteur de l’épouse du roi inquiète de voir l’engouement pour l’oraison se répandre à Saint-Cyr et devenir objet de conversation à la Cour. Fénelon voudra concilier les extrêmes et tentera en vain d’expliquer combien leur expérience mystique était connue de toute antiquité ; acculé, il restera fidèle à l’expérience intérieure révélée. D’autres adopteront un profil bas.

Pour comprendre ces crises et leur conclusion, il faut tenir compte des conditions concrètes de l’existence et de la mentalité de l’époque : l’adhésion au catholicisme, religion unique après la révocation de l’Édit de Nantes, et l’obéissance à un roi absolu, oint de Dieu, sont des évidences pour tous les Français. Le concept de liberté individuelle n’existe pas. Chacun est soumis à un système d’inquisition dans sa version «douce» : celle du confesseur, obligatoire pour tout catholique depuis le concile de Trente, et qui a le droit de connaître le fond des consciences.

Par ailleurs, l’état mystique de Mme Guyon la rendait incapable de mentir ou de biaiser par omission (ce à quoi étaient forcés les libertins un demi-siècle plus tôt93). En outre, elle considérait chaque événement et chaque personne comme envoyés de Dieu, d’où l’obligation torturante d’obéir au confesseur qui lui était imposé.

Le statut féminin de l’époque la poussait à remplir sa mission hors cadre : cette discrétion fut ressentie comme une résistance plus ou moins secrète, donc suspecte au pouvoir, et comme une concurrence vis-à-vis de la médiation assurée par les clercs par les sacrements. Même les moins combatifs étaient agacés par cette « Dame directrice» qui leur répondait au nom de son expérience. Cette fermeté n’était en rien orgueilleuse : son origine était toute intérieure, dans l’évidence de la présence de la grâce en elle à laquelle elle se soumettait consciemment et entièrement quelles qu’en soient les conséquences. C’est là le sens profond de l’oraison dite passive. Il faut se laisser entièrement conduire par la grâce divine : dans chaque action, dans chaque état de la vie de tous les jours, chez un être imprégné de grâce, il «suffit» de s’ouvrir à son action. La Cour qui ne croyait à rien se moquera de la naïveté du bon duc de Chevreuse qui en fera état.

Fait aggravant pour le pouvoir : Mme Guyon avait découvert que le grâce pouvait se transmettre par son intermédiaire, lui faisant partager la souffrance d’autrui par compassion. Cette union intime avec la grâce, loin d’être un état immobile, engendrait une dynamique active orientée vers les autres, une nouvelle vie féconde au service de la motion divine. Elle l’appelait «état apostolique».

Il ne faut pas confondre le «prophétique» et «l’inspiration» (selon la distinction donnée par Dutoit, un disciple de la fin du XVIIIe siècle, conscient qu’une telle faiblesse pouvait lui arriver). Le prophétisme s’est traduit historiquement par des débordements (revivals, évangélismes…) à la mesure de la sclérose des structures : loin de la véritable intériorité, l’activisme prend alors le pas sur la passiveté, la sensation l’emporte sur l’union, les effets sont privilégiés au détriment de la source. La pierre de touche de l’inspiration réellement donnée par la grâce est la paix : de la quiétude centrale jaillit l’efficience invisible de la prière.

La chasse et les prisons.

Madame Guyon tenta d’échapper au «Roi Très-Chrétien» en se terrant, espérant contre toute probabilité se faire oublier. Mais les puissants aiment pousser leur avantage jusqu’au bout lorsque l’exercer demeure sans risque. L’attente d’un Deus ex machina qui prendrait la forme d’un événement imprévu favorable, fut vaine. Le jeu du chat et de la souris couvrit cependant tout le second semestre 1695. Finalement repérée par la police et saisie les derniers jours de décembre, elle devenait une «matière» à modeler, meneuse dont il fallait obtenir la déconsidération complète pour l’emporter sans discussion dans une querelle du quiétisme aux prolongements théologiques problématiques. Cela avait été accompli pour Molinos accusé de toutes les turpitudes. Dans tout procès d’Inquisition, la déviation théologique est censée découler d’une déviation morale et le policier qui n’est pas bon théologien doit exercer son talent ailleurs : elle fut donc attaquée sur le plan des mœurs.

Dans le cas présent, on avait saisi des lettres qui semblaient assez bien s’accorder au bruit qui courait d’une relation trop étroite entre madame Guyon et le père Lacombe, son confesseur. Pratiquant surtout le latin ou l’italien, il ne parvint jamais à dominer notre langue et ses lettres décrivent leur lien spirituel dans un style hyperbolique d’un lyrisme transalpin qui ne s’accorde sûrement pas avec l’esprit clair, mais sans humour de la Reynie, le chargé des interrogatoires de la «Dame directrice».

Fait plus grave, il relatait l’éclosion d’un cercle spirituel de quiétistes parallèle au cercle parisien. Car un cercle mystique s’était développé autour de lui au sein même de la prison royale de Lourdes, avec la participation du confesseur en titre du lieu, le sieur de Lasherous! Ce qui démontre la force morale de son animateur : Lacombe n’était pas un médiocre. Loin d’être considéré comme naïf et illuminé, il apparaît comme l’inspirateur de madame Guyon pour l’habile La Reynie. Il sera plus tard vénéré comme un martyr par des cercles guyoniens. Ses écrits spirituels sont raisonnables, mais il accumule dans sa correspondance saisie les bourdes qui feront le supplice de la prévenue lors de ses interrogatoires.

Brutalement résumé, on avait expliqué aux policiers qu’elle dirigeait une secte et qu’elle avait couché avec son confesseur : ainsi le médiocre M. de Junca «ne savait rien sinon qu’il me croyait une hérétique outrée et une infâme» (Vie, 4,6). La Reynie, interrogateur intelligent et droit, fit un résumé plus équilibré du cas : cette femme croit être divinement inspirée, elle écrit des livres et elle dirige des gens, quel orgueil! alors même que tout ce qu’elle fait est contre le bon sens : quitter sa famille et son grand bien pour partir sur les routes!

Elle suscite donc sa pitié; il ne trouve pas grand-chose d’intéressant chez elle, mais il obéit au Roi. On trouve beaucoup de logique chez lui; elle a du mal à y échapper et en désespoir de cause demandera que l’on interroge son confesseur. Elle voyageait avec ce dernier dans des conditions qui pouvaient être équivoques94 et ne pouvaient qu’alimenter les soupçons de relations plus intimes. Plus généralement les expressions de « petite Église» et d’«enfants du Petit Maître» que l’on trouve dans les lettres saisies s’avéreront catastrophiques, car, outre l’indice sectaire, elles suggèrent un communautarisme contraire à la pratique des clercs dans le monde catholique comme à l’autorité royale qui en est le modèle, mais proche des pratiques de certaines assemblées protestantes. Les derniers interrogatoires par la Reynie sont particulièrement éclairants et importants, où le Roi est « protecteur de la vraie et seule Église catholique95», ce qu’elle reconnaît elle-même.

La chasse illustre de manière exemplaire et parfois comique l’alliance entre la justice civile et la hiérarchie religieuse. Cette réunion «du sabre et du goupillon» est illustrée par l’épisode du transfert en secret de la prison de Vincennes au «couvent» de Vaugirard : ordonné de très haut, il est assuré incognito par le tandem policier et confesseur96. Les deux sources d’autorité civile et religieuse, sous la direction affirmée du Grand Roi, — en pratique de celle de son épouse, — vont se repasser la responsabilité de faire plier une prisonnière récalcitrante et n’y parviendront pas.

Le déroulement de l’épreuve subie avant même sa mise au secret à la Bastille est exemplaire d’une police bien rodée : on commença par «chauffer» la prévenue par un interrogatoire qui eut lieu le dernier jour de l’année 1695, donc très peu de temps après la saisie (27 décembre). Ce changement de situation brusque, de la liberté même confinée dans la maison de Popaincourt où elle s’était réfugiée en dernier lieu pour échapper à la police royale à l’internement dans la tour de Vincennes, pouvait en effet induire une faiblesse momentanée chez la prévenue.

On prépara ensuite ses interrogatoires futurs grâce aux réponses données par les personnages assez secondaires arrêtés en même temps qu’elle97. En même temps, on confirma l’origine des livres et des pièces écrites qui avaient été saisies. Ces prises matérielles se seraient avérées anecdotiques, compte tenu de précautions prises par l’inculpée et fort regrettées par l’interrogateur, s’il n’y avait eu la saisie des lettres malencontreuses de La Combe et Lasherous, dont la dernière arriva à la maison de Popaincourt après les arrestations. Ces lettres seront les éléments principaux qui inspireront l’enquête. Cette première phase de préparation dura presque trois semaines.

Suivit le «coup de massue» délivré sous la forme de cinq interrogatoires concentrés sur treize jours (du deuxième, le 19 janvier, au sixième, le 1er février). Tout tournait autour de l’existence possible d’une secte qui serait à réprimer dans le royaume de France avant qu’il ne soit trop tard, celle d’une «petite Église» quiétiste en phase d’incubation appelée encore «des enfants du petit maître». La charge d’atteinte aux mœurs était abandonnée pour l’instant par La Reynie; elle sera reprise plus tard par l’archevêque de Paris armé de la célèbre lettre forgée supposée écrite par La Combe. L’accusée se défendit bien et des échos de cette résistance sans faille majeure parviendront à la Cour : «On dit qu’elle se défend avec beaucoup d’esprit et de fermeté», rapporte le chroniqueur Dangeau.

Les enquêteurs étaient maintenant perplexes devant ce statu quo, ce que traduit le va-et-vient des pièces à charge entre l’autorité civile, c’est-à-dire La Reynie, dirigée par le ministre Pontchartrain, et l’autorité religieuse, représentée par l’archevêque de Paris Noailles qui mettra bientôt la main à la tâche. Ces deux autorités, entièrement soumises au Roi et à son épouse, collaboreront étroitement. Pour l’instant, en l’absence de nouveaux éléments à introduire dans la procédure, on laissa La Reynie, qui de toute façon était le mieux préparé et le meilleur connaisseur de l’accusée, terminer son travail. Cette période de flottement aura duré exactement deux mois, du 1er février au 1er avril.

Le deuxième assaut fut donné sous la forme de trois interrogatoires menés en quatre jours (du 1er avril au 4 avril). Pour bien comprendre l’impact d’un tel interrogatoire, il faut s’imaginer le lieu et son déroulement. Un étage entier de la tour de Vincennes a été spécialement aménagé pour elle. Madame Guyon est en présence de La Reynie, lieutenant général de police de Paris, ainsi que du greffier chargé d’établir des actes les plus officiels possibles pour leur utilisation éventuelle. Elle doit se confronter activement durant presque une journée avec un homme connu pour sa compétence. Il lui faut répondre à des questions préparées soigneusement si l’on en juge par les traces écrites qui nous sont parvenues : les comptes-rendus des interrogatoires préliminaires de personnages secondaires comportent des soulignements de passages importants de leurs déclarations, parfois des notes sur les questions à poser. L’accusée sortit épuisée de ce second assaut. En témoignent ses deux lettres écrites avec du sang en l’absence d’encre (elles se placent entre le 5 et le 12 avril) : geste de défi ou marque de désespoir?

En tout cas le résultat ne fut pas atteint : il consistait à obtenir une preuve, signée, de la culpabilité de l’accusée. On abandonna alors la pression policière pour y substituer une pression plus subtile, exercée cette fois par voie religieuse. Le docteur de la Sorbonne Pirot fut imposé comme confesseur : il avait bien connu l’accusée en exerçant ses talents huit années auparavant lors du premier enfermement à Saint-Antoine, et il va appliquer toute la pression dont il est capable.

L’accusée, acculée, appelle au secours! Elle s’adresse au seul ecclésiastique qui méritait confiance. Au-dessus de tout soupçon, M. Tronson, le directeur de Saint-Sulpice qui avait participé aux entretiens d’Issy, avait une réputation de grande honnêteté. Malade et âgé, il intervient pourtant par un échange assez fourni de lettres, puis sous sa direction, une Soumission est préparée au début du mois d’août 1696 par Fénelon (dans sa jeunesse, ce dernier fut dirigé par Tronson au séminaire de Saint-Sulpice). Signée à la fin du mois par madame Guyon, cette Soumission va-t-elle enfin permettre sa sortie de prison?

Fausse sortie. Car le soi-disant «couvent» de Vaugirard constitué pour la circonstance où elle est secrètement menée, dûment escortée par le policier Desgrez en compagnie du confesseur imposé, s’avère une autre prison, et circonstance aggravante, une prison inconnue de tous, où tout peut donc arriver. «Monsieur le curé» responsable de la direction locale est tout à la fois le confesseur et de madame Guyon et des trois religieuses bretonnes affectées à la garde. Ses insinuations sont infirmées par le récit qu’elle en fera plus tardivement, mais surtout par la correspondance qu’elle put maintenir avec la duchesse de Mortemart. Des lettres témoignent de l’intensité du vécu carcéral : a-t-elle échappé à un empoisonnement? Va-t-elle disparaître à jamais?

En fait, le «dossier Guyon» est repris en haut lieu, car l’on ne désespère pas d’arriver à prouver une culpabilité, au moins formellement. De nombreux interrogatoires seront pratiqués ultérieurement par le terrible d’Argenson; au total elle subira trente-huit interrogatoires, outre des confrontations. Malheureusement, nous ne connaissons aucune pièce officielle sous forme d’enregistrement par un greffier, mais seulement le témoignage du «récit de prison» qu’elle rédigea en 1707 sur la demande de ses proches.

Menaces et usage successif de deux dénonciatrices ou « moutons» ne mènent à rien sinon à la conversion de la seconde au contact de la prisonnière. Le fond de l’abîme est atteint et l’accusée est entrée maintenant en dépression. Son récit se situe ici très loin de l’hagiographie, aux confins d’une mort attendue comme une délivrance, décrivant entre autres le suicide tenté par un condamné voisin. Ce texte (qui n’est pas hagiographique!) n’a été publié que récemment, car nous sommes devenus bons lecteurs de tels témoignages extrêmes depuis l’impact des récits d’incarcérés dans les régimes totalitaires du XXe siècle.

Enfin un dernier essai de prise en main aura lieu en 1700 au moment même où (parce que?) l’Assemblée des évêques, dirigée par un Bossuet qui va bientôt disparaître, lève toute accusation morale. Apparemment, on ne tira alors rien de Famille, la fidèle servante dont le surnom avait été un temps ambigu aux yeux du premier inquisiteur. Elle fut confrontée peut-être à Rouxel, un prêtre du diocèse de Besançon où un cercle hétérodoxe (quiétiste?) venait d’être démantelé à Dijon. Enfin l’Archevêque de Paris eut-il «de très grands remords de me laisser mourir en prison»? Devenue inoffensive sur le plan de la politique religieuse après la condamnation du quiétisme par le bref papal de 1699, Madame Guyon quitta la Bastille en 1703.

Voici sous forme d’une liste sèche la séquence des enfermements ponctués par trente-huit (ou trente-neuf) interrogatoires auxquels s’ajoutent de nombreuses entrevues orageuses. Cinq détentions d’une durée totale de presque huit années et demie se succédèrent dont voici, brièvement rappelés, les dates et lieux de détention, la durée et le nombre d’interrogatoires, les officiants :

1/Du 29 janvier 1688 au 13 septembre 1688, à la Visitation Saint-Antoine : sept mois et demi; quatre interrogatoires (peut-être neuf ou dix98) par l’Official Chéron accompagné de Pirot.

2/ Du 13 janvier 1695 au 9 juillet 1695, à la Visitation de Meaux : près de six mois durant lesquels «elle y fut considérée comme prisonnière» (Cm, p. 329). Sept (?) entrevues souvent orageuses avec Bossuet, évêque de Meaux.

3/ Du 26 décembre 1695 au 6 octobre 1696, un peu moins de dix mois et demi au donjon de Vincennes dont un niveau avait été spécialement aménagé. Neuf ou dix interrogatoires (31 décembre 1695 au 4 avril 1696) sont assurés par La Reynie «de six, sept et huit heures quelquefois»; leurs soigneux procès-verbaux nous sont parvenus. Leur succèdent des entrevues orageuses avec de nouveau Pirot : «Il n’y a rien de plus violent que ce qu’il me fit…»

4/ Du 7 octobre 1696 au 3 juin 1698, vingt mois à Vaugirard, dans un « couvent» formé pour l’occasion avec la contribution de trois sœurs bretonnes.

5/ Du 4 juin 1698 au 24 mars 1703, à la Bastille : quatre années et près de neuf mois, dont une longue période d’isolement (en 1700 ses amis la supposent morte) n’auront pas raison de la santé psychique de la prisonnière. Fin 1698, durant «trois mois» ont lieu vingt interrogatoires par le terrible d’Argenson. Enfin quelques interrogatoires ont lieu en 1700 «d’Argenson est de retour».

Quant aux périodes de liberté, elles couvrent une «période d’installation à Paris» de six mois (du 21 juillet 1686 au 29 janvier 1688); une « période publique» de six ans et cinq mois (du 13 septembre 1688 au 13 janvier 1695); une «période cachée» de six mois (du 9 juillet 1695 au 26 décembre de la même année). Soit sept ans et cinq mois — contre huit années et demie d’enfermements.

    Une fin de vie paisible, mais active.

Madame Guyon âgée de cinquante-quatre ans quitte donc la Bastille en 1703, sur un brancard, pour vivre en résidence surveillée chez son fils. Vers 1706 elle achètera une maison située tout à côté du château royal de Blois, et elle terminera son œuvre de «dame directrice» auprès d’un cercle de disciples d’une nouvelle génération, élargi à l’Europe entière, mêlant protestants et catholiques : une particularité très en avance sur son temps! Nous pouvons toujours aujourd’hui tirer bénéfice de la lecture de ses écrits, forgés dans la douleur99.

Nous retrouverons les principaux membres du cercle de Blois aux chapitres suivants. Dans les dernières années de sa vie, madame Guyon réunissait à Blois ces disciples, qui se voyaient aussi entre eux, indépendamment. On dispose de séries de lettres adressées au marquis de Fénelon, le neveu de l’archevêque, au baron de Metternich, diplomate de la cour de Prusse, à Poiret et à son groupe d’amis, à des Écossais.100 Les lettres circulaient. Eux-mêmes voyageaient entre Blois, Paris, Cambrai, la Hollande, l’Écosse proche de celle-ci par mer…

De pieux disciples rapportent la plongée spontanée dans l’intériorité qui s’effectue auprès d’elle, sans nulle suggestion orale ni rappel de sa part :

Elle vivait avec ces Anglais [des Écossais, dont quatre assisteront à sa dernière maladie] comme une mère avec ses enfants…

Elle meurt en paix à soixante-neuf ans.



Chronologie


La vie et l’œuvre en quelques dates

1648 : naissance.

1664 : mariage.

1674 : décès de sa mère spirituelle Geneviève Granger suivie d’une nuit profonde.

1676 : cinquième enfant ; décès de son mari.

1680 : délivrance intérieure.

1681 : décès de son directeur mystique Monsieur Bertot suivi du départ hors de France.

1682 : communications intérieures avec le Père La Combe, à Thonon. Première rédaction de la Vie commandée par ce dernier ; les Torrents.

1684 : Activités apostoliques à Turin et Grenoble. Le Moyen Court ; Explications de l’Ancien et du Nouveau Testament.

1686 : retour à Paris.

1688 : courte période de captivité. Suite de la rédaction de la Vie. Sa sortie au bout de 8 mois est suivie de son activité à la cour et à Saint-Cyr. Correspondances avec Fénelon, le duc de Chevreuse, la duchesse de Mortemart.

1694 : Perte de la faveur de Madame de Maintenon ; Les Justifications ; Examens d’Issy.

1696 : début de la longue période des prisons. Reprise de la rédaction de la Vie.

1703 : sortie de la Bastille.

1705 : achat d’une maison à Blois.

1709 : Fin de la rédaction de la Vie et du récit des prisons. Activité apostolique et Correspondances avec les disciples français et étrangers.

1717 : décès.





Biographie chronologique

Cette chronologie constitue un canevas se prêtant à une lecture suivie. Il veut permettre le repérage précis des événements tels qu’ils sont racontés dans la Vie. Seuls les événements personnels sont rapportés. Insérer des événements d’une portée plus générale, tels que les étapes du procès fait aux quiétistes, pour lesquelles on se reportera à nos bibliographies101, eût grossi démesurément l’outil. Nous avons dû faire des hypothèses dans un tel travail, en particulier pour la partie couvrant la période des voyages. La documentation reste à ce jour lacunaire pour l’enfance, pour les années 1690 à 1692, 1704 à 1717102.

13 avril 1648 à Montargis : naissance à 8 mois (1.2.1103). Le 24 mai, baptême ; évanouissements (1.2.3-4).

1650 : On me mit à deux ans et demi aux Ursulines, où je restais quelque temps (2.2.5).

1651 : La Duchesse de Montbazon vint aux Bénédictines… J’avais alors quatre ans, j’étais continuellement malade… j’aimais… d’être habillée en religieuse ; rêve de l’enfer (2.2.6). Dans sa famille l’éducation est laissée aux domestiques ; préférence de la mère pour le frère ; elle joue dans la rue (2.2.8, 12-13104).

1655 : J’avais alors près de sept ans. Il y avait là [aux Ursulines] deux de mes sœurs religieuses (1.3.1).

1656 : Chute dans un cloaque profond (1.3.4) ; Sa sœur paternelle l’instruisit si bien qu’elle intéresse Henriette de France veuve de Charles Ier, de passage en exil (1.3.2).

1657 : Jalousie de sa sœur maternelle, mauvais traitements, culpabilité vis-à-vis de sa sœur paternelle dont l’accès lui est interdit ; vomissement de sang ; double langueur de corps et d’esprit (1.3.6).

1658 : Elle passe très peu de temps chez mon père (1.3.6-7) et séjourne chez les Sœurs de St Dominique : une fille… avait de l’esprit et deux fois mon âge… [elle] me fit faire un péché ; petite vérole volante ; persécutions des grandes pensionnaires (1.3.7-8 Var B105).

1659 : Après avoir été environ huit mois dans cette maison… ma mère me prit auprès d’elle… elle m’aimait un peu plus, parce qu’elle me trouvait à son gré (1.4.1).

13 avril 1659 (jour anniversaire de ses onze ans) aux Ursulines, entre les mains de ma très chère sœur… communion à Pâques… l’on me laissa jusqu’à la Pentecôte (1.4.4). - Il se présenta quantité de partis… j’aimais fort la lecture (1.4-5). Rencontre de M. Chamesson-Foissy, missionnaire à la Cochinchine… Tout ce que je voyais écris dans la vie de Madame de Chantal me charmait… je n’avais pas encore douze ans, je prenais néanmoins la discipline (1.4.4-8).

1660 : Je ne pensais plus qu’à me faire religieuse et j’allais très souvent à la Visitation (1.4.9) ; elle sert son père malade (1.5.1) ; fièvre double-tierce de quatre mois (1.5.5).

1661 : Un gentilhomme vertueux fit entendre à son père que je ne le désagréerais pas… j’avais alors treize ans et demi… si grande et… l’esprit si avancée que je surpassais beaucoup mon âge (1.5.6).

1662 : Ce jeune gentilhomme… disait tous les jours l’Office, je le disais avec lui (1.5.7 VarB). Je péchai deux fois avec une fille (1.5.9-10  VarB).

1663 : à Paris, chez son frère ; un jeune homme passionné se tenait toute la nuit à me conter des extravagances, et quoi qu’il fut nu en chemise… je ne croyais pas… qu’il y eut du mal d’être cause que d’autres vous offensassent (1.6.1  VarB).

1664 : à Montargis, le 28 janvier, elle est fiancée à Jacques Guyon, héritier d’une grosse fortune. Elle n’a pas encore 16 ans, il a 38 ans et la voit deux jours avant le mariage (1.6.3). Le 18 février, signature du contrat de mariage. Celui-ci est célébré quelques jours plus tard. Désillusions : leur manière de vivre était très différente… c’était changer du blanc au noir. Opposition de sa belle-mère, mari lointain (malgré sa passion), timidité, solitude (1.6.5 VarB, 1.6.6).

Le 17 mars, mort de sa demi-sœur paternelle Marie de Ste Cécile qui l’instruisit si bien ; retour à Dieu ; mari malade.

1665 : Le 21 janvier, naissance de son premier enfant, Armand-Jacques (il vivra jusqu’en 1720) ; Jacques Guyon part à Paris chez la duchesse de Longueville en vue de régler ses difficultés financières. Je n’avais qu’à peine 19 ans (en fait 17 ans !) ; faiblesse, abcès, maux de tête ; pertes financières dont sa belle-mère est inconsolable (1.7.2 ; 1.7.6)

1666 : à Paris : Mme de Longueville… me témoigna beaucoup de joie de me voir. Mon mari fut fort content de cela, car dans le fond il m’aimait beaucoup (1.7.8). Grave maladie : L’on m’apporta le saint Viatique à minuit… Il n’y avait que moi à qui la mort était indifférente (1.7.10).

1667 : Retour à Montargis au printemps, sa mère meurt en juillet. Elle rencontre Madame de Charost106 : Je voyais sur son visage quelque chose qui me marquait une fort grande présence de Dieu… Elle, me voyant si multipliée, me disait souvent quelque chose, mais il n’était pas temps (1.8.2).

Deuxième passage du missionnaire : Il aurait bien voulu me donner une autre méthode d’oraison… Je crois que ses prières furent plus efficaces (1.8.3-4). Enfin Dieu permit qu’un bon religieux fort intérieur de l’ordre de Saint-François [Archange Enguerrand] passa : « C’est Madame que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans » (1.8.5-10). Entrée dans l’oraison de foi savoureuse (1,9), bien au-dessus des extases… état très épuré, très ferme et très solide (1,11). Descriptions107 de ces états (1.19.1-10)

1668 : Le 8 janvier 1668 naissance d’Armand-Claude (meurt en 1670) ; austérités et mortifications excessives  (épisode du crachat).

Plaie amoureuse à la date de la Madeleine, en juillet ; le père fit trois sermons admirables… je ne pouvais presque entendre les paroles… mon Dieu… votre parole faisait une impression sur mon cœur directement ; fête de Notre Dame de la Portioncule dans le couvent où était ce bon père… trait de pur amour… ; description de ces états (1.12-7, 9-12) et de la purification, un purgatoire amoureux et tout ensemble rigoureux (1,11).

Épreuves. Ce bon père [Enguerrand]… me donna la connaissance de… Geneviève Granger, qui était une des plus grandes servantes de Dieu de son temps tandis que confesseur et famille s’élèvent contre elle (1,12). Il se faisait en moi sans bruit de paroles une prière continuelle… j’allais quelquefois voir la mère Granger… lorsqu’on savait que j’y avais été, c’était des querelles qui ne finissaient point (1.13.2-3). Suivent des sécheresses et des infidélités qui n’empêchent pas l’expérience continuelle de la présence divine (1.13.4-7) au prix d’un feu dévorant qui ne cessait pas que le défaut ne fut purifié… [et d’un] exil de mon fond (1.13.10).

Épisode du cadeau de nuit à Saint-Cloud ; rencontre d’un inconnu au pont Notre-Dame (1.13.12). Passion : je ne pouvais haïr ce qu’il y avait en moi qui la faisait naître ; voyage en Touraine ; la mère Granger… me remit et m'encouragea (1.14.5).

1669 : Le 2 juin, baptême de Marie-Anne (meurt en 1672) ; voyage à Paris.

1670 : Voyage à Orléans et en Touraine avec son mari. Pèlerinage aux Ardilliers à Saumur. À son retour, en septembre, ses trois enfants contractent la variole. Le 4 octobre elle contracte la variole, son fils cadet meurt le 20 octobre108 ; elle-même et son fils aîné restent défigurés (1.15.3 ss.), ce qui n’empêche pas la passion d’un gentilhomme et ses artifices habiles (1.15.10, Var B).

Tracasseries et révolte du fils : Il me disait : « ma grand-mère dit que vous avez été plus menteuse que moi. » Mari indifférent et lointain : je tremblais quelquefois lorsque je l’approchais. Belle-mère rude : j’étais si timide que je ne lui savais parler et mon silence la fâchait. (1.17.8-9 ; Var B).

1671 : En juin ou juillet première rencontre avec le P. la Combe envoyé par son demi-frère paternel Dominique de la Mothe : je lui dis des choses qui lui ouvrirent la voie de l’intérieur… j’étais bien éloignée de prévoir que je dusse jamais aller à un lieu où il serait (1.18.1-2).

Oraison continuelle : Tout ce qu’il y avait, c’est que je sentais un grand repos et grand goût de la présence de Dieu, qui me paraissait si intime qu’il était plus en moi que moi-même (1.18.2-8). Épreuve intérieure. Je commençai à éprouver que la vertu me devint… d’un poids insupportable, non que je ne l’aimasse extrêmement, mais c’est que je me trouvais impuissante de la pratiquer. Chasteté par protection visible et sensible et grâce à un amortissement entier de la vivacité du sentiment (1.18.8 Var B & P ajout109).

Le 21 septembre 1671, rencontre avec M. Bertot aux Bénédictines110 par l’intermédiaire de la mère Granger, puis à Paris (1.19.1-2).

1672 : En mai-juin, mort de son père et de sa fille111 : Je me résolus, après avoir vu M. Bertot… d’aller passer les dix jours de l’Ascension à la Pentecôte dans une abbaye à quatre lieues de Paris. Le séjour est interrompu par la mort pressentie de son père ; sa fille morte, il ne lui reste plus qu’un fils : malade à la mort, Dieu le rendit aux prières de la mère Granger (1.19.3-9). La veille de la Madeleine… la mère Granger m’envoya un petit contrat : mariage spirituel le 22 juillet (1.19.10-11).

1673 : En juillet, pèlerinage à Alise Sainte Reine près de Semur-en-Auxois112. Le jour de l’Assomption : O. si M. Bertot savait ce que je souffre ! Il lui écrit ce même jour (1.19.13). Conversion d’une dame : elle me dit « votre silence… me parlait jusque dans le fond de l’âme » (1.22).

1674 : Le 31 mai, naissance de son quatrième enfant, Jean-Baptiste-Denys (qui vivra jusqu’en 1752)113. Nouveau pèlerinage à Ste Reine et à St Edme de Bourgogne au tombeau de St Edmont de Cantorbéry à Pontigny.

Le 5 octobre, mort de la mère Granger : M. Bertot quoiqu’à cent lieues… eut connaissance de sa mort et béatitude… comme on lui parlait de moi à dessein de la réveiller, elle dit : « Je l’ai toujours aimée en Dieu » et ne parla plus depuis (1.26-7).

Le 25 novembre, elle assiste au mariage de son frère Jacques à Orléans. Monsieur Bertot lui envoie un précepteur pour son fils et elle apprend le latin sous sa direction. Opposition de son frère vis-à-vis d’elle-même et de son mari, engagement du frère vis-à-vis du frère du roi pour deux cent mille livres ramené à… cent cinquante livres par son intervention (1.28-10).

Je commençais à vous perdre… quant au sentiment perceptible, car il ne s’agissait depuis longtemps ni du sensible ni du distinct ; description de la voie de mort et de foi (1.21.2-5).

1675 : Inclination pour un ecclésiastique janséniste : cette liaison dura deux ans et demi (1.21.1, 6-9).

Nuit intérieure : Je croyais être perdue… M. Bertot ne me donna plus de secours… il n’y avait plus qu’un juge rigoureux… Je ne pouvais plus aller voir les pauvres… [ni] rester un moment à l’église… promptitudes extérieures… sentiment de tous les péchés (1.21.9-12).

1676 : Le 21 mars, naissance de Jeanne-Marie, son cinquième enfant114. Le 21 juillet, mort de son mari après trois semaines de souffrances, la veille de la Madeleine ; certitude de son salut et songe de la mère Granger (1.22.1-7). Elle reste veuve avec des revenus considérables de plus de 7000 livres annuelles. Belle-mère intéressée ; règlement de procès (1.22.8-11). 

Description de la nuit mystique qui durera sept années et surtout cinq ans sans un instant de consolation (1,23).

1677 : Voyage à Paris pour faire retraite. M. Bertot l’ignore et cela me faisait encore plus croire que j’étais déchue de ma grâce ; mais il lui attache un ecclésiastique et je lui servais beaucoup pour son intérieur ; réciproquement il lui fut d’une très grande utilité (1.24.1-3 et Var B).

Cabale janséniste et persécutions de ce Monsieur avec lequel j’avais rompu. Nuit, une expérience de misère et un sentiment inconcevable de ma bassesse (1.24.5-8). Description (1,25).

1678 : Elle achète une maison contigüe à celle de sa belle-mère et devient indépendante115

1679 : Elle se trouve mise en rapport fortuitement avec le P. la Combe, devenu en 1678 supérieur d’une maison barnabite à Thonon. Épreuves extérieures parallèles à celles de la nuit intérieure : abandon de tous, accusations contre l’ecclésiastique maintenu par Bertot : il me fallut boire la double confusion qui me venait de lui et de moi (1,26).

1680 :

Rupture avec l’ex-belle-mère : je me vis réduite à sortir au fort de l’hiver avec mes enfants et la nourrice de ma fille, sans savoir que devenir (1,26).

Retour sur les épreuves et sur la nuit à son stade final : une folie si étrange de mon imagination qu’elle ne me donnait aucun repos… plus aucun espoir de sortir jamais d’un état si pénible… Mon froid me parut un froid de mort (1.27.1 à 6). Elle écrit au P. La Combe. Genève me venait dans l’esprit, aussi elle craint l’apostasie. Songe de la mère Bon encore vivante à ce moment-là, mais qu’elle ne connaissait pas, dont elle fut extrêmement consolée. Elle écrit de nouveau au P. la Combe (1.27.7-8).

En juillet : Ce fut ce jour heureux de la Madeleine que mon âme fut parfaitement délivrée : liberté, béatitude, netteté de l’esprit, pureté du cœur. Comme je fus longtemps à la campagne et que le bas âge de mes enfants ne requérait pas trop mon application… je donnai lieu à l’amour de me consumer… dans une entière paix (1.28).

À Paris, je parlai moi-même à M. de Genève… je fus voir la supérieure des Nouvelles Catholiques… J’allai consulter le père Claude Martin, fils de la mère de l’Incarnation du Canada ; M. Bertot me dit que mon dessein était de Dieu ; lettres du P. la Combe (1.29.3 à 11).

1681 :

Peine de quitter ses petits enfants de 4 et 6 ans (1.29.1). Amitiés de sa belle-mère et d’une fille au moment de leur séparation ! (1.31-2). L’année que je partis… l’hiver de devant fut un des plus longs et des plus rudes… C’était en 1680116. Hésitations envers les Nouvelles Catholiques (1,35). En mars, mort de Jacques Bertot.

Voyage : Elle quitte Montargis pour Paris où elle confie à Denis Huguet, conseiller au Parlement et cousin de son mari, le soin de gérer les biens de ses enfants, se réservant pour elle et pour sa fille 15 000 livres de rente ; puis elle part secrètement avec sa fille : je partis après la Visitation de la Vierge. À Corbeil elle voit Enguerrand qui la prévient contre les Nouvelles Catholiques. Nous arrivâmes à Annecy la veille de la Madeleine 1681 (2.1.1, 6, 9).

Arrivée à Gex le lendemain de la Madeleine 22 juillet où nous ne trouvâmes que les quatre murailles. Angoisses pour sa fille (2.1.10). Le P. la Combe vient la voir. Description de la communication intérieure (2.2.1-5)

En septembre elle mène à Thonon sa fille qu’elle confie aux Ursulines117 et rencontre un ermite qui a des visions prémonitoires (2.2.6-8, 9 Var B).

De retour à Gex elle est critiquée en France en particulier par son frère le P. La Mothe, mais soutenue par M. de Genève qui lui donne le P. La Combe comme directeur (2.3.1-6). Maladie, indifférence des sœurs, guérison par le P. la Combe, abandon à la volonté divine (2.3.7-11)

À Thonon en décembre elle fait une retraite de douze jours sous la conduite du P. la Combe puis rentre à Gex par Genève. Grave chute de cheval suivie de visions (hallucinations ?) attribuées au démon (2.4.9 à 2.5.3). Sa famille tente de la faire revenir à Paris.

1682 : 

Le 3 février, elle abandonne la tutelle de ses enfants à sa belle-mère. Le 11 février, retraite aux Ursulines de Thonon118. Description de son état de joie dans une largeur immense ; tout est nu et net ; l’âme par la mort à elle-même passe en son divin objet (2.4.1-9). Le 3 mars elle renonce à ses biens personnels en échange d’une pension. Ses proches ne font plus d’instances pour son retour, mais demandent une procuration : Je me défis donc de mon bien… chose dont je n’ai jamais eu ni repentir ni chagrin.

M. de Genève est circonvenu : sachant qu’elle refuserait l’on me proposa l’engagement et la supériorité  [des Nouvelles Catholiques] ; le P. la Combe qui refuse de faire pression est décrié ; prémonition d’un prêtre âgé (2,6). Lettres interceptées ; calomnies mettant en cause ses rapports avec le P. la Combe (2.7.1-3).

Description de son état nu et perdu, songe des deux gouttes d’eau, l’une claire, l’autre pleine de petites fibres, images des voies de la foi et de lumières ; confirmation de sa maternité spirituelle vis-à-vis du P. le Combe et de bien d’autres (2.7.5 à 11).

Description de l’âme bien abandonnée, inébranlable, passive : ce qui fait la perfection d’un état fait toujours l’imperfection et le commencement de l’état qui suit… la conduite de la providence suivie à l’aveugle fait toute sa voie et sa vie… elle voit bien que lors qu’elle préfère le vertueux au défectueux elle commet une faute… Jusqu’à ce qu’on en soit là, l’on est peu propre pour le prochain (2.8.1 à 14).

Pendant le carême elle est atteinte d’un abcès à la tête, sa fille est malade et mal éduquée, mais elle demeure en paix ; elle décrit son état fixe et ferme (2.9.10-13). Après Pâques, elle s’entretient avec le versatile M. de Genève (2.7.13). En mai, la variole de sa fille est guérie par le P. la Combe. En juillet sa sœur vient de Sens avec une bonne fille (2.9.1-9).

Elle fait retraite avec le P. la Combe, et écrit les Torrents119. Sitôt que le P. La Combe fut arrivé [de retour de Rome]120 je le priai de me permettre une retraite… je me laissai dévorer à l’amour… fort mouvement d’écrire (2.11.1-5).

Elle est plongée dans la foi nue (2.11.6-8). Direction d’une fille et de religieuses (2.12.1-5).

Du 14 septembre 1682 au 3 mai 1683, la « grande maladie121 » : À Noël abcès et fièvre jusqu’à la rêverie ; état de petite enfance et pouvoir sur les âmes (2.12.6 et Var B, 2.12.7). Union avec le P. la Combe, tourments lorsqu’il résistait à Dieu (2.13.1 Var B). Appréciations de Paris, estime à Gex ; fin de rédaction de la Vie en novembre 1682122.

1683 :

Pendant le carême, le P. La Combe porte une partie de sa maladie puis est remis en état de prêcher (2.13.4). Figure de la femme de l’Apocalypse, vision du dragon. Elle est guérie par le P. la Combe : mon cœur, reprenant un peu de vie, revint. (2.14.1-5). Fin des fièvres. Ce fut dans cette maladie… que vous m’aprîtes qu’il y avait une autre manière de converser avec les créatures qui sont tout à vous, que la parole (2.13.5-12).

Établissement d’un hôpital (2.14.5). Opposition de M. de Genève. Elle vit le début de l’été dans une petite maison éloignée du lac : Je pris ma fille avec moi… j’achetai quelques chaises de paille avec de la vaisselle de faïence, de terre et de bois. Jamais je n’ai goûté un pareil contentement (2.14.7 (15,1)

Bref aller-retour à Lausanne en traversant le lac123 (2.14.8).

À l’automne elle se rend à Turin chez la Marquise de Prunai Souffrance liée au P. la Combe (2,15) et à la purification de la fille qui l’accompagne ; comment porter la purification des âmes ; consommation dans l’unité (2,16 et 28 Var. B). Conversions de religieux (2.17.1-5).

1684 :

Le 2 avril, départ de Turin avec le P. La Combe. Elle s’arrête à Grenoble et reprend son apostolat qui s’étend à de nombreuses communautés : elle se heurte au général des Chartreux Le Masson dont les écrits lui feront par la suite un grand tort (2.17.6-9). État apostolique (2.18.1 à 8). Description de l’état du pécheur (2.19.1 à 11). Elle dirige des frères et des sœurs de monastères (2,20).

Elle rédige des Explications de l’Écriture sainte : il me fallait cesser et reprendre comme vous le vouliez… la main ne pouvait presque suivre l’esprit… J’écrivis le Cantique des cantiques en un jour et demi. Guérison d’un bon frère copiste (2,21). Communications en silence (2.22.4-7).

1685 :

Le 7 mars, publication du Moyen court, à l’initiative d’un conseiller au Parlement, Giraud.

L’évêque de Grenoble, Étienne le Camus124, fait prier Mme Guyon de quitter Grenoble. Elle laisse sa fille aux Ursulines. À Marseille, elle est appréciée de Malaval, mais supporte une cabale janséniste (2.23.2-6).

Après un voyage difficile sur mer (tempête) et sur terre (mauvais accueil des Génois bombardés peu de temps auparavant125 ; voleurs) elle arrive à Gênes le 18 avril (2.23.7-10). 

Le 20 avril, le P. la Combe l’accueille fraîchement à Verceil L’évêque V.A. Ripa est plus chaleureux (2.24.1-9). Le 24 avril à Turin, elle est chez son amie la marquise de Prunai (2.25.3).

Elle écrit le 3 juin à J. d’Arenthon, évêque de Genève, qui lui refusera de s’installer dans son diocèse126. Le 16 juillet, Molinos est arrêté à Rome.

1686 :

Publication par V. A. Ripa de l’Oratione del cuore facilitata127.

Départ pour Turin. Le P. La Combe, nommé à Paris, l’accompagne ; ils croisent le P. La Mothe à Chambéry. Elle est malade quinze jours à Grenoble ;  tout nous annonçait croix. Passage par Lyon et Dijon, rencontre de Claude Quillot qui sera condamné comme quiétiste (2.25.5-7).

Paris cloître Notre-Dame : J’arrivai à Paris la veille de la Madeleine 1686, justement cinq ans après mon départ ; intéressement du P. la Mothe et opposition de barnabites jaloux contre le P. La Combe applaudi pour ses sermons (3.1.3). Piège pour insinuer des attaches criminelles entre elle et le Père, qu’elle déjoue, refusant d’aller à Montargis accompagné de ce dernier. Calomnies sur le voyage de Turin à Paris (3.1.4-6. Enfermée dans ma chambre à genoux… je me trouvais lié de nouveau avec Jésus-Christ crucifié ; tentative de la brouiller avec le tuteur de ses enfants (3.1.7).

J’allai à la campagne chez Mme la duchesse de Charost… il me fut donné un fort instinct de me communiquer à eux en silence… on fut obligée de me délacer (3.1.9).

Manœuvres d’un couple contre le Père, calomnie sur un supposé comportement scandaleux à Marseille entre ce dernier et Madame Guyon, accusations de Molinosisme ; le P. la Mothe s’associe au Provincial et à l’Official (3.1.10-15). Il incite tantôt le P. La Combe tantôt Madame Guyon à s’enfuir ; lui-même et l’Official attaquent M. Bureau à l’aide de fausses lettres ; sa famille est prévenue contre elle, mais le tuteur rencontre l’Archevêque de Paris (3,2).

1687 : 

Le 27 août, décret du Saint-Office contre Molinos. Condamnation confirmée le 20 novembre par le Bref « Coelestis Pastor. » ils firent entendre à Sa Majesté que le P. la Combe était ami de Molinos… sur le témoignage de l’écrivain [faussaire] et de sa femme, qu’il avait fait des crimes. Il est interdit de sortie de son couvent, mais on le lui cache et sa sortie pour une urgence permet de le faire passer pour rebelle. (3.3.1-2). On lui fait remettre des papiers qui auraient permis sa défense : on les supprima (3.3.4).

Le 3 octobre on le vint enlever pour le mettre aux Pères de la Doctrine Chrétienne. Durant ce temps, les ennemis faisaient faussetés sur faussetés… pour le mettre à la Bastille… sans le juger, on l’a enfermé dans une forteresse (3.3.5). Le P. la Mothe prit plus de soin que jamais de me porter à m’enfuir… l’on contrefit mon écriture… ce fut sur cette lettre supposée… que l’on donna ordre de m’emprisonner le 29 janvier 1688 (3.3.6-12)

Elle reçoit une attestation en faveur du Père, mais très malade elle se la laisse enlever par le P. la Mothe (3.4.1-4). Après une entrevue-piège avec l’Official on fit entendre que j’avais déclaré beaucoup de choses… ils se servirent de cela pour exiler tous les gens qui ne leur plaisaient pas… on m’apporta une lettre de cachet pour me rendre à la Visitation du faubourg Saint-Antoine (3.4.5-6).

1688 :

Le 29 janvier, enfermée seule dans une chambre… l’on m’arracha ma fille… l’on eut la dureté de défendre que l’on me dit nulle nouvelle d’elle… pour la vouloir marier par force (3.5.1). Son confesseur effrayé ainsi que ses amis l’abandonnent. Elle est tourmentée par une gardienne et interrogée (3.5.3-15). Sa fille est entre les mains de la cousine du cavalier à qui l’on la voulait donner, de la famille intéressée de l’Archevêque de Paris, Harlay.

Elle ne peut parler à personne de sa famille ni même au tuteur ; la communauté prit pour moi une très grande affection ; à l’extérieur les calomnies redoublent ; chantage pour marier sa fille (3,6). La supérieure… leur représenta que la chambre où j’étais était petite seulement ouverte d’un côté où le soleil donne tout le jour et au mois de juillet… on la fermait avec un bâton en travers, comme l’on met les chiens au chenil ; lettres contrefaites ; tentative de trouver de faux témoins ; maladie (3.7.1 et Var B ; 3.7.3-4).

Mme de Miramion et une abbesse parente de Mme de Maintenon prennent sa défense : le roi… ordonna à Mgr l’Archevêque de me mettre en liberté ce qui… ne le fâcha pas peu. (3.8.10). Elle continue la rédaction de sa Vie chez Mme de Miramion ; elle serait sortie le 13 septembre128.

Quelques jours après ma sortie, je fus à B [eynes]… ayant ouï parler de M. [l’abbé de Fénelon], je fus tout à coup occupée de lui avec une extrême force et douceur… je souffris huit jours entiers, après quoi je me trouvai unie à lui sans obstacles’ (3.9.9-10). La place particulière occupée par Fénelon129 (3.11-2).

1689 :

Elle est malade avec un abcès à l’œil  trois mois chez les dames de Mme de Miramion qui découvre les calomnies du P. la Mothe (3.11.1-2).

Le 16 août, Fénelon est nommé précepteur du duc de Bourgogne. Le 25 août Armand-Jacques, fils aîné, est blessé à Valcourt. Le 26 août sa fille Jeanne-Marie épouse Louis-Nicolas Fouquet, comte de Vaux, frère cadet de la duchesse de Béthune : Ma fille fut mariée chez Madame de Miramion et je fus obligée, à cause de son extrême jeunesse, d’aller rester quelque temps avec elle. J’y restai deux ans et demi (3.11.3).

Le 29 novembre, mise à l’index du Moyen court.

1690 & 1691 :

Ayant quitté ma fille, je pris une petite maison éloignée du monde… j’avais continué d’aller à Saint-Cyr… [Mme de Maintenon] me marquait beaucoup de bontés… [ce qui dura] pendant trois ou quatre années (3.11.5).

Rencontres avec M. Boileau et M. Nicole (3.11.6-8). Maladie, c’était un poison fort violent qu’on m’avait donné ; elle prend les eaux à Bourbon [l’Archambaud] (3.11.9 Var P)130.

1692 & 1693 :

Histoire étrange d’une fille possédée (3.12.3-5)

La dévote de M. Boileau la décrie et entraîne ce dernier qui persuade l’évêque de Chartres ; Mme de Maintenon tint bon quelque temps… Elle se rendit… aux instances réitérées de Mgr l’évêque de Chartres (3.12.6 à 10). Le 2 mai, Mme de Maintenon prie Mme Guyon de ne plus venir à St Cyr (3,12).

Quelques personnes de mes amies jugèrent à propos que je visse Mgr l’évêque de Meaux [Bossuet] qu’elle rencontre le 1er août chez le duc de Chevreuse en sa présence. Elle lui remet tous ses écrits : il lut tout avec attention, il fit de grands extraits et se mit en état… d’écouter mes explications (3.13.1-4). Durant l’été, Mme Guyon fait examiner ses écrits par Pierre Nicole, Boileau « de l’Archevêché »131 et Bossuet.

1694 :

Le 30 janvier, entretien rue Cassette avec Bossuet : Ce n’était plus le même homme. Il avait apporté… un mémoire contenant plus de vingt articles (3.13.5-11)… prétendait qu’il n’y a que quatre ou cinq personnes dans tout le monde qui aient ces manières d’oraison… il y en a plus de cent mille dans le monde (3.14.3 à 13).

Changement d’attitude de Bossuet : le 4 mars, lettre défavorable ; Jugement définitif condamnant la doctrine du pur amour et de l’état passif. Le 2 avril, Mme de Maintenon est nommée supérieure de Saint-Cyr.

Le 10 juin elle tente d’échapper par la retraite. Lettre à Mme de Maintenon demandant de justifier ses mœurs. Mort de M. Fouquet132 qui se manifeste à elle ; elle prie ses amis de me regarder comme une chose oubliée (3,15). On cherche les examinateurs : M. de Meaux, Mgr de Châlons et M. Tronson. Elle leur adresse une lettre ainsi que des ouvrages et les Justifications (3,16). De juillet à septembre, entretiens d’Issy.

Le 16 octobre, mandement de l’Archevêque de Paris Harlay condamnant le Moyen Court et le Commentaire des Cantiques. Pendant cette période… elle institue l’ordre des Associés de l’Enfant Jésus, plaisante les Christofflets et recommande les Michelins133. Elle est obligée de communiquer sa Vie aux examinateurs ; le duc de Chevreuse est écarté des entretiens d’Issy par Bossuet (3.17.1-2).

1695 :

Le 13 janvier elle est à Sainte Marie de Meaux : Je partis… dans le plus affreux hiver… j’en eus une maladie de six semaines de fièvre continue (3.18.1). Libelles, fausse lettre de M. de Grenoble et réponses qui la justifient du P. Richebrac et du cardinal Le Camus. Stratagème des fausses confessions (3.18.4-8).

Le 4 février, Fénelon est nommé Archevêque de Cambrai par Louis XIV.

Le 10 mars, signature par Bossuet, Tronson, Noailles et Fénelon des 34 articles d’Issy (publiés dans 3 instructions pastorales des 16 avril, 25 avril, 21 novembre), assortis d’une condamnation des écrits de Mme Guyon comme d’un opuscule du P. la Combe.

Le 12 avril, lettre du P de Richebrac. Ce même jour, puis les 14 et 15 avril, visites de Bossuet. Le jour de l’Annonciation, il me dit qu’il voulait que je signasse que je ne croyais pas au Verbe incarné… Je lui dis que je savais mourir, mais je ne savais point signer de faussetés (3.18.9-11). Je lui montrai ma soumission… il la prit… et me dit qu’il ne me donnerait rien, que je n’étais pas au bout… les bonnes filles qui voyaient une partie des violences, n’en pouvaient revenir (3.19.1-4).

Le 2 juillet, Bossuet lui remet une attestation d’orthodoxie. Attestation de la mère Picard et d’autres sœurs (juillet 1695). Le 9, Fénelon est sacré à St Cyr par Bossuet assisté par les évêques de Châlons et d’Amiens. Il quittera Paris le 31 pour arriver à Cambrai le 4 août.

Le 9 juillet comme il y avait six mois que j’étais à Meaux, où je ne m’étais engagée d’y rester que trois… deux dames vinrent donc me quérir… Il débita que j’avais sauté les murailles du couvent… je pris la résolution de ne point quitter Paris… Je restai de cette manière environ cinq à six mois (3.19.6-9).

Le 10 juillet, Godet-Desmarais va à Saint-Cyr où il se fait remettre les écrits de Mme Guyon et de Fénelon. Mme de la Maisonfort résiste et reçoit le 6 septembre une lettre de reproches de Mme de Maintenon.

Le 6 août, mort de Harlay. Madame Guyon se réfugie au Faubourg Saint-Antoine puis près de Saint-Germain l’Auxerrois. Fénelon vient à Paris. Le 14 (?), entretien avec Mme de Maintenon sur Mme Guyon. Le 21, ordonnance de Godet-Desmarets contre le quiétisme.

Le 30 novembre, Mme Guyon achète une petite maison à Popincourt. Retour de Fénelon à Cambrai le 11 décembre.

Elle est arrêtée le 27 décembre et après trois jours en séquestre chez Desgrez… on me mena à Vincennes (3.19.9).

1696 :

Je ne parlerai point de cette longue persécution…134 (3,20).

31 décembre au 5 avril : Enfin après neuf ou dix interrogatoires de six, sept et huit heures quelquefois, il [M. de la Reynie] jeta les lettres et les papiers sur la table et dit « … Voilà assez tourmenté une personne pour si peu de choses » (C 10)135. Pirot lui succède : il n’y a rien de plus violent que ce qu’il me fit… il voulut repasser… les interrogatoires… [d’] il y avait huit ou neuf ans (C 13-14) Je demandai un confesseur pour mourir en chrétienne… le P. Archange Enguerrand… on me fit un crime de cette demande (C 15-16).

Le 9 juin, « Mgr de Cambrai, M. le duc de Chevreuse et M. le duc de Beauvilliers sont venus voir M.Tronson… ce n’a pas été sans parler de Mme Guyon » (Orcibal). Fénelon compose un projet de soumission, échanges de visites à Issy de Beauvilliers, Chevreuse, etc.

Vers la fin du temps que je passai à Vincennes, l’on me proposa de voir M. le Curé de Saint-Sulpice [la Chétardie]… se jetant à genoux sitôt qu’il fut entré… Ce début et cette affectation me firent une certaine impression de crainte… je le [M. Tronson] suppliai de me dresser une soumission qu’elle signe ; on lui en apporte une autre sans quoi on ne me donnerait pas les sacrements (C 17-18, 22-27).

Le 28 Août, M. Tronson reçoit la duchesse de Charost puis les jours suivant le P. le Valois, M. de la Chétardie avant et après sa visite à Vincennes à Mme Guyon, et finalement Fénelon. Parallèlement il rend compte à l’Archevêque de Paris Noailles et louvoie… Ce dernier obtient enfin de Mme Guyon une soumission.

Le 24 septembre, Mme de Maintenon écrit à Noailles : J’ai vu notre ami [Fénelon]. Nous avons bien disputé, mais fort doucement… rien ne l’entame sur son amie.

Le 7 octobre, Noailles ordonne le transfert de Mme Guyon dans une maison de Vaugirard voisine de la maison de La Reynie et dépendant de la communauté des sœurs de St Thomas de Villeneuve : on aurait bien voulu me laisser à Vincennes… mais on n’osait pas… l’on fit en un moment une communauté [de deux ou trois sœurs de Basse-Bretagne]… M. le Curé m’avait proposé avant d’être mise à l’Hôpital Général… mais ils n’osèrent à cause de ma famille (C 30-31). Le 16 octobre, on me mit dans une chambre… je pensai me rompre une jambe au travers du plancher… on avait encore bouché une petite fenêtre qui donnait de l’air… Cette fille qui me gardait… venait m’insulter, me mettre le poing contre le menton. Récit des tourments (C 34-57).

1697 :

Le 27 janvier, parution des Maximes des Saints de Fénelon ; Bossuet répondra le 25 février par l’Instruction sur les états d’Oraison, suivie le 26 juin de sa Relation sur le quiétisme. Fénelon répliquera par sa Réponse du 26 juillet.

Pendant ce temps on exerce sur Madame Guyon des méthodes brutales incluant une tentative d’empoisonnement (C 58-61) : Je perdis presque la vue dans ce temps-là (C 63). La servante de la sœur qui la garde épouvantée de voir tout ce que l’on me faisait… ne put s’empêcher de le dire à son confesseur qui lui rend service autant qu’il le peut (C 80).

La Chétardie rencontre à son retour de Vaugirard le duc de Chevreuse à la porte d’Issy. Le 12 février, Mme de Maintenon écrivit à Noailles : du moins Beauvilliers devra condamner Mme Guyon sans restriction. Ce qu’il fera, suivant le conseil de Tronson136.

Le 1er août, Fénelon reçoit l’ordre du roi de se retirer dans son diocèse.

1698 :

Après avoir été environ vingt mois dans cette maison, je reçus une grande lettre de M. le Curé qu’elle reproduit ; pressions exercées sur ses gardiennes (C 80 à 106).

Le 20 mars, Bossuet transmet des lettres du P. La Combe à Rome. Le 26 avril, transfert du P. La Combe de Lourdes à Vincennes.

Le 14 mai, visite de M. de Paris qui lui montre une (fausse) lettre attribuée au P. La Combe et la menace en présence de M. le Curé (C 107 à 123).

Le 4 juin transfert à la Bastille ; Visite de Degrez, gêné (C 125-128) : Je fus donc mise seule à la Bastille dans une chambre nue… mais cela ne dura pas, car on me donna une demoiselle qui… espérait faire fortune… si elle pouvait trouver quelque chose contre moi (C 130-131) ; humidité du lieu… très grande maladie… On croyait que j’allais mourir (C 132-133).

M. d’Argenson vint m’interroger. Il… avait tant de fureur que je n’avais jamais rien vu de pareil… plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures ; on l’interroge sur ses rapports avec le P. la Combe, Fénelon… cet interrogatoire… dura près de trois mois (C 135-143). On place près d’elle une pauvre femme qui meurt se croyant damnée (C 144-152).

1699 :

On place près d’elle une jeune filleule à laquelle M. du Junca promet mariage ; elle reste 3 ans puis meurt quinze jours après son départ, étique ; … elle soutenait la vérité avec un courage qui n’était pas d’une personne de son âge (C 155 à 168). Suicide (raté) d’un prisonnier voisin : il arrive souvent de ces choses (C 169-171).

Le 12 mars, Bref Cum Alias condamnant en termes nuancés les Explications sur les Maximes des Saints.

1700 :

M.d’Argenson… revint au bout de deux ans… je souffris trente-cinq ou quarante jours que durât cet interrogatoire des déchirements d’entrailles que je ne puis exprimer… sans manger ni dormir.  Dernier interrogatoire après l’Assemblée du Clergé de juillet 1700, présidée par Bossuet ; déclaration officielle qui marque le terme de l’affaire du « quiétisme » (C 171-180).

1701 :

En mai, on songe à la libérer, aucun délit réel ne justifiant son incarcération. Bossuet s’y oppose… selon le témoignage de Mme de Maintenon. Pendant ce temps je crus que les choses n’étant fondées que sur le mensonge, on me ferait peut-être mourir, cette pensée me donna tant de joie… (C 179).

1702 :

M. d’Argenson me dit :… « Vous voulez goûter de la Conciergerie, vous en goûterez » et autres menaces ; on veut l’empoisonner, mais le médecin me dit à l’oreille de n’en point prendre (C 183-185). Deux songes : le P. la Combe livide ; le feu dans l’eau (C 186). Je fus plus d’un an seule… mal aux yeux… je ne pouvais ni lire ni travailler… très délaissée au dedans je me contentais sans contentement de la volonté de Dieu. (C 187).

1703 :

En janvier ses enfants sont autorisés à la voir. Sept ou huit mois de maladie (C 189). M. de Paris eut de très grands remords ; M. de Blois (Berthier, ami de Fénelon) intervient ; opposition de son fils ; Berthier réécrit à M. de Pontchartrain et reçut un nouvel ordre… de me laisser aller à une maison que j’avais louée de concert avec le prélat (C 193-194).

Le 24 mars, elle part en litière avec son fils Armand-Jacques pour le château de Diziers à St Martin de Suèvres. J’y demeurai trois ans (C 194). Le 9 septembre, permission de six mois renouvelée puis rendue définitive.

1704 : Le 12 avril, mort de Bossuet

1705 : Mme Guyon passe trois mois à Forges, près de Suèvres puis M. de Blois fit agréer que j’irais demeurer à la ville (C 194) ; elle se fixe à Blois, dans une petite maison qu’elle a achetée près de l’église Saint-Nicolas137.

1706, 1707 & 1708 : Aucun événement notable durant ces années : la vie publique est terminée. Madame Guyon se consacre discrètement à la formation de disciples.

1709 : En décembre, fin de la rédaction de la Vie et du récit des prisons.

1710 : Témoignage des liens avec Fénelon (lettre à deux colonnes comportant les réponses de Madame Guyon).

1711 : Aucun événement notable.

1712 : Le 18 février, mort du grand Dauphin. Le 5 novembre, mort du duc de Chevreuse.

1713 : Arrivée à Blois de Ramsay. Le 8 septembre, Bulle « Unigenitus ».

1714 : Le 31 janvier, mort du duc de Beauvilliers. Correspondance avec Gabriel-Jacques, marquis de Fénelon ainsi qu’avec de nombreux disciples étrangers (voir notre introduction).

1715 : Le 6 janvier, mort de Fénelon. Le 29 juin, mort du P. la Combe.

1716 : Abondante correspondance avec des disciples « cis » et « trans ».

1717 : En mars, elle tombe gravement malade, mais survit trois mois avec à son chevet le marquis de Fénelon, Ramsay, trois amis écossais…

En juin, elle rédige son testament où elle affirme son orthodoxie. Elle meurt le 9 juin et est enterrée dans le cloître des Récollets à Blois138.



Les familles

Ce tableau facilite la reconnaissance des liens par le sang. Il donne les généalogies des familles de la Mothe (parents) et Guyon (mari), les apparentements des familles de certains membres du cercle (Fouquet Charost, Colbert Beauvillier Chevreuse Mortemart, Gramont), un aperçu de la famille de Fénelon.



1. Famille BOUVIER de la Mothe (ou MOTTE) :


Claude BOUVIER de la MOTHE, maître des requêtes ordinaires d’Anne d’Autriche (1640)

X 1°) le 5/2/1622 Marie Ozon, fille de Michel et Edmée GUYON

dont :

1 Marie-Cécile B. (15 mai 1624  - 7 mars 1664) ursuline (Marie de Ste Cécile), appréciée de Jeanne-Marie,

2 Dominique B. de La M. (1625 - 25 novembre 1701) provincial et visiteur des barnabites,

3 Grégoire B., (- février 1698) chartreuse de Gaillon,

4 Michel B., docteur en théologie, aumônier du Roi, prieur de Saint-Nicolas de Marle, puis curé de Saint-Saturnin de Tours.


X 2°) le 8/1/1645 Jeanne LE MAISTRE de LA MAISONFORT (v. Famille LE M. de LA M.)

dont :

5 Jeanne-Marie BOUVIER de la MOTHE

6 Jacques B. de La Motte Bouron

x le 25 novembre 1674, Jeanne fille de Nicolas TOURTIER, trésorier général des finances à Orléans et de Marie JOPITRE


2. Famille LE MAISTRE de LA MAISONFORT :


Denis LE MAISTRE, Sgr du Buisson, des Brosses, des Coudreaux, cons. secrétaire ordinaire de François frère d’Henri III ; calviniste

X c.4/5/1576 Marie LE NOIR demoiselle de Renée de France duchesse de Ferrare, fille de Pierre lieut-gral de Gien et de Jeanne BUATIER 

dont :

1 Pierre Sgr des Brosses ; se fit catholique

2 Paul LE MAISTRE de LA MAISONFORT trésorier de l’extraordinaire des guerres ; se fit catholique

3 Denis II Sgr des Coudreaux

§§


Paul LE MAISTRE de LA MAISONFORT

X 1°) Jeanne de CHAZERAY

dont :

Jeanne LE MAISTRE de LA MAISONFORT, veuve d’Étienne RAVAULT, maître des requêtes ordinaires de la Reine et frère de Jeanne RAVAULT (1626 – 3 juin 1690) ursuline (peu appréciée de Jeanne-Marie), remariée et mère de Jeanne-Marie (v. Famille BOUVIER de la M.)


X 2°) c. 23/5/1632 Marie des JARDINS

dont :

Antonin-Paul LE M. de LA M., Sgr de la Planche, gentilhomme ordin. de la chambre du Roi

X c.30/4/1631, Marie-Anne d’AUNEUX fille de François Sgr de la Motte, Vienne, Courcelle, la Haye et de Marie de GUYTOIS

dont :

1 Antonin-Paul II capit. de vaisseau

2 François-Paul lieut. de vaisseau

3 Religieuse à Saint Denis

4 Marie-Françoise-Silvine LE M. de LA M. reçue chanoinesse de POURFAS le 20/4/1676 à Saint Cyr (la cousine quiétiste de Madame Guyon)


3. Famille GUYON :


Jacques GUYON (? — 1642)

X Anne de TROYES, fille de Jacques de TROYES, seigneur de Montizeaux (apparenté : Denis HUGUET, le tuteur des enfants de Jeanne-Marie, né de Simon HUGUET et d" Élisabeth ou Isabelle de TROYES)

dont :

1 Geneviève, fille bénédictine au couvent Notre-Dame-des-Anges de Montargis 

2 Jeanne, fille bénédictine au même couvent

3 Jacques GUYON du CHESNOY

§§


Jacques GUYON du CHESNOY

X Jeanne-Marie BOUVIER de la MOTHE

dont :

1 Armand-Jacques (21 mai 1665 - 1720 ou 1721)

X 1692 Marie de BEAUXONCLES, fille d’Alexis de Beauxoncles et d’Anne THOYNARD

dont :

1 Jeanne Marie Joséphine (née le 20 nov 1693) x Anne Gabriel de GUENAC ;

2 Armand Jacques GUYON (né le 21 mars 1695) x Marie de ROGRES-LUSIGNAN de Champignelles (descendants : familles GUYON de MONTLIVAULT et GUYON de GUERCHEVILLE).


2 Armand-Claude (8 janvier 1668 — automne 1670) variole ;

3 Marie-Anne (bapt. le 6 février 1669 — milieu de 1672) en même temps que le père de Mme Guyon ;

4 Jean-Baptiste-Denys (31 mai 1674 – 21 février 1752) connu sous le nom de GUYON de SARDIERE, grand bibliophile, célibataire ;

5 Jeanne-Marie (21 mars 1676, bapt. le 29 avril — 31 oct. 1736)

x 1°) le 25/8/1691 Louis-Nicolas FOUQUET comte de VAUX, veuve en 1705

x 2°) le 14/2/1719 Maximilien Henri de BÉTHUNE, duc de SULLY, mort sans descendance.



4. Les familles FOUQUET & CHAROST-BETHUNE apparentées GUYON :


Un des cinq frères du surintendant (dont deux évêques) est disciple de J. BERTOT et ami de Madame GUYON ;

Le surintendant des Finances Nicolas FOUQUET (1615-1680)

X 1°) le 24/1/1640 Louise FOURCHé de QUéHILLAC (28/10/1619 - 21/8/1641)

dont :

Marie FOUQUET (1641 — 14 avril 1716) « la grande âme du petit troupeau »

X le 12 février 1657 Louis Armand duc de CHAROST puis de BÉTHUNE (1640-1er avril 1717)


X 2°) le 4/2/1651 Marie-Madeleine de CASTILLE (1636 — 1716)

dont :

François FOUQUET V (1652-1656) ;

Louis-Nicolas FOUQUET (1654 ?-1705) ;

X 1689 Jeanne-Marie, fille de Madame GUYON ;

trois autres enfants



5. Les trois sœurs COLBERT, duchesses de BEAUVILLIER, CHEVREUSE et MORTEMART :


Jean-Baptiste COLBERT, marquis de Seignelay, ministre et secrétaire d’État (+1683)

X Marie CHARRON (ou Charon) de Ménars (+1687) 

dont :

1 Jeanne Marie Thérèse COLBERT (décédée 26 juin 1732)

X (3 février 1667) Charles-Honoré d’Albert, duc de Luynes, duc de CHEVREUSE (6 ou 7 octobre 1646 — 5 novembre 1712), deuxième fils de Louis-Charles d’Albert et de Louise Marie Séguier, marquise d’O. ; surnommé « le tuteur » par Madam Guyon.

2 Henriette Louise COLBERT (décédée 19 septembre 1733)

X (21 janvier1671) Paul, duc de Saint-Aignan, dit de BEAUVILLIER (château de Saint-Aignan, 24 octobre 1648 ?-31 août 1714), troisième fils de François de Beauvillier (ou Beauvilliers) et de sa première épouse, Antoinette Servien de Montigny (décédée 22 janvier 1680)

3 Marie Anne COLBERT (17 octobre 1665 - 13 février 1750), surnommée « la petite duchesse » par Madame Guyon.

X (14 février 1679) Louis de Rochechouart, duc de MORTEMART, pair de France (1663-3 avril 1688)



6. Les deux FéNELON


Pons de SALIGNAC marquis de la MOTHE-FéNELON

X 1°) Isabeau d’ESPARBèS de LUSSAN

dont :

Pons de S. m. de la M.F.

X Anne du LAC, dame de la PARèDE

dont :

François de S. m. de la M.F. (+12/1/1742)

X Élisabeth de BEAUPOIL-SAINTE-AULAIRE

dont :

Gabriel-Jacques de S. m. de FéNELON (25/7/1688–11/10/1748)

X 12/1721 Louise-Françoise LE PELLETIER, neveu du grand Fénelon. Surnommé « Le marquis » ou « cher boiteux » par Madame Guyon.


X 2°) c.1/10/1647 Louise de LA CROPTE de CHANTéRAC

dont :

François (1651 – 1715) Archevêque de Cambrai



Résumé analytique de la « Vie par elle-même »

Ce résumé analytique facilite la recherche d’événements, de personnes et de lieux. On a donc privilégié les faits précis ou les dits saillants.

Il sert aussi de table de correspondance entre les éditions imprimées au XVIII° siècle par Poiret puis par Dutoit (qui ont été les seuls moyens d’accès pendant trois siècles), et l’édition critique Champion 2001 réimpr. 2014 qui suit la leçon du ms. d’Oxford (O) tout en incluant les ajouts longs des ms. de Saint-Brieuc (B) et de Chantilly/Lyon (C).

Nous utilisons de préférence des expressions proches ou extraites du texte même de la Vie et indiquons le découpage en paragraphes numérotés de l’édition Poiret (lorsque cela s’avère possible ; sinon il donne l’origine du passage manuscrit et son résumé entre parenthèses). En italiques figurent les/ajouts de B/ainsi que des indications facilitant la recherche de sections déplacées. Les titres de chapitres sont de notre fait : la table courte limitée à de tels titres synthétiques fait ressortir les intentions profondes de l’auteur.

1. LA VIE PAR ELLE-MÊME : JEUNESSE

1.1 FAIRE COMPRENDRE LA BONTÉ DE DIEU : 1. Écriture par obéissance et sous la condition du secret, en exemple de ce que Dieu détruit pour édifier. 2. La Sagesse ignorée des savants se révèle dans la perdition et mort à soi-même. 3. Les justes propriétaires sont rejetés, les pécheurs reconnaissants sont accueillis. 4. Amour et foi tiennent lieu de justice. 5. Dieu renverse et détruit la justice humaine pour établir la sienne, mais son législateur meurt sur un gibet ! 6. Il se sert des choses faibles pour confondre les fortes.

1.2 NAISSANCE PÉRILLEUSE ET COUVENTS : 1. Naissance périlleuse avant terme, le 13 avril 1648. 2. « Vous vouliez que je ne fusse redevable qu'à vous-même de vous avoir connu et aimé ». 3. Cette alternance entre vie et mort était un présage du combat à venir. 4. Un abcès provoquait « ces apparentes morts » ou évanouissements. 5. Aux Ursulines, à deux ans et demi ; éducation négligée/avec les valets/. 6. À quatre ans aux Bénédictines, appréciée de Madame de Montbazon, elle aimait être habillée en religieuse. Songe de l’enfer dont elle doutait, simulacre de martyre par les religieuses, évité par une intelligente objection : « Il ne m'est pas permis de mourir sans la permission de mon père ! » 7. Jalousie de grandes filles, maladies qui provoquent son retour à la maison. 8. Elle est alors laissée à la charge de domestiques. Sections 1.2.9 à1. 2.11 absentes en cet endroit de O et de B, mais présentes par la suite dans O en 1.4.3 12. Toujours éloignée de sa mère, elle allait « dans la rue avec d'autres enfants jouer à des jeux qui n'avaient rien de conforme à ma naissance ». Son père la mène alors aux Ursulines.

1.3 SES DEUX SŒURS RELIGIEUSES : 1. Elle a près de sept ans lorsqu’elle est confiée à sa demi-sœur religieuse du côté de son père, « si habile qu’il n’y avait guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle »/et qui savait le latin/. « Cette bonne fille employait tout son temps à m'instruire. » 2. Elle a « près de huit ans » quand l’ancienne reine d’Angleterre l’apprécie  et voudrait l’attacher à sa fille : son père s’y oppose. 3. Elle perd sa première innocence, mais l’effet bénéfique de sa demi-sœur perdure. 4. dévotion enfantine ; elle est sauvée d’une chute dans un cloaque. 5. Elle a neuf ans et est souvent malade. 6. Jalousie de sa demi-sœur religieuse du côté maternel. Mauvais traitements et coups. Elle a dix ans lorsque son père la retire. 7. Bref passage chez les Dominicaines. /Désordres sous l’influence d’une fille qui « avait de l’esprit et deux fois mon âge. »/8. Maladie de trois semaines ; elle lit la Bible « du matin jusqu’au soir ».

1.4 VOCATION RELIGIEUSE : 1. Après huit mois elle retourne chez sa mère, qui préfère son frère. Ce dernier la maltraite. 2. « Je fermais toutes les avenues de mon cœur pour n’entendre point votre voix secrète qui m’appelait ». 3. (Déplacé par Poiret) 1.2.9. Les mères dévotes contraignent leurs filles contre nature et les dégoûtent de toute religion… ou les abandonnent ; une bonne mère « les traite en sœurs et non pas en esclaves’ 1.2.1 Eviter les injustes préférences d’où naissent les désunions. 1.2.11. On ne songerait plus à mettre des enfants en Religion par force. 3fin. Les rigueurs l’aigrissent. 4. Aux Ursulines pour préparer et faire avec ferveur sa communion à onze ans sous sa demi-sœur paternelle. 5. « Fort grande pour son âge », sa mère la produit, nombreux partis ; elle n’a pas douze ans. /un confesseur lui prend « avec hardiesse le menton », elle cache un péché, culpabilité à sa communion qu’elle croit être sacrilège/. 6. Le regret d’avoir manqué la visite d’un missionnaire, M. de Chamesson-Foissi, la convertit. 7. « Je devins si changée que je n'étais pas reconnaissable ».

(Développement spirituel) « une âme bien anéantie ne peut plus trouver chez elle de colère ». 8. « Je lus en ce temps les Oeuvres de saint Francois de Sales et la Vie de Madame de Chantal ». Elle prend la discipline et imite les ascèses de sa lecture. Elle n’a pas encore douze ans. 9. Elle veut être religieuse. Son confesseur « ne me voulut pas absoudre disant que j'allais à la Visitation seule et par des rues détournées… je crus avoir fait un crime épouvantable ».

1.5 AMOURS ET DÉLAISSEMENT DE L’ORAISON : 1. Infirmière de son père malade ; « Mon cœur se nourrissait insensiblement de votre amour… Je m’unissais à tout le bien qui se faisait au monde ». 2. Elle est très attachée à sa cousine qui la traite avec douceur. 3. Sa mère était charitable et vertueuse, « il ne lui manquait qu’un directeur qui la fit entrer dans l’intérieur ». 4. Sa mère lui faisait trop confiance en la laissant à elle-même. 5. Facilité à pardonner les offenses. Fièvre de quatre mois. 6. Rencontre d’un « jeune gentilhomme très sage », mais sa présomption provoque son opposition et elle renvoie ses lettres : il tombe malade. Elle a treize ans et demi. 7. Elle abandonne l’oraison, « mon confesseur, qui était très facile et qui n’était pas homme d’oraison, y consentit pour ma perte ». 8. « Il faudrait apprendre aux enfants la nécessité de l'oraison ». “L'expérience instruit mieux que le raisonnement. 9. /« Je trouvai deux personnes différentes qui m’apprirent des péchés que j’avais ignorés jusqu’alors »/. L’ordre de O diffère de P qui suit de près B : P disposait donc d’une copie proche de B ; P et O censurent tous deux B, jugé trop intime et compromettant, mais dans des ordres différents. Nous suivons l’ordre O, car celui de B, lui-même peu satisfaisant, ne justifie pas de contaminer notre édition ; et renvoyer le lecteur de O aux variantes B puis à une annexe B1-B5 est très incommodant. 12. Réprimandes. 13. Cela lui a donné la compassion des pécheurs. « Le diable a faussement persuadé aux docteurs et sages du siècle qu'il faut être parfaitement converti pour faire oraison », on persécute les âmes d’oraison. 14. ‘J'étais quelquefois à l'église à pleurer et à prier la Sainte Vierge d'obtenir ma conversion,/« ce qui est de plus étrange est que je faisais violence à la nature, et à mon tempérament pour faire le mal, cependant je ne pouvais m’empêcher de le faire. »/« J'étais fort charitable, j'aimais les pauvres. » 11. « J’aimais si éperdument la lecture que j’y employais le jour et la nuit ». 1 ‘ Vous vous retiriez peu à peu d’un cœur qui vous quittait »/« Je péchai deux fois avec une fille par des immodesties croyant qu’il n’y avait pas de péché énormes que ceux qui se faisaient avec des hommes » ; elle est tiraillée entre l’estime de soi-même et les appels divins/ ; ‘hélas que cette funeste expérience… retour au § 13 ci-dessus.

1.6 MARIAGE ET DÉSILLUSION : 1. « Les affaires étant finies, nous nous en retournâmes. »/Elle apprend la philosophie morale avec un pauvre gentilhomme qui devient follement amoureux/2. ‘Les grands biens de cette personne joint à ce qu’il était gentilhomme, portèrent mon père malgré toutes ses répugnances et celles de ma mère, à m'accorder… sans m'en parler, la veille de St François de Sales, le 28 janvier 1664’. 3. Suivi du mariage, courant sa seizième année, avec un mari âgé. « Ma belle-mère, qui était veuve depuis très longtemps, ne songeait qu’à ménager, au lieu que chez mon père l’on y vivait d’une manière extrêmement noble ». 4. Désillusion, querelles : « si je parlais bien, ils disaient que c’était pour leur faire leçon ». 5. Son mari est soumis à une belle-mère difficile qui la déprécie en public 6. Les filles et serviteurs se sentant tout permis l’insultent et ils ont ordre de l’espionner. Son mari est pourtant amoureux et elle ne refuse pas ses caresses. 7. Poursuivie par un « homme de considération », « mon mari connut mon innocence et la fausseté de ce que ma belle-mère lui voulait imprimer ». 8. Retour à Dieu. Après une confession générale, elle quitte les romans ! 9. Persécutions : « Un jour, outrée de douleur, il n’y avait que six mois que j’étais mariée, je pris un couteau étant seule pour me couper la langue ». 1 Mari goutteux. Quelques mois de relâche à la campagne sans la belle-mère. 11. « J'ai vu dans la suite que cette conduite m'était absolument nécessaire pour me faire mourir à mon naturel vain et hautain ».

1.7 PREMIER ENFANT — CHAGRINS DOMESTIQUES : 1. « J'avais soin d'aller voir les pauvres, je faisais ce que je pouvais pour vaincre mon humeur, et surtout en des choses qui faisaient crever mon orgueil, je faisais beaucoup d'aumônes, j'étais exacte à mon oraison. » 2. Premier enfant à dix-neuf ans. 3. Petites vanités. 4. Pertes financières. 5. Excuses sur ce qu’elle dit de sa belle-mère et de son mari. 6. « Nous continuions à perdre de toutes manières… » 7. Lectures de l’Imitation et de François de Sales ; sentiments de vanités et jalousie des autres femmes. 8. Elle rejoint son mari, qui lui témoigne de l’affection, chez Madame de Longueville, qui l’apprécie. 9. On l’applaudit « à cause de ce misérable extérieur » ; elle divertit son mari mélancolique. 1 Maladie dont elle faillit mourir par excès de saignées. Elle édifie son confesseur, un ami de François de Sales. Son mari est inconsolable et tombe malade à son tour, puis reprend son tempérament vif lorsque tout danger est écarté.

1.8 RENCONTRES — ÉVEIL INTÉRIEUR : 1. Sa mère meurt « comme un ange ». Elle s’occupe beaucoup des pauvres, les assistant dans leurs maladies. On lui reproche l’inégalité financière dont elle est victime au bénéfice de son frère. Grossesse. 2. Influence de Madame de Charost  : « Je voyais sur son visage quelque chose qui me marquait une fort grande présence de Dieu ». 3. Passage du neveu missionnaire, ami de Madame de Charost et de la Mère Granger : « Ils avaient un même langage intérieur ». Il lui promet d’offrir son martyre — qui eût lieu — pour qu’elle découvre la vertu d’oraison. Elle n’a pas encore dix-huit ans. 4. « Vous me donnâtes en un moment par votre grâce et par votre seule bonté ce que je n’aurais pu me donner moi-même par tous mes efforts ». 5. Elle trouve son père « si changé, la langue si épaisse que je craignis fort pour lui ». Il lui fait rencontrer le « bon religieux fort intérieur de l'ordre de Saint François » [Archange Enguerrand]. 6. « Je ne laissai pas de lui parler, et de lui dire en peu de mots mes difficultés sur l'oraison. Il me répliqua aussitôt : C'est, Madame, que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. Accoutumez-vous à chercher Dieu dans votre cœur et vous l'y trouverez. » 7. « Elles furent pour moi un coup de flèche, qui percèrent mon cœur. » 8. « Je ne dormis point de toute cette nuit parce que votre amour était… comme un feu dévorant. » 9. Le bon religieux hésite devant cette jeune femme de dix-neuf ans puis est inspiré de la conduire. 1 Oraisons faciles où « toutes distinctions se perdaient pour donner lieu à l'amour d'aimer avec plus d'étendue, sans motifs, ni raison d'aimer ».

1.9 L’ORAISON AU-DESSUS DES EXTASES : 1. « L'oraison qui me fut communiquée… est bien au-dessus des extases, et des ravissements, des visions, etc., parce que toutes ces grâces sont bien moins pures. » 2-3. Les visions « empêchent de courir au seul inconnu. » 4-5. L’extase est une « sensualité spirituelle » ; les paroles intérieures distinctes sont « sujettes à l’illusion. » 6. La parole de Dieu immédiate « qui n'a aucun son ni articulation… a une efficace admirable. » 7. ‘Les révélations de l'avenir sont aussi fort dangereuses… nous ne comprenons pas ce qu'elles signifient… [elles] empêchent de vivre dans l'abandon total à la divine providence.’ 8. « La révélation de Jésus-Christ… il s'exprime lui-même en nous. » 9. « Les ravissements… un défaut dans la créature. » 1 ‘ Le véritable ravissement et l’extase parfaite s’opèrent par l’anéantissement total, où l’âme perdant toute propriété, passe en Dieu sans effort et sans violence comme dans le lieu qui lui est propre et naturel. » 11. Elle est mise « dans un état très épuré, très ferme et très solide » où Dieu prend possession de sa volonté.

1.10 AUSTÉRITÉS, AMOUR DIVIN, UNION EN CHARITÉ : 1. En relation épistolaire avec le bon père religieux. Austérités excessives, elle se déchire de ronces et d’orties à n’en pouvoir dormir. 2-3. Épisodes du crachat et du pus, sans complaisance : « Sitôt que le cœur ne répugnait plus… je n'y songeais plus depuis, car je ne faisais rien de moi-même. » 4. « En moins d'un an, mes sens furent assujettis. » 5. Plaie amoureuse à la Madeleine 1668 où les trois sermons du bon père « me faisaient d'abord impression sur le cœur, et m'absorbaient si fort en Dieu, que je ne pouvais ni ouvrir les yeux, ni entendre. » 6. « Je ne pouvais plus voir les saints ni la Sainte Vierge hors de Dieu. » 7. Prières vocales impossibles. Ce qu’elle écrit au bon père est repris dans un de ses sermons. 8. Désir de solitude où prend place une « infusion autant divine que continuelle. » 9. Anéantissement des puissances où l’âme docile « se trouve peu à peu vide de toute volonté propre », ce qui ne se produit jamais par l’exercice de notre volonté. 1 ‘ La foi s’empare si fort de l’entendement, qu’elle le fait défaillir à tout raisonnement. » 11. Comparaison de la lumière solaire qui révèle l’ensemble aux petites lumières distinctes, mais trompeuses. 12. La mémoire est « absorbée par l'espérance ; et enfin tout se perd peu à peu dans la pure charité », « cette réunion qui se fait alors s'appelle unité, union centrale. »

1.11 PURIFICATION

1. Nécessité de la mortification non par de grandes austérités, mais en refusant sans relâche les satisfactions. 2. Il faut ensuite entrer « dans un travail plus utile, qui est la mortification du propre esprit et de la propre volonté ». 3. La providence la conduit, ôte tout regard sur elle-même, « appliquée à mon unique objet, qui n'avait plus d'objet pour moi distinct, mais une généralité et vastitude entière. J'étais comme plongée dans un fleuve de paix. » 4. Elle ne peut se retourner sur elle-même pour préparer une confession. « Je demeurais là si pleine d'amour, que je ne pouvais même penser à mes péchés pour en avoir de la douleur. » 5. Dieu est amour rigoureux qui purifie par un feu secret. 6. « Vous m'appreniez qu'il ne fallait point faire de pénitences ni se confesser que vous ne fussiez satisfait vous-même. » 7-8. « Ce feu de la justice exacte est le même que celui du purgatoire. » Rien ne paraît de sa purification.

1.12 EPREUVES DOMESTIQUES.

1. je ne répondais que par mon silence. … Je ne laissai pas de leur demander pardon. 2. Fille insolente. Comme il [son mari] ne pouvait marcher sans bâton … il me le jeta avec force. 3. le confesseur aveugle de la fille dévote ; un ‘bon Père’ confesseur trop attaché. 4. ‘on voit bien que vous ne perdez pint la présence de Dieu’. 5. attrait spirituel incompris du monde. 6. ‘Je me levais dès quatre heures pour prier’. 7. le ‘bon Père’ lui fait rencontrer Geneviève Granger ‘une des plus grandes sevante de Dieu de son temps’. 8-10. Pressions du confesseur, du mari, de la belle-mère pour quitter l’oraison. 11.’Je jouais souvent au piquet.. le feu s’allumait de tout ce que l’on faisait pour l’éteindre’ [l’oraison]. 12-14. ‘je n’avais lu que le Combat spirituel qui ne dit rien de ces choses. ‘amour des croix’.

1.13 DIEU PRÉSENT, DIEU ABSENT.

1. Instinct d’immolation. 2. Impuissance des prières distinctes. Silence profond et paix,/« enfoncement en Dieu que je sentais présent » ; l’estime de soi dans les commencements, les sécheresses dûes aux infidélités ; divers états de l’âme, « l’âme donnée à l’oraison ne sent rien qu’un fort grand vide et nudité… jugeant par ce qu’elle sent elle quitte l’oraison pour l’action à son grand dommage »/3. « J'allais quelquefois voir la Mère Granger, et elle m'aidait », « Mon divertissement était d'aller voir quelques pauvres malades. » 4. L’oraison lui devient pénible. « Pour me soulager et faire diversion, je m'emplissais tout le corps d'orties. » 5. « C'était la douceur de cet amour après mes chutes qui faisait mon plus véritable tourment… O mon Dieu, est-il possible que vous soyez ainsi mon pis-aller ». 6. Confesseurs parisiens étonnés de sa pureté de conscience. « Que les autres attribuent leurs victoires à leur fidélité, pour moi je ne les attribuerai qu'à votre soin paternel ; j'ai trop éprouvé ma faiblesse. » 7. « Je fus occasion de péché, car je savais l'extrême passion que certaines personnes avaient pour moi et je souffrais qu'ils me la témoignassent. » 8. Parole médiate et parole substantielle qui cause onction de grâce, d’âme à âme, comme de Marie à Élisabeth. 9. Toute infidélité cause un feu dévorant, un exil du fond. 1 Une infidélité au cours d’un « cadeau de nuit à Saint-Cloud » la sépare trois mois de sa Source. 11. Elle ne peut étouffer le martyre du dedans. 12. Rencontre du crocheteur : « Dieu veut bien autre chose de vous ».

1.14 INFIDÉLITÉS — SOUTIEN DE LA MÈRE GRANGER

1. Voyage à Orléans et en Touraine. « Je vis bien la folie des hommes qui se laissent prendre à une vaine beauté ». 2. Confesseurs trop complaisants. /Première apparition du vieil homme passionné/. 3. Effroi en carrosse sur un chemin miné. 4. Mauvais confesseur qui tente de la culpabiliser et de la brouiller avec son mari. 5. La Mère Granger l’encourage. « La vanité me tirait au-dehors, et l'amour au-dedans. » 6. « Que mon cœur est reconnaissant, qu'il a de joie de vous devoir tout. » 7. « L’on voudrait être consumée et punie. »

1.15 LA VARIOLE

1. En rentrant au logis, elle trouve son fils aîné défiguré par la variole. La mère Granger la pousse à partir, mais sa belle-mère s’y oppose. 2. Elle en informe la Mère Granger et demeure en abandon et sacrifice 3. “Le jour de saint François (d’Assise) le quatrième d’octobre de l’année 1670, âgée de vingt et deux ans et quelques mois, étant allée à la messe, je me trouvai si mal…” Sa belle-mère s’oppose au chirurgien. 4. Résignation. 5. Un habile chirurgien intervient. 6. Le mal se porte aux yeux. 7. « De me réjouir de la liberté intérieure que je recevais par là… l'on m'en fit un crime. » 8. Mort de son cadet. 9. Son aîné est défiguré. 1 Elle s’expose à la vue de tous. /Le vieux gentilhomme reste amoureux d’elle, il lui écrit une lettre à double sens, spirituelle, se lie avec son mari, utilise un habile subterfuge l’obligeant à lire ses lettres passionnées ; son mari prête moins d’attention à la femme défigurée et plus aux critiques. /

1.16 HUMILIATIONS DOMESTIQUES

1. Une fille épiait « tous les jours que je communiais. » 2-3. « J'eus quelque temps un faible que je ne pouvais vaincre… qui était de pleurer, de sorte que cela me rendait la fable. » « L’on me tourmentait quelquefois plusieurs jours de suite sans me donner aucune relâche. » 4. Son père lui reproche de se laisser faire puis se rend à ses raisons. 5. On dit du mal de son père. « Sitôt qu'on se déclarait de mes amis, l’on n'était plus le bienvenu. » 6. Elle réconcilie sa belle-mère et son mari, quoi qu’il lui en coûte. 7. « Mon mari regardait à sa montre si j'étais plus d'une demi-heure à prier. »

1.17 PEINES ET CONFIANCE EN LA MÈRE GRANGER

1. « Nous allâmes à la campagne, où je fis bien des fautes, me laissant trop aller à mon attrait intérieur ». 2. « J'étais étonnée d'éprouver que je ne pouvais rien désirer ni rien craindre. Tout était mon lieu propre, partout je trouvais mon centre, parce que partout je trouvais Dieu. » 3. « Je me levais dès quatre heures, et restais sur mon lit. On croyait que je dormais. » 4. La providence lui facilite ses sorties pour assister à la messe et communier. 5. Providences pour écrire à la Mère Granger. 6. L’extrême confiance envers elle provoque des colères ; « ceux qui me suivaient avaient ordre de dire par tout où j’allais, s’ils y avaient manqué, ils en étaient châtiés ou renvoyés ». 7. « Je m’en plaignais quelquefois à la mère Granger, qui me disait : “Comment les contenteriez-vous, puisque depuis plus de vingt ans je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir à bout ?” » 8. On inspire à son fils le mépris à son égard. « Il me disait : “Ma grand-mère dit que vous avez été plus menteuse que moi.” » 9. Son mari « n'avait que du rebut pour tout ce qui venait de moi. Je tremblais quelquefois lorsque je l'approchais… »

1.18 LE P. LA COMBE — PROMPTITUDES ET CHARITÉ

1. Rencontre du P. La Combe après « huit ou neuf mois que j'avais eu la petite vérole ». « Dieu lui fit tant de grâces par ce misérable canal qu'il m'a avoué depuis qu'il s'en alla changé en un autre homme. » 2. Oraison continuelle, alternances du goût de la présence et de la peine de l’absence. 3-5. Croix désirées, mais sensibles ! 6. Promptitudes. 7. Grandes charités/pour les pauvres et malades. /8. La vertu lui devient pesante/« dès la seconde année de mon mariage, Dieu éloigna… mon cœur de tous les plaisirs sensuels. »/

1.19 M. BERTOT — MORT DE SON PÈRE

1. Elle rencontre M. Bertot par l’intermédiaire de la Mère Granger, le lendemain des « effroyables vents de la St Matthieu » [le 21 septembre 1671]. 2. Elle va à Paris, quittant son père malade et sa fille « unique autant aimée qu'elle était aimable. » Elle voit M. Bertot, mais ne peut communiquer facilement avec lui : « Ma disposition du dedans était trop simple pour en pouvoir dire quelque chose. » 3. « Dix jours de l'Ascension à la Pentecôte dans une abbaye à quatre lieues de Paris. » 4. « Vive impression que mon père était mort. » 5. « Si j'avais une volonté, il me paraissait qu'elle était avec la vôtre comme deux luths bien d'accord. » 6-7. Averti par lettre, elle part immédiatement en carrosse. 8-9. Son père est déjà enterré et sa fille meurt. 1 Contrat de mariage spirituel dressé par la Mère Granger, la veille de la Madeleine. 11. « Il me semble que vous fîtes alors de moi votre temple vivant. » 12. « Depuis ce temps les croix ne me furent pas épargnées. » 13. « Le jour de l’Assomption de la Vierge de la même année 1672’, en grande détresse elle pense à M. Bertot qui lui écrit ce même jour. 14. Soutiens et destructions divines.

1.20 UN SILENCE EFFICACE, PÈLERINAGE, MORT DE LA MÈRE GRANGER, HABILETÉ EN AFFAIRES

1. La femme du gouverneur de Montargis est touchée de Dieu. 2. Une dame en « parlait scientifiquement », mais « votre silence avait quelque chose qui me parlait jusque dans le fond de l'âme et je ne pouvais goûter ce qu'elle me disait. » Grandes épreuves de cette même femme dans lesquelles « Dieu lui donnait par mon moyen tout ce qui lui était nécessaire. » 3. Petit voyage. Péril en carrosse. 4. Pèlerinage à Sainte-Reine, passage à Saint-Edmé, second fils, mort de la Mère Granger. 7. “M. Bertot, quoiqu’à cent lieues… eut connaissance de sa mort et de sa béatitude et aussi un autre religieux. Elle mourut en léthargie, et comme on lui parlait de moi à dessein de la réveiller, elle dit : « Je l’ai toujours aimée en Dieu ».” Heureuse grossesse. 8. Mariage et hostilité de son frère. Elle parle trop de son état intérieur. 9. Son frère manifeste son hostilité en méprisant son fils. 1 La légèreté du même frère risque de ruiner son mari. Elle va trouver les juges : tout se règle au mieux.

1.21 LES ÉPREUVES DE L’AMOUR JANSÉNISTE

1. Liaison avec un ecclésiastique janséniste qu’elle pense gagner à la vérité. 2. Elle perd tout sentiment perceptible de Dieu. 3. Elle « ne se trouve rempli que d'un amour tout opposé à son Dieu. » 4. Les fêtes sont l’occasion de sécheresses, car la grâce est plus abondante et opère alors selon cette voie de foi. 5. « Tout notre bonheur spirituel, temporel et éternel, consiste à nous abandonner à Dieu. » 6. « Mon cœur était pris… Ce qui me faisait moins défier est qu’il était très honnête… Je sentais mon inclination croître chaque jour. » 8. « Il tomba bien malade… je sentais en moi que l'envie de le perdre… Il guérit cependant et nous fûmes plus unis et plus divisés que jamais. » 9. « Je voulais rompre et il renouait, il m'écrivait et je lui répondais. » « Je croyais être perdue… M. Bertot ne me donna plus de secours. » 10-11. « Le ciel était fermé » ; « il n’y avait plus qu’un juge rigoureux. » 12. M. Bertot « me défendit toutes sortes de pénitences. » 13. « Il me semblait… que l'enfer s'allait ouvrir pour m'engloutir. »

1.22 MORT DE SON MARI

1. « Comme mon mari approchait de sa fin, son mal devint sans relâche… l'on ne faisait que l'aigrir. » Sa belle-mère ne garde plus de mesure à son égard. 2. Saisissement de cinq heures. / La manière dont Dieu se servit pour toucher un religieux. / 3. Ermitages dans la campagne, elle plante des croix. 4. Grosse de sa fille. / Dans mes maladies… je faisais une retraite particulière. / 5-7. Après « douze ans et quatre mois dans les croix du mariage » son mari meurt avec grand courage “le matin du 21 juillet 1676’. « Il me donna des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre des gens dont je dépends à présent. » ; ‘À quelques années de là, la Mère Granger m'apparut en songe, et me dit : « Soyez assurée que Notre Seigneur pour l'amour qu'il vous porte a délivré votre mari du purgatoire le jour de la Madeleine ».’ 8-9. Elle ne peut exprimer de peine. Elle lui fait un enterrement magnifique. / J’ai oublié de dire qu’après la mort de mon père j’eus bien à souffrir… des différents entre frère et mari. / 1 Elle règle avec succès un ensemble de procès. 11. On lui conseille de se séparer de sa belle-mère et de la mauvaise fille, ce qu’elle ne fait pas.

1.23 LA NUIT DE LA COLÈRE DE DIEU

1. « Je vais décrire de suite les peines par où j’ai passé pendant sept années ». 2-3. ‘Vous commençâtes, à vous retirer de moi… Je m'en plaignis à la Mère Granger… je lui dis que je ne vous aimais plus… elle me dit en me regardant : « Quoi ! vous n'aimez plus Dieu ? » Ce mot me fut plus pénétrant qu'une flèche ardente.’ 4. « Je ne connaissais pas alors ce que c'était que la perte de notre propre force pour entrer dans la force de Dieu. » 5-6. Vers l’état de mort. 7. « Il ne me restait plus rien de vous… que la douleur de votre perte, qui me paraissait réelle. Je perdis encore cette douleur pour entrer dans le froid de la mort. Il ne me restait qu'une assurance de ma perte. » 8. Promptitudes, réveil des appétits. 9. ‘Le poids de la colère de Dieu m'était continuel. Je me couchais sur un tapis… et je criais de toutes mes forces lorsque je ne pouvais être entendue, dans le sentiment où j’étais du péché, et dans la pente que je croyais avoir pour le commettre : « Damnez-moi, et que je ne pèche pas ».’ 1 ‘ M. Bertot m’abandonna. » 11. Elle accouche quand même de sa fille [née après la mort de son mari]. 12-14. Description de la nuit portée « sept années, et surtout cinq ans, sans un instant de consolation. »

1.24 AIDE DU PRÉCEPTEUR, VENGEANCE DU JANSÉNISTE

1. Patience vis-à-vis d’une fille alcoolique. 2. À Paris, en deux mois elle parle deux fois brièvement à M. Bertot. Il lui trouve un prêtre précepteur pour son fils. 3. Il veut la « remettre dans les considérations ». Épisode de la lettre qui lui avait autrefois été adressée. « Sans ce procédé, j'aurais toujours subsisté dans quelque chose. » Persécutions de l’ecclésiastique janséniste. Elle est utile intérieurement au prêtre précepteur. /Récit des persécutions du janséniste et de ses amis. Il s’allie à la belle-mère et tente de la discréditer par une supposée liaison avec le précepteur. /5. Le janséniste prêche publiquement contre elle comme d’une « personne qui après avoir été l'exemple d'une ville en était devenue le scandale. » 6-7. Sa réputation se perd. 8. M. Bertot refuse qu’elle se défasse de l’ecclésiastique. « Je ne croyais pas qu'il y eût au monde une personne plus mauvaise que moi. »

1.25 TOUJOURS LA NUIT

1. Le sensible lui est définitivement ôté pour « cette personne » comme pour toute autre. 2. Impuissante pour toute œuvre. Elle est recherchée par plusieurs. « Je n'osais pas désirer de jouir de vous, ô mon Dieu, mais je désirais seulement de ne pas vous offenser. » 3. « Je ne pouvais ne vouloir pas mourir. » 4. « Tout me paraissait plein de défauts : mes charités, mes aumônes, mes prières, mes pénitences… » 5. « J'entrai dans une secrète complaisance de ne voir en moi aucun bien sur quoi m'appuyer. » 6. « J'avais de la joie de ce que ce corps de péché allait bientôt être pourri et détruit. » 7. « Je ne mangeais pas en quatre jours ce qu'il me faut en un seul repas médiocre. » 8. « Je voyais ma peine comme péché. » « Ce qui me consolait… était que vous n'en étiez pas moins grand, mon Dieu. » 9. « Vous purifiâtes… le mal réel par un mal apparent. »

1.26 ÉPREUVES ET DÉSOLATION

1. Elle est abandonnée du « premier religieux » [Enguerrand] : « Il m'était alors tellement indifférent d'être condamnée de tout le monde et des plus grands saints, que je n'en avais nulle peine. » 2. « Mes maladies me devinrent des temps de plus grande impuissance et désolation. » 3. On accuse faussement le précepteur « de sorte qu’il me fallut boire la double confusion qui me venait de lui et de moi. » 4. « Enfin je me vis réduite à sortir au fort de l'hiver avec mes enfants et la nourrice de ma fille. » 5. Elle essaye sans succès de s’entendre avec sa belle-mère. 6. Elle n’est pas maître de choisir ses domestiques. 7. Explication avec témoin. 8. Retournement : « Ce monsieur lui-même fut accusé des mêmes choses dont il m'avait accusée et d'autres bien plus fortes. »

1.27 LA FIN DE LA NUIT — LE PÈRE LA COMBE

1. Avant la mort de son mari elle avait eu l’intention de s’expliquer à un homme de mérite, mais cela provoqua un reproche intérieur intense : « Vous avez été, ô mon Dieu, mon fidèle conducteur, même dans mes misères. » 2. L’âme « se trouve au sortir de sa boue… revêtue de toutes les inclinations de Jésus-Christ. » 3. « Elle a aussi pour le prochain une charité immense. » « J’oubliais presque toutes les menues choses… j’allais en un jour plus de dix fois au jardin pour y voir quelque chose pour le rapporter à mon mari et je l’oubliai… je ne comprenais ni entendais plus les nouvelles qui se disaient devant moi. » 4. « Une des choses qui m'a fait le plus de peine dans les sept ans dont j'ai parlé, surtout les cinq dernières, c'était une folie si étrange de mon imagination qu'elle ne me donnait aucun repos. » 5. « Il me semblait, ô mon Dieu, que j'étais pour jamais effacée de votre cœur et de celui de toutes les créatures. » 6. Elle écrit au P. La Combe qu’elle est « déchue de la grâce de mon Dieu », « Il me répondit… que mon état était de grâce. » 7. ‘Genève me venait dans l'esprit… Je me disais à moi-même : « Quoi ! pour comble d'abandon, irai-je jusqu'à ces excès d'impiété que de quitter la foi par une apostasie ? ». Elle se sent unie au P. La Combe ; elle rêve de la mère Bon [qu’elle identifiera plus tard]. 8. ‘Huit ou dix jours avant la Madeleine de l'an 1680’ elle écrit au P. La Combe qui célèbre la messe pour elle : ‘il lui fut dit par trois fois avec beaucoup d’impétuosité : “Vous demeurerez dans un même lieu”.’

1.28 LA PAIX-DIEU

1. ‘Ce fut ce jour heureux de la Madeleine que mon âme fut parfaitement délivrée de toutes ces peines… Je me trouvais étonnée de cette nouvelle liberté… Ce que je possédais était si simple, si immense… la paix-Dieu.’ 2. ‘J'étais bien éloignée alors de m'élever.’ 3. ‘Toute facilité pour le bien me fut rendue bien plus grande qu'auparavant.’ 4. ‘Plus j'avançais, plus la liberté devenait grande… J'étais étonnée de la netteté de mon esprit, et de la pureté de mon cœur.’ 5. ‘… trouvant partout dans une immensité et vastitude très grande celui que je ne possédais plus, mais qui m'avait abîmée en lui.’ 6. ‘En perdant Dieu en moi, je le trouvai en lui dans l'immuable pour ne le plus perdre.’ 7. ‘Quel bonheur ne goûtais-je pas dans ma petite solitude.’ 8. ‘Vous me traitâtes comme votre serviteur Job’… ‘une autre volonté avait pris la place… volonté toute divine, qui lui était cependant si propre et si naturelle qu'elle se trouvait infiniment plus libre dans cette volonté qu'elle ne l'avait été dans la sienne propre.’ 9. ‘Ces dispositions, que je décris comme dans un temps passé afin de ne rien confondre, ont toujours subsisté et se sont même toujours plus affermies et perfectionnées jusqu'à l'heure présente.’ 1 ‘ Union d'unité… heureuse perte… goutte d'eau jetée dans la mer.’

1.29 GENÈVE ?

1. Un confesseur de rencontre lui déclare : ‘Je me sens un fort mouvement intérieur de vous dire que vous fassiez ce que Notre Seigneur vous a fait connaître qu'il voulait.’ 2. Songe de la croix qui vient à sa rencontre. 3. Rencontre de M. de Genève de passage à Paris. 4. Il lui parle des Nouvelles Catholiques de Gex. 5. Elle voit la Supérieure de Paris… Comme c'est une grande servante de Dieu, cela me confirma.’ Elle consulte dom Claude Martin, le fils de la Mère de l'Incarnation du Canada.’ 6. M. Bertot « me dit que mon dessein était de Dieu et qu'il y avait déjà quelque temps que Dieu lui avait fait connaître qu'il voulait quelque chose de moi. » 7. Rêve d’un animal : « Je trouvai qu'il avait empli mes doigts comme d'aiguilles… » 8. « L’on s'étonnera sans doute que, faisant si peu de cas de tout l'extraordinaire, je rapporte des songes… » 9. Rêve qui annonce des opprobres d’une religieuse des Bénédictines. 1 Encouragements de nombreuses personnes, dont Claude Martin. 11. « Je mettais ordre peu à peu, sans empressement, ne voulant pas faire la moindre chose ni pour faire différer l'affaire, ni pour l'avancer, ni pour la faire réussir. La Providence était ma seule conduite. »

1.30 REGRETS À SON DÉPART, HÉSITATIONS

1. Sa belle-mère est transformée : « vous lui ouvrîtes les yeux et vous changeâtes sa rigueur en tendresse. »/[Dans le passé] sa mère voulut avantager son frère ce qui lui occasionna des croix de son mari et de sa belle-mère. /2. De même la fille « qui jusqu'alors avait été mon fléau. » 3-4. Madame Guyon porte le purgatoire d’un prêtre et d’une religieuse. 5. « L'année que je partis pour m'en aller… La nécessité devint extrême… les charités secrètes étaient plus fortes. J'avais des filles en métier et de petits garçons. Tout cela fut cause que ma sortie fût bien plus blâmée. » Elle soigne un pauvre soldat. 6. “Ce qui me faisait encore plus de peine [de partir] était la tendresse que j’avais pour mes enfants.” 7. « Je ne désire point que ma prison finisse… j'ose dire avec mon Apôtre : Je ne vis plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi. » 8-9. “Cet institut [des Nouvelles Catholiques] était opposé à mon esprit et à mon cœur.” Hésitations. 10-11. Rencontre incognito avec la sœur Garnier. 12. « Elle me dit que je ne devais point me lier avec elle et que ce n'était pas votre dessein. » 13. « M. Bertot… était mort quatre mois avant mon départ… il m'a semblé qu'il me fit part de son esprit pour aider ses enfants. » 14. Elle fait préparer un contrat par crainte d’une ruse de la nature qui ne veut point se détacher.


LA VIE PAR ELLE-MÊME : II VOYAGES


2.1 LE VOYAGE DE MELUN A GEX

1. Elle ne signe pas le contrat d’engagement. 2. Elle a la grâce de mettre ses affaires « en un très grand ordre » ; « ce fut en ce temps qu'il me fut donné d'écrire par l'esprit intérieur. » 3-4. « Je menai avec moi ma fille et deux filles… Nous partîmes sur l'eau quoique j'eusse pris la diligence pour moi afin que, si l'on me cherchait, on ne me trouvât pas. Je fus l'attendre à Melun. … ma fille, sans savoir ce qu'elle faisait, ne pouvait s'empêcher de faire des croix. » 5. Une religieuse « vit mon cœur entouré d'un si grand nombre d'épines qu'il en était tout couvert. » 6. « À Corbeil… je vis le Père dont Dieu s'était servi le premier pour m'attirer si fortement à son amour… il crut que je ne pourrais pas m'accoutumer avec les Nouvelles Catholiques ». (Déplacement P :) 8. Voyage en diligence à partir de Melun. « La gaieté extérieure que j'avais, même au milieu des plus grands périls, les rassurait. » 7. « Je donnai dès Paris… tout l'argent que j'avais… Je n'avais ni cassette fermant à clef ni bourse. » 9. « Nous arrivâmes à Annecy la veille de la Madeleine 1681 ; et le jour de la Madeleine, M. de Genève nous dit la messe au tombeau de saint François de Sales. » 1 Le lendemain soir elle arrive à Gex où elle ne trouve que quatre murs. « Je voyais ma fille fondre et maigrir. »

2.2 COMMUNICATION & PRÉSAGES

1. « Sitôt que je vis le père La Combe, je fus surprise de sentir une grâce intérieure que je peux appeler communication. » 2. Elle craint la voie de lumières de ce dernier. 3-5. Deux nuits, « avec un fort écoulement de grâce, ces paroles [me furent] mises dans l’esprit : Il est écrit de moi que je ferai votre volonté. /Tu es Pierre et sur cette pierre j'établirai mon Église. /6-8. Rencontre d’un ermite qui voit des épreuves à venir pour elle et le père qui « fut dépouillé de ses habits et revêtu de l'habit blanc et du manteau rouge » ; « nous abreuvions des peuples innombrables. » 9. Elle éprouve de grandes angoisses pour sa fille.

2.3 ÉTAT APOSTOLIQUE —A THONON

1. « Le père La Mothe… me mandait… que ma belle-mère, en qui je me fiais pour le bien de mes enfants et pour le cadet, était devenue en enfance, et que j'en étais cause : cela était cependant très faux… je commençais alors à porter les peines en manière divine,… l'âme pouvait… sans nul sentiment être en même temps et très heureuse et très douloureuse. » 2. Critiques, lettre de son cadet. 3. Problèmes de sommeil et de nourriture. 4. « Ceux qui me voyaient disaient que j'avais un esprit prodigieux. Je savais bien que je n'avais que peu d'esprit, mais qu'en Dieu mon esprit avait pris une qualité qu'il n'eut jamais auparavant. » 5-6. Visite de M. de Genève qui lui ouvre son cœur. Il lui donne le père La Combe pour directeur. 7. Maladie, négligence des sœurs. Elle est guérie par le père. À Thonon chez les Ursulines. 8. Vœux perpétuels. 9-1 État d’enfance. 11. « J'ai été quelques années que je n'avais que comme un demi-sommeil. »

2.4 ÉTAT DE VASTITUDE

1-2. Description de son état de « vastitude ». 3. « Ma tête se sentait comme élevée avec violence. » 4. Vol de l’esprit. 5. « Dieu peu à peu la perd en soi, et lui communique ses qualités, la tirant de ce qu'elle a de propre. » 6. « Tout entre-deux se perdit. » 7. Abîmée pendant trois jours, « la joie c’est qu'il paraît à l'âme qu'elle ne lui sera plus ôtée. » 8. « L'âme connaît alors que tous les états des visions, révélations, assurances, sont plutôt des obstacles… parce que l'âme accoutumée aux soutiens a de la peine à les perdre… Alors toute intelligence est donnée sans autre vue que la foi nue. » 9. Elle retourne à Gex. Chute de cheval. 1 On l’estime à Paris, dont Mlle de Lamoignon.

2.5 COMBATS

1. Elle se défait de son bien, signant tout ce que veut sa famille. 2-3. Elle sait que les croix viennent de Jésus-Christ. Manifestations démoniaques. 4. Elle empêche la liaison d’une très belle fille avec un ecclésiastique. 5-6. Celui-ci médit sur elle et gagne une religieuse. 7-8. Heureuse veille de trois jours ; M. de Genève lui envoie un Enfant Jésus distribuant des croix. 9. « Je vis la nuit en songe… le Père La Combe attaché à une grande croix. » 1 L’ecclésiastique gagne la fille et la supérieure.

2.6 REFUS DU SUPÉRIORITÉ, DÉPART DU P. LA COMBE

1. L’ecclésiastique fait entendre à M. de Genève « qu'il fallait, pour m'assurer à cette maison, m'obliger d'y donner le peu de fonds que je m'étais réservé, et de m'y engager en me faisant supérieure. » 2. Le même intercepte le courrier. 3. « L’on me proposa l'engagement et la supériorité », “Je lui [la supérieure] témoignai encore que certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas.” 4. Elle s’oppose à ce que la supérieure s’engage à obéir au père La Combe. 5-6. « Le principal caractère du père La Combe est la simplicité et la droiture ». On lui tend des pièges. L’ecclésiastique envoie à Rome sans succès huit propositions litigieuses tirées d’un sermon du père. 7-8. On oppose le père à M. de Genève qui lui demande de faire pression sur elle. Dans sa droiture le père refuse. 9. Les sœurs la poursuivent. 1 L’ecclésiastique et un de ses amis décrient le père. Celui-ci part en Italie. 11. Vision prémonitoire alarmante d’un prêtre.

2.7 PERSÉCUTIONS. LES DEUX GOUTTES D’EAU

1. Persécution. Vingt-deux lettres interceptées. Relations entre le P. La Motte et M. de Genève. 2. Comment se disculper de maltraiter une personne qui a donné tout son bien. 3. Inventions sur ses relations avec le père La Combe. 4. Dans un couvent, très au repos avec sa fille. 5. État simple nu et perdu. 6-7. Il lui faut devenir « souple comme une feuille ». 8. “L’on s'abandonne à des hommes qui ne sont rien… et si l'on parle d'une âme qui s'abandonne toute à son Dieu… on dit hautement : « Cette personne est trompée avec son abandon ».” 9. « En songe deux voies… sous la figure de deux gouttes d'eau. L'une me paraissait d'une clarté, d'une beauté et netteté sans pareille, l'autre me paraissait avoir aussi de la clarté, mais elle était toute pleine de petites fibres ou filets de bourbe. » 1 Voie de foi et voie de lumières. Un songe lui fait connaître que le père La Combe lui a été donné pour passer à la voie de foi. 11. « Ma difficulté c’était de le dire à ce père. » Elle lui déclare qu’elle est sa mère de grâce et il en est intérieurement confirmé. 12. L’ecclésiastique tourmente la belle fille, qui demeure ferme. 13. « Après Pâques de l'année 1682, M. de Genève vint à Thonon. » Il convient de la sainteté du père.

2.8 ENSEIGNEMENT

1. « Mon âme était ainsi que je l'ai dit, dans un abandon entier et dans un très grand contentement au milieu de si fortes tempêtes. » 2. « Cette âme n'a aucune douceur ni saveur spirituelle : cela n'est plus de saison, elle demeure telle qu'elle est, dans son rien pour elle-même et c'est sa place ; et dans le tout pour Dieu. » « Ce que j’ai marqué était déjà écrit en mai 1682. » 3. « l'âme demeure inébranlable, immobile, portant sans mouvement la peine que lui cause sa faute, sans action pour simple qu'elle soit. » 4. « Ses plus grandes fautes sont ses réflexions, qui lui sont alors très dommageables, voulant se regarder sous prétexte même de dire son état… La vue propre est comme celle du basilic qui tue. » 5. « Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans l’infirmité ». 6. « L’âme est inébranlable pour laisser aller et venir la grâce » ; « Rien ne remplit un certain vide qui n'est plus pénible. » 7. « Se laisser perdre, sans avoir pitié d'elle-même, sans regarder à rien ni s'appuyer sur rien. » 8. « Elle a tout ce qu'il lui faut, quoique tout lui manque. » 9. « Bien loin de l'orgueil, ne se pouvant attribuer que le néant et le péché ; et elles sont si unes en Dieu qu’elles ne voient plus que lui. » 1 ‘ Elle ne connaît plus ses vertus comme vertus, mais elle les a toutes en Dieu comme de Dieu, sans retour ni rapport à elle-même. » 11-12. « Il nous fait entrer dans la liberté de ses enfants adoptés. » 13. « La conduite de la providence suivie à l'aveugle fait toute sa voie et sa vie, se faisant tout à tous, son cœur devenant tous les jours plus vaste pour porter le prochain. » 14. « C'est où commence la vie apostolique. … Dieu les dépouille, les affaiblit, les dénue tant et tant que, leur ôtant tout appui et tout espoir, elles sont obligées de se perdre en lui. Elles n'ont rien de grand qui paraisse. »

2.9 L’ÉTAT FIXE N’EXCLUT PAS DES SOUCIS

1-4. Les orages s’amoncellent. Calomnies. 5. Le Père est estimé à Rome. Souci pour sa fille. 6. « Ma sœur vint me trouver avec cette bonne fille au mois de juillet 1682. » 7. La porte étroite : l’humilité importe plus que les lumières ! 8. Retour du Père, sa nuit : « La première chose qu'il me dit, ce fut que toutes ses lumières étaient tromperies. » 9. « M. de Genève écrivit au Père La Mothe pour l'engager à me faire retourner. Le père La Mothe me le manda. Je me voyais dépouillée de tout, sans assurance et sans aucun papiers, sans peine et sans aucun souci de l’avenir. » 1 ‘ Le premier carême que je passai aux Ursulines » : mal des yeux, enflure à la tête, fille à la mort. 11. Soucis pour l’éducation de sa fille. 12. L’état fixe n’exclut pas des soucis, comme d’un or purifié qu’il faut nettoyer en surface. 13. Peine donnée de Dieu.

2.10 LA DIRECTION DES ÂMES

1-2. Suite de l’exposé des soucis pour sa fille. 3. Souffrances pour les âmes, fermeté pour des défauts subtils. 4. « Avec les âmes de grâce… je ne puis souffrir les conversations longues et fréquentes… notre penchant corrompant tout. » 5-6. « Une âme qui se laisse conduire par la providence dans tous les moments trouve que sans y penser elle fait tout bien. » 7. « Ardeur pour le martyre… Tout cela est très excellent, mais celui qui se contente du moment divin, quoiqu’exempt de tous ces désirs, est infiniment plus content et glorifie Dieu davantage. » 8-9. Instinct foncier de retourner au centre. 1 « S’amusant à tous les objets créés fait diversion, et ôte l'attention de l'âme, en sorte qu'elle ne sent cette vertu attirante du centre. »/Fin de l’an 1682 add.marg. /

2.11 LES TORRENTS. UNION AU P. LA COMBE.

1. Le père La Combe de retour à Rome est mis dans la voie de foi nue, ce qui le fait douter. Les lumières sont véritables, mais l’interprétation qu’on leur donne est douteuse. 2. « J’éprouvais le soin que vous preniez de toutes mes affaires ». Épisode du ballot retrouvé. 3. M. de Genève la persécute en sous-main. “Il écrivit même contre moi aux ursulines… le supérieur de la maison… et la supérieure, aussi bien que la communauté, se trouvèrent si indignés de cela, qu’ils ne purent s’empêcher de le témoigner à lui-même, qui s’excusait toujours… sur un « je ne l’entendais pas de cette sorte ».” 4. Retraite avec le Père. « Ce fut là où je sentis la qualité de mère. » 5. « Cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n'étais pas encore accoutumée à cette manière d'écrire ; cependant j'écrivis un traité entier de toute la voie intérieure sous la comparaison des rivières et des fleuves. » 6. « Dieu me faisait sentir et payer avec une extrême rigueur toutes ses résistances » ; « je passais quelquefois les jours sans qu'il me fût possible de prononcer une parole » ; « Tout ce que j'avais écrit autrefois… fut condamné au feu par l'amour examinateur. » 7. Union avec le père La Combe. « Il me fallait dire toutes mes pensées, il me semblait que par là je rentrais dans l’occupation de moi-même. » 8. « Je lui disais avec beaucoup de fidélité tout ce que Dieu me donnait à connaître qu'il désirait de lui, et ce fut là l'endroit fort à passer. »

2.12 POUVOIR SUR LES ÂMES

1. Obéissance au Père. 2-3. Elle a puissance d’ôter les démons qui tourmentent la fille que sa sœur avait amenée et de la guérir. 4. « Lorsque cette vertu n'était pas reçue dans le sujet faute de correspondance, je la sentais suspendue dans sa source, et cela me faisait une espèce de peine. » 5. Elle reprend une sœur méprisante de la tentation d’une compagne. Cette sœur, à son tour, entre dans un terrible état. 6. Maladie de septembre à mai. Fièvre, abcès à l’œil. État de petit enfant. 7. Elle éprouve en même temps un pouvoir sur les âmes.

2.13 LA COMMUNICATION INTÉRIEURE

1. Épreuve : « Il fallait, à quelque extrémité que je pusse être, que j'écoutasse leurs différends. » 2-3. « Le père me défendit de me réjouir de mourir. » 4. Échange de maladie. 5. « Vous m'apprîtes qu'il y avait une autre manière de converser. » Union avec le Père. « J’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait. » « Peu à peu je fus réduite à ne lui parler qu'en silence. » 6-7. « Cette communication est Dieu même, qui se communique à tous les bienheureux en flux et reflux personnel. » 8. « Tous ceux qui sont mes véritables enfants ont d'abord tendance à demeurer en silence auprès de moi, et j'ai même l'instinct de leur communiquer en silence ce que Dieu me donne pour eux. Dans ce silence je découvre leurs besoins et leurs manquements. » 9. « il ne m'a point éclairée par des illustrations et connaissances, mais en me faisant expérimenter les choses. » 10-12. « O communications admirables que celles qui se passèrent entre Marie et Saint Jean ! » « Quelquefois Notre Seigneur me faisait comme arrêter court au milieu de mes occupations, et j’éprouvais qu’il se faisait un écoulement de grâce. »

2.14 AUX PORTES DE LA MORT

1-3. « Vous me montrâtes à moi-même sous la figure de cette femme de l’Apocalypse… [J’ai] confiance que, malgré la tempête et l’orage, tout ce que vous m’avez fait dire ou écrire sera conservé. » 4. « J’aperçus, non sous aucune figure, le dragon… la mort s’approchait toujours de mon cœur… [le Père] dit à la mort de ne passer pas outre. » 5. Établissement d’un hôpital. 6. « La supérieure eut de fortes croix à mon occasion… après y avoir été deux ans et demi ou environ, elles furent plus en repos. » 7. Le Père la quitte pour aller chez M. de Verceil. Elle sort des Ursulines et trouve une petite maison : « Jamais je n'ai goûté un pareil contentement. » 8. Voyage périlleux à Lausanne.

2.15 EN PIÉMONT

1. Heureuse dans sa petite maison. 2. « La marquise de Prunai, sœur du premier secrétaire d’État de Son Altesse Royale… Lorsqu’elle sut que j’avais été obligée de quitter les Ursulines… elle obtint une lettre de cachet pour obliger le père La Combe d’aller à Turin… et de me mener avec lui. » 3. « Il fut conclu que j'irais à Turin et que le Père La Combe m'y conduirait et de là irait à Verceil. Je pris encore un religieux de mérite. » Calomnies répandues par le P. La Mothe. 4. « Le père La Combe se rendit à Verceil, et je restai à Turin chez la Marquise de Prunai » (5 déplacé) 6. M. de Verceil « désirait extrêmement de m'avoir. C'était madame sa sœur, religieuse de la Visitation de Turin, qui est fort de mes amies, qui lui avait écrit de moi… mais un certain honneur, un respect humain me retenait. » 7. Le Père est encore intérieurement divisé, source de souffrance. 5. Invitation de l’évêque d’Aoste, au début de son séjour à Turin. 8. Le Père est ébloui par une pénitente en lumières. Lettre. 9. Il pense qu’elle est orgueilleuse. Essayant d’accepter ce reproche elle défaille, il est « éclairé dans ce moment du peu de pouvoir que j'avais en ces choses. »

2.16 DOULEURS ET RÊVES, LE MONT LIBAN

1. Souffrances pour purifier la fille qui l’accompagne. 2. Effets physiques : « Elle me prit le bras. La violence de la douleur fut si excessive… je me mordis. » 3. « Songe… de plusieurs animaux qui sortaient de son corps. » 4. « Elle entra extérieurement dans un état qui aurait pû passer pour folie. » 5. Depuis ce temps elle connaît les âmes par le fond. 6. M. de Genève la poursuit de ses lettres adressées à la Cour de Piémont. 7. Rêve du mont Liban et des deux lits. 8. État immobile de bonheur inaltérable.

2.17 COMMUNICATION CONSCIENTE

1. Elle convertit un religieux, 2. sait qu’il abandonnera. 3. Elle sent un an plus tard son abandon. « Infidèles, je sentais qu'ils m'étaient ôtés et qu'ils ne m'étaient plus rien, ceux que Notre Seigneur ne m'ôtait pas et qui étaient chancelants ou infidèles pour un temps, il me faisait souffrir pour eux. » 4. Conversion d’un violent. 5. Rêve des oiseaux. Le plus beau n’est pas encore venu. 6. Le Père lui ordonne de retourner à Paris. 7. Elle demeure un temps à Grenoble. État apostolique : « Il venait du monde de tous côtés, de loin et de près. » Le père retourne à Verceil. 9. Suite de l’état apostolique.

2.18 COMMUNICATION ET MATERNITÉ SPIRITUELLE

1. Différence entre de simples âmes de passage et ses enfants. Pour ces derniers elle pouvait éprouver « un mal violent à l'endroit du cœur, qui était cependant spirituel… il me faisait crier de toutes mes forces, et me réduisait au lit. » 2. « Deux heures de cette souffrance me changeaient plus que plusieurs jours de fièvre. » 3. Mauvais religieux. 4. De saintes filles et femmes de pauvre condition sont en butte aux persécutions de mauvais religieux. 5-6. Bons religieux du même ordre. 7. Tous l’appellent « mère » sans savoir pourquoi. 8. Notre Seigneur donne toujours ce qu’il faut pour nourrir les âmes. 9. Maternité spirituelle.

2.19 COMMUNICATION, SÉPARATION DU PÊCHEUR

1. Direction d’une fille qui, éloignée, éprouve de l’aversion. 2. « O ma mère, que j'ai bien senti ce que Dieu est en vous ! » 3. Ses démons sont chassés. 4. « Plus elle me cachait les choses, plus Notre Seigneur me les faisait connaître et plus il la rejetait de mon fond. » 5. Ce n’est pas Dieu qui rejette le pécheur, mais lui-même. 6. « Il cesse d'être pécheur sitôt qu'il cesse de vouloir l'être. » 7. « La mort fixe pour toujours la disposition de l'âme. » 8. « Sa peine du dam et du sens tout ensemble ne vient que de son impureté et dissemblance. » 9. « Il les purifie non seulement de l’effet du péché, mais de la cause. » 1 ‘ Cette fille fut rejetée de mon fond. La cause était subsistante en elle et non dans ma volonté. » 11. En Piémont, rêve d’une dame : « Ils étaient tous enfants et petits… portant sur leurs habits les marques de leur candeur et innocence. Elle crut que je venais là pour me charger des enfants de l'hôpital. »

2.20 COMMUNICATIONS EFFICACES

1. Un bon frère reçoit la grâce par son intermédiaire. 2. « Il lui était donné de communiquer avec moi en silence. » 3. « Ô hiérarchie admirable, qui commence dès cette vie pour continuer dans toute l'éternité. » 4. « Pour la communication en silence, ceux qui sont en état de la recevoir ne sont pas pour cela en état de la communiquer. Il y a un grand chemin à faire auparavant. » 5. Des compagnons sont convertis. 6. Transformation d’un novice. 7. Finalement le Père maître et le supérieur sont convaincus. 8-9. Autres enfants spirituels. 1 Une sœur est délivrée de sa peine.

2.21 EXPLICATIONS, CANTIQUE, MOYEN COURT

1-2. Elle lit et écrit des Explications de l’Écriture sainte. 3. « Vous me faisiez écrire avec tant de pureté, qu'il me fallait cesser et reprendre comme vous le vouliez. » 4-5. « Il me semble, ô mon Dieu, que vous faites de vos plus chers amis comme la mer fait de ses vagues. » 6. « Tout est pour Dieu, sans retour ni relation à elles-mêmes. » 7. Jalousies. 8. « L'écrivain ne pouvait, quelque diligence qu'il fît, copier en cinq jours ce que j'écrivais en une nuit. » 9. « J’écrivis le Cantique des Cantiques en un jour et demi ». 1 Moyen court et facile de faire oraison édité par un ami conseiller du Parlement. 11. Elle guérit le bon frère quêteur, son copiste. 12. Le démon maltraite ses amies.

2.22 COMMUNICATIONS ET SOUFFRANCE POUR LE P. LA COMBE

1. Rêve prémonitoire d’une fille. 2. Crucifige. 3. « J'avais la même union et la même communication avec le père La Combe quoiqu'il fût si éloigné… Souvent la plénitude trop grande m'ôtait la liberté d'écrire. » 4. « Avant que d'écrire sur le livre des Rois de tout ce qui regarde David, je fus mise dans une si étroite union avec ce saint patriarche… » 5. Conversation : « Cet amour pur ne souffrait aucune superfluité ni amusement. » « Il y en avait d'autres, comme j'ai dit, auxquelles je ne pouvais me communiquer qu'en silence, mais silence autant ineffable qu'efficace. » 6. Communications. « Saint Augustin… se plaint qu'il en faut revenir aux paroles à cause de notre faiblesse. » 7. « Ce qui m'a le plus fait souffrir a été le père La Combe. » 8. /« Je souffrais à l’occasion de la fille qui était auprès de moi. Ce qu’elle me faisait souffrir égalait le tourment du purgatoire »/9. « La créature du monde peut-être de laquelle vous avez voulu une plus grande dépendance. »

2.23 MARSEILLE, GÊNES, ALEXANDRIE

1. « L’aumônier de Monsieur de Grenoble me persuada d'aller passer quelque temps à Marseille pour laisser apaiser la tempête. » 2. « Le câble cassa tout à coup et le bateau alla donner contre une roche. » 3. « Les soixante et douze disciples de Monsieur de Saint-Cyran… allèrent trouver M. de Marseille… Il envoya quérir M. de Malaval. » 4. « En huit jours que je fus à Marseille, j'y vis bien de bonnes âmes. » 5. « Elle allait de confesseurs à confesseurs dire la même chose afin de les animer contre moi. Le feu était allumé de toutes parts. » 6. « Partait le lendemain une petite chaloupe qui allait en un jour à Gênes. » 7. « Nous fûmes onze jours en chemin… Nous ne pûmes débarquer à Savone : il fallut aller jusqu'à Gênes. » 8. « Insultes des habitants, à cause du chagrin qu’ils avaient contre les Français pour les dégâts des bombes. » 9-1 Voyage périlleux, les voleurs « me saluèrent fort honnêtement ». 11. Alexandrie. Histoire de la logeuse effrayée par son fils.

2.24 SÉJOUR A VERCEIL

1. « À Verceil le soir du Vendredi saint. … Le père La Combe ne pouvait s'empêcher de me marquer sa mortification. » 2. L’évêque « ne laissa pas d'être fort satisfait de la conversation… La seconde visite acheva de le gagner entièrement. » 3. Il loue une maison pour fonder une communauté. 4. Maladie. 5. L’évêque vient souvent la visiter. 6. « Le Père La Combe était son théologal et son confesseur 7. « Les barnabites de Paris, ou plutôt le Père de La Mothe, s'avisa de le vouloir tirer de là pour le faire aller prêcher à Paris. » 8. Maladie. L’établissement de la congrégation n’a pas lieu. 9. « Ce fut là que j'écrivis l'Apocalypse. » 1 État d’enfance. Elle écrit à la duchesse de Charost.

2.25 TURIN, GRENOBLE

1. Elle retourne en France. 2. Le Père La Mothe laisse courir de faux bruits. 3. Elle passe douze jours chez son amie la Marquise de Prunai Établissement d’un hôpital. 4. Elle avait établi un hôpital près de Grenoble. /“[Le père] venait lorsque je suffoquais d’une oppression de poitrine, et il me commandait de guérir, et je guérissais”/. 5. Elle revient avec la prémonition de croix à venir. 6. Elle croise le Père La Mothe à Chambéry, « priant tous les jours avec des instances affectées le père La Combe de ne me point laisser, et de m'accompagner jusqu'à Paris. » 7. Elle retrouve ses amies à Grenoble.

3. LA VIE PAR ELLE-MÊME : PARIS

3.1 INTRIGUES À PARIS

1. Mauvais desseins du père La Mothe. 2. Union parfaite avec le père La Combe. 3. « J'arrivai à Paris la veille de Sainte-Madeleine 1686, justement cinq ans après mon départ. » Le Père La Mothe « me voulut loger à sa manière afin de se rendre maître absolu de ma conduite. » Il médit d’elle auprès de sa logeuse. Il est jaloux du succès des sermons du Père La Combe. Ses calomnies. 5. « J'avais donné une petite somme en dépôt au père La Combe avec la permission de ses supérieurs, que je destinais pour faire une fille religieuse. » 6. « Ils envoyèrent à confesse au père La Combe un homme et une femme qui sont unis pour faire impunément toutes sortes de malice. » 7. « Ces paroles me furent imprimées : il a été mis au rang des malfaiteurs. » On tente de la brouiller avec le tuteur de ses enfants. 8. Même le Père La Combe se rend compte des foudres à venir. 9. “J’allai à la campagne chez Madame la Duchesse de Charost… on fut obligé de me délacer… /Tout ce que je pus faire fut de me mettre sur le lit et me laisser consumer de cette plénitude/1 Le Père La Combe est circonvenu par une femme. 11. Son mari fabrique des libelles « auxquels ils attachaient les propositions de Molinos » et on les montre à l’Archevêque. 12. Calomnie sur le séjour à Marseille, mais le Père La Combe n’avait jamais été là-bas ! 13-14. Le Père La Mothe et le Provincial complotent avec l’Official. Intrigue de la femme. Le Père La Combe est dupe. 15. Une fille avertit Madame Guyon sur sa réelle nature.

3.2 INTRIGUES, SUITE

1. Le Père est détrompé. Calomnie sur une grossesse supposée. Changement de stratégie : on met en cause le Moyen facile de faire oraison. 2. « Le père La Mothe me vint trouver, disant qu'il y avait à l'archevêché des mémoires effroyables… » Elle découvre l’alliance ennemie. 3. Le Père La Combe par obéissance manque une occasion de se disculper. 4. Visite de M. l’abbé Gaumont et de M. Bureau. Ce dernier est attaqué, « l’on fit travailler l'écrivain… Mme de Miramion, amie de M. Bureau, en vérifia elle-même la fausseté. » 5. Le Père La Mothe suggère au Père La Combe de « se retirer, pour par là le faire passer pour coupable. » 6. Même tentative auprès d’elle : « leur dessein était de rendre le père La Combe criminel par ma fuite. » 7. Même tentative sur la sœur du tuteur : elle a un soupçon ? le Père La Mothe ajoute : « Il faut absolument la faire fuir et c'est le sentiment de Monseigneur l'archevêque. » 8. « Le lendemain le tuteur de mes enfants, ayant pris l'heure de Monseigneur l'archevêque, y alla. Il y trouva le père La Mothe qui y était allé pour le prévenir… » Le mensonge est ainsi dévoilé.

3.3 ARRESTATION DU PÈRE LA COMBE

1. ‘Ils firent entendre à Sa Majesté que le père La Combe était ami de Molinos… [S.M.] ordonna… que le père La Combe ne sortirait point de son couvent… Ils concertèrent de… le faire paraître réfractaire aux ordres… ils résolurent de cacher cet ordre au père La Combe.’ 2. Tromperies pour faire sortir le Père La Combe et établir des procès-verbaux. 3. Naïveté du Père toujours soucieux d’obéissance. 4. Le Père La Mothe obtient les précieuses attestations de la doctrine du Père La Combe et les fait disparaitre. 5. Le Père est arrêté le 3 octobre 1687. 6. Pressions du Père La Mothe et « il y eut même de mes amis assez faibles pour me conseiller de feindre de prendre sa direction. » 7. Tous ceux qui ne la connaissent pas crient contre elle. 8. « Je ne faisais pas un pas, me laissant à mon Dieu. » 9. Activité de l’écrivain Gautier. 1 Elle trouve des témoins qui connaissent la femme du faussaire ce qui peut démontrer l’innocence du Père La Combe, mais le Père La Mothe, supérieur des barnabites, « voulait bien se mêler de livrer son religieux, mais non pas de le défendre. » 11. « Un second Joseph vendu par ses frères. » 12. « Ce fut sur cette lettre supposée, que l’on fit voir à Sa Majesté, que l'on donna ordre de m'emprisonner. »

3.4 INFAMIE DU P. LA MOTHE

1. Maladie. 2. Le Père La Mothe extorque une pièce qui pouvait sauver le Père La Combe. 3. Puis « il ne garda plus de mesures à m'insulter. » 4. Accusations et abandon par tous. 5. « L’on me fit entendre qu'il fallait que je parlasse à M. le théologal. C’était un piège… deux jours après on fit entendre que j’avais… accusé bien des personnes, et ils se servirent de cela pour exiler tous les gens qui ne leur plaisaient pas… C’est ce qui m’a été le plus douloureux. » 6. « On m'apporta une lettre de cachet pour me rendre à la Visitation du faubourg Saint-Antoine. »

3.5 PREMIÈRE RÉCLUSION

1. « Le 29 Janvier 1688… il me fallut aller à la Visitation. Sitôt que j'y fus, l’on me signifia que l'on ne voulait pas me donner ma fille, ni personne pour me servir ; que je serais prisonnière, enfermée seule dans une chambre. … l’on se servait de ma détention pour la vouloir marier par force à des gens qui étaient sa perte. » 2. « C'est une maison où la foi est très pure et où Dieu est très bien servi ; c'est pourquoi l’on ne pouvait m'y voir de bon œil me croyant hérétique… » 3. Son confesseur la renie par peur. 4. Elle souffre par la fille geôlière. 5. Une infidélité : « je voulus m’observer. » 6. Songe d’une pluie de feu d’or. 7. Interrogatoire sur le Père La Combe par l’official et un docteur de Sorbonne. 8. Protestation écrite. 9. Interrogatoire sur le Moyen court. 1 Interrogatoire sur une lettre contrefaite à propos de supposées assemblées. 11. ‘« Vous voyez bien, Madame, qu'après une lettre comme celle-là, il y avait bien de quoi vous mettre en prison. » Je lui répondis : “Oui, Monsieur, si je l'avais écrite.”’ « L’on fut deux mois après la dernière interrogation sans me dire un mot, à exercer toujours la même rigueur envers moi, cette sœur me traitant plus mal que jamais. » 12. Aucune illusion sur le but poursuivi de la faire paraître coupable à tout prix. 13. Visite mal intentionnée de l’Official seul. 14. « Il dressa un procès-verbal. »/Lettre pour M. L’official, Lettre à M. L’archevêque/15. « L’on me fit savoir que mon affaire allait bien et que j'allais sortir à Pâques. »

3.6 PRESSIONS POUR MARIER SA FILLE

1. « Jusqu'alors j'avais été dans un contentement et une joie de souffrir et d'être captive inexplicable. » 2-3. Elle entre dans l’amertume. 4. « Jésus-Christ et les saints se crevaient-ils les yeux pour ne pas voir leurs persécuteurs ? Ils les voyaient : mais ils voyaient en même temps qu'ils n'auraient eu aucun pouvoir s'il ne leur avait été donné d'en haut. » 5. « L’on ne laissait pas de pousser continuellement ma fille de consentir à un mariage qui aurait été sa perte. » 6. « Le père La Mothe sut que l'on disait du bien de moi dans cette maison, il alla se persuader que l'on ne pouvait dire du bien de moi sans dire du mal de lui. » 7. « J'étais continuellement battue entre l'espérance et le désespoir. » 8. « L’on me vint annoncer tout à coup que le père La Mothe avait obtenu que l'on me mît dans une maison dont il est le maître. » 9. On prie « un père jésuite de sa connaissance de parler au père de La Chaise. Ce bon père le fit, mais il trouva le père de La Chaise fort prévenu. » Lettre au P. de la Chaise. 1 Elle a un effet contraire. « Le père de La Chaise parla de moi… Monseigneur l'archevêque assura que j'étais fort criminelle… un mois avant ce temps M. l'official me vint trouver avec le docteur, et me proposa en présence de la mère supérieure, que si je voulais consentir au mariage de ma fille, je sortirais de prison avant huit jours. »

3.7   LETTRES CONTREFAITES

1. On l’enferme au mois de juillet dans une chambre surchauffée — malgré la mère supérieure. 2. On l’accuse de « choses horribles », mais elle ne peut avoir de précision ! « Je lui répondis que Dieu était le témoin de tout. Il me dit que, dans ces sortes d'affaires, prendre Dieu à témoin était un crime. Je lui dis que rien au monde n'était capable de m'empêcher de recourir à Dieu. » 3. Le tuteur intervient auprès de l’Archevêque qui l’accuse sans preuve. 4. « Ce fut donc ces effroyables lettres contrefaites que l'on fit voir au père de La Chaise, pour lesquelles l’on me renferma. » 5. Témoignage de commandants favorables au Père La Combe. On le fait transférer de prison. 6. Faux témoignage demandé à une personne d’honneur. Madame de Maisonfort de Saint-Cyr parle pour elle à Madame de Maintenon, mais le roi est prévenu. 7. Maladie. 8-1 Martyrs du Saint-Esprit. 11-12. Ils renouvelleront la face de la terre.

3.8 COMMUNICATIONS ET MARTYRE

1. Ils voulaient tirer des rétractations pour se couvrir. 2. « Comment voulez-vous, dit-il, que nous la croyions innocente, moi qui sais que le père La Mothe, son propre frère,… a été obligé de porter des mémoires effroyables. » 3. « Quoique le père La Combe soit en prison, nous ne laissons pas de nous communiquer en Dieu d'une manière admirable. » 4. « J’éprouve deux états à présent tout ensemble : je porte Jésus-Christ crucifié et enfant. » « Fait ce 21 d'août 1688, âgée de quarante ans ; de ma prison. » 5. « Je sentais l'état des âmes qui m'approchaient et celui des personnes qui m'étaient données, quelque éloignées qu'elles fussent. » 6. « Le 21 d'août 1688. L’on croyait que j’allais sortir de prison et tout semblait disposé pour cela… Le 22e, je fus mise à mon réveil dans un état d’agonie. » Indifférence entière. 7. L’épouse obtient tout de l’époux. 8. “M. L’official vint avec le docteur, le tuteur de mes enfants et le père La Mothe pour me parler du mariage de ma fille. /« L’on me dit que si je voulais y donner les mains, que l’on me donnerait ma liberté dans huit jours »/9. « Ma cousine voulut parler en ma faveur à Mme de Maintenon, mais elle la trouva si prévenue contre moi par la calomnie… »

3.9 DÉLIVRANCE.

1-2. ‘M. l'Official vint le mercredi premier d'octobre 1688’. Il essaye de lui faire reconnaître des mémoires sans en définir le contenu. 3. « Il fallut passer par là, malgré toutes mes raisons, pour éviter leur violence et me tirer de leurs mains. » 4. Lettre de Falconi mis en cause à Rome. 6. Copie des papiers donnés à M. l'official, le 8 février 1688. 7. « Comme l'on vit que les religieuses disaient beaucoup de bien de moi, et témoignaient m'estimer, mes ennemis et quelques-uns de leurs amis leur vinrent dire que ce qu'elles avaient de l'estime pour moi faisait un grand tort à leur maison, que l'on disait que je les avais toutes corrompues et faites quiétistes. » 8. Délivrance. 9. « Ensuite j'allai voir Mme de Miramion. »/Lettre à Madame de Maintenon. /« J'allai à Saint-Cyr la saluer : elle me reçut parfaitement bien et d'une manière singulière. » Elle réside chez Madame de Miramion. ‘Si Dieu le veut, j'écrirai un jour la suite d'une vie qui n'est pas encore finie. Ce 20 septembre 1688. 1 ‘ Quelques jours après ma sortie, je fus à Beynes chez Madame de Charost… ayant ouï parler de M. l’abbé de Fénelon, je fus tout à coup occupée de lui avec une extrême force et douceur… »

3.10 FÉNELON — ÉTAT APOSTOLIQUE

1./B S Elle regarde Fénelon comme son fils : ‘Ce fut vers la St François du mois d’octobre 1688… il faut qu’il soit anéanti et étrangement rapetissé. Dieu travaillera surtout à détruire sa propre sagesse… dès 1680 que Dieu me le fit voir en songe… Quelque union que j’aie eu pour le père La Combe j’avoue que celle que j’aie pour M. L. est encore tout d’une autre nature. /2. « Il ne m'appelait point, comme l'on avait cru, à une propagation de l'extérieur de l'Église, qui consiste à gagner les hérétiques, mais à la propagation de son Esprit, qui n'est autre que l'esprit intérieur. » 3-4. Douleurs spirituelles : « L'une causée par leur infidélité actuelle, l'autre qui est pour les purifier et les faire avancer. » 5-6. La justice divine. 7. Plénitude. 8. « Rejaillissement d'un fond comblé et toujours plein pour toutes les âmes qui ont besoin. » 9. « Si les âmes qui sont conduites par ces personnes pouvaient pénétrer au travers de cet extérieur si faible la profondeur de leur grâce, elles les regarderaient avec trop de respect, et ne mourraient point à l'appui que leur ferait une telle conduite. » 1 Ces personnes sont des « paradoxes. » 11. « L'âme de cet état s'ignore soi-même. » 12. ‘Toutes les plus grandes croix viennent de cet état apostolique… l’enfer et tous les hommes se remuent pour empêcher le bien qui se fait dans les âmes. 13. « Saints qu'en lui et pour lui : ils sont saints à sa mode, et non à celle des hommes. » 14. « Aucun amour naturel, mais une charité infinie. » 15. Âmes de foi. 16. « Le resserrement de la personne à qui on parle qui fait la répugnance à dire. » « etc. jusqu’en fin 1688. »/les § en fin de B commençant par : « Je me suis oubliée de dire… » sont replacés dans leurs contextes/

3.11 DANS LA SOLITUDE — FRÉQUENTATION DE SAINT-CYR

1. Chez Madame de Miramion, qui lui montra les lettres du Père La Mothe. 2. Mal à l’œil ; il faut savoir se plaindre. 3. Elle reste deux ans et demi avec sa fille mariée. Elle voudrait se retirer chez les bénédictines de Montargis ce qui fut presque fait. 4. Ses conversations avec Fénelon. 5. « Ayant quitté ma fille, je pris une petite maison éloignée du monde. » À Saint-Cyr, Madame de Maintenon « me marquait alors beaucoup de bontés ; et pendant trois ou quatre années que cela a duré j'en ai reçu toute sorte de marques d'estime et de confiance. » Puis refroidissement. 6. Entretien avec M. Nicole. 7. Puis avec M. Boileau. 8. Elle rédige une Explication du Moyen court. 9. Les eaux à Bourbon-l’Archambaud. 1 Nicole rédige un livre contre elle sept ou huit mois après leur entretien. Dom F. Lamy le réfute.

3.12 DÉFAVEUR

1-2. Sa défaveur à Saint-Cyr « fait quelque bruit. » Elle tâche de disparaître à l’attention publique sans succès. 3-5. Histoire de la fille amoureuse qui s’est donnée au démon ; M. Fouquet la mène à M. Robert grand pénitencier. Morts suspectes de ce dernier et du Père Breton. 6. M. Boileau devient un zélé persécuteur sous l’influence d’une dévote. 7. On l’accuse d’avoir plagié Mlle de Vigneron, ce qui s’avère faux. 8-9. Suite de l’histoire de la dévote. 1 Un cercle autour de M. Boileau cherche à la déconsidérer aux yeux de Madame de Maintenon qui « tint bon quelque temps ».

3.13 BOSSUET

1. « Quelques personnes de mes amis jugèrent à propos que je visse Mgr l'évêque de Meaux. » 2. Le duc de Chevreuse lui amène Bossuet, qui dit avoir apprécié certains écrits. Mais ses discours « l’épouvantent. » On lui communique la Vie « qu’il trouva si bonne qu'il lui écrivit qu'il y trouvait une onction qu'il ne trouvait point ailleurs, qu'il avait été trois jours en la lisant sans perdre la présence de Dieu. » 3. Histoire de la religieuse mourante. Crédulité de Bossuet ? 4. Communication des Explications des Écritures comme de la Vie, sous le sceau du secret. 5. « Commencement de l'année 1694. » Conférence qui devait rester secrète. « Ce n’était plus le même homme… J'en fus malade plusieurs jours. » 6. Revue des difficultés qui furent soulevées : impossibilité d’actes discursifs, de désirer son propre bonheur… 7. « Pour désirer pour soi, il faut vouloir pour soi. Or tout le soin de Dieu étant d'abîmer la volonté de la créature dans la sienne, il absorbe aussi tout désir connu dans l'amour de sa divine volonté. » 8. Faim distincte du désir. 9. Disparition de la pente sensible ou même aperçue par « repos en Dieu même. » Comparaison de l’eau qui n’a aucune qualité particulière. 1 ‘ Les âmes ne sont propres qu’à peu de choses tant qu’elles conservent leur consistance propre. » Discussion sur ses livres. 11. « Je crois encore que ce qui fait que l'âme ne peut plus rien désirer, c'est que Dieu remplit sa capacité. »

3.14 LES ÉCLAIRCISSEMENTS EXIGES

3. « Il me parla de la femme de l'Apocalypse. » 4. « Pour l’écoulement de grâces, c’était une autre difficulté. » 5. Le manque d’expérience de Bossuet. « Il avait été frappé des choses extraordinaires… mais cette voie de foi simple… c’était un jargon. » 6. Sur « l’absence de grâce ». 7. Difficulté sur l’état Apostolique. 8. « La première fois que j'écrivis ma vie, elle était très courte… L’on me la fit brûler, et l’on me commanda absolument de ne rien omettre, et d'écrire sans retour. » 9. « Lier et délier ». 1 Retour sur les actes distincts. 11. « Se laisser mouvoir sans résistance. Qui n'admet pas ces actes secondaires, détruit toutes les opérations de la grâce comme premier principe et fait que Dieu n’est que secondaire, et ne fait qu'accompagner notre action. » 12. « Que je fisse des demandes ? mais que pouvais-je demander ? » ; « Il y a deux sortes d'âmes : les unes auxquelles Dieu laisse la liberté de penser à elles, et d'autres que Dieu invite à se donner à lui par un oubli si entier d'elles-mêmes, qu'il leur reproche les moindres retours. Ces âmes sont comme de petits enfants. » 13. « M. de Meaux prétendait qu'il n'y a que quatre ou cinq personnes dans tout le monde qui aient ces manières d'oraison et qui soient dans cette difficulté de faire des actes. Il y en a plus de cent mille dans le monde. »

3.15 MORT DE M. FOUQUET

1. « La vivacité de M. de Meaux, et les termes durs qu'il employait quelquefois, m'avaient persuadée qu'il me regardait comme une personne trompée et dans l'illusion… Il était prêt de me donner un certificat. » 2. « M. Fouquet fut le seul à qui je confiai le lieu de ma retraite. » Elle écrit une lettre à Mme de Maintenon qui refuse une enquête sur les mœurs, voulant se placer sur le terrain doctrinal. 3-4. « M. Fouquet, qui était tombé dans une maladie de langueur, mourut dans ce temps-là. » Elle se réjouit de son bonheur dont elle reçoit assurance. 5. « L’on craignait qu'on ne reconnût mon innocence. » 6. « Je ne puis point avouer avoir eu des pensées que je n'eus jamais. » 7. « Il y avait plus de quarante jours que j'avais la fièvre continue. »

3.16 JUSTIFICATIONS

1. ‘Je commençais à m'apercevoir qu'on en voulait à d'autres qu'à moi dans la persécution que l'on me suscitait. 2. “Comme [Mme de Maintenon] avait contribué à me tirer d'oppression quelques années auparavant, elle croyait devoir s'employer à m'accabler.” 3. “Je mandai que j'étais toujours prête de rendre raison de ma foi.” 4. Quels examinateurs ? M. de Paris l’aurait bien tiré d’affaire. 5. Trois examinateurs : ‘Il y a lieu de croire qu'il [Bossuet] promit tout ce que [Mme de Maintenon] souhaitait’ ; “Mgr l'évêque de Châlons, qui avait de la douceur et de la piété” ; M. Tronson. 6. Lettre à ces examinateurs. 7. Rédaction des Justifications.

3.17 ENTRETIENS D’ISSY

1. “Je m'aperçus bientôt du changement de M. de Meaux.” 2. Bossuet refuse la présence du duc de Chevreuse : “Il voulait faire une condamnation d'éclat.” 3. La supposition impossible ou sacrifice de l’éternité : 4. “Une personne qui tombe dans l'eau fait d'abord tous ses efforts pour se sauver et ne cesse son effort que lorsque sa faiblesse le rend inutile. Alors elle se sacrifie à une mort qui lui paraît inévitable.” 5. “Elle lui fait donc un sacrifice de tout ce qu'elle est, afin qu'il fasse d'elle et en elle tout ce qu'il lui plaira.” 6. “En cet état l'âme est si affligée et si tourmentée de l'expérience de ses misères et de la crainte, sans sentiment, d'offenser Dieu, qu'elle est ravie de mourir quoique sa perte lui paraisse certaine, afin de sortir de cet état, et de n'être plus au hasard d'offenser Dieu.” 7. “L’âme se voit dans la volonté de tous les maux et dans l’impuissance de les commettre.” 8. Réponse à la difficulté de M. de Meaux touchant le sacrifice de la pureté. 9. Bossuet se fixe dans ses idées. 1 Il l’accuse de présomption. 11. “On s'assembla chez M. de Meaux…” 12. “M. de Meaux, après s'être longtemps fait attendre, arriva sur le soir” et chasse le duc de Chevreuse. 13. Il “tâchait d'obscurcir et rendre galimatias tout ce que je disais.” 14. Il produit malignement une lettre. 15. “Cette conférence ne fut d'aucune utilité pour le fond des choses. Elle mit seulement M. de Meaux à portée de dire à Mme de Maintenon qu'il avait fait l'examen projeté.” 16. “M. de Meaux dans la chaleur de sa prévention m'injuriait sans vouloir m'entendre.” 17. M. Tronson est plus équitable.

3.18 À SAINTE-MARIE DE MEAUX

1. Elle se rend à Sainte-Marie de Meaux en janvier 1695. Voyage mouvementé dans la neige, suivi de six semaines de fièvres. 2. À l’accusation d’hypocrisie, elle répond : “Je suis assurément une mauvaise hypocrite et j'en ai mal appris le métier, puisque j'y ai si mal réussi.” Cherchant à ne plaire qu’à Dieu, “je compris alors que c'était la manière dont Jésus-Christ avait souffert.” 3. Elle est estimée de la mère Picard et des religieuses. 4. On fait courir une lettre attribuée à M. de Grenoble. Réponse du père de Richebrac. 5. M. de Grenoble indigné. Copie de deux de ses lettres. 6. Bossuet “se récria sur la noirceur de cette calomnie. Il avait de bons moments, qui étaient ensuite détruits par les personnes qui le poussaient contre moi et par son propre intérêt.” 7. Fable d’un curé. 8. ‘À confesse à tous les curés et confesseurs de Paris, une méchante femme prit le nom d'une de mes filles. C’était celui de Manon autrement (appelée) Famille.’ 9. Scènes de colère par l’impuissant Bossuet. 1 Témoignage de la mère Picard et de ses filles. 11. Bossuet à la mère Picard : “Je ne vois en elle, tout comme vous, que du bien, mais ses ennemis me tourmentent et veulent trouver du mal en elle.”

3.19 UN SURPRENANT CHANTAGE

1. Promesse d’un certificat. 2. Le chantage : “Il renferma le tout dans son portefeuille et me dit qu'il ne me donnerait rien… il s'enfuit. Les religieuses furent épouvantées d'un tour pareil.” 3-4. “Les bonnes filles qui voyaient une partie des violences et des emportements de M. de Meaux, n'en pouvaient revenir.” 5. “Enfin après avoir été six mois à Meaux, il me donna de lui-même un certificat.” 6. Il lui donne congé. 7. Bossuet change, car Madame de Maintenon “est peu contente de l’attestation.” 8. Copie de la première attestation. 9. “Il débita que j'avais sauté les murailles du couvent pour m'enfuir. Outre que je saute fort mal, c'est que toutes les religieuses étaient témoins du contraire.” 1 “Je pris la résolution de ne point quitter Paris… de me dérober généralement à la vue de tout le monde. Je restai de cette manière environ cinq ou six mois. Je passais les jours seule, à lire, à prier Dieu, à travailler. Mais sur la fin de l'année mille six cent quatre-vingt-quinze, je fus arrêtée… et conduite à Vincennes.”

3.20 POURQUOI M’AVEZ-VOUS ABANDONNÉE ?

1. “Je ne parlerai point ici de cette longue persécution qui a fait tant de bruit par une suite de dix années de prisons de toutes espèces, et d'un exil à peu près aussi long, et qui n'est pas encore fini.” 2. “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonnée ?” “Ce fut dans ce temps que je fus portée à me mettre du parti de Dieu contre moi-même, et à faire toutes les austérités dont je pus m'aviser.” 3. Elle a défendu l’oraison. 4. Elle justifie certaines relations qui paraissent secondaires. 5. Paix au début. 6. Infidélité de “préméditer un jour des réponses.” 7. Les choses sont portées “à de plus grandes extrémités.” Elle désespère.

3.21 DERNIÈRES PAGES DE LA VIE, L’ÉTAT SIMPLE ET INVARIABLE

1. Maladies. “Mon état est devenu simple, et invariable. Le fond de cet état est un anéantissement profond ne trouvant rien en soi de nominable. Tout ce que je sais c'est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux… rien ne subsiste en moi ni bien ni mal. Le bien est en Dieu. Je n'ai pour mon partage que le rien.” 2. “Pauvreté et nudité est mon partage. Je n'ai ni confiance ni défiance, enfin Rien, Rien.” 4. “Il est riche, je suis très pauvre… Je ne manque de rien, je ne sens de besoin sur rien. La mort, la vie, tout est égal. L’éternité, le temps, tout est éternité,… Dieu est amour et l'amour est Dieu” ; “Les pensées ne font que passer, rien n'arrête. … Ce que j'ai dit ou écrit est passé, je ne m'en souviens plus.” 5. “C'est un fanal vide, on peut y allumer un flambeau.” 3. “Si on disait quelque chose à mon avantage, je serais surprise, ne trouvant rien en moi.” “Il me donne un air libre, et me fait entretenir les gens, non selon mes dispositions, mais selon ce qu'ils sont, me donnant même de l'esprit naturel avec ceux qui en ont, et cela d'un air si libre qu'ils en sont contents.” Décembre 1709. Annexe sur l’état fixe et permanent.

4. LES PRISONS, RÉCIT AUTOBIOGRAPHIQUE

Envoi.

4.1 VINCENNES

Alternative : “ou d’aller dans un couvent du diocèse de Meaux sous la conduite et la direction de ce prélat [Bossuet], ou d’être poussée à tout ce que l’autorité et la violence me pouvaient faite envisager de plus affreux.” Arrestation à Noël 1695 par Desgrez. À Vincennes, interrogatoire par l’honnête La Reynie sur des lettres saisies du Père La Combe, sur Famille, sur l’expression malheureuse La petite Église vous salue, illustre persécutée’. « Après neuf ou dix interrogatoires de six, sept et huit heures quelquefois, il jeta les lettres et les papiers sur la table… Il fit un dixième interrogatoire où il me demanda permission de rire. » État de grande paix ; une infidélité : préparer des réponses. « Je faisais des cantiques. » Succède le violent et aigri Pirot : « Les tourments que cet homme me faisait par ses ruses et par ses artifices me faisaient tomber malade toutes les fois qu'il venait. » ; « Je demandai un confesseur pour mourir en chrétienne. L’on me demanda qui je souhaitais ; je nommai le P. Archange Enguerrand, récollet d'un grand mérite, ou bien un jésuite. » Ce qui ne lui fut pas accordé. Elle eut le curé de Saint-Sulpice [La Chétardie]. Ses manœuvres.

4.2 VAUGIRARD

« Le 16 octobre 1696, Desgrez me vint prendre à Vincennes pour me mener à Vaugirard… On me mit dans une chambre percée à jour et prête à tomber… [Une fille] venait m'insulter, me dire des injures, me mettre le poing contre le menton, afin que je me misse en colère. » Elle est tourmentée ainsi que les filles à son service par le curé. Oppression et songes.

4.3 LES PREUVES ABSENTES

« Dix mois à Vincennes entre les mains de M. de La Reynie ». On tente de se débarrasser d’elle à l’aide d’un vin empoisonné. « M. le Curé me dit, un jour, un mot qui me parut effroyable… qui était qu'on ne me mettait pas en justice parce qu'il n'y avait pas de quoi me faire mourir » « … leur défendant, s'il me prenait quelque mal subit comme apoplexie ou autre de cette nature, de me faire venir un prêtre. » Lettre à M. de Paris de décembre 1697. Un confesseur lui rend service.

4.4 LE CONFESSEUR ACCUSE

Très longue lettre du curé : reproches, insinuations, etc. Il interroge la sœur qui la garde et une paysanne qui témoigne avoir vu le faussaire chez lui.

4.5 LA FAUSSE LETTRE

Visite de M. de Paris avec une lettre forgée du Père La Combe. « S'approchant [le Curé] me dit tout bas : “On vous perdra.” » Reproches de l’archevêque. Texte de la lettre. On la sépare de ses filles que l’on maltraitera. « Il y en a encore une dans la peine depuis dix ans pour avoir dit l'histoire du vin empoisonné devant le juge. [L’] autre dont l'esprit était plus faible le perdit par l'excès et la longueur de tant de souffrances, sans que dans sa folie on pût jamais tirer un mot d'elle contre moi. … elle vit présentement paisible et servant Dieu de tout son cœur. On me mena donc seule à la Bastille. »

4.6 LA BASTILLE

Le 4 juin 1698. « on me donna une demoiselle qui, étant de condition et sans biens, espérait faire fortune, comme on lui avait promis, si elle pouvait trouver quelque chose contre moi. » Humidité du lieu, défaillance de 24 heures. Le « P. Martineau me dit : “Je n'ai de pouvoir de vous confesser qu'en cas que vous alliez mourir tout à l'heure.”… M. d’Argenson vint m'interroger. Il était si prévenu et avait tant de fureur que je n'avais jamais rien vu de pareil. … plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures. … Après cet interrogatoire si long qu'il dura près de trois mois, et qu'on (n'] en a jamais tant fait aux plus grands criminels, on prit deux ans, apparemment pour s'informer partout. » Elle s’occupe d’une pauvre femme qui se croit damnée et que l’on saigne à mort espérant tirer un témoignage chargeant Madame Guyon. Dureté du confesseur.

4.7 L’ABÎME

« J’avais donc auprès de moi la filleule de M. du Junca, avec la promesse qu'il lui avait faite de l'épouser. » Elle la convertit : « Elle comptait demeurer auprès de moi tant que j'aurais vécu, mais après qu'elle y [fut resté] trois ans, dans une même chambre, il fallut qu'elle s'en allât. Elle mourut quinze jours après. … Je restai seule un an et demi. J'eus un an la fièvre, sans en rien dire. » Tentative de suicide d’un prisonnier : « Il n'y a que l'amour de Dieu, l'abandon à sa volonté… sans quoi les duretés qu'on y éprouve sans consolation jettent dans le désespoir. » Déposition contre elle de Davant, un prêtre. « Quelquefois, en descendant, on me montrait une porte, et l'on me disait que c'était là qu'on donnait la question. D'autres fois on me montrait un cachot, je disais que je le trouvais fort joli. » « Ma vie me quittait. Je tâchai de gagner mon lit pour mourir dedans. » « J'avais toujours caché mon mal, si l'extrême maigreur, jointe à l'impuissance de me soutenir sur mes jambes, ne l'eût découvert. On envoya quérir le médecin qui était un très honnête homme. L’apothicaire me donna un opiat empoisonné. … Je le montrai au médecin qui me dit à l'oreille de n'en point prendre, que c'était du poison. » « Je fus plus d'un an seule, car la petite demoiselle dont j'ai parlé étant morte, je priai qu'on ne m'en donnât plus, et je pris prétexte qu'elles mouraient. »

4.8 LA DÉLIVRANCE

« M. de Paris eut de très grands remords de me laisser mourir en prison. » « Il est certain qu'on me laissait aller chez mon fils sans condition lorsque ma sortie eut été accordée. Dès qu'il fut arrivé, il me dit qu'il ne me recevrait chez lui qu'à [certaines] conditions qu'il voulait qu'on lui donnât par écrit. » « Ils écrivirent une lettre à M. de Pontchartrain — capable de me faire remettre à la Bastille si, pour s'informer de la vérité des faits qu'elle contenait, ce ministre ne l'eût renvoyée à M. l'évêque de Blois. »

5. TEXTES SECONDAIRES

5.1 TEXTES AUTOBIOGRAPHIQUES PARALLÈLES

Discours n° 11 (Correspondance tome V) : Douleurs intérieures et abandon — tout s'écoule sans cesse sans laisser aucune impression. « L’âme dans son rien ne peut rien… Il n'y a que l'Être créateur qui la rende propre à tout ce qu'il lui plaît. »

5.2 BLOIS TÉMOIGNAGES EN SUPPLÉMENTS A LA VIE

« Nous remonterons aux causes des changements de Mme de Maintenon à l’égard de Madame Guyon… et nous répondrons aux calomnies de la Beaumelle. Nous rassemblerons ensuite les faits détachés et épars que nous avons recueilli de sa vie privée durant son séjour à Blois et enfin nous éclaircirons une difficulté que ses ennemis ont élevée contre une prophétie qu’elle fit en 1689 dans une lettre à Fénelon. »

5.3 SEPT LETTRES ÉDITÉES AVEC LA VIE

Lettre 1 de Mme Guyon au Père La Combe, 1683 : épreuves à venir

Lettre 2 de Mme Guyon au Père La Combe, 1683 : union paisible ; tempête à venir ; la femme enceinte face au dragon.

Lettre 3 du P. La Combe à Madame Guyon, 1683 : prédiction de l’anéantissement extérieur qui atteindra celle-ci, accompagnant son anéantissement intérieur.

Lettre 4 du P. La Combe à Madame Guyon sur son état douloureux.

Lettre 5 du P. La Combe à Madame Guyon, 1693 : son état d'impuissance.

Lettre 6 d'une fille retenue en prison à son frère : elle partage la croix de Madame Guyon à laquelle elle demeure unie.

Lettre 7 de la même sur son abandon à Dieu.

5.4 QUATRE CANTIQUES ÉDITÉS AVEC LA VIE

Grand Dieu, pour ton plaisir/Je suis dans une cage.

Charmante solitude,/Cachot, aimable tour

On me tient en prison, ô mon cher petit Maître

Si c'est un crime que d'aimer…

5.5 DEUX CANTIQUES RÉDIGENT EN PRISON

Ô Dieu Père fils et Saint Esprit je suis orpheline…

Que mon cœur est content auprès de ce que j'aime !


Études ciblées

Nous plaçons ici, par l’ordre alphabétique de leurs titres, des notices signalées dans la suite chronologique des lettres. Ces notices (avec l’index des noms) ont permis de limiter l’extension des notes associées aux lettres, en abordant quelques sujets récurrents :

Les mœurs de Mme Guyon (« Affaire Cateau Barbe »),

Le repérage de la correspondance guyanienne disséminée dans celle de Bossuet (« Correspondance éditée par Levesque »),

La description du contenu d’une source essentielle pour connaître Mme Guyon et négligée jusqu’ici (« Divers écrits de Mme Guyon, ms. 2057 »),

Quelques éléments autour d’œuvres de Fénelon qui influèrent sur la vie de Mme Guyon (« Fénelon, Explication des Maximes des saints [1697] »),

L’œuvre d’un contemporain appartenant à l’ordre des carmes, qui exerça une grande influence sur Mme Guyon par Jean de la Croix et Jean de Saint-Samson (« Laurent de la Résurrection et son œuvre »),

Des abréviations et surnoms rencontrés dans les lettres (« Liste d’abréviations et de surnoms »),

La description fine des manuscrits principaux des lettres en vue de faciliter leur repérage (« Manuscrits, descriptions complémentaires [de celles du premier volume] »),

Une liste des sources essentielles qui associées à l’ensemble des quatre volumes de la Vie et de la Correspondance forme le corpus biographique guyonnien (« Relations et autres pièces biographiques »),

Une approche du rapport avec Bossuet par Levesque (« Soumissions et attestations vues par Levesque »).





Affaire Cateau Barbe :

1. À propos de la lettre « DU CARDINAL LE CAMUS A L’ÉVÊQUE DE CHARTRES. 1697 », Levesque donne les précisions suivantes : « […] [selon] une lettre de M. Tronson, du 14 juillet 1697, au général des chartreux, “Mgr le cardinal Le Camus, dit M. Tronson, lui en a écrit [de Mme Guyon à M. de Chartres] une lettre fort considérable, dans laquelle il lui parle d’une jeune fille nommée Cateau Barbe, qu’elle emmena sans la participation de sa mère.

Je ne sais si cette fille est la même dont vous m’avez mandé l’histoire.” L’authenticité de la lettre de Le Camus a été niée par l’abbé de La Bletterie, de l’Académie des Inscriptions ; mais le témoignage de M. Tronson ne permet pas de douter qu’elle ait été écrite par l’évêque de Grenoble, sans toutefois nous garantir qu’elle n’a été ni altérée ni interpolée (Voir La Bletterie, Lettres à un ami au sujet de la Relation du quiétisme, Paris, 1733, in-8, reproduites dans la Correspondance de Fénelon, t. XI, p. 109-113 ; Mgr Bellet, Histoire du cardinal Le Camus, Paris, 1886, in-8, p. 197 ; Lettres du cardinal Le Camus, éd. lngold, p. 572 ; la discussion de M. L. Bertrand dans la Correspondance de M. Tronson, 1828, t. III, p. 566 à 569 ; l’Apologie du P. La Combe par lui-même, dans la Revue Fénelon, sept. et déc. 1910). Deforis croyait cette lettre écrite en 1696 ; les éditeurs de Versailles l’ont placée en 1695, et Mgr Bellet l’assigne à l’année 1694. Nous nous rangeons à l’avis de M. L. Bertrand, et nous suivons Ledieu, qui l’a datée de 1697. Il est intéressant de rapprocher cette lettre du cardinal Le Camus d’une autre, écrite par le même prélat, le 18 décembre 1695, au janséniste Maille, son correspondant à Rome : “Je n’ai jamais parlé qu’un instant au P. de La Combe, et il n’a demeuré que très peu de temps dans mon diocèse. Pour Mme Guyon, tant qu’elle s’est retranchée à recevoir les sacrements et à donner l’aumône, je l’ai estimée ; mais, depuis qu’elle a voulu dogmatiser et faire des conventicules pour semer la doctrine de Molinos, et qu’elle s’expliqua à un bénédictin de ce qui tendait à l’ordure, je n’en ai plus voulu entendre parler, que pour recommander à mon frère un procès qu’elle avait à Paris, où j’ai écrit de bonne foi, quand on me l’a demandé, ce qui s’était passé sur son compte dans ce diocèse. Je ne connais point et je n’ai aucun commerce avec le P. de Malleval [sic : Malaval]”. (Affaires étrangères, Rome, t. 374, f° 428). » [UL].

2. Un phénomène de contamination a pu avoir lieu si le récit de jeunesse de Vie 1.5.10, ajout du ms. de Saint-Brieuc, p. 155 de notre édition,  « Je péchai deux fois avec une fille par des immodesties », est parvenu aux mains de contemporains.

3. En fait, « l’austère cardinal a pris avec les données objectives des libertés […] il subordonnait le sort de Mme Guyon à des intérêts majeurs », nous explique en conclusion Orcibal au terme de sa propre enquête (v. Etudes…, « Le cardinal Le Camus… », 799-817). On trouvera le détail des enquêtes menées dès 1695 par Tronson et aussi par le duc de Chevreuse auprès de Richebracque, ce dernier sous la pression de Bossuet, (Id., p. 812).





Correspondance éditée par Levesque.

Nous avons relevé 53 lettres, témoignages, attestations, soumissions, réparties dans les vol. VI et VII de la Correspondance de Bossuet. Elles se distribuent entre une série principale de lettres et des annexes. L’intrication de ces dernières et l’intérêt d’un apparat critique très informé justifient la description de cette source à l’intention des chercheurs :

Dans la série principale : lettres à Bossuet : no. 921 du 6 octobre 1693, 933 du 22 octobre, 938 du 30 octobre, 986 du 25 janvier 1694, 992 du 29 janvier 1694, 993 du 30 janvier, 994 de février, 995 du 10 février, du 23 février 1694 (UL,VI, p. 159), 1007 du 8 (?) mars, 1083 au même et à Noailles du 25 juillet, 1112 à Bossuet du 3 octobre, 1152 vers le 21 décembre, 1155 du 23 décembre ; lettres de Bossuet : no. 1004 du 4 mars 1694, 1113 du 5 octobre.

Tome VI, app. III, « I, Lettres écrites par Mme Guyon » : renferme, p. 531-565 : 1° Lettre au R. P. de la Motte, son frère, 2° A son fils aîné, 3° A son fils cadet, 4° A son frère, 5° Au même, 6° Au P. La Combe, 7° A dom Grégoire Bouvier, son frère, 8° A d’Arenthon d’Alex, 9° A l’Official de Paris, 10° A l’Official, 11° A l’Archevêque de Paris, 12° A Mme de Maintenon, 13° Mémoire, 14° Au duc de Chevreuse, le 1er octobre 1694.

Tome VII, app. III, « II, Témoignages concernant Mme Guyon » : renferme « les témoignages de diverses personnes… », p. 485-505 : (A) Jean d’Arenthon d’Alex du 29 juin 1683, (B, 1°) Le cardinal Le Camus à d’Arenthon d’Alex du 18 avril 1685, (B, 2°) Le même au duc de Chevreuse du 18 janvier 1695, (B, 3°) Le même à dom Falgeyrat du 3 mai 1685, (B, 4°) Le même à l’évêque de Chartres (extraits) de 1697, (C, 1°) D. Richebracque au duc de Chevreuse du 14 avril 1695, (C, 2°) Le même à Mme Guyon à la même date, (C, 3°) Le duc de Chevreuse à D. Richebracque du 18 avril 1695, (C, 4°) D. Richebracque au duc de Chevreuse du 23 avril 1695, (D) Placet présenté au Roi en faveur de Mme Guyon, (E, 1°) Attestation donnée par les religieuses du la Visitation de Meaux à Mme Guyon, lorsqu’elle sortit de ce monastère le 7 juillet 1695, (E, 2°) La M. Le Picart à Mme Guyon le 9 (?) juillet 1695, (E, 3°) Les religieuses de la Visitation de Meaux à Mme Guyon, le 9 juillet 1695.

Tome VII, app. III, « III, Actes de soumission de Mme Guyon et attestations à elle données par Bossuet », p. 505-520, contient les soumissions A, B, et les attestations C, D. Nous les éditons, mais séparées, en respectant leur ordre chronologique, ordre adopté pour les autres documents de notre volume. L’étude par Levesque, qui forme le début (p. 505) et la fin (p. 516) de la section, est reproduite dans la notice : « Soumissions et attestations vues par Levesque. »

Tome VII, app. III, « IV, Protestation de Mme Guyon », p. 521-524, du 15 avril 1695. Pour la discussion de ces dernières pièces, selon un point de vue bossuétiste, on se reportera à l’annexe : « Soumissions et attestations vues par Levesque. »

Tome IX, App. II, « II, Lettres du P. La Combe », p. 480-488, 1° Le P. La Combe au Général des barnabites, 1er février 1689, 2° au même, pièce en latin.



Divers écrits de Madame Guyon (ms. 2057).

Le manuscrit 2057 des A.S.-S., intitulé « Divers écrits de Madame Guyon » est un recueil de nombreuses pièces disjointes, de mains et de formats différents, paginées dans certains cas, souvent réduites à des feuillets numérotés.

De nombreux textes ont été écrits au cours des années 1674 et suivantes. Ils sont essentiels pour étudier l'évolution intérieure de la jeune femme. Monsieur Noye a noté que les feuillets 32 à 179 « ne concernaient pas Madame Guyon », abandonnant une attribution plausible à Marie Rousseau, l’inspiratrice d’Olier.

Le Traité du Purgatoire a été édité (par Madame Gondal), ainsi que les pages enlevées de la Vie concernant Fénelon (en premier lieu par Masson, puis intégrées dans notre édition de la Vie), et quelques poèmes de prison (dans notre édition de la Vie). Les autres textes, abondants, n’ont pas été étudiés jusqu'ici. C’est la raison pour laquelle nous donnerons, dans le troisième volume, de nombreux extraits qui éclairent d’une lumière vive la période de formation.

Les écrits de jeunesse sont souvent liés à des retraites, parfois à une tentative — encore maladroite — d’introspection. Il est remarquable de voir l’effort intense pour comprendre un état — traduisant une volonté d’appropriation qui, ne se limitant pas à l’écriture, est combattue par Bertot (v. les lettres de ce dernier dans le premier volume de la correspondance). En tout cas cet acharnement du compte-rendu, parfois monotone à lire, explique la précision admirable des descriptions ultérieures, par exemple de « l’état apostolique » : la formation d’écrivain commence tôt et explique la fluidité du texte des Torrents (1685).

Nous avons décomposé le manuscrit en sections (une analyse élaborée en augmenterait le nombre en divisant certaines d’entre elles, jugées moins intéressantes) :

1° (4 pages). « Conduite de Dieu envers une simple bergère. » 4 mars 1674. (Reproduit dans notre vol. III, section « Témoignages spirituels »).

2° (Autographe. Feuillets numérotés de 3 à 15). « Traité du Purgatoire. » (Ce traité figure dans le second volume des Opuscules spirituels, p. 279 de l’édition de 1720, reproduite chez Olms, 1978. Le texte du manuscrit, accompagné de deux textes plus brefs, est édité et présenté par M.-L. Gondal, Le purgatoire, Millon, 1998).

3° (f° 16 - 21). « Il me semble qu’il est aisé de concevoir qu’une personne qui met son bonheur en Dieu seul, ne peut plus désirer son propre bonheur… ». Il s’agit de la lettre n° 164 adressée à Bossuet vers le 10 février 1694 (la copie a une hauteur de 19 cm environ, hauteur plus réduite que celle de la majorité des autres feuillets ; elle est faite par Bourbon, secrétaire de Tronson).

4° (f° 22 - 28). « État apostolique ». (Très beau texte, repris dans les Discours spirituels, vol. 2, n° 65 : « État Apostolique. Appel à enseigner. » Il s’agirait d’une lettre adressée à Bossuet (car c’est la suite de la copie de hauteur 19 cm environ, faite par Bourbon, secrétaire de Tronson). La fin de la copie est marquée au dos par M. Tronson : « Estat Apostolique de MG ». Nous avons donc reproduit cette lettre à la suite de la précédente, comme ayant été adressée très probablement à Bossuet peu après le 10 février 1694.

5° (f° 32 - 179). Anonyme. [Ces feuillets de moyen format ne concernent pas Mme Guyon, selon I. Noye. Effectivement l’esprit ne correspond guère à ce que l’on peut attendre d’elle. S’agit-il du tout début de sa démarche vers l’intériorité ? L’attribution reste plausible à notre avis pour les feuillets 48 à 51 :

« Vue d’Esprit et de pure foi de Notre Seigneur au jardin des olives. » Mais une telle confirmation d’une partie pose le problème d’attribution pour l’ensemble ; nous avons omis ce long texte anonyme, qui devrait être divisé en plusieurs sections].

6° (f° 179). « Je vins à la fin de l’année 1696 sur la paroisse de Saint-Sulpice… » (L’attribution reste incertaine).

7° (f° 180 – 185) « Le jour de la Transfiguration… » [Ce texte est séparé du suivant par « autre », mais l’ensemble forme un manuscrit écrit de la même main ; reproduit dans « Témoignages spirituels »].

8° (f° 185 –187 v) « Mon état présent… » [« Témoignages spirituels »].

9° (f° 187v-190) « Un chemin fort aride… » [« Témoignages spirituels »].

10° (f° 190-193). « Ces paroles de Job… » [« Témoignages spirituels »].

11° (f° 193v-195v). « Je suis toujours dans le même état… » [« Témoignages spirituels »].

12° (f° 196-197v). « … Pour purifier… » [« Témoignages spirituels »].

13° (f° 197v-200v). « … Un abîme de misères… » [« Témoignages spirituels »].

14° (f° 200v-203). « … Il me semble que je ne suis que misères. » [« Témoignages spirituels »].

15° (f° 203v – 213). De la souffrance. [« Témoignages spirituels », début seul].

16° (f° 214-216). Pensées sur le Gloria Patris. [« Témoignages spirituels »].

17° (f° 216v-219v). « Différentes manières dont Dieu Se sert… » [« Témoignages spirituels »].

18° (f° 219v-223). « Différentes manières de voir en Esprit les choses… » [« Témoignages spirituels »].

19° (f° 223v-228). « La disposition de mon esprit… » [« Témoignages spirituels »].

20° (f° 228-232). « Faisant vers vous selon notre pouvoir… » [écrit adressé peut-être à Ramsay ; « Témoignages spirituels »].

21° (f° 233). « Je prends Monsieur la confiance de vous écrire… » (Lettre de M. G. à M. Tronson du 19 octobre 1696).

22° (f° 234-235). « Devoirs de la créature intelligente envers Dieu son créateur… » [« Témoignages spirituels », début seul].

23° (f° 236 à 239). « Jésus ayez pitié de moi… »[Tout petit format, de l’écriture d’une fille de Mme Guyon, celle de la lettre à M. Tronson. Nous avons reproduit des extraits de ces « cantiques rédigés en prison » dans notre édition de la Vie, p.1041-1042.]

24° (f° 253-260v, puis 240 à 241 de petit format de l’écriture d’une fille de Mme Guyon). « Outre le goût général que j’ai pour votre âme… » (Il s’agit de deux lettres adressées à Fénelon en novembre 1688 et le 2 décembre 1688, éditées dans notre premier volume de la Correspondance.)

25° (f° 242-243v). « Des trois points, savoir l’attention, l’intention et la fidélité… » [« Témoignages spirituels »].

26° (f° 244-260). Trois textes dévotionnels : « Pour la Circoncision, sainteté de Dieu, la mort d’un homme-Dieu. »

27° (f° 261-263). « J’ai tâché de me cacher à moi-même… »  (Lettre de l’année 1691 sans destinataire connu. Il ne semble pas qu’elle puisse faire partie de la direction de Fénelon. Elle figure dans l’édition Dutoit, vol. II, lettre 36, p. 93, éditée dans notre troisième volume de la correspondance).

28° (f° 264-266v). « Moi qui suis petite avec vous… » Lettre adressée au cercle des disciples. [« Témoignages spirituels »].

29° (f° 267-268). Lettre : « 1691. Je viens tout présentement de recevoir votre lettre… » D.2.22 de Dutoit, voir notre volume III.

30° (f° 269). « Ne pouvant vous écrire je me sers de la main du premier et du dernier… (ajout : en janvier 1707). Lettre publiée dans notre vol. III.

31° (f° 270-271). « Le soir de la Pentecôte… » [« Témoignages spirituels »].

32° (272-273) Cantiques. « Venez petits oiseaux sous ce sombre bocage… »

33° (274 —) « S’il est vrai que mon cœur veut toujours… » repris par Masson comme étant de Fénelon : selon I. Noye, cette pièce assez pauvre ne serait pas de ce dernier. Nous l’avons cependant reprise comme pièce 313, 16e de Fénelon, dans notre premier volume.

34° (280 r° à 303, un ensemble de très petit format, écrit très serré, à partir du f° 286) Il comporte plusieurs cantiques : « Que ferais-je Seigneur pour éviter les coups… », (280 v°) « Laissez moi pleurer ma douleur… », (281 v°) « Vous me montrez Seigneur cette gloire future… », etc. Très intéressant recueil qui présente la « poésie » de Madame Guyon avant les retouches des éditeurs.)

35° (304 v° -305). « Le dernier de janvier en soupant le soir… » [« Témoignages spirituels »].

36° (305-307). [« Sur l’abandon à Dieu/Lettre de M. de la Verne à son directeur »]

37° (308-309). « Je suis sur la croix très volontairement quoique douloureusement. » (Copie d’une lettre écrite par la demoiselle Marc pendant sa prison…)

38° (310 —). « Abrégé de la vie de Mad. Guyon ». [Écriture de Chevreuse ; « Témoignages spirituels », début seul].

39° (314 à 318 v°, numéroté 739 à 747). “Quelques jours après ma sortie je fus à B [eynes]…” Extrait de la Vie (Ces folios, ont été détachés de la Vie lors de sa communication à Bossuet et rétablis dans notre édition critique, Vie 3.9.10, p. 75 Le cantique intercalé, numéroté 740 à 742, « Que mon cœur est content auprès de ce que j’aime ! », est reporté dans cette même édition à la page 1042.

40° Lettre : Mes Chers enfants (Le ms 2057 se termine sur cette lettre : « Je vous souhaite une bonne année ; elle sera toujours bonne, si nous nous renouvelons dans la charité… »).



Fénelon : Explication des Maximes des Saints (1697) :

La chronologie de la CF établie par Orcibal donne tout le détail des nombreuses allées et venues de Fénelon entre Cambrai et Paris, des pressions et des tractations à Rome, aboutissant à la condamnation de l’Explication des Maximes des Saints (1697) (à ne pas confondre avec l’Explication des articles d’Issy, inédit jusqu’en 1915). Le 13 décembre 1696 Fénelon quitte Versailles. Il revient le 9 février. Du 1er au 5 juin, il est à Versailles ; 18 juin : d'après A. Bossuet, « le Roi a parlé très fortement à M. de Cambrai contre son livre et son obstination » ; Bref papal le 30 juin : selon Bossuet « le nouveau bref lui donne de l'autorité par sa seule ambiguïté » ; 26 juillet : « Le Roi a écrit au pape en représentant vivement le danger que les propositions contenues dans le livre peuvent faire courir à ses sujets… ». 10 septembre : Bref du Pape. 30 décembre : “Il est raisonnable… d'attendre les réponses que fera le prélat [Fénelon] aux arguments qu'on lui a opposés… On n’en poursuit pas moins l’examen de la traduction latine du livre… à chaque audience Bouillon expose avec vivacité l’impatience royale…” ; 26 février 1698 : « Les affaires de Rome ne vont pas bien : elles s'allongent, et les suffrages sont présentement partagés, cinq contre cinq » (Beaufort à l'évêque de Châlons) ; 27 mars, l'évêque de Saintes à celui de Bazas : « L'affaire de M. de Cambrai est devenue quelque chose de fort subtil… Ces livres font aisément perdre l'envie de lire longtemps ».

On se reportera pour l’Explication des Maximes des Saints à son édition « définitive » fournie par J. Le Brun dans : Fénelon, Œuvres I, Bibl. de la Pléiade, 1983, p. 999-1095, ainsi qu’à sa « notice », p. 1530-1549. Par suite de sa condamnation papale, elle « ne figure pas dans les Œuvres complètes de Fénelon éditée aux XVIIIe et XIXe siècles », comme il est indiqué à la fin de la bibliographie donnée dans la « notice », p. 1546. On passe en effet des éditions de 1698, dont celle de Poiret, à l’édition de 1911 par Cherel. Une telle anomalie n’est-elle pas l’une des nombreuses causes de la relative obscurité qui entoura longtemps la querelle quiétiste ? On notera cependant que le texte fidèle de l’Explication… figure dans l’édition des « Œuvres de Fénelon », Didot, 1857, t. II, p. 1-39 : édition certainement « laïque », (reproduite de celle d’Aimé Martin de 1835), mais qui reprend aussi, fidèlement selon notre vérification faite sur les lettres, l’édition de 1820 à 1830 (1827-1828 pour les lettres), par Gosselin, dite « de Versailles ». On sait que, dans sa préface, celui-ci ne reconnaît pas la correspondance « secrète » avec Mme Guyon (respect de la mémoire de Fénelon oblige !), mais il prend activement, de manière toutefois cachée, la défense des quiétistes dans les abondantes « notices des personnages », imprimées en corps fort petit, tome 11, p. 279-374, dont nous nous sommes parfois inspirés. Par ailleurs nous avons vérifié que les lettres de cette excellente édition de Versailles sont, elles, également reprises à l’identique par l’édition de 1851-1852 dite de Paris ou « des quatre éditeurs » (cette dernière donne d’ailleurs leur numéro de 1835 entre parenthèses). L’édition de Paris demeure jusqu’à aujourd’hui la seule complète (sauf pour les lettres, dont l’édition est rendue caduque par celle qu’a procurée J. Orcibal, J. Le Brun, I. Noye) et donc la plus fréquemment référencée. V. aussi DS, art. « Fénelon » (par L. Cognet) fasc. 33, col. 169-170, pour une brève revue, incluant les inédits qui ont vu le jour après 185



Laurent de la Résurrection et son œuvre.

On reconnaît aujourd’hui la grandeur de ce frère convers, l’une des rares figures mystiques majeures de la seconde moitié du XVIIe siècle. Mais son « œuvre » est particulièrement mince.

Le Carmel est le courant mystique auquel se réfère le « réseau quiétiste » constitué sur la durée du siècle autour de Jean Chrysostome, Bernières, Bertot, Guyon… Le carme déchaux Laurent est connu et apprécié de Fénelon comme de Mme Guyon ; le grand carme Maur de l’Enfant-Jésus est en relation avec la jeune Mme Guyon (v. les 21 lettres éditées dans notre précédent vol.) ; le carme aveugle Jean de Saint-Samson prend une place majeure dans les Justifications, auprès de Jean de la Croix.

Madame Guyon apporte sur l’œuvre du frère Laurent une information [probablement inexploitée, car demeurée jusqu’ici à l’état manuscrit ; il s’agit des deux « livres de lettres » de Dupuy et La Pialière], à la fin d’une des lettres de décembre 1697, adressées à la « petite duchesse » : “On a supprimé tous les livres du frère Laurent, et il n’y en a plus que six dans tout Paris, possédés par des particuliers. […] ils en ont fait imprimer un autre en la place, pour surprendre, qui n’a rien de ce qu’avait l’autre. En voici l’intitulé : Maximes spirituelles et utiles aux âmes pieuses pour acquérir la présence de Dieu, recueillies de quelques manuscrits de frère Laurent, etc., au Bon Pasteur.” Cet intitulé est-il celui de l’édition supprimée ou de l’« autre » ? Une édition « au Bon Pasteur », de 1692, à Paris, chez Edme Couterot, 188 pages, nous est parvenue ; suivront à Châlons, en 1694 les Mœurs et entretiens de 92 pages ; puis il faut attendre l’édition de Wettstein conseillé par Poiret, de 1699, enfin celle de Poiret seul, de 1710… qui reprennent les précédentes. (v. Conrad de Meester, Frère Laurent…, Paris, Cerf, 1996, p. 22-27).

Les Maximes spirituelles que nous possédons sont courtes (25 pages dans l’éd. de Conrad de M.). Nous sont parvenues aussi des Lettres, des Entretiens, la Pratique de l’exercice de la présence de Dieu, (au total 90 pages dans la même édition). Mais les Entretiens sont un « composite Laurent-Beaufort » et la Pratique un « condensé de la doctrine du frère Laurent », nous dit Conrad de Meester. On doit donc considérer l’« œuvre » qui nous est parvenue avec prudence, compte tenu de son éditeur, grand vicaire de M. de Châlons. Quoi qu’il en soit, elle n’en demeure pas moins un joyau mystique du siècle.





Liste d’abréviations et de surnoms :

La liste qui suit est incomplète et parfois incertaine…

b., marquis, bon marquis = Le M. de Charost

B [on] pa [pa] = Louis XIV

Ba, bar, Baraquin = le diable

Ben = bénédictines.

c [omtesse], bonne c [omtesse], Lbc, (v. Col) = comtesse de Morstein.

C. de V. = Curé de Versailles (Hébert)



Cal.= L'abbé de Beaumont (v. panta) ? Pourrait aussi désigner L’Echelle ?

Chi. = le « chinois » (non identifié) ou le « chien ».

Christophlets = adeptes de l’effort, disciples de saint Christophe.

Col, la Col, Colom, Colombe = comtesse de Morstein.

D de Ch. = d [uchesse] de Ch [evreuse].

dom, dom al., al = père Alleaume.

doyenne des d [uchesses] = duchesse de Béthune ?

Enfants = disciples du petit maître.

Eud [oxie], (v. Mad. de M.) = Madame de Maintenon.

f [rère] le chantre

f [rère] paquebot

famille = Marie de Lavau, au service de Mme Guyon.

gros enfant, M. de pihal. = La Pialière, gentilhomme normand (et copiste).

l b c = la bonne comtesse : Mme de Morstein ?

le M. de C.

L’aumônier = L’abbé de Charost.

la bonne nonne = M. de Sassenage.

Le Bon, Lb, le B., le bd, mon b., M. de B. = duc de Beauvillier.

Le ch., le grand ch., le g. Ch. = La duchesse de Charost ?

Le petit ch. = fille du grand ch.

Le p. arch.

m p d, m b p d = ma bonne petite duchesse (de Mortemart, Marie-Anne).

b d = bonne duchesse (de Mortemart, Marie-Henriette).

mon bon : v. Le Bon

M d B, Madame de B, M l de B = Madame la duchesse de Béthune, Madame de Béthune.

M. f. = M. de F [îtes] ?

M. de Ch., M. de char. = M. l’évêque de Chartres.

M. de cha. = M. l’évêque de Châlons (Noailles).

M. de m., M. de M. = M. de Meaux (Bossuet).

M. de mors. = M. de Morstein.

M. de P. = M. de Paris (Harlay puis Noailles).

M. de V. = Hébert ?

M. des ch. = ecclésiastique qui demeure à Vaugirard. 

M. le curé = curé de Versailles (Hébert) ou de Saint-Sulpice (La Chétardie à partir de 1696).

M. le Ch. = le chevalier de Gramont.

M. tron, M. tronçon = M. Tronson.

M. B., m. B., m. b. = M. Boileau et aussi : « mon bon », Beauvillier.

Ma B et Ch. = Ma bonne et chère [Comtesse].

Mad de B. = Madame de Beauvillier.

Mad de M. = Madame de Maintenon.

Mad de Mors. = Mad de Morstein.

Mad. de cha. = la duchesse de Charost.

Mad. de Mort. = Madame de Mortemart.

Mar. = La Marvalière ? (Il sera secrétaire des Michelins).

marc, petite marc = Françoise Marc, au service de Mme Guyon.

Michelins = les disciples de saint Michel.

Mr Thev = Thevenier.

N. S., n. s., ns, = Notre Seigneur

Nicolas = Nicolas de Béthune-Charost

No. = Noailles

p. p. ou pp. = petit prince

d. d. p. = dame du palais

p a de Ch = père Abbé de Charost (l’aumonier de l’ordre des Michelins)

p C = petite Comtesse

p d, la p d, petite d = la « petite duchesse » de Mortemart

p l c, p l C = père Lacombe (ou La Combe)

p m = petit Maître (très exceptionnellement : petite Marc)

p. de la m. = père de la Motte (Dominique)

panta [leon] = Pantaléon de Beaumont.

Put, p = Dupuy  

py, M. Pyrot = M. Pirot

S B, St B., bi, bi bi, G., Général, père général, M. de C. = Fénelon

sœur de la croix = sœur Sainte-Croix, la dévote de M. Boileau = Marie Dalmeyrac = sœur Rose

T, Tut [eur] = duc de Chevreuse

Vin. = prison de Vincennes

Manuscrits 

Ces descriptions détaillées complètent les sources décrites au début du premier volume, éclairent l’histoire des livres de lettres, et pourraient s’avérer utiles par la suite pour localiser ces sources.

Les archives, en possession des A.S.-S. depuis 1802, contenues dans des « cartons », furent récemment mises en ordre, montées sous onglets et reliées en volumes. Chaque pièce fut numérotée : les numéros inférieurs à 6500 furent réservés au fonds « Fénelon », les numéros suivants 6500 furent réservés au fonds « quiétistes », les numéros suivant 7000 furent réservés au fonds « Guyon », etc. Les volumes sont repérés par les numéros de pièces indiqués sur leurs dos. Un numéro représente un manuscrit d’extension très variable, allant du billet au cahier de lettres.

Fonds Fénelon, volumes XI1 & 2.

Ces deux volumes de reliure verte comportent de nombreuses pièces relatives à Madame Guyon, dont une quinzaine d’autographes de cette dernière : elles ne furent pas négligées par l’éditeur de la Correspondance de Fénelon de 1827-1828 : on retrouve en effet, sur la majorité des pièces, en haut à droite, d’une forte encre noire, l’indication des numéros des lettres de la « Section VI. Correspondance sur l’affaire du quiétisme » commençant au tome septième de 1828. (On note que cette édition est soigneuse, mais omet [rarement] des paragraphes importants de lettres de Lacombe). Cette source nous était inconnue lors des descriptions fournies au début de notre premier volume. Quelques lettres isolées de Mme Guyon ont été  retrouvées dans d’autres volumes du même « fonds Fénelon ».

Base informatisée :

Nous avons constitué une base de données (tenue disponible après accord des A.S.-S), couvrant la correspondance guyanienne conservée aux archives de Saint-Sulpice, soit les trois livres de lettres (Dupuy, La Pialière, le marquis de Fénelon) ainsi que l’ensemble des pièces séparées, autographes et copies du fonds « Guyon » (augmenté de pièces guyoniennes du fonds « Fénelon » dont en particulier celles des vol. XI 1 & 2).

Utilisation des Livres de lettres :

L’accord est excellent entre la copie de Dupuy et celle de La Pialière : nous avons relevé, sur le long texte adressé à la petite duchesse en mars 1697 (« je ne crains point que le prêtre me trahisse… »), une seule et légère correction par Dupuy, absente de La Pialière (v. la variante « b » à cette lettre). Aussi nous relevons souvent le texte sur La Pialière, ce que l’on observe par les numéros des pages donnés entre crochets, mais nous vérifions toujours les points obscurs sur Dupuy. Celui-ci est en effet plus sûr, mais son écriture est difficile. Il a vérifié La Pialière, ce que montrent quelques annotations portées sur le livre de ce dernier, outre la table finale des abréviations de sa main. Bien entendu Dupuy ou La Pialière ne sont utilisés qu’à défaut de source autographe ou qu’en cas de grande difficulté de lecture : Dupuy déchiffre mieux que nous les autographes de Madame Guyon… Enfin le livre du marquis de Fénelon se situe à part et malheureusement constitue souvent la seule source disponible. Son écriture « de militaire » est difficile et très serrée.

Livre des lettres de Dupuy : cartonné gris, titre de la tranche : « Lettres de M. Guyon au duc de Chevreuse » ; dos de couverture : « E. Levesque/6 rue du Regard » ; f° suivant : « À 3me série, n° 7 » ; f° suivant : « Lettres de Madame Guyon à Mr le duc de Chevreuse/Cette copie est de la main de M. Dupuy/Mme Giac » ; f° 2 : début de la première lettre « Il m'est venu fortement au cœur… » ; suivent les folios numérotés, à l’encre forte, en bas à droite : 3 à 229 (il existe aussi une numérotation des pages, au crayon fin, en haut à gauche, que nous n’avons pas utilisée ; nous signalons ici son existence, car une erreur de référence est possible) ; le f° 229v° se termine par une lettre interrompue : « … j'espère que le ». Il y a donc des folios manquants et le livre de La Pialière décrit ci-après va plus loin ; dernier f° : « Lettres de Me Guyon appart. à la succession de Me de Giac » qui eut lieu au milieu du XVIIIe s. 

Livre des lettres de La Pialière : relié rouge, titre de la tranche : « Fonds Guyon, pièce 7233 » (c’est une grosse pièce) ; à l'intérieur, au crayon, en page de garde : « Ms. 2173 » ; en deuxième page de garde l’ancienne couverture : « 7e carton (cachet : 7233) 10bis/ Lettres de Mde Guyon au duc de Chevreuse 1693 et suiv. / (quelques mots biffés) Copie » ; ancienne page de garde : « (7233) (Quelques annotations sont de la main de Mr Dupuy, v. p. 1, 23, 114, 183, etc.) Copies pas très exactes. » ; feuillet suivant : « XVIe carton no. 18/ Lettres de Mad. Guyon a m. le duc de Chevreuse. années 1693, etc. / originaux » ; enfin première page « i » du premier feuillet : « Le 2. juillet 1693 (souligné)/ Il m’est venu fortement au cœur de vous prier M. [surmonté de l’addition par Dupuy : « Au tuteur ») d’éclaircir à fond l’affaire… » ; suivent les pages « ii » à 204 se terminant par la lettre de “may 1698 […] ce que j'ai fait.” ; la page 205 porte une utile liste des abréviations et de leur signification établie par Dupuy.

Livre des lettres du marquis de Fénelon : relié rouge, titre de la tranche : « Fonds Guyon pièce 7417 » ; « Ms. 2176 » au crayon en page de garde ; feuillet suivant : « 7e carton Lettres diverses de Mme Guyon » ; f. suiv. : « XVIe carton Lettres diverses… » ; f. suiv. : « Copies de lettres de quelques trans à la mère des enfants du p. m. avec des réponses de cette bonne mère. » ; écrits de la main du marquis : les folios 1 à 38, 65 à 75, 77 à 83 (pages de poèmes en deux colonnes d’une petite écriture), 89 poème de six vers, 93 à 195. Les autres folios sont vierges.



Relations et autres pièces biographiques.

Plutôt que de donner une bibliographie extensive, nous signalons des sources venant en complément des matériaux biographiques livrés par nos éditions de la Vie et de la Correspondance. En se limitant à Madame Guyon seule — témoignages de ses relations directes, objections qu’elle aura le plus souvent lues — on peut se limiter à quelques textes d’époque.

Outre les Œuvres et les Correspondances de Fénelon et de Bossuet, on consultera (les références moins essentielles sont données entre parenthèses) :

Nicole, Réfutation des principales erreurs des quiétistes […], Paris, 1695.

(J. Grancolas, Le Quiétisme contraire à la doctrine des sacrements […], Paris, 1695.)

Bossuet, Relation sur le Quiétisme, Paris, 1698.

Le Masson, Éclaircissements sur la vie de Messire Jean d'Aranthon d'Alex…, Chambéry, 1699.

(La Bruyère, Dialogues […] sur le quiétisme, Paris, 1699.)

(Ramsay, Histoire de la vie de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon […], La Haye, 1723.)/Phelipeaux, Relation…, Paris, 1732./Dupuy, Relation du différend entre Bossuet et Fénelon, A.S.-S., ms. 2046. /(Hébert, Mémoires…, Paris, 1927.)/Saint-Simon, Mémoires.

Soumissions et attestations vues par Levesque. 

UL, tome VII, appendice III, section III, « Actes de soumission de Mme Guyon et attestations à elle données par Bossuet. » contiens les soumissions A, B, et les attestations C, D. Nous avons respecté leur ordre chronologique, ordre adopté pour les autres documents de notre volume (v. “Soumission « A ». 15 avril 1695.”, etc.). L’étude par Levesque, bossuétiste, érudit précis, est constituée du début (p. 505) et de la fin (p. 516) de sa section. Nous en donnons la plus grande partie, dont certaines de ses notes, placées ici entre crochets. Nos propres remarques et références aux n° de pièces sont placées entre tirets.

Retirée à la Visitation de Meaux, Mme Guyon ne devait recouvrer la liberté qu’après avoir souscrit des actes témoignant de la pureté de sa foi, dont Bossuet avait été constitué juge. Ce n’est qu’au bout de six mois environ, qu’elle parvint à satisfaire le prélat. […]

Au cours de sa réclusion à Meaux, il est question de six ou sept actes de soumission, dont quatre furent signés par elle et, comme tels, acceptés par son juge [note : Lettre du 6 juillet 1695 — n° 300 dans ce volume — Ms. Dupuy, f° 190, pour Levesque, qui utilise les numéros portés en haut à gauche du ms, — f° 146 pour nous qui utilisons les numéros portés en bas à droite du même ms. -]./ « Outre les trois actes de soumission, il y avait une déclaration du 15 avril, dont Phelipeaux (p. 163) nous a conservé le texte — n° 487 —. Cette déclaration, selon Mme Guyon, aurait été d’abord acceptée par Bossuet, et ensuite rejetée par lui. [note : Il y a, écrit Mme Guyon, un acte « dont j’envoyai la copie de ma main, et je ne l’ai plus : c’est celui où il me fait déclarer que je n’ai point vu M. de Grenoble avec le Prieur de Saint-Robert. Il ne veut plus à présent de cette déclaration » (Lettre du 11 juin 1695 — n° 285 du 2 juin selon nous —, Ms. Dupuy, f° 187 — f° 143 pour nous —)] ; cependant il en a inséré à peu près textuellement la plus grande partie dans celle qui porte la date du 1er juillet [note : Depuis les mots : « Je supplie ledit seigneur évêque de Meaux… » jusqu’à : « … jamais entré dans l’esprit. » Voici la partie qui fut laissée de côté, sans doute parce qu’il y est fait allusion à des choses dont on ne voulait plus tenir compte, ou qu’on avait renoncé à approfondir : ‘Je déclare en particulier que les lettres qui courent sous le nom d’un grand prélat (M. de Grenoble), ne peuvent être vraies, puisque je ne l’ai jamais vu avec le Prieur de Saint-Robert, qui y est nommé, et je suis prête à jurer sur le saint Évangile que je ne l’ai jamais vu en un même lieu, et affirmer sous pareil serment les autres choses contenues dans la présente déclaration. Fait à Meaux, au dit monastère de Sainte-Marie, ce 15 avril I695.’ Le même jour, Mme Guyon écrivit une longue protestation qui fut déposée chez un notaire — n° 485 —]

Enfin, il y avait une soumission que nous ne possédons plus en son entier, et que Mme Guyon, en mai 1695, avait souscrite au bas de l’Ordonnance et Instruction pastorale de l’évêque de Meaux, en date du 16 avril [note : ‘Il est venu, je lui ai témoigné tout le respect possible ; il m’a demandé de signer sa lettre pastorale, et d’avouer que j’ai eu des erreurs qui y sont condamnées… Il l’a prise (la soumission) ; mais, ne la pouvant lire, il me l’a rendue. Je la lui ai lue ; il m’a dit qu’il la trouvait assez bien ; puis, après l’avoir mise dans sa poche, il m’a dit : « Il ne s’agit pas de cela : tout cela ne dit point que vous êtes formellement hérétique, et je veux que vous le déclariez… » (Lettre de mai 1695, ms. Dupuy, f° 180, r° et v°) — n° 279 —]. Mal renseigné sur les circonstances dans lesquelles cet acte avait été donné, et croyant qu’il avait été, comme d’autres actes de Mme Guyon, dressé par Bossuet, Fénelon, bien qu’il ne fût pas revêtu de la signature de l’évêque de Meaux, en fit état dans sa Réponse à la Relation sur le quiétisme : ‘… M. de Meaux, dit-il, lui dicta encore ces paroles dans sa souscription à l’ordonnance où il censurait les livres de cette personne : “Je n’ai eu aucune des erreurs expliquées dans ladite lettre pastorale, ayant toujours eu l’intention d’écrire dans un sens très catholique, ne comprenant pas alors qu’on en pût donner un autre. Je suis dans la dernière douleur que mon ignorance et le peu de connaissance des termes m’en ait fait mettre de condamnables. “[note : Réponse à la Relation, ch. 1.] Bossuet, dans sa réplique [note : Remarques sur la Réponse, art. II, § v (Lachat, t. XX, p. 195).], déclara cet endroit ‘inventé d’un bout à l’autre “, insinuant que l’invention était de Fénelon lui-même. Pourtant ce prélat ne faisait que rapporter un acte dont Bossuet pouvait à bon droit nier l’autorité, puisqu’il ne l’avait pas agréé, mais dont il aurait pu se rappeler l’existence, puisque c’était un des projets de soumission que Mme Guyon lui avait présentés, et qu’il l’avait mis dans sa poche [note : Voir la riposte de Fénelon, Réponse aux Remarques, etc., VIII ; v. Bossuet, Dernicr éclaircissement, art. I (Lachat, t. XX, p. 448 et 449).].

Mais il y a des actes dont l’existence ni l’autorité n’ont été niées par personne ; ce sont ceux que nous allons reproduire. Ces documents ont été publiés d’abord, les trois premiers par Phelipeaux (t. l, p. 166 et suiv.), et le quatrième par Fénelon dans sa Réponse à la Relation de Bossuet (ch. I). Nous les donnons d’après le registre de Bossuet conservé à Saint-Sulpice, cahier in-4, de dix folios, recouvert d’une reliure du XVIIIe siècle — il s’agit du ms. 2134 —. Les quatre premiers folios et le recto du cinquième contiennent trente-trois des articles d’lssy. En haut du folio 5 v°, on lit le trente-quatrième article, avec la signature autographe de Bossuet ; puis, sans intervalle, commence la première soumission de Mme Guyon [note : Celle du 15 avril, contenant son adhésion aux articles d’Issy.], de la main d’un secrétaire, continuée au recto du folio 6, avec signature autographe. La soumission du 1er juillet, de la même main que la précédente, est contenue au folio 6, r° et v°. La première attestation, signée de Bossuet et de Mme Guyon, se lit au folio 7 r°, et d’une autre main que les documents précédents ; la seconde, signée de Bossuet et contresignée de Ledieu, est au folio 7 v°, et de la même main que la première. Les folios 8, 9 et 10 sont restés en blanc.

[suivent l’édition des pièces A, B, C, D, puis la « conclusion » suivante :]

Dans sa Vie (t. III, p. 226 à 229) — Vie, 3,19 —, Mme Guyon a raconté qu’après lui avoir donné une attestation qui la déchargeait, Bossuet lui en avait fait tenir une autre, en réclamant la première ; jugeant la seconde insuffisante, elle ne consentit pas à se dessaisir de la première. Ce point a été l’objet de discussions assez vives [note : Voir Crouslé, Fénelon et Bossuet, Paris, 1895, in-8, p. 64 et suivantes ; Ch. Urbain, dans la Revue d’histoire littéraire, 1895 ; H. Brémond, Apologie pour Fénelon, Paris, 1910, in-18, p. 138 à 148, et le compte-rendu de cet ouvrage fait par M. E. Levesque dans la Revue Bossuet, juin 1911], et, malgré tout, il est resté obscur. La raison en est que les témoignages sur lesquels on s’appuie, rendus parfois longtemps après l’événement, manquent de précision et doivent recéler quelque part d’erreur. Les documents officiels eux-mêmes ne portent pas leur date véritable, et celle-ci ne peut plus aujourd’hui être établie avec certitude. La Vie de Mme Guyon, du moins pour les faits qui nous occupent, a été écrite assez tard, et l’auteur, à distance, a pu faire des confusions qu’il serait injuste de taxer de mensonge. Bossuet (Relation, sect. III) dit que l’attestation délivrée par lui à Mme Guyon était du 1er juillet 1695, et qu’il partit le lendemain pour Paris, alors que sa présence à Meaux est constatée le 3, et qu’une de ses lettres, du 16 juillet, permet de conclure qu’il n’arriva à Paris que le 8 juillet. Le plus souvent, il parle de ‘l’attestation qu’il a donnée à Mme Guyon. [note omise]. Quant à Phelipeaux, il ne mérite pas une foi aveugle, bien que son récit, voisin des événements, ait reçu en 1701 l’approbation de Bossuet (Ledieu, t. II, p. 214 et suiv.). Ne dit-il pas (p. 165) que le sacre de Fénelon eut lieu le 10 juin, et que c’est seulement après cette cérémonie que Bossuet travailla à en finir avec Mme Guyon, alors que l’archevêque de Cambrai fut sacré le 10 juillet, et qu’à cette date, les soumissions de Mme Guyon avaient été acceptées par Bossuet ? À l’en croire, c’est par bonté d’âme que ce prélat, agissant en simplicité et sans défiance, donna l’attestation où sa signature précède celle de Mme Guyon (p. 512), et on a vu que la dame se plaignit qu’on lui eût fait signer cette nouvelle pièce. Il raconte que c’est le 11 juillet, que, sur la route de Paris, il rencontra les amies de Mme Guyon qui venaient la chercher à Meaux ; or Mme Guyon avait quitté la Visitation le 9 (v. p. 503).

A raisonner sur des documents si peu exacts, on doit craindre de n’arriver pas à la certitude sur tous les détails. Nous allons pourtant essayer d’y faire un peu plus de lumière. Pour cela, nous recourrons aux lettres écrites au jour le jour par Mme Guyon, avant que son imagination ait eu le temps de dénaturer les faits. Malheureusement la date de ces lettres n’est pas sûre : tantôt elles portent celle du jour où elles furent écrites, et tantôt celle de leur réception. Nous nous aiderons surtout des documents signalés par M. E. Levesque dans la Revue Bossuet, soit le registre de l’évêque de Meaux et, de plus, une copie du certificat corrigé, daté du 1er juillet 1695. Cette copie, conservée aussi à Saint-Sulpice, porte la signature autographe de Bossuet et le contreseing de Ledieu.

Pour faciliter la discussion, nous désignerons par C — n° 491 — l’attestation signée à la fois par Bossuet et par Mme Guyon (p. 512 et 513), par D — n° 490 — le certificat daté du 1er juillet, avant la rature, soit en premier état, et par D2 ce même certificat après la rature, ou en second état (p. 514 et 515).

On ne saurait douter qu’après avoir remis à Mme Guyon un certificat, soit D en son premier état, Bossuet ne l’ait réclamé en échange d’un autre. En effet, dès le 3 juillet, Mme Guyon écrivait : « Il m’est venu dans l’esprit qu’il ne fallait pas rendre à M. de Meaux un papier que le Petit Maître avait comme forcé M. de Meaux de me donner, et je vois que c’est aller contre sa volonté de le lui rendre ; car, si les autres ne voient pas la différence du dernier au premier, je la sens tout entière » (Ms. Dupuy, f° 165 v° — n° 315 —). Et le lendemain : ‘S’il n’a pas la décharge qu’il m’a donnée et qu’il veut ravoir, il n’y a sorte de persécutions qu’il ne me fasse pour la lui rendre. « (Ibid.) — n° 303 — ; et le 6 (?) : ‘M. de Meaux vient de venir quérir la décharge qu’il me donna hier, disant qu’il m’en apportait une autre’, etc. (f° 185 v°) — n° 300 —.

Mais quelle est la pièce que Bossuet voulut faire accepter à la place du certificat primitif ? Mme Guyon dit que ce fut C, et elle transcrit dans sa Vie ce document, sous le titre de seconde attestation, avec la seule signature de Bossuet, tandis que, dans le registre officiel, cette pièce est placée avant D et porte la signature de Mme Guyon au-dessous de celle du prélat, et il en est de même dans le récit de Phelipeaux.

Faut-il croire que c’est D2, ou le certificat en second état, après la rature ? Cette hypothèse, malgré sa simplicité, comporte trop de difficultés. D’abord, il faudrait expliquer comment Mme Guyon s’est méprise à ce point. D’un autre côté, Bossuet n’aurait pas laissé D2 entre les mains de Mme Guyon, puisqu’elle ne lui rendait pas D. Dès lors, que faut-il donc entendre par ‘les attestations’ qu’elle avait de lui et dont il envoyait copie à son neveu (lettre du 14 juillet 1698) ? Rien, sinon D et C ; d’ailleurs, Phelipeaux dit que ces deux actes furent remis à Mme Guyon.

D est un certificat pur et simple, et, comme tel, est signé de Bossuet seul ; C, au contraire, offre un double caractère : de la part de Mme Guyon, c’est une nouvelle déclaration de ses sentiments ; voilà pourquoi elle l’a signé de la part de Bossuet, c’est une sorte de certificat et c’est ce qui explique qu’il porte aussi la signature du prélat.

Or, voici comment les choses ont pu se passer. Bossuet, dans les derniers jours de juin, avait soumis à Mme Guyon le projet de la déclaration datée du 1er juillet. Lorsqu’il vint, le 2 juillet, chercher cette pièce qu’elle avait signée, il lui remit le certificat D (autrement, elle se serait plainte à ses amis, comme elle l’avait fait après la signature de sa première déclaration, voir page 509) ; mais, en même temps, il lui fit signer, après une simple lecture, la pièce C, qu’il avait préparée le 1er juillet, ainsi qu’il ressort de sa lettre du même jour à Mme d’Albert [note : ‘Vous en dites trop en assurant, sur le sujet de Mme Guyon, que mon discernement est à l’épreuve de toute dissimulation. C’est assez de dire que j’y prends garde, et que je tâcherai de prendre des précautions contre les dissimulations dont on pourrait user’ (plus haut, p. 147).]. Il lui en rapporta une copie quelques jours après : en effet, elle a eu en sa possession cette copie, puisque Phelipeaux le dit et qu’elle l’a insérée dans sa Vie, et pourtant, le jour où elle l’a signée, elle n’en avait pas le texte (Ms. Dupuy, f° 185).

Il faut donc croire que, malgré la date qu’il porte, C a été fait postérieurement à la déclaration précédente datée du 1er juillet ; car, s’il en était autrement, on ne comprendrait pas que, d’une part, tous les détails sur lesquels on exigeait la soumission de Mme Guyon, et, d’autre part, tous les points sur lesquels devait porter l’attestation donnée en échange, n’eussent pas été notés sur un seul et même acte. On ne comprendrait pas davantage pourquoi il y aurait du même jour deux actes de cette nature.

Et cette hypothèse est d’autant plus vraisemblable que le texte de C n’est pas de la même main que tout ce qui précède dans le registre, notamment les deux déclarations de Mme Guyon du 15 avril et du 1er juillet, textes évidemment transcrits à l’avance et non au moment même où Mme Guyon les signa. Si la déclaration datée du 1er juillet, et C (qui est plus court) sont en réalité du même jour, comment se fait-l qu’ils ne soient pas de la même main ?

On conçoit fort bien, du reste, que D (qui est de la même main que C) ait été transcrit sur le registre à la suite de C et hors de la présence de Mme Guyon, à qui il avait été délivré au moment où elle venait de signer cette dernière pièce.

Bien que D fût en réalité postérieur à C, Mme Guyon, à qui, dans cette hypothèse, il aurait été remis tout d’abord, a pu le qualifier de première décharge, et ainsi s’explique la place qu’elle lui a plus tard donnée dans sa Vie. Et voilà aussi pourquoi, dans cet ouvrage, C porte la seule signature de Bossuet : c’est que Mme Guyon transcrit purement et simplement la copie qui lui avait été remise par le prélat, et à laquelle elle n’avait point apposé sa signature.

Enfin on peut se demander pourquoi Bossuet a voulu faire accepter D2 en échange de D, et pourquoi, avant même que l’échange eût été consenti, il a pratiqué sur son registre une rature de cette importance. Faut-il voir là un scrupule de lettré désireux d’éviter la répétition des mots : ‘nous l’avons trouvée’ [v. le fac-similé, p. 514 [de UL]] ? On pourra dire aussi que Bossuet, s’étant vite repenti d’avoir donné à Mme Guyon un certificat si avantageux, a voulu en atténuer la portée. Car, outre que : ‘il ne nous a pas paru qu’elle fût impliqué’ est moins affirmatif que : ‘nous ne l’avons pas trouvée impliquée, les mots ‘en aucune sorte’ et ‘ou autres condamnées ailleurs’ retranchés en D2 rendaient cette dernière décharge moins favorable à Mme Guyon.

Quoi qu’il en soit, quand il parle du certificat donné à cette dame, Bossuet [note : Dans une lettre à M. Tronson, le 30 septembre 1695, où encore il fait en même temps allusion à la première formule : ‘Je déclare que je n’ai rien trouvé en elle sur les abominations de Molinos, qu’elle m’a toujours paru détester’. (plus haut p. 217)] fait à peine allusion à D2 ; c’est à D qu’il se réfère, soit qu’il le résume dans sa lettre à son neveu, du 14 juillet 1698, soit qu’il le cite dans sa Relation, art. III, en s’arrêtant, il est vrai, aux mots : ‘dans laquelle nous l’avons trouvée’, c’est-à-dire à l’endroit où D diffère de D2.


Glossaire

À telle fin que de raison : ‘à toutes fins utiles’ (1655).

Absorbement : rare, synonyme d’absorption  pour ‘extase, ravissement’ chez Suso (trad. 1586).

Air : façon d’être, atmosphère propre à un lieu, à une activité, se retrouve dans l’air de la Cour, l’air du bureau (militaire, XVIIe s., Retz)

Apostume : Un abcès, une tumeur purulente. Au XVIIe siècle apparaît l’expression métaphorique crever, découvrir l’apostume qui signifie ‘mettre au jour ce qui était caché et honteux’.

Appéter : sens large de ‘désirer, rechercher’, ne s’employait plus au XVIIe siècle que dans un contexte didactique et scientifique, en parlant de choses.

Aucun : prend une forme négative en adjectif employé dans une phrase comportant ne.

Avérer : ‘faire reconnaître pour vrai’. Devenu archaïque.

Aveu : le sens d’autorisation’ est encore vivant au XVIIe s.

Boite : vin en boîte, vin bon à boire : ‘ce vin est trop vert, il ne sera dans sa boîte que dans trois mois’ Furetière.

Capable : emprunté au latin chrétien capabilis ‘qui peut contenir’, au sens figuré ‘qui peut comprendre.’

Caractère : mot repris du latin chrétien dans sa spécialisation ‘marque spirituelle et ineffaçable qu’impriment les sacrements’.

Carreaux : Les carreaux de la foudre, substance solide imaginaire qu’on croyait, au commencement du XVIIe s. lancée par la foudre, et qui tuait ainsi ceux qu’elle frappait comme un carreau d’abalète. Littré.

Compatir : ‘demeurer ensemble en même sujet sans se détruire l’un l’autre : l’eau et le vin se peuvent mêler et compatir ensemble. » Furetière.

Complice : le mot est dérivé de complecti « enlacer étroitement et de plectere “entrelacer”. Repris avec la spécialisation péjorative, le mot est resté plus rare avec le sens neutre de “compagnon, ami.”

Confus : “embarrassé, couvert de honte” dont la valeur tend à se dévaluer (1640), le mot entrant dans des formules de politesse ; aussi : confondre.

Considération : représente le latin consideratio “examen attentif.”

Consistance : d’abord synonyme de “matière”, est attesté depuis 1580 au sens d’“état de ce qui est ferme, solide”, d’abord avec la valeur d’  “immobilité, stabilité”, puis en parlant d’une chose abstraite.

Converser avec : le sens de “fréquenter quelqu’un” est attesté jusqu’au XVIIe s.

Coulpe : le mot demeure un terme de théologie désignant la faute.

Coureuse : une valeur correspond au sens galant du terme, péjoratif.

D’abord : Dès l’abord, tout de suite. “incontinent, aussitôt”.

D’abord, d’abord que : dès le début (1655) puis “en premier lieu” et “essentiellement”.

Débiter : (av. 1615) “raconter, détailler en récitant” : loin d’avoir la valeur péjorative actuelle, il était alors accompagné d’un adverbe de qualité avec le sens de “dire (bien ou mal) ce qu” on raconte, réciter (agréablement ou pas) ».

Déchet : premier sens de perte. Littré cite Bossuet : « Sans [la retraite], vous ne trouverez jamais que du déchet en votre âme, du désordre dans votre conscience… »

Désister : désister de, « renoncer à quelque chose » Archaïque : à la fin du XVIIe siècle, seul subsiste le pronominal se désister pour réaliser ce même sens « renoncer à, abandonner ».

Dévoiement : un vomissement, une indigestion (1538), la diarrhée (1680), acceptions médicales sorties d’usage.

Discipliner : a d’abord le sens de « châtier, mortifier corporellement » qui correspond à l’ancien emploi de discipline, et, dès la fin du XIIe s., le sens de maîtriser.

Echets : absent de Rey ou Littré mais la forme « eschès » pour échecs est attestée dans Renart le nouvel v.2489, éd. H. Roussel, 1961.

Ecrivain : seulement au XVIIIe s. un auteur qui se distingue par les qualités de son style.

Enlever : signifie aussi (1655) « priver de (quelque chose) » avec un complément nom de personne, et aussi « enthousiasmer ». Signer : par extension, signer s’emploie aussi pour « approuver ».

Ennui : s’est dit jusqu’à l’époque classique pour « tristesse profonde, dégoût », d’où ennui de vivre.

Ennuyer : « causer des tourments, être insupportable », sens dominant jusqu’à l’époque classique.

Entretenir : dans son premier emploi « se soutenir mutuellement », puis « tenir dans le même état, faire durer, maintenir »

Espèces : Furetière 6e entrée – sens général de « catégorie, sorte », d’où en philosophie espèces sensibles, espèces intelligibles. . Et par extension, représentation ; cf. latin classique, species « vue, regard ».

Etrange : épouvantable, terrible, scandaleux ; hors de la réalité habituelle

Exacteur : emprunté au latin exactor « celui qui exige une créance » Exercice : « peine, tourment » (1685) sorti d’usage.

Flatter : d’abord, au figuré, a signifié « chercher à tromper en déguisant la vérité » d’où à l’époque classique se flatter « se bercer d » illusions » (av. 1559), aujourd’hui flatter quelqu’un de quelque chose « laisser quelqu’un faussement espérer » (1669).

Fontanges : du nom de la duchesse de Fontanges qui noua ses cheveux d’un ruban au-dessus du front : la coiffure plut au roi.

Frénésie : maladie qui cause une perpétuelle rêverie avec fièvre (Furetière).

Friande : avide, ardent au plaisir.

Garde-noble : droit qu’avait le survivant de deux époux nobles, de jouir du bien des enfants, jusqu’à un certain âge de ceux-ci (Littré).

Grièveté : a été remplacé par « gravité ».

Grossièrement : d’abord « sans complication », signifie ensuite sommairement…

Harceler : s’emploie d’abord au sens de « provoquer, exciter (quelqu’un) pour l » excéder. »

Hôpital : En français classique, le contenu du mot est encore axé sur l’hébergement gratuit, même si l’établissement dispense des soins.

Hôpital : la distinction nette avec hospice ne se fait que dans la seconde moitié du XVIIe s.

Interdit : Censure ecclésiastique qui suspend les prêtres de leurs fonctions qui ôtent au peuple l’usage des sacrements et le service divin.

Jaculatoire : « jeté rapidement, caractérisé par un jaillissement ardent » (saint Augustin) ; prière courte et fervente par laquelle l’âme s’élance vers Dieu. .

Lier : Se lier, pronominal, s’emploie spécialement en parlant des personnes pour « contracter une relation, un lien d » amitié ».

Ménager : a d’abord signifié « vaquer au soin du ménage » puis (à partir de 1587) « gérer (un bien), administrer », « régler, prendre des dispositions » (1621). .

Mine : le verbe a pris dès le XIVe s. le sens figuré de « détruire, ronger progressivement » en parlant d’un sentiment, d’une situation. V. minable et son extension familière moderne.

Mouvement : au sens moral, « impulsion qui pousse à agir d’une certaine façon », également en emploi qualifié dans bon mouvement (1690).

Obséder : un emprunt (1613) au latin obsidere « assiéger, assaillir, envahir » ; « assiéger quelqu’un pour l’isoler » (1651), « importuner quelqu’un par des demandes incessantes » (1663), proches de l’étymologie, sont sortis de l’usage.

Observance : l’action d’observer une règle religieuse, par métonymie, la règle elle-même.

Observer : en langue classique, « veiller à » (1677).

Offuscation : le mot a perdu ses anciens sens concrets « affaiblissement de la vue » (1430), « action de se cacher, en parlant de la lumière du soleil » (1565), mais ce dernier se maintient dans une spécialisation en astronomie (1865).

Opérer : « agir, produire un effet conforme à sa nature » (1470), aujourd’hui archaïque sauf dans une acception religieuse, en parlant de la grâce.

Outrepasser : À eu le sens concret de « dépasser » (une ville), et sur le plan temporel « passer », sans y ajouter le sens abstrait de « transgresser  (une limite). »

Plancher : Par métonymie a servi à désigner la face inférieure de l’ouvrage séparant deux étages, sens aujourd’hui réservé à plafond.

Poulmonique : pulmonique. Qui a les poumons affectés. On dit aussi poumonique.

Prêcher : le sens de « proclamer, faire connaître, parler publiquement » est sorti d’usage au cours du XVIIe s.

Procurer : le sens propre de « prendre soin de (quelqu’un, quelque chose) », éliminé par « soigner, s » occuper de, etc. », s" est éteint au XVIIe siècle.

Propriétaire : Les mots « propriétaires », « propriété » ont une grande importance pour Madame Guyon. Elle transpose l’ascèse en une remise totale à Dieu par désappropriation, selon une longue tradition dont la belle pétition suivante rend compte : « Vous m’avez particulièrement formé à votre image et ressemblance, que je puisse vouloir tout ce que vous pouvez vouloir  … Je pourrai bien appliquer ma volonté sur quelque objet, mais c’est en tant que la vôtre s’y trouve, et non autrement.  » Coton, Intérieure occupation…, 1608, réédition Pottier, 1933, page 57. Voir l'index du vocabulaire mystique utilisé dans la correspondance entre Madame Guyon et Fénelon, à la fin de Maurice MASSON, Fénelon et Mme Guyon. Documents nouveaux et inédits, Paris, 1907, et plus généralement : l’article de J. — L. Goré sur la désappropriation dans le Dictionnaire de spiritualité, t. III, 1957, col. 518-529.

Râpé : substantivé en parlant d’un vin fabriqué en faisant passer un vin faible dans un tonneau dont on a rempli un tiers de raisin nouveau. Par extension vin éclairci avec des copeaux ; également restes mélangés servis dans les cabarets.

Redonder : « être en excès, abonder » ; à peu près sorti d’usage.

Relâcher : a signifié « remettre (une punition), renoncer (à une action), pardonner (un péché) jusqu’ à l" époque classique.

Religion : monastère, maison religieuse, appelée aussi église de religion. Sens devenu rare vers la fin du XVIIe s.

Renoncer : emploi transitif sorti d’usage : « renier, désavouer ».

Reprise : Au sens de reprendre « récupérer », reprises matrimoniales (1694) s’est dit en droit des biens personnels que chaque époux a le droit de prélever avant partage sur les biens de la communauté, lorsqu’elle est dissoute.

Réprobation : d’abord employé dans le langage religieux, il désigne l’acte par lequel Dieu exclut un pécheur du bonheur éternel. Ce n’est que fin XVIIIe s. que le mot s’est répandu dans l’usage courant pour « blâme ».

Retirer : « faire aller dans une retraite » XVIe s. « délivrer quelqu’un d » un lieu où il était mal » (1553)

Rêverie : en ancien français « ébats tumultueux, réjouissance », et aussi jusqu’en langue classique « délire, perturbation d’esprit dûe à la fièvre »

Ruelle : Aux XVIIe et XVIIIe s., ruelle désigne par métonymie la partie de la chambre à coucher où les dames de qualité recevaient leurs visiteurs.

Se déporter : « renoncer », forme archaïque.

Solliciter : solliciter un procès, s’en occuper.

Souffrir : souffrir quelque chose à quelqu’un « le lui accorder », souffrir à qqun de « lui permettre de ».

Soutenir : se soutenir signifie « se maintenir » au figuré (v. 1639, se soutenir par les armes).

Subsister : apparais avec le sens de « demeurer en vigueur », plus généralement « continuer d’exister », « se maintenir en vie ». Ces acceptions ont disparu au bénéfice du sens moderne de « pourvoir à ses besoins. »

Supposer : le verbe a eu le sens de « poser comme un fait établi » XIIIe s.

Supposition : a repris un sens du latin, l’action de substituer une personne ou une chose à une autre. Le mot s’emploit en droit (1636) pour parler de la production d’une pièce fausse donnée pour authentique.

Supposition : terme de droit, a signifié « conjecture de l » esprit qui suppose sans juger ». « Fausses allégations et accusations » (Furetière).

Tache : chose impure, contraire à la religion : Agneau sans tache « Jésus-Christ », la tache originelle « le péché originel ».

Tour : armoire ronde et tournant sur pivot, posée dans l’épaisseur d’une muraille et servant à faire passer diverses choses ; par métonymie, la chambre d’un couvent où se trouvait ce dispositif.

Travail : exprime couramment jusqu’à l’époque classique les idées de tourment, de peine et de fatigue.

Travail : Jusqu’à l’époque classique, il exprime couramment les idées de tourment, de peine et de fatigue. Travail d’enfant.

Viande : au XVIIe siècle, viande conserve encore le sens général de nourriture mais l’emploi moderne spécialisé se développe. Le mot s’emploie aussi figurément au sens de « nourriture pour l » esprit ».

Vue : à l’époque classique, entrevue dans le cas de la rencontre entre deux personnes.

Vue, donner dans la —: « éblouir, signifiant au figuré (1636) « charmer, exciter les sentiments amoureux », puis seul (1658).






ACCÈS À L’ŒUVRE


Je décris et propose l’accès aux écrits de Madame Guyon139. Ils sont présentés chronologiquement.

1.1. Sources manuscrites

Elles sont préservées dans leur plus grande partie aux Archives Saint-Sulpice [A.S.-S.], 9 rue du Regard, Paris. Son conservateur en a établi l’état documentaire :

I. Noye, État documentaire des manuscrits140

État documentaire des manuscrits des œuvres et des lettres de Madame G uyon dans Rencontres autour de la Vie et l’œuvre de Madame Guyon, Millon, 1997, p. 51-61. (Cet article résume le dernier état connu de l’œuvre manuscrite préparé à l’occasion des rencontres organisées à Thonon les 12,13 et 14 septembre 1996).

J’ai travaillé grâce à cet état documentaire en bénéficiant des conseils d’Irénée Noye, érudit et sulpicien intérieur devenu ami. I. Noye m’a autorisé à constituer le fond photographique que l’on va décrire infra. Il avait antérieurement pris soin de faire soigneusement relier l’essentiel des Lettres de Madame Guyon et de ses proches, facilitant ainsi mon édition de Correspondances I, II, III.

La majorité des écrits de Madame Guyon est un trésor des A.S.-S. Je l’ai complété par des fichiers pdf achetés à la B.N.F., à la Bodleian, Oxford, à Lausanne-Morges, en Écosse.

« double » informatisé des manuscrits

Voici la description succincte de ce « double » de manuscrits Guyon organisés dans ma base (disponible sur demande) :

D. Tronc, Base/BB/MYS_17/17e GUYON/Guyon manuscrits

comporte 81 dossiers, 3507 fichiers, soit  :

Vie ms. Oxford ; ms. St Brieuc ; Supplément.

mss. A.S.-S. 2043 (Guyon & Lacombe), 2046 (Mère Bon & Torrents), 2058 (Le coche de Surin), 2134 (art. d’Issy), 2157 (21 pièces essentielles, dont des écrits de jeunesse, de prison, etc. : 322 feuillets qui restent à exploiter pour une grande part) — ms. B.N.F. Nouv.acq .5250 (interrogatoires, La Reynie) — ms. Lausanne TP1136 (Règle des Michelins)

mss. Lettres A.S.-S. 2170 à 2179, classés par numéros des pièces 7013a à 7595, comportant de très nombreux autographes.

mss. Lettres recopiées (cahiers 2055 de Dupuis, 2173 de La Pialière, 2176 du marquis de Fénelon, B.N.F. 11 010 Correspondances Guyon-Fénelon de l’an 1690 complétant la « correspondance secrète » antérieurement éditée par Dutoit).

Je fais suivre ces sources « primaires » de la description des éditions reprises en suivant l’ordre chronologique :



1.2. Éditions parues au XVIIe siècle [note141].

Le Moyen court, la Règle des associés et le Cantique. C’est-à-dire bien peu de chose !

Sans l’éditeur protestant Pierre Poiret devenu disciple, Madame Guyon serait restée une inconnue [note142].

Madame Guyon sera interrogée en 1694 sur le Moyen court et sur le Cantique tandis que Bossuet exploitera abusivement la Vie manuscrite dont il eut communication confidentielle.

Références :

[1685, 1686, 1690, 1699] Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément…, Grenoble, J. Petit, 1685. In-12, X-84 p. [B.N.F., D.18290 (2)] ; 2e édition à Lyon chez A. Briasson, 1686. In-12, X-186p [B.N.F., D.37255] et Paris chez A. Warin. ; 3e éd. Paris et Rouen, 1690 ; inclus dans : Recueil de divers traitez de théologie mystique qui entrent dans la célèbre dispute du Quiétisme qui s’agite présentement en France…, Cologne, [Poiret], 1699.

[1685, 1690] Règle des associez à l’enfance de Jésus, modèle de perfection pour tous les estats, tirée de la sainte Écriture et des Pères…, Lyon, A. Briasson, 1685. In-12, 144 p., frontisp. [B.N.F., D.18425] ; 1690 ; 2e éd., Ibid. In-12.

[1688] Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson, 1688. In-8°, pièces limin. et 209 p. [B.N.F., A.6920]



1.3. Édition Poiret au début du XVIIIe siècle.

La grande édition en 39 volumes (dont 20 vol. pour les seules Explications) du pasteur Pierre Poiret et de ses proches résidant à Rijnsburg près d’Amsterdam sauve l’opus :

[1713] Le Nouveau Testament

[1713] Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure. Divisé en Huit Tomes. On expose dans la préface les conjectures que l’on a touchant l’auteur de cet ouvrage. Vincenti. À Cologne, chez Jean de la Pierre, 1713. In-8°. [A.S.-S & B.N.F., A.22812]. Description des huit tomes A.S.-S. no.1-8 :

1 : Frontispice gravé avec pour devise : « Je mettrai ma loi dans leur intérieur et l’écrirai sur leur cœur », « Préface générale » p. I-XXX, « Courte préface de l’auteur » p. 1-10, « Division de l’ouvrage en huit tomes » p. 11-12. – Le Saint Évangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, Tome I du Nouv. Testament… 1713 (Saint Matthieu Ch. 1 à 17), p. 1-371.

2 : Suite du Saint Évangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec… Tome II du Nouv. Testament… 1713 (Saint Matthieu Ch. 18 à 28), p. 375-708. Table p.709-726. Errata p.727.

3 : Les ss. Evangiles de Jesus Christ selon S. Marc et S. Luc avec… Tome III… 1713. Saint Marc p. 3-124. Saint Luc p. 125-456. Table p. 457-478. Errata p. 479.

4 : Le Saint Évangile de Jésus-Christ selon Saint Jean avec… Tome IV… 1713. Saint Jean p. 3-539. Table p. 540-562. Errata p. 563.

5 : Les Actes des Apôtres et les Épîtres de Saint Paul aux Romains aux Corinthiens & aux Galates avec… Tome V... 1713. Actes p. 3-71. Romains p. 72-232. Corinthiens I p. 233-325. Corinthiens II p. 326-436. Galates p. 437-488.

6 : Les Épîtres de Saint Paul aux Éphésiens, Philippiens, Colossiens, Thessaloniciens, à Timothée, à Tite, et aux Hébreux avec… Tome VI… 1713. Éphésiens p. 489-580. Philippiens p. 581-631. Colossiens p. 632-662. Thessaloniciens I p. 663-675. Thess. II p. 675-676. Timothée I p. 677-695. Tim. II p. 696-701. Tite p. 702. Hébreux p. 703-918. Table p. 919-955. « Fautes » p. 956.

7 : Les Épîtres canoniques de S. Jaques [sic] , S. Pierre, S. Jean et de S. Jude avec… Tome VII… 1713. Jaques p. 3-91. Pierre I p. 92-179. Pierre II p. 179-228. Jean I p. 228-332. Jean II p. 333-338. Jean III p. 339-345. Jude p. 345-376. Table p. 377-398. Errata p. 399. “Avertissement [sur une faute]” p. 400.

8 : L’Apocalypse de S.Jean Apôtre avec… Tome VIII… 1713. Apocalypse p. 3-409. Conclusion [générale] p.409-412 “achevé le 23 de Septembre 1683 [1682 corrigés à la main sur l’ex. A.S.-S.]”. Table p. 413-442. Errata p. 443. « Additions et redressemens… » p. 659-664.

[1714-1715] Les livres de l’Ancien Testament

[1714-1715] Les livres de l’Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, divisés en douze tomes comme il se voit à la fin de la Préface. Vincenti. À Cologne [Amsterdam] chez Jean de la Pierre, 12 tomes [note143] 1715 [A.S.-S. & B.N.F., A.22813]. Description des 12 tomes A.S.-S. no.1-12 :

1 : Frontispice gravé — « Avertissement » p. 5. « Préface générale » p. 32. « Division de l’ouvrage sur le vieux testament en douze tomes et le contenu de chacun d’entre eux » p. 53. « Indice des passages du V. et du N. Testament qui se trouvent expliqués hors de leurs propres lieux ou cités avec quelques remarques considérables » p. 55-63. La Genèse et l’Exode avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, Tome I du Vieux Test. Vincenti. À Cologne chez Jean de la Pierre, 1714. La Genèse p. 1-225. L’Exode p. 226-356.

2 : Le Levitique, les Nombres et le Deutéronome avec… Tome II… 1714. Lévitique p. 369-416. Nombres p. 417-498. Deutéronome p. 499-589. « Table des matières principales du I et II Tome ou du Pentateuque » p. 590-623. Errata p. 624.

3 : Les livres de Josué, des Juges et de Ruth avec… Tome III… 1714. Josué p. 3-48. Juges p. 49-201. Ruth p. 202-248. « Table des matières principales sur ce IIIe tome » p. 249-264. Errata p. 264.

4 : Le premier livre des Rois avec… Tome IV… 1714. Premier livre des Rois p. 3-306. Table p. 307-326. Errata p. 327.

5 : Les II. III. & IVme livres des Rois avec… Tome V... 1714. Second livre p. 323-527. Troisième livre p. 528-633. Quatrième livre p. 634-745. Table p. 746-769. Errata p. 770.

6 : Les Paralipomènes, Esdras, Nehemie, Tobie, Judit & Esther avec… Tome VI… 1714. Premier livre des Paralipomènes p. 3-21. Esdras livre premier p. 22-37, « Néhémie autrement le second livre d’Esdras » p. 38-68. Tobie p. 69-125. Judith p. 126-173. Esther p. 174-219. Table p. 220-235. Errata p. 236.

7 : Le livre de Job avec… Tome VII… 1714. « Préface sur Job » p. 3-7. Job p. 8-288. Table p. 289-307. Errata p. 308.

8 : Première partie des Psaumes de David depuis le I jusqu’au LXXV avec… Tome VIII… 1714. « Première partie des Psaumes… » p. 3-384.

9 : Seconde partie des Psaumes de David depuis le LXXVI jusqu’à la fin avec… Tome IX… 1714. « Seconde partie des Psaumes… » p. 387-678. Table p. 679-705. « Fautes à corriger au Tome VIII… au Tome IX » p. 706.

10 : Les Proverbes, L’Ecclesiaste, Le Cantique des cantiques, la Sagesse & l’Ecclésiastique avec… Tome X… 1714. Les Proverbes p. 3-87. L’Ecclésiaste p. 88-113. « Le Cantique des cantiques, Préface » p. 114-126. “Dédicace de l’Auteur [poème] p. 127-128. « Extrait du Privilège du roi et approbations » p. 127-128 [sic, répétition]. Le Cantique p. 129-247. La Sagesse p. 248-296. L’Ecclésiastique p. 297-344. Table p. 345-359. Fautes p. 360.

11 : Les Prophètes Isaie, Jérémie & Baruc, Ezéchiel, & Daniel avec... Tome XI… 1714. Isaie p. 3-155. Jérémie p. 156-189. Lamentations de Jérémie p. 189-214. Baruc p. 215-221. Ezéchiel p. 222-300. Daniel p. 301-375. Errata p.376.

12 : Les petits prophètes Osée, Joël, Amos, Jonas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie, Le Ier et IIe Livres des Macchabées avec… Tome XII... 1714. Osée p. 387-412. Joël p. 413-416. Amos p. 417-421. Jonas p. 422-440. Michée p. 441-459. Nahum p. 460-461. Habacuc p. 462-480. Sophonie p. 481-492. Aggée p. 493-496. Zacharie p. 497-547. Malachie p. 548-563. Macchabées I p. 564-608. Macchabées II p. 609-629. Table p. 630-655. Errata p. 656.

[1716]  Discours

[1716]  Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la pluspart de la Sainte Écriture, Vincenti, A Cologne [Amsterdam], Chez Jean de la Pierre, 1716144. [B.N.F., D. 37251/2]. Description des deux tomes in-8° édités sans nom d’auteur :

1 : Tome I : Préface p. 3-23. « Table des Discours… divisés en quatre parties » p. 24-28. Discours [au nombre de 70] p. 1-470. « Table des matières principales » p. 471-488. Trois pages non numérotées donnant la table des passages de l’Écriture et les errata.

2 : Tome II : Six pages d’avis et table. « Lettre sur l’Instruction suivante » p. (3 — (14 [sic, parenthèse ouvrante]. « Instruction chrétienne d’une Mère à sa Fille » p. (15 — [63 [sic]. « Discours » [au même nombre de 70 que précédemment] p. 1-402. « Table des matières principales du IIe tome » p. 402-423. Une page d’errata.

 

[1717] L’âme amante

[1717] L’âme amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo sur ses « Pieux désirs », et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, avec des figures nouvelles accompagnées de vers…, Cologne, J. de La Pierre, 1717. In-8°, XXVIII-188p. et pl. gravées. [B.N.F., Z. 17 458].

[1717-1718] Lettres

[1717-1718] Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 4 tomes, 1717-1718. [B.N.F., D-19455] :

Le quatrième volume comporte, outre trois parties de lettres de Madame Guyon, une “Quatrième partie contenant quelques [16] discours chrétiens et spirituels” p. 402-509, suivi d’une « Lettre d’une païsane, sur l’anéantissement du Moi de l’âme et le pur amour » p. 510-522, enfin de la « Table des matières principales ». Nous décrivons plus en détail la réédition très fidèle de 1767 par Dutoit.

[1712, 1720] Les Opuscules

[1712, 1720] Les Opuscules spirituels de Mme J. — M. B. de La Mothe Guion, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1712. In-12°, titre gravé [B.N.F., D.37259] ; Les Opuscules spirituels de Madame J. M. B. de la Mothe Guyon, Nouvelle édition corrigée et augmentée, A Cologne [Amsterdam] Chez Jean de la Pierre, 1720. [2 vol. in-8 ° B. N. F., D.17787. In-8°, 560 p. & B.N.F., D.37260. In-12, X-534 p., le titre manque et l’imprimatur est daté de Lyon, 1686]. Description de cette édition de 1720 :

Frontispice gravé. Page de titre : Les Opuscules…. Page : « Prov. XXIII. v. 26. Mon fils, donne-moi ton Cœur… ». Préface générale [de P.Poiret] p. 5]-56) [sic]. Table. Errata. Catalogue. Page : « Justitias Domini in aeternum cantabo ». Moien Court et très facile de faire oraison… p. 1-78. Lettre du serviteur de Dieu… Jean Falconi… p. 79-93. Remarques touchant la Mère de Chantal et avis… donné par S. François de Sales… p. 93-100. Table du Moien Court p. 101-106. Courte apologie pour le Moien court… p. 107-128. Les Torrens spirituels…et table p. 129-276. Page : « Les Opuscules… seconde partie… ». Traité de la purification de l’âme après la mort ou du Purgatoire p. 279-314. Petit abrégé de la Voie et de la réunion de l’âme à Dieu p. 315-348. Règle des Associés à l’Enfance de Jésus… p. 349-404. Page : « Instruction chrétienne pour les jeunes gens ». Lettre… et Instruction chrétienne d’une mère à sa fille p. 407-442. Page : « Brève instruction… du P. François la Combe et ses Maximes spirituelles ». Page : Approbation & permission ». Lettre d’un serviteur de Dieu contenant une brève instruction pour tendre fermement à la perfection chrétienne p. 443-522. Maximes spirituelles p. 523-534. “Table [alphabétique] des matières principales…” p. 535-559. Page : « Justitias Domini in Aeternum cantabo » p. 560.

[1720] La Vie

[1720] La Vie de Mme J. — M. B. de La Mothe Guion, écrite par elle-même, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720, 3 vol. in-12, portrait. Voir nos descriptions en tête de ce volume.

[1720] Les Justifications

[1720] Les Justifications de Mme J. — M. B. de La Mothe-Guion, écrites par elle-même… avec un examen de la IXe et Xe conférence de Cassien, touchant l’état fixe d’oraison continuelle, par feu M. de Fénelon, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720. [3 tomes en 1 vol. in-8 ° B. N.F., D.37253 et 6 vol. in-8° Rés. D.37254]. Nous décrivons plus en détail la réédition très fidèle de 1790.

[1722] Poésies et Cantiques

[1722] Poésies et Cantiques spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, par Madame J.M.B. de la Mothe-Guyon, divisés en quatre volumes. Vincenti, à Cologne [Amsterdam] Chez Jean de la Pierre, 1722 [4 tomes en 2 vol. in-8 ° B. N.F., Ye 25431-25432] Description des 4 tomes [note145:

1 : « Préface » p. I-XII. “Catalogue des écrits de Madame Guyon [édités par Poiret]. Table des Cantiques de ce Ier volume » p. XVII-XXIV, Cantiques I à CXCVI p. 1-328.

2 : « Table des cantiques et errata ». Cantiques I à CCXLIII p.1-332.

3 : « Table des cantiques et errata ». Cantiques I à CCIX p.1-326.

4 : « Table des cantiques, poèmes héroiques et en vers libres, etc. ». Cantiques I à LXXXIV p. 1-101. Le Cantique des cantiques p. 102-127. Poèmes héroïques p. 128-204. Poèmes en vers libres p. 205-231. Pensées chrétiennes… p. 232-253. Les effets différents de l’Amour… en emblèmes p. 254-289. Conclusion. Table des airs. Table des matières. Errata p. 371

[1726] Le Directeur Mistique. Oeuvres spirituelles de M. Bertot

On ajoutera aux œuvres de Madame Guyon les quatre volumes qu’elle a préparés à la fin de sa vie comme un « tombeau » élevé en l’honneur de son maître Monsieur Bertot. Ils contiennent la correspondance passive de Madame Guyon avec ce directeur outre 21 lettres qui lui sont nommément attribuées (ces dernières se retrouvent aussi dans les Lettres) et d’autres textes jugés majeurs sur le plan mystique (Maur de l’E. J., Marie des Vallées). Surtout la valeur propre à l’opus Bertot est égale à celle de l’opus Guyon. Nous l’avons édité deux fois (partiellement, 2005 ; complet, 2019) en espérant avoir le temps de mettre en valeur les échanges successifs entre Chrysostome, Bernières, Bertot, Guyon, leurs proches.

[1726] Le directeur Mistique [sic] ou les Oeuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guyon..., Poiret, 4 vol., (de 453, 430, 526, 368 pages), 1726. [A.S.-S. & B.N.F.].

Description [note146:

1. Volume I composé de 12 traités : 1. Conduite de Dieu sur les âmes p. 1. 2. De l’état du repos sacré p. 18. 3. Profondeur des S.Evangiles p. 30. 4. États d’oraison, représentés dans l’Évangile du Lazare p. 39. 5. Degrés de l’Oraison, comparés aux eaux qui arrosent un jardin p. 50. 6. Voie de la perfection sous l’emblème d’un nautonnier p. 117. 7. L’Oiseau ou De l’Oraison de Foi, sous la figure d’un petit Oiseau p. 178. 8. Les croix, inséparables du don de l’Oraison p. 251.  9. Opérations de la Ste Trinité dans les âmes p. 260. 10. Sur l’état du Centre p. 266. 11. Sur l’état du Centre suite « Mr Bertot m’a dit… » p. 284. 12. Éclaircissements sur l’Oraison et la Vie intérieure. p. 292-453.

2. Vol. II composé de lettres de Bertot et d’une addition : p.1 — * Lettres 1 à 70, p.* -430. « Addition : conseils d’une grande servante… Marie des Valées. »

3. Vol. III, composé de lettres de Bertot : p.1 — * Lettres 1 à 70, « additions 1 à 4 » p. * -526.

4. Vol. IV, composé de lettres de Bertot, Maur de l’Enfant-Jésus et Madame Guyon : p.1 Lettres 1 à 81, p.265 Lettres 1 à 21 de P. Maur, p.310-368 Lettres 1 à 21 de Madame Guyon.

Le directeur Mistique a fait l’objet d’un choix réédité à Berlebourg en 1742 (décrit dans notre réédition de l’Opus Bertot, Lulu, t.III, p.587.



1.4. Réédition Dutoit à la fin du XVIIIe siècle.

L’édition par Poiret et son cercle d’amis devient introuvable. Elle est rééditée à la fin du XVIIIe siècle par le pasteur suisse Dutoit, et très fidèlement (le plus souvent les paginations sont respectées alors même que le format est différent !) en 40 volumes (aux 39 volumes de l’édition antérieure s’ajoute un dernier volume de lettres comportant « la correspondance secrète » avec Fénelon).

Nous décrivons des titres qui présentent des compléments :

[1767-1768] : Lettres

[1767-1768] : Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, ou l’esprit du vrai christianisme. Nouvelle éd. enrichie de la correspondance secrète de Mr. de Fénelon avec l’auteur. Londres [Lyon], 1767-1768, 5 vol. Cette dernière édition est très fidèle à Poiret, mais plus complète compte tenu du caractère moins brûlant des événements :

1 : Tome I, « Avertissement sur cette seconde édition » [par Dutoit] p. I-XVIII. « Avertissement qui était à la tête de l’Édition de Hollande, sous le nom de Cologne » [par Poiret] p.XIX-XXVIII. Table des lettres [classées en trois parties par thèmes spirituels allant de : « (1) Règles et avis généraux », à : « (20) Dieu seul »] p. XXIX-XLIII. Lettres I à CCXL p. 1-694.

2 : Tome II, Lettres I à CC p.1-614, Table [lettres classées en trois parties] p. 615-623.

3 : Tome III, Table [lettres classées en trois parties] p. III-IX. Lettres I à CLVI p. 1-694.

4 : Tome IV, « Préface sur ce quatrième volume » p. III-VIII. Table [lettres classées en trois parties] p. IX-XVI. Lettres I à CXVI p. 1-403.

5 : Tome V, « Anecdotes et réflexions » [par Dutoit] I-CLX. Première partie contenant quelques Discours chrétiens et spirituels p. 1-188 [eux-mêmes introduits par la note : « Ces discours dans l’édition de Hollande faisaient la clôture du quatrième volume… » puis suivis de la lettre de la simple paysanne précédant les lettres adressées à Fénelon. On trouve ensuite la] Correspondance de l’auteur avec Fénelon p. 189-559. Table p. 560-567. « Table [alphabétique] des matières » p. 568-627. « Indice [précieux] des noms de quelques-uns de ceux à qui les lettres… sont adressées » p. 628-630.

[1790]  Discours

[1790]  Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la plupart de la Sainte Écriture. Par Madame J. M. B. de la Mothe-Guion. Nouvelle édition corrigée et augmentée [?], A Paris [Lyon], Chez les Libraires Associés, 1790.

[1790]  Justifications

[1790]  Justifications de la Doctrine de Madame de la Mothe-Guyon, pleinement éclaircie, démontrée et autorisée par les Sts Peres Grecs, Latins et Auteurs cannonisés [sic] ou approuvés ; écrites par elle-même. Avec un examen de la neuvième et dixième Conférences de Cassien sur l’état fixe de l’oraison continuelle, par Mr de Fénelon, archevêque de Cambray, A Paris [Lyon] chez les Libraires Associés, MDCCXC. Cette édition de Dutoit reprend celle de Poiret. Elle comporte 3 tomes [note147] soit :

1 : Tome I : Préface [par Dutoit] I-XVI. Justifications : chap. I-XXXVII p. 1-432.

2 : Tome II : Justifications : chap. XXXVIII-L p. 1-379.

3 : Tome III : « Table des articles du IIIe tome » deux p. Justifications : chap. LI-LXVII. p. 1-256. Conclusion p. 257-265. Page : « Non nobis, Domine, non nobis … Deo Soli ». Recueil de quelques autorités des S. Pères de l’Église grecque : art. I-XVIII p. 267-328. Examen… de Cassien touchant l’état fixe… p. 331-368. Table des matières principales des trois volumes… p. 369-432.

[1790]  L’Âme amante

[1790]  L’Âme amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo, et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, avec des figures nouvelles accompagnées de vers… par Madame J.M.B de la Mothe-Guyon, nouvelle édition considérablement augmentée, à Paris, Chez les Libraires Associés, MDCCXC.

Préface p. 1-16. Les Emblèmes… exposés en vers libres p. 1-176 [et nombreuses p. correspondant aux emblèmes gravés]. Table p. 177-186.





1.5 Mise à disposition d’éditions du dix-huitième siècle

D. Tronc, Base >/MYS_17/17e GUYON/éditions anciennes

153 dossiers, 6675 fichiers, soit :

Références bibliographiques A.S.-S. & Solesmes

Courte Apologie 1712, Discours 1716 & 1790, Explications NT 1713 AT 1714 (nos photos classées par livres & Google), Opuscules (1704, 1712, 1790, Google & réédition Olms)

Moyen court 1686 (Grenoble= & 1699 (in Recueil… Quiétisme)

Interrogatoires (ms. 2072 [Mémoire sur le Quiétisme],

Poésies 1722 Éditions 4 t. & Google, L’âme amante 1790

Traductions (par Upham, etc.)








1.6 Rééditions modernes148

[1978] J. Orcibal, Les Opuscules spirituels…, J. M. Guyon, avec une Introduction par J. Orcibal de 36 pages non numérotées, G. Olms, 1978 suivie du fac-similé de l’édition de Poiret, Les Opuscules spirituels de Madame J. M. B. de la Mothe Guyon, Nouvelle édition corrigée et augmentée, A Cologne Chez Jean de la Pierre, 1720. [reprise infra]

[1982] Madame Guyon et Fénelon, la correspondance secrète, édition préparée par B. Sahler149, Paris, Dervy-livres, 1982.

[1983] La Vie de Madame Guyon écrite par elle-même, édition préparée par B. Sahler, Dervy-livres, 1983.

Réédition partielle de la Vie par J. Bruno (Revue La Tour Saint Jacques) [avec de précieuses notes].

[1990] Madame Guyon, La Passion de croire, textes choisis et présentés par Marie-Louise Gondal, Nouvelle Cité, 1990.

[1992] Récits de Captivité, édité par M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992. 

[1992] Torrents et Commentaire au Cantique, édités par C. Morali150, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992.

[1995] Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, textes édités par M.-L. Gondal, (ce volume contient : Introduction, I. Le Moyen court et sa défense (Moyen court, Courte apologie et extraits des Justifications), II. Le travail de l’Intérieur (Règle des Associés, Petit abrégé), III. Le Chant de l’âme, (un choix de poésies). Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1995.

[1998] Madame Guyon Le Purgatoire, Jérôme Millon, textes présentés par Marie-Louise Gondal, 1998 [bonne présentation qui « redresse » ce que pourrait suggérer le titre].

Les études par M.-L. Gondal incluent d’heureuses citations. Depuis ~2000 j’ai « repris le flambeau » dont procède cette présente série « opus Guyon ».

1.8 Relevé de liens vers Google Books

[état décembre 2019]

fichiers pdf téléchargeables : menu déroulant en haut à droite — Liens mélangés provenant de diverses origines donc « la pêche » est difficile !

Dutoit figure le plus généralement. Il est très exact dans sa reproduction de Poiret (dont l’édition est devenue rare). Et Dutoit est mieux reconnu en ocr ; ce qui ne requiert qu’une correction assez aisée… après avoir substitué f > s, _, >, seus > sens, myllique > mystique, proson > profond, sorm > form, saire > faire

https://books.google.fr/books?id=noRZAAAAcAAJ&dq=inauthor%3A%22Jeanne%20Marie%20Bouvier%20de%20La%20Motte%20Guyon%22&hl=fr&source=gbs_similarbooks

donne la séquence horizontale la plus parlante : « livres sur des sujets connexes » en bandeau horizontal AR sous « Oeuvres, volume 13 » — mais seul figure Dutoit !

La Vie

https://books.google.fr/books?id=xlnC48PFAQwC&pg=PR37&dq=Guyon+Vie&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjR5-ulzsHmAhWCmFwKHanoADkQ6wEISzAE#v=onepage&q=Guyon%20Vie&f=false

Vie I Poiret 1720

https://books.google.fr/books?id=NGjKnKLx5bsC&pg=PP22&dq=madame+guyon&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj2iKSKrsHmAhXJTcAKHfBjCcUQ6AEIVzAH#v=onepage&q=madame%20guyon&f=false

Vie I Dutoit (précédé de Discours sur…)


https://books.google.fr/books?id=NVoUAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Vie I Dutoit 1791


https://books.google.fr/books?id=kc4WAAAAQAAJ&printsec=frontcover&dq=inauthor:%22Jeanne+Marie+Bouvier+de+La+Motte+Guyon%22&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwizkvOrscHmAhVcQEEAHVo7CV8Q6AEIOzAD#v=onepage&q&f=false

Vie II Poiret 1720


https://books.google.fr/books?id=Mj6oVf3UqQYC&dq=editions%3AILZ6wkeDSTAC&hl=fr&source=gbs_similarbooks

Vie III Poiret 1720


Opuscules

https://books.google.fr/books?id=He48AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

https://books.google.fr/books?id=nuBjAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

https://books.google.fr/books?id=3Ooz_UeDJgEC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Poiret 1704 (avec Torrents)

https://books.google.fr/books?id=GaZpAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome I Poiret 1712

https://books.google.fr/books?id=GaZpAAAAcAAJ&pg=PA3&dq=inauthor:%22Jeanne+Marie+Bouvier+de+La+Motte+Guyon%22&hl=fr&source=gbs_selected_pages&cad=3#v=onepage&q&f=false

https://books.google.fr/books?id=GaZpAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome II Poiret 1712

https://books.google.fr/books?id=bN4_AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome I Poiret 1720

https://books.google.fr/books?id=3dECAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome I Dutoit 1790 (avec Préface grale)

https://books.google.com.bn/books?id=If0FAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome II Dutoit 1790

et une édition suivie de « Sentences persanes » (voir « dossier Guyon et sentences persanes », incluant notes de M. Bruno sur cette édiiton) comportant l’Avertissement annonçant « une petite pièce très estimée defeu le célèbre Poiret » malheureusement cete pièce est omise. Du moins on sait qu’elle existait. Il s’agit bien de l’édititonde la BN de Versailles disponible aussi à Orléans (même pabination). cf. notes Bruno.

https://books.google.fr/books?id=REQrYpDbN00C&printsec=frontcover&dq=les+torrens+spirituels&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiTr9rJ1dPnAhXC8OAKHdIkBx0Q6AEIKzAA#v=onepage&q=les%20torrens%20spirituels&f=false

Lettres

https://books.google.fr/books?id=ktM7AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome I Poiret 1717

https://books.google.fr/books?id=qNM7AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome II Poiret 1717

https://books.google.fr/books?id=IY5ZAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome II Dutoit 1758 (‘à Londres’)

https://books.google.fr/books?id=Q9M7AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome III Poiret 1717

https://books.google.fr/books?id=ZI5ZAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome III Dutoit 1758

https://books.google.fr/books?id=XdM7AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome IV Poiret 1718

https://books.google.fr/books?id=PI5ZAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome IV Dutoit 1758

https://books.google.fr/books?id=nY5ZAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome V Dutoit 1758 (avec la « correspondance secrète » Guyon-Fénelon !)

Justifications

https://books.google.fr/books?id=5NM7AAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=guyon+justifications+google&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi56rmQ1cHmAhXEQkEAHR1DCLMQ6wEIMzAB#v=onepage&q=guyon%20justifications%20google&f=false

Tome I 1720

https://books.google.fr/books?id=o4VZAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome I 1790


https://books.google.fr/books?id=aGAGAAAAQAAJ&pg=PA1&dq=guyon+justifications+google&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj25dHH1cHmAhWRX8AKHVRQBas4ChDrAQgqMAA#v=onepage&q=guyon%20justifications%20google&f=false

Tome II 1790


https://books.google.fr/books?id=78QPAAAAIAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome III 1790

Discours

https://books.google.fr/books?id=uY5ZAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Discours I 1790

https://books.google.fr/books?id=c947AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Discours II 1716

https://books.google.fr/books?id=RccPAAAAIAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Discours II 1790


Poésies

https://books.google.fr/books?id=AYZZAAAAcAAJ&dq=inauthor%3A%22Jeanne%20Marie%20Bouvier%20de%20La%20Motte%20Guyon%22&hl=fr&source=gbs_similarbooks

Tome I 1790


https://books.google.fr/books?id=EYZZAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome II 1790


https://books.google.fr/books?id=JIZZAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome III


https://books.google.fr/books?id=noZZAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Tome IV


https://books.google.fr/books?id=s4ZZAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Emblêmes 1790 (L’ame amante)


Bible

ANCIEN TESTAMENT 12 tomes

(introuvable t. VII par Dutoit préféré à Poiret ce dernier ici présent)

G AT t.I Préface Genèse Exode


Oeuvres spirituelles de madame Guyon : La Sainte Bible avec des explications & reflexions qui regardent la vie interieure. Nouv. éd., exactement cor […]
Volume 1 de Oeuvres spirituelles de madame Guyon, François de Salignac de La Mothe — Fénelon


Jeanne Marie Bouvier de La Motte Guyon


Libraires associés, 1767

https://books.google.fr/books?id=B46tuAEACAAJ&dq=bibliogroup:%22Oeuvres+spirituelles+de+madame+Guyon%22&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjb-qeXsMHmAhXGOcAKHZrmBDAQ6AEIKTAA

Bible 1 1767

https://books.google.fr/books?id=pY1ZAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 1 1790



G AT t. II Lévitique Nombres Deutéronome

https://books.google.fr/books?id=oF5CAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false



G AT t. III Josué Juges Ruth

https://books.google.fr/books?id=sytkyS7W0VIC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 3 1790

https://books.google.fr/books?id=uwBAAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 3 1714


G AT t. IV RoisI

https://books.google.fr/books?id=4VVCAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible AT 4 1790

https://books.google.fr/books?id=1QBAAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible AT 4 1714


G AT t.V RoisIIsv

https://books.google.fr/books?id=S1ZCAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 5 1790

https://books.google.fr/books?id=-ABAAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 5 1714


G AT t. VI Paralypomènes, Esdras, Néhémie, Tobie, Judith, Esther

https://books.google.fr/books?id=rVZCAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible AT 6 1790

https://books.google.fr/books?id=AAFAAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 6 1714


G AT Job (= t.VII?)

https://books.google.fr/books?id=EgFAAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 7 1714


G AT t. VIII Psaumes David I

https://books.google.fr/books?id=BVdCAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 8 1790


G AT t. IX Psaumes David II

https://books.google.fr/books?id=W1dCAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 9 1790

https://books.google.fr/books?id=RgFAAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 9 1714


G AT t. X  Proverbes… Cantique, etc

https://books.google.fr/books?id=5gfzanZGRmYC&pg=PA1&dq=la+sainte+bible+avec+des+explications+Tome+X&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjz_5Hg4MXmAhXJbMAKHXQgBhoQ6wEIOjAC#v=onepage&q=la%20sainte%20bible%20avec%20des%20explications%20Tome%20X&f=false

Bible 10

https://books.google.fr/books?id=mldCAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 10


G AT t.XI Prophetes

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Bible 11 1790


G AT t. XII Petits prophètes

https://books.google.fr/books?id=ilhCAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

https://books.google.fr/books?id=ilhCAAAAYAAJ&pg=PA480&dq=inauthor:%22Jeanne+Marie+Bouvier+de+La+Motte+Guyon%22&hl=fr&source=gbs_selected_pages&cad=3#v=onepage&q&f=false

Bible 12 1790


NOUVEAU TESTAMENT 8 tomes = complet


G NT t.XIII Matthieu

https://books.google.fr/books?id=noRZAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 13 1790


G NT t.XIV Matthieu (suite)

https://books.google.fr/books?id=z_priMyNBBAC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 14 1790


G NT t.XV Marc Luc

https://books.google.fr/books?id=K1lCAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 15 1790


G NT t.XVI Jean

https://books.google.fr/books?id=jVlCAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 16 1790


G NT t.XVII Actes Epitres Paul

https://books.google.fr/books?id=ZlpCAAAAYAAJ&dq=inauthor%3A%22Jeanne%20Marie%20Bouvier%20de%20La%20Motte%20Guyon%22&hl=fr&source=gbs_similarbooks

Bible 17 1790


G NT t.XVIII Epîtres Paul (suite)

https://books.google.fr/books?id=7cVwrhL5Fh8C&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 18 1790


G NT t. XIX Épîtres canoniques Jacques Pierre Jean Jude

https://books.google.fr/books?id=01pCAAAAYAAJ&dq=inauthor%3A%22Jeanne%20Marie%20Bouvier%20de%20La%20Motte%20Guyon%22&hl=fr&source=gbs_similarbooks

Bible 19 1790


G NT t. XX Apocalypse

https://books.google.fr/books?id=GltCAAAAYAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 20 1790

https://books.google.fr/books?id=QQFAAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Bible 8 1714


Poiret

Recherche sous son nom > nombreux ouvrages dont :

https://books.google.fr/books?id=Hu48AAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=pierre+Poiret&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjAy5Lg28HmAhUXHMAKHS18CAQ4FBDrAQg5MAI#v=onepage&q=pierre%20Poiret&f=false

[Guyon] Règle des Associés (Lyon 1685)

https://books.google.fr/books?id=ZB5LAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

https://books.google.fr/books?id=BeMUAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

L’Oeconomie divine ou Système universel… 1687

https://books.google.fr/books?id=xyZn4J-zs0wC&printsec=frontcover&dq=pierre+Poiret&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiV-prF2MHmAhUSecAKHQ6nD5AQ6AEIKTAA#v=onepage&q=pierre%20Poiret&f=false

L’Oeconomie divine ou Principes & démonstrations… 1687

https://books.google.fr/books?id=zx5LAAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=pierre+Poiret&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiSl_ze2sHmAhVUilwKHRY-Bro4ChDrAQhjMAk#v=onepage&q=pierre%20Poiret&f=false

L’Oeconomie du Rétablissement de l’Homme… Tome IV (1687)

https://books.google.fr/books?id=cZdlAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

L’Oeconomie de la Coopération de l’Homme avec l’Opération de Dieu, Tome VI (1687)

il y a d’autres tomes dont le tome II L’Oeconomie de la Création de l’Homme…, etc.

https://books.google.fr/books?id=J_QOAAAAQAAJ&printsec=frontcover&dq=pierre+Poiret&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiV-prF2MHmAhUSecAKHQ6nD5AQ6AEITzAF#v=onepage&q=pierre%20Poiret&f=false

Théologie réelle

https://books.google.fr/books?id=8IOm0ZC-NMsC&printsec=frontcover&dq=pierre+Poiret&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiV-prF2MHmAhUSecAKHQ6nD5AQ6AEIOTAC#v=onepage&q=pierre%20Poiret&f=false

Théologie du Cœur I

https://books.google.fr/books?id=1PKmK_n1pTsC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Théologie du Cœur II

https://books.google.fr/books?id=kGQ9AAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=pierre+Poiret&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiSl_ze2sHmAhVUilwKHRY-Bro4ChDoAQgoMAA#v=onepage&q=pierre%20Poiret&f=false

Paix des bonnes âmes dans tous les partis…

https://books.google.fr/books?id=pIhc5AcJJfUC&pg=PA12&dq=pierre+Poiret&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjxsdW53MHmAhWRQ0EAHTjEDOQ4HhDoAQhVMAU#v=onepage&q=pierre%20Poiret&f=false

Paix des bonnes âmes [l’édition moderne 1998 donc lisible et avec intro de M. Chevallier — fait suite à son Poiret 1994]

https://books.google.fr/books?id=bPU8AAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=pierre+Poiret&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiSl_ze2sHmAhVUilwKHRY-Bro4ChDoAQhAMAQ#v=onepage&q=pierre%20Poiret&f=false

La Pratique de la vraie Théologie mystique tome II 1709

https://books.google.fr/books?id=QWYbOarQtRIC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Recueil sur le Quiétisme 1699

Fénelon

https://books.google.fr/books?id=gmY_VBfkGvYC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

Fénelon 1828 Correspondance sur l’affaire du Quiétisme (très utile ! Il s’agit du tome 8 sur beaucoup de tomes à retrouver facilement à l’aide de ce lien particulier > bandeau


Par où commencer ?

Le Moyen Court & les Torrents.

Puis Les Discours

Et si le goût persiste, Correspondance tome III Chemins mystiques.

J’ai assemblé ce que j’aime sous le titre Madame Guyon, Oeuvres mystiques, 2008.


TÉMOIGNAGES

Je présente deux témoignages de contemporains avant de reproduire un choix d’études modernes.

L’abrégé rédigé par le Duc de Chevreuse semble être à la base du retournement de l’opinion en défaveur de Bossuet, rapporté dans la Relation rédigée par Isaac Dupuy, deuxième témoignage plus ample.

L’abrégé de la main du Duc est un brouillon parfois indéchiffrable. Il nous intéresse vivement par l’exposé des conditions et effets liés à la communication mystique [brève section infra titrée: « elle a un don particulier de communiquer la grâce »].

Accessoirement on vit dans « l’esprit du temps » où l’on prêtait trop facilement crédit à des inspirations supposées divines (quand ce n’est pas lintérêt de canaliser une riche veuve au service de l’Église).

A l’époque des faits rapportés, Madame Guyon n’a pas encore été « mûrie mystiquement » par les épreuves et les prisons. Elle y prêta de même grands crédits et de toute façon elle ne pouvait échapper aux demandes151.



[1697?] Abrégé de la vie de Madame Guyon par le Duc de Chevreuse152

[ « Il est juste Monsieur de vous expliquer les raisons... »]

Il est juste Monsieur de vous expliquer les raisons qui obligent plusieurs personnes portées à croire que N. [Madame Guyon] a reçu l'esprit de Dieu avec abondance. Mais il faut pour cela vous dire en peu de mots le cours de passé. Elle est d'une famille noble très bonne et ancienne, originaire du bas Maine, et établi à M[ontargis] depuis 3 générations. Elle a été élevée non seulement honorablement, mais chrétiennement dans la maison de son père. Elle s'est trouvée prévenue de grâce dès sa tendre jeunesse. Mais ayant été mariée à 14 ans [en fait à 16 ans], elle se dissipa un peu pendant 2 ou 3 ans, vivant néanmoins avec règle et beaucoup d'honneur. Elle était naturellement vive, un peu vaine, aimant sa beauté et son agrément naturel, noble avec cela est généreuse, le cœur bon, libérale, compatissante, de l'esprit, un peu de cette légèreté ordinaire aux femmes, qui dans une personne vive cause souvent l'exagération et l'imprudence, mais avec cela beaucoup de droiture, d'équité et de raison, sa conscience lui reprochant toujours dans ce jeune âge que sa vie toute réglée qu'elle était selon les hommes, se trouvait bien différente de ce que Dieu avait commencé à lui demander dès son enfance, elle rencontra un religieux de Saint-François qui se sentit pressé intérieurement de l'exciter à chercher Dieu en elle-même. Elle pouvait avoir 17 à 18 ans. À peine se fut-elle retrouvée au-dedans qu'elle se trouva fortement attirée, et cet attrait qu'elle ne connaissait pas augmenta à tel point qu’il l’enleva presque continuellement aux choses extérieures, pour la tenir plongée en Dieu. Elle ne pouvait s'en retirer que dans un extrême effort, et cela dura ainsi plusieurs années. Cependant le même attrait la porta avec une grande violence aux pénitences les plus dures et à des œuvres de charité continuelles. Il n'y avait sorte d'austérité à laquelle elle ne se livra jusqu'à ce mettre en sang au travers des épines et orties, se brûler avec la cire fondue et les charbons ardents, se retrancher tout ce qui pouvait plaire au sens ou de [mot illisible] [310] [v°] faire avec une fermeté inouïe ce qui paraissait insurmontable à la nature, comme lécher les plaies des pauvres et en avaler le pus (ce qui ne se passait pas sans d’étranges vomissements,) et tout cela par un mouvement intérieur auquel il lui paraissait impossible de résister. Car souvent les répugnances ou la lassitude de la nature étaient telles qu'elle n'aurait jamais pu les surmonter si elle n'y avait été intérieurement forcée.Ses aumônes étaient grandes et son industrie pour le secours des pauvres qu'elle visitait soigneusement ne paressait pas naturelle. L'argent qu'elle y employait abondamment ne diminua point entre ses mains en sorte que dans le compte qu'elle rendait exactement à son mari de la dépense de la maison, il n'entrait que discrètement et autant à peu près qu'il en voulait faire. Durant ce temps-là, elle fut avertie en songe de la mort de son père qu'elle ne savait pas [mot illisible] dont elle était éloignée et elle le dit de matin à une abbesse [Mère Granger?] chez qui elle passait. Elle eut encore d'autres avertissements extraordinaires surtout à la mort de son mari. Pendant sa vie, elle avait souffert prodigieusement en toute manière de sa belle-mère et de son mari même, de contrainte, la tyrannie qu’on exerçait sur elle, l'insolence continuelle de ses propres femmes qu’on animait contre elle et à qui il ne lui était pas permis de répondre, mais plus que tout cela, sa douceur, sa patience et son silence sont surprenants. Alors elle commença à entrer dans un état de peines intérieures de toutes sortes, qui se joignirent en tout aux extérieures. Rien n'égale ses délaissements et sa fidélité. Ce temps dura six ou sept années. Elle fut ensuite appelée à aller à Genève par bien des voies différentes et sans qu'il plût à Dieu de lui faire connaître ce qu'elle y devait faire. Bien des personnes de piété et [illis.] [r°] qui ne la comprirent pas et absentes qui ne savaient plus cette vocation ne lui firent savoir de leur côté. Elle y fut excitée par mouvements intérieurs, songes, etc. Enfin après avoir résisté à ce qui lui paraissait une folie et ce qu'elle savait qui la devait paraître à toute sa famille et tant d’autres personnes dont elle était connue, elle s'abandonna les yeux fermés à l'ordre de Dieu sur elle et partit pour Genève. Je ne parlerai pas du détail de ce qu’elle y fit il fit aussi bien qu’à Tonnon [Thonon ]Gex Verceil et Grenoble où Dieu la conduisit soit dans les maisons religieuses ou chez des Dames d'une piété distinguée, car les biens et les conversions que Dieu opéra par elle sont innombrables, je dirai seulement premièrement qu'elle y connut le père de la Combe barnabite, saint homme qui faisait en ce pays-là plusieurs miracles et qui en fît en sa personne en la guérissant tout d'un coup dans une grande maladie où après avoir reçu l'extrême-onction et avoir déjà les pieds et les jambes froides on n’attendait que le moment qu'elle expira. Il fut son confesseur, mais elle-même le conduisit à une voie intérieure plus élevée. Là par son ordre elle obéit au mouvement pressant qu'elle avait d’écrire sans savoir quoi sur l'Écriture sainte et elle y fit ses commentaires mystiques au courant de la plume sans rature que de quelques mots de reprise et sans pouvoir rendre raison du choix qu’elle faisait des versets ni de ce qu'elle allait dire. Elle écrivit aussi en 1683 au P.de la C[ombe] la lettre prophétique qu'on sait dont une bonne partie est arrivée (ce dont il n'y [illis.] alors ni plusieurs années depuis nulle apparence) et dont l’autre partie commence déjà à arriver. Elle y fit un grand nombre de miracles par simple mouvement et prédit plusieurs choses futures précisément [mot de lecture incertaine] arrivées 311 [fin de page] ensuite [r° du nouveau feuillet] ce qu'elle a toujours continué depuis jusqu'à présent selon qu’il a plu à Dieu. Depuis environ 13 ans, ses peines intérieures étant cessées, elle s'est trouvé dans une pleine intime et continuelle oraison à Dieu qu’elle croit avoir pour ainsi dire uniforme au-dedans d’elle et principalement à Jésus enfant qui lui a communiqué par état sa simplicité, sa grandeur, sa petitesse, et son innocence.

[« elle a un don particulier de communiquer la grâce »]

Outre les miracles et les prédictions soit par mouvement subit ou par songe elle a un don particulier de communiquer la grâce à ceux que Dieu lui destine pour cela, et cette communication se fait par la lecture de ses lettres et ouvrages, ou par la prière, ou même par le simple silence dans lequel on se met devant Dieu pour recevoir ce qu'il lui plaira de donner. Un grand nombre de personnes mêmes prévenues contre elle et en qui d'ailleurs l'imagination ne domine nullement l'ont expérimenté mille fois et en rendent témoignage. Dans ce temps elle se sent quelquefois comme une prodigieuse [un mot illis.] remplie de la part de Dieu, et quand il y a dans la personne quelque empêchement, elle souffre intérieurement dans l'âme d'une manière si forte pour diverses personnes, soit pour la conversion des pécheurs, soit pour le recevoir, sa plénitude dure longtemps, l’oppresse et la rend comme toute languissante, parce que cet esprit ne lui étant donné que pour le communiquer, elle souffre beaucoup de l'empêchement qui arrête cette communication, et cela qui est tout dans l'âme se répand même quelquefois jusque sur le corps et les sens.

L'augmentation des grâces de personnes qui y résistent que le corps même en est très fatigué. Elle sent distinctement quand ces personnes quoiqu’éloignées de plusieurs lieues combattent contre l'attrait de Dieu qui les portes à la petitesse et l’abandon et elle leur fait savoir qu'ils résistent à Dieu et qu’ils doivent se laisser en lui absolument dans l'oubli d’eux-mêmes. Elle terrasse ainsi, arrête les moindres [une dizaine de mots illis.] qu’elle leur découvre ce qu’ils ne voyaient pas en eux-mêmes et qu’ils s’y reconnaissent effectivement quand elle le leur écrit, etc.

Elle a des souffrances semblables sans qu’il lui [un mot illis.] des persécutions [un mot illis.] qu'il en paraisse la moindre trace. Dieu la met dans un état d'agonie terrible. Ce qu'elle a écrit plusieurs fois avant le temps et dont on garde les lettres, avec la date de la réception [r° du feuillet suivant]

Dans le temps de sa misère Genève lui vint dans l'esprit d'une manière qu'elle ne peut dire. Ce qui il lui fit craindre beaucoup [trois mots illis.] à elle-même, si elle [un mot illis.] jusqu'à ce [un mot illis.] d'impuretés [un mot illis.].

[« il se présenta la nuit en songe une petite religieuse fort contrefaite... »]

A quelque temps de là il se présenta la nuit en songe une petite religieuse fort contrefaite qui lui sembla pourtant [un mot illis.] et bienheureuse et lui dit, ma sœur je viens vous avertir que Dieu vous veut à Genève. Elle a reconnu depuis au portrait de la mère Bon [religieuse du Dauphiné] qui mourut dans ce temps-là.

Ensuite ayant écrit au P. de la C[ombe] de prier pour elle à sa messe le jour de la Madeleine [mot illis.] il écrit, au premier moment il lui fut dit trois fois avec impétuosité [mot illis lien avec elle. Il n'avait jamais eu de paroles intérieures et en fut étonné.

Après étant entrée à Paris ou elle était allée la même église [mot illis.] pour se confesser, elle alla au premier confesseur qu'elle trouva et ne le connaissait pas ni ne l’a jamais vu depuis, après une simple et courte confession, il lui dit, je ne sais qui vous êtes, fille femme ou veuve, mais j'ai un fort mouvement intérieur de vous dire que vous fassiez ce que N[otre] S[eigneur] vous a fait connaître qu'il voulait de vous. Je n'ai que cela à vous dire. Elle répondit [quelques mots illis.] ayant des petits-enfants de 4 et 6 ans Dieu ne pourrait [mot de lecture incertaine] [que] lui demander que de les élever. Il répliqua, Je ne sais rien. Vous savez bien si Dieu vous a fait savoir [lecture incertaine] qu’il voulait quelque chose de vous [mot illis.] il n’y a rien qui vous doive inquiéter de faire sa volonté, il faut la [mot illis.][312]

Ensuite une religieuse de St Dominique de ses amis voulant aller en mission à Siam, étant prête d’en prononcer le vœu qu’il avait écrit, il ne lui fut pas possible. On lui donna à entendre qu’il devait en [ajouté] venir trouver [barré] [un mot illis. ajouté] M. G[uyon ?]. Il y vint et répugnant à lui déclarer alla dire la messe dans la chapelle croyant qu’il suffisait qu’il y fit son vœu à cette messe lequel elle entendrait. Mais il en fut empêché et quitta l’esprit qu’il avait pour l’aller trouver ; Il lui déclara donc sa résolution. Elle se sentit fort poussée de lui dire ce qu’elle avait dans l’esprit pour Genève depuis longtemps et lui raconta un songe qu’elle avait vu le ciel ouvert ou en l’invitation d’aller [lecture incertaine] qu’elle répondit que le Thabor n’était pas pour elle, mais le calvaire, que pressée d’y aller elle le fit, n’y trouva qu’un reste de lumière et vit de ce reste un [mot illis.] excessivement grande, que beaucoup de prêtres religieux et moines l’empêchaient venir, que pour elle M. G[uyon] elle [mot illis. : tournerait ?] simplement en sa place en paix, mais que cette croix s’approcha d’elle avec un étendard de même couleur et se jeta toute seule entre ses bras, qu’elle la reçut avec beaucoup de joie, que les Bénédictines ayant voulu la lui ôter, elle se tira de leurs mains pour se jeter dans les siennes. S’entretenant de cela avec le Père elle eut un fort mouvement de lui dire, vous n’irez point à Siam, vous me servirez en cette affaire et c’est pour cela que Dieu vous a envoyé ici. Il répondit qu’il prierait [mot illis.] et dirait la messe trois jours puis lui parlerait. Après quoi il lui dit qu’il croyait que Dieu voulait qu’elle allât [à G barré] en ce pays-là (de Genève), mais que pour en être assuré, il fallait voir M. de Genève, que s’il approuvait le dessein il était de Dieu, sinon il n’y fallait plus penser. Il s’offrit d’aller pour cela à Annecy. Pendant qu’ils parlaient de cela, il vint d’un religieux passant qui leur dit, savez-vous bien une nouvelle, l’évêque de Genève est arrivé à Paris. Alors le religieux y alla à voir Mr de Genève et elle par une affaire de providence s’y trouva peu après visitant Mr de Genève qui [mot illis.] son dessein et lui dit qu’il la rencontrait par providence que des nouvelles catholiques voulaient aller établir à Gex, qu’elle irait avec elles [mot illis.] à Gex, si elle [r° feuillet 313] voulait. Elle ne savait cependant ce que Dieu y demandait d’elle, vit la supérieure des nouvelles Catholiques de Paris cette dernière la confirma fort dans ce dessein.


[« Elle consulta M. Bertaut...]

Elle consulta M. Bertaut [Bertot] qui lui dit que son dessein était de Dieu, et qu’il y avait quelque temps que Dieu lui avait fait connaître qu’il voulait quelque chose d’elle.

Elle avait des songes mystérieux qui ne lui pronostiquaient que croix persécution et douleurs.

Alors le songe de Mr l’A[bbé] de Fénelon].

Elle et le Religieux Dominicain [mot illis.] au p. De la C[ombe] pour avoir son avis. Il manda qu’il avait fait prier de très saintes filles qui toutes disaient que Dieu la voulait à Genève. Une religieuse de la Visitation, très sainte fille, lui manda que Dieu lui avait fait connaître qu’elle la voulait à Genève et qu’il lui avait été dit, elle sera fille de la croix de Genève. Une ursuline lui fit savoir que N.S. lui avait dit qu’il la destinait pour être l’oeil de l’aveugle, le pied du boiteux, le bras du manchot, etc.

Le P. g[énéral] b[énédictin] M. Qu’elle consulta par lettres lui manda après quelque temps pris pour prier que Dieu leur avait fait connaître qu’il la voulait à Genève, et qu’elle leur fît un sacrifice généreux de toutes choses. Et parce qu’elle lui [mot illis.] que c’était pour une personne et urgent pour aider une fondation qu’on y allait faire, il répondit que Dieu lui avait fait connaître qu’il ne voulait point de ses biens, mais sa personne. Le P. De la Combe [écrit en entier][quatre mots illis.] cela avec certitude et les deux lettres de ces bons religieux éloignés l’un de l’autre de 150 lieues estimant la même chose lui furent rendues en même temps.

Elle se résolut donc de tout sacrifier à Dieu et d’aller comme une fille sans pouvoir dire ni motif ni raison de son entreprise. [313]

[Quatre lignes ajoutées en petits caractères le plus souvent illis. :]

…. au livre d’Isaye qu’elle eut le mouvement d’ouvrir sur ce qu’on la voulût détourner du voyage …. ce passage ….. ; ce sera moi qui me conduirai de ….car vous êtes à moi, lorsque vous marcherez au travers des eaux je serai avec vous. [fin du feuillet].







[1733] Relation par Isaac Dupuy153

Présentation de Monsieur Dupuy (D.Tronc)

Isaac du Puy, Dupuy ou Dupuis154 commença à connaître Madame Guyon dès les années 1687-1688155.

« Il avait été nommé le 1er septembre 1689 gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne, qu’il devait accompagner partout. Il avait été auparavant porte manteau, puis gentilhomme ordinaire du Roi et, selon les Nouvelles ecclésiastiques, il appartenait à une « sainte société de gentilshommes qui demeurent près des carmes déchaussés de Paris et en était un des plus fervents. » 156

Saint Simon confirme qu’il « était initié de tout temps parmi les plus dévots de la cour, ce qui l’avait fait particulièrement connaître à M. de Beauvillier ; mais, ce qui est rare à un dévot de la Cour, c’est qu’il était fort honnête, fort droit, fort sûr, et, avec peu d’esprit, sensé et à l’esprit juste, fidèle à ses amis, sans intérêt, ayant fort lu et vu, et beaucoup d’usage du monde. » 157

Homme de confiance

Le bon « Put » est à la fois l’homme de confiance, le gestionnaire de biens lorsque madame Guyon est emprisonnée, le lien et porteur de nouvelles entre Cambrai et Blois, celui qui tient les cahiers de lettres de l’archevêque après les destitutions dont la sienne accompagnant l’exil de ce dernier, la mémoire du groupe des disciples, l’informateur du marquis neveu et premier éditeur des œuvres de Fénelon. Citons des témoignages.

Le premier est une lettre de madame Guyon de 1695, datant d’avant ses longs emprisonnements. Il a l’intérêt au-delà de la présence de Dupuy de nous exposer les soucis d’une vie de fugitive158 :

Je quitte absolument le lieu où je suis, je trouve un petit lieu à la campagne au bon air, mais il faut l’acheter : on me demande 2000 livres comptants, et j’ai un contrat à une fille qui me sert sur l’Hôtel de Ville au denier quatorze que j’espère qu’on me fera vendre pour faire cette somme ; sinon le bon put, sur mon billet, me les prêtera. Il n’y a que ce moyen de me les faire tenir, car il faut payer d’abord. Ainsi, nul ne saura que je serai dans ce lieu, je n’y verrai âme vivante et il sera ignoré de tous les Enfants. Mais il me faudrait la bonne femme et je ne vois pas que nous la puissions avoir. Si n [otre] cher p [etit] M [aitre] le veut bien, Il nous facilitera le moyen de placer le fils. Je vous envoie le contrat de la petite Marc 1 avec un billet de 600 livres pour put [Dupuy]. Je vous prie qu’il me fasse toucher, le plus tôt qu’il se pourra, 2000 livres pour acheter ce petit lieu qu’on ne veut pas louer. Je vous serai sensiblement obligée. Je croyais vous envoyer le contrat de la petite Marc, mais je me souviens de l’avoir envoyé à M. Dupuy [Dupuy] dans une cassette avec d’autres papiers, par la voie de la petite duchesse. Si M. Dupuis le cherche, il le trouvera, ou bien il faut savoir de la bonne p[etite] d[uchesse] si elle a gardé le coffre. Ce fut M. l’abbé de Charost qui le fit prendre chez M. Thévenier ; ayez la charité de savoir tout cela à Fontainebleau [la Cour], je vous en prie, et qu’on m’envoie au plus tôt un billet pour recevoir les 2000 livres. Voilà un billet de deux mille livres pour M. Dupuis ; s’il a le contrat et qu’il me le mande, il brûlera le billet de deux mille livres et je lui enverrai un de six cents livres.

La « chasse » prendra fin par l’arrestation du 27 décembre 1695159.

Le second témoignage date de la progression vers l’enfer. Madame Guyon est mise au secret en 1697 dans un « couvent-prison » constitué à cette fin :

“Le petit « couvent » est un lieu de bonne garde […] Voilà mon espèce de testament ; il faut l’ajouter au codicille que je fis à Meaux. P. [= Put = Dupuy] a tout — c’est un bon enfant —, le t[uteur = Chevreuse] et vous, pouvez ouvrir celui-ci et le recacheter. Je crois être obligée de mettre toutes ces choses pour l’avenir, afin que la vérité soit connue. Il fut écrit à Vin [cennes]”. (Lettre à la petite duchesse de Mortemart).

Le troisième et dernier témoignage retenu est postérieur aux prisons, après que madame Guyon soit sortie de la Bastille lavée de tous soupçons (on n’a pu tirer un aveu forcé). Il s’agit du dialogue avec Fénelon de 1710, précieux vestige de leur correspondance160 où les courriers entre Cambrai et Blois étant assurés par le marquis neveu de Fénelon, Ramsay, Dupuy :

[dialogue avec Fénelon de 1710]

[Colonne gauche, Fénelon, question no. 2 :] Vous avez paru avoir quelque pensée que vous ne vivrez pas longtemps. Cette pensée subsiste-t-elle encore ? En quel état est votre santé ? […]

[Colonne droite, Mme Guyon, réponse :] Il est vrai que la pensée que je mourrai bientôt m’a restée quelque temps dans l’esprit, mais cela m’a été enlevé tout à coup. Tout est dans l’équilibre pour vivre ou mourir. Je vous ai écrit une lettre qu’il y a du temps que Put [Dupuy] m’a mandé vous avoir envoyée par gens sûrs : vous ne m’en dites rien. C’était l’état de mon âme que je vous exposais, elle commençait benedic me pater3.

[Colonne gauche, Fénelon, question no. 3 :] La p[etite] D[uchesse] [de Mortemart] ne m’écrit presque plus […] Elle est piquée à l’égard du P. abbé [de Langeron] et de Dupuy qui ont secoué son joug.

[Colonne droite, Mme Guyon, réponse :] […] C’est une crise. J’espère que cela passera… il est plus sûr d’obéir que de commander.

[Colonne gauche, Fénelon, question no. 5 :] L’abbé de Chanterac, homme savant… d’un très bon conseil… à soixante-douze ans, il voudrait fort nous quitter pour chercher dans notre pays de Gascogne un climat plus doux…

[Colonne droite, Mme Guyon, réponse :] Peut-il mieux faire que de consacrer le reste de sa vie pour l’Église … Je voudrais qu’il sentît une petite partie de ce que je sens pour l’Église : je ne prie que pour elle et je m’oublie absolument de tout le reste ; je vois ici un mal horrible161. Vous avez pu apprendre de p [ut] [Dupuy] tout ce qui s’y passe : je le lui ai mandé afin que vous en fussiez instruit. S’il veut absolument s’en aller, que faire autre chose que s’abandonner ? Mais arrêtez-le si vous pouvez.

Au-delà de ce rôle de services, Dupuy sait « secouer le joug » et être un consolateur :

29 septembre 1714, Lettre 324 : Nous avons perdu le Bon Duc [de Beauvillier]. J’ai écrit plusieurs lettres de consolation à notre cher père [Fénelon], qui devait s’attendre depuis longtemps à cette perte. Il ne laisse pas d’être fort affligé, vous connaissez son cœur. Je mande au bon Put [Dupuy] de l’aller trouver en cas que ses affaires le puissent permettre parce que je sais que ce serait une grande consolation pour lui.

Mme Guyon « l’aime bien »162. Signe de profonde confiance, elle lui a confié l’un des deux exemplaires de son testament.163

Deux précieux manuscrits

Un livre de lettres de Madame Guyon couvre la période parisienne grâce auquel nous suivons le combat de la « Dame directrice » lors de la « Querelle » du quiétisme164. En outre Dupuy colligea le livre des lettres de La Pialière. Cet ensemble a permis de reconstituer la moitié de la correspondance guyanienne165.

Surtout le marquis de Fénelon, le premier éditeur testamentaire des œuvres de son oncle, eut recours à la bonne mémoire de Dupuy pour établir une préface166. Dupuy constitua alors une Relation demeurée manuscrite167.

Nous ne découvrons qu’aujourd’hui son très grand intérêt. Il n’est pas trop tard pour présenter ce texte bien rédigé, préférable à la Préface du marquis qui se devait d’être pleinement irénique. Elle nous éclaire sur certaines causes cachées qui ont envenimé la « Querelle ». En voici une transcription (pour l’instant partielle) :

Relation du différend entre Bossuet et Fénelon168

Relation du différend entre Monsieur l’Archevêque de Cambray et Monsieur l’Évêque de Meaux qui donna lieu à la disgrâce de Monsieur de Cambray.

(1) Vous me demandez, Monsieur, un récit fidèle de ce qui s’est passé dans le grand démêlé de Monsieur l’Archevêque de Cambrai avec Monsieur l’Archevêque de Paris et Messieurs les évêques de Meaux et de Chartres. Je veux bien satisfaire votre curiosité, mais il est bien difficile qu'il ne m'échappe beaucoup de choses dans le grand nombre de faits que j'aurais à vous raconter, s'il me fallait entrer dans un détail exact de tout ce qui y a donné lieu. Je tâcherai néanmoins de ne rien omettre d'essentiel et me renfermerai le plus qu'il me sera possible dans les faits constants dont on convient de part et d'autre ou dont les preuves à qui voudront les contester, seraient sans réplique.

Tout le monde sait la liaison qui était entre Monsieur de mots et Monsieur l’abbé de Fénelon avant que ce dernier vînt à la Cour et fût fait précepteur de Monsieur le Duc de Bourgogne, les louanges que Monsieur de Meaux donna au choix que le roi en venait de faire et combien il parut s’intéresser à l’élévation d’un homme que l’on regardait également (2) comme son ami et son disciple ; mais les distinctions que l’on accorda à Monsieur l’Abbé de Fénelon auprès du prince à cause de sa naissance ; sa réputation qui devint grande tout d’un coup et la faveur de Madame de Maintenon resserrèrent le cœur de Monsieur de Meaux à son égard, et il ne put voir sans un peu de peine un homme qu’il regardait comme son disciple, traité d’une manière si différente de celle dont il l’avait été. En effet il n’avait jamais eu ni la table de Monsieur le Dauphin ni son carrosse dans tout le temps qu’il avait été son précepteur, et l’on accorda l’un et l’autre à Monsieur de Fénelon dès les premiers jours qu’il eut l’honneur d’être auprès de Monsieur le duc de Bourgogne : il arrivait souvent que les manières douces et insinuantes avec lesquels on disait dans le public qu’il gagnait l’esprit du prince et lui rendait l’étude aisée et la lui faisait regarder plutôt comme un jeu que comme un assujettissement fâcheux, il arrivait dis-je souvent que ce discours porté aux oreilles de Monsieur de Meaux comme au meilleur ami de Monsieur de Fénelon, le blessait dans un endroit bien sensible, car l’on savait que sa conduite à l’égard de Monseigneur avait été toute contraire, et l’événement avait justifié qu’il ne s’y était pas bien pris, par le dégoût qu’il lui avait inspiré de toute sorte (3) d’étude.

Ces choses qui paraissent petites ne laissèrent pas de faire une impression assez grande dans l’esprit de Monsieur de Meaux, et quoiqu’au-dehors cela ne parut pas d’une manière bien marquée, leurs amis communs s’en aperçurent. Monsieur l’abbé de Fénelon cependant vivait avec lui à son ordinaire ; le voyait comme auparavant, et souvent l’invitait à se trouver à l’étude du Prince. Cinq ou six ans se passèrent de la sorte et ce qui restait du temps destiné pour l’éducation de Monsieur le Duc de Bourgogne aurait fini de même, sans les affaires de Madame Guyon fit entrer Monsieur de Meaux qui de son côté ne fut point fâché de reprendre avec Monsieur de Fénelon les airs de supériorité qu’il avait eus autrefois avec lui, car comme il s’agissait de doctrine, son caractère, son âge et sa réputation lui en donnaient une pour laquelle il savait que Monsieur l’Abbé de Fénelon était plein de respect et de déférence.

[Madame Guyon et Saint-Cyr]

Madame Guyon sous prétexte de quiétisme, mais pour des intérêts particuliers avait été mise aux filles de Sainte-Marie par ordre du roi au commencement de l’année 1688. Madame de Maintenon qui la crût persécutée injustement, se fit une affaire auprès du roi de l’en tirer, elle la faisait entrer quelquefois dans Saint-Cyr, et trouvant (4) dans sa conversation et dans sa sorte de piété de quoi s’édifier, non seulement elle, mais quelques filles de cette maison qui souhaitèrent de la voir, elle leur permit de prendre confiance en elle et crût par le changement de quelques-unes dont elle n’était pas contente auparavant, n’avoir pas lieu de s’en repentir, elle en parla à Monsieur l’Abbé de Fénelon qui l’avait connue peu de temps après sa sortie de Sainte-Marie, il ne s’opposa point à l’estime qu’elle paraissait avoir pour elle et lui en parla même en plusieurs occasions d’une femme pleine de piété et de vertu dont il pouvait rendre témoignage plus que personne ; parce qu’il s’était trouvé à portée de lui faire expliquer ses expériences, et de connaître à fond ses sentiments.

Le hasard ayant fait trouver Madame Guyon à la campagne chez une dame des amis de Monsieur l'Abbé de Fénelon il était allé voir, il eut lieu de l'entretenir de beaucoup de choses qui avaient rapport à la vie intérieure, les affaires qu'elle avait eues l'avaient prévenu contre elle, et cette prévention le rendait fort précautionner pour s'éclaircir de ses sentiments sur une matière aussi délicate qui commençait à faire beaucoup de bruit ; il lui fit ses difficultés, elle répondit simplement, et ne trouvant rien dans sa doctrine que de conforme à celle de l'Église et très éloigné des idées qu'on en avait voulu (5) donner, il l’a vit plusieurs fois depuis et se confirma toujours de plus en plus dans l'opinion qu'il avait de sa piété et de son expérience dans les choses de la vie spirituelle.

Les entrées que Madame de Maintenon donna à Madame Guyon dans Saint-Cyr et l'estime que quelques personnes de la Cour distinguées par leur rang et par leur piété lui témoignaient donnèrent de l'inquiétude aux gens qui l’avaient persécutée, les directeurs ce soulevèrent et l'on engagea Monsieur l'Évêque de Chartres supérieur de Saint-Cyr de représenter à Madame de Maintenon que Madame Guyon troublait l'ordre de la maison par une conduite particulière, et que les filles qu'elle voyait étaient si fort attachées à ce qu'elle leur disait qu'elles n'écoutaient plus leurs directeurs. Madame Guyon n’alla plus à Saint-Cyr et sachant qu'on se plaignait qu'elle y avait donné des écrits où le venin du quiétisme était répandu, elle ne répondit plus à celles qui lui écrivaient que par des lettres ouvertes qui passaient par les mains de Madame de Maintenon.

Les directeurs de Saint-Cyr ayant obtenu ce qu'ils souhaitaient, ceux de la Cour mirent tout en œuvre pour la décrier, j'entre point dans les motifs qui les y engagèrent, ce n'est pas d'elle dont il s'agit ; mais sitôt qu'elle apprit que ce grand murmure n'avait pour fondement que la confiance d'un petit nombre d'amis qui la (6) voyaient, à qui l'on disait qu'elle apprenait à faire oraison, elle s'abstint de les voir, et même pour ôter tout prétexte de crier, ne s'agissant pour lors que de cette oraison qu'on lui imputait d'enseigner, elle se retira dans un lieu inconnu à tous ses amis et ne vit plus personne.

Cette conduite devait ce semble faire cesser le murmure et calmer les esprits échauffés, il arriva le contraire, et ceux qui la poussaient ne voyant pas que son éloignement produisit l’effet qu'ils en avaient attendu, résolurent de pousser les choses aux dernières extrémités. Ils avaient espéré que ses amis ne la voyant plus, reprendraient en ne la même confiance qu'ils avaient autrefois, mais un tel procédé n'était pas propre à les faire revenir. Ils demeurèrent dans le silence et souffrirent en paix ce qu'ils ne pouvait empêcher. Quelques jeunes dames de la Cour qui avaient pris le père Alleaume jésuite pour directeur, le conservèrent au grand scandale de ceux qui n’aimaient pas les jésuites, et les jansénistes qui avaient beaucoup recherché Madame Guyon autrefois, eurent le déplaisir de croire que Monsieur le Duc de Chevreuse qu’ils avaient élevé dans Port-Royal et qu’ils regardaient comme un homme attaché au parti, les abandonnaient pour demeurer de ses amis. Il connaissait Madame Guyon depuis deux ou trois ans seulement, il avait été fort prévenu contre elle, et ayant intérêt de la connaître pour (7) des raisons très essentielles qui regardaient sa famille, il ne s’en voulut rapporter qu’à lui-même ; il le fit avec toute la précaution imaginable, et cet examen lui donna autant d’estime pour elle qu’il avait eue auparavant de prévention contre.

Monsieur le duc du Beauvilliers ne donnait pas moins d’inquiétude à l’un et à l’autre de ces deux parties ; l’éducation des princes dont il était chargé, la confiance de Madame de Maintenon qu’il partageait avec Monsieur l’Abbé de Fénelon et ses emplois considérables qui l’attachaient auprès du Roi, le faisait regarder comme un homme qui pouvait beaucoup nuire ou servir. L’on savait l’estime qu’il avait pour Madame Guyon qu’il connaissait aussi depuis deux ou trois ans, et que la plupart de ses amis et ceux qui l’approchaient le plus la regardaient comme une personne d’une très grande vertu et en qui ils avaient beaucoup de confiance.

Son éloignement ne calma donc point les esprits échauffés de Saint-Cyr et de la Cour. L’on supposa qu’elle répandrait son poison de loin comme de près, et l’on crut que pour rendre sa doctrine plus suspecte, il fallait décrier ses mœurs. L’on mit tout en œuvre pour en venir à bout et ceux qui s’en mêlèrent y réussirent si bien qu’ayant persuadé Monsieur l’évêque de Chartres, il ne songea plus qu’à persuader aussi de son côté Madame de Maintenon et ceux de la Cour qu’il croyait des amis de Madame Guyon (8) ou entêtés de ses sentiments.

Madame de Maintenon tint bon quelque temps : ce qu’elle avait connu de Madame Guyon, ses lettres, ses écrits qu’elle avait goûtés, le témoignage que lui en rendaient d’ailleurs ceux de ses amis en qui elle avait alors le plus de confiance, lui faisait suspendre son jugement. Elle se rendit enfin aux instances de Monsieur l’Évêque de Chartres et de quelques personnes qui y entrèrent avec des vues trop humaines ou avec des intérêts particuliers.

[M. Boileau de l’Archevêché – Sœur Rose]

Un de ceux qui firent le plus de bruit contre Madame Guyon fut Monsieur Boileau. Il avait passé plusieurs années de sa vie à l’hôtel de Luynes où sa piété et son désintéressement lui avaient acquis l’estime de tous ceux qui faisaient profession d’en avoir ; il avait vu cette dame plusieurs fois, lui avait fait ses difficultés sur le petit livre intitulé le Moyen court, et avait paru satisfait de sa docilité.

Une femme extraordinaire qui se mit sous sa conduite en arrivant à Paris lui fit changer de sentiment ; elle l’assura que Madame Guyon était mauvaise et qu’elle causerait de grands maux à l’Église. Monsieur Boileau persuadé par cette femme, de la sainteté de laquelle il se croyait sûr, se joignit à ceux qui (9) persécutaient Madame Guyon. Sa prévention lui fit croire le mal qu’il en entendait dire, et bientôt il fut un de ses plus zélés persécuteurs. Il n’est pas aisé de pénétrer pourquoi Mademoiselle de la Croix, car c’est ainsi que s’appelait cette femme qui depuis a fait beaucoup de bruit dans Paris sous le nom de sœur Rose, parlait ainsi de Madame Guyon. L'on suppose qu'elle ne la connaissait pas, qu'elle ne l'avait jamais vue et que son nom lui devait être aussi peu connu que sa personne ; mais depuis l'on a su les motifs qui l'engagèrent à décréditer, comme elle fit dans l'esprit de tous ses amis ; elle y avait un intérêt personnel très pressant, mais que Madame Guyon ne put pénétrer pour lors, ne sachant pas ce que c'était que cette Mademoiselle de la Croix qu'elle ne voyait point et qui n'était vue que d'un petit nombre d'amis de confiance sous prétexte de ses grandes infirmités. Les différents noms que cette femme a pris suivant les lieux elle s'est trouvée, ont mis depuis Madame Guyon à portée de connaître ce qu'elle ignorait pour lors, mais elle n'en a voulu faire aucun usage pour ne faire tort à personne, et elle a abandonné (10) à Dieu le soin d’une réputation dont elle lui avait déjà fait le sacrifice. Quoi qu'il en soit Monsieur Boileau l'ayant consulté sur son sujet, elle lui demanda deux jours pour consulter Dieu aussi de son côté, et sa réponse fut qu’il lui avait été dit, « ma gloire n'est pas en cette femme et elle causera beaucoup de maux à l'Église. » Cette réponse fit une telle impression sur l'esprit de Monsieur Boileau qu’il abandonna l'hôtel de Luynes et ses anciens amis dès qu'il eut perdu l'espérance de leur ouvrir les yeux sur Madame Guyon. Ce n'est pas que Monsieur le Duc de Chevreuse ne lui offrit plusieurs fois de mettre papier sur table, et que si parmi les faits qu'on imputait à cette dame, il s'en trouvait un de vrai, il serait des premiers à l'abandonner, cela ne fit aucune impression sur son esprit, il fallait l'en croire sur l'autorité de Mademoiselle de la Croix et il eut cru manquer à Dieu que de douter un moment de ce qu'elle lui disait.

[Madame Guyon se retire et demande un examen]

Voilà à peu près la disposition des esprits lorsque Madame Guyon se retira ; avant que de le faire, elle demanda avec beaucoup d'insistance à ses amis et à ceux qui avaient pris confiance en elle qu'ils la fît examiner par une personne dont le caractère et le savoir la (11) pût rassurer contre l'illusion si par hasard, contre son intention, elle leur avait inspiré quelque chose de contraire à la foi ; qu'elle était bien sûre de n'avoir pas voulu les tromper, mais qu'elle pouvait être trompée elle-même, et que quelque prévention qu’on eut en sa faveur, il était de l’ordre de ne rien négliger de ce qui pouvait contribuer à mettre et les esprits et les consciences en repos. Elle proposa elle-même Monsieur de Meaux qu’elle n’avait jamais vu, comme le plus propre à cet examen à cause de son savoir et de sa grande connaissance de la tradition. Monsieur le duc de Chevreuse se chargea de lui en parler ; il y témoigna d’abord quelque répugnance à cause de Monsieur l’Archevêque de Paris avec lequel il craignait de se compromettre, mais comme il ne s’agissait que de juger des expériences d’une personne qui cherchait la vérité et qui ne demandait qu’à être redressé supposé qu’elle se trompât, on lui fit entendre qu’il n’y avait rien en cela dont Monsieur de Paris put être blessé puisqu’il ne s’agissait point d’un jugement dogmatique qui dut paraître, mais seulement de son sentiment qu’elle regarderait comme la règle de sa conduite. Monsieur de Meaux ayant accepté cette proposition et l’ayant vue une fois ou deux, elle le pria de lire et d’examiner ses écrits qu’elle lui fit remettre entre les mains, non seulement les (12) imprimés, mais tous les commentaires sur l’Écriture sainte ; c’était un grand travail et il demanda quatre ou cinq mois pour se donner le loisir de le tout voir et de tout examiner. Cette matière lui était nouvelle et comme il s’était appliqué particulièrement à la controverse et à réfuter les hérétiques, il était souvent arrêté sur des figures ou des expressions qui l’embarrassaient. Souvent il s’en expliquait avec Monsieur le Duc de Chevreuse, cela donnait occasion à Madame Guuyon de s’expliquer davantage et de s’étendre sur ces endroits qui lui faisaient de la peine, ce qui apparemment le contentait, car il n’insistait plus. C’était par lettres que cela se passait, car Madame Guyon s’était retirée et ne voyait plus personne.

[Remise de la Vie à Bossuet - Conférence]

Ce prélat était à Meaux où il avait tout emporté avec lui. Madame Guyon qui cherchait la vérité crût par un excès de confiance devoir faire connaître à M. de Meaux jusqu’aux derniers replis de son cœur, pour cela elle lui fit remettre sa Vie entre les mains.

L’obéissance la lui avait fait écrire ; et ses dispositions les plus secrètes étaient marquées avec beaucoup de simplicité aussi ce fut sous le secret de la confession que ces défis lui fut remise et il promit un secret inviolable. Il lut tout avec attention, en fit de grands extraits et se [13] mit en état au bout du temps qu’il avait demandé, de lui proposer ses difficultés et d’écouter les explications qu’elle y donnerait. Ce fut au commencement de l’année 1694. Le jour de cette conférence, Monsieur de Meaux la communia de sa propre main et la vie chez Monsieur Janon un ecclésiastique de ses amis où il lui avait donné rendez-vous. Il y porta tous ses extraits et un mémoire contenant plus de 20 articles à quoi se réduisaient ses difficultés. Il parut satisfait de ses réponses sur tout ce qui pouvait avoir rapport à la pureté de la doctrine, mais il y eut un article ou deux sur quoi elle ne put le satisfaire. Il s’agissait de ses expériences, elle disait simplement ce qu’elle avait éprouvé, et ce qu’elle éprouvait encore, mais il la croyait trompée et voulait absolument qu’elle se la crût [trompée]. Sa difficulté principale et sur quoi il insista le plus, ce fut sur les demandes et sur les actes distincts qu’il croyait qu’elle travaillait à étouffer comme les croyants imparfaits ; elle lui écrivit quelques jours après l’examen plusieurs lettres qui sont encor en nature où elle s’explique très précisément sur toutes les difficultés qui l’arrêtaient et si ce prélat n’en fut pas content l’on peut croire qu’il fut arrêté par la nouveauté de la matière et par le peu d’usage qu’il avait des voies intérieures dont on ne peut guère bien juger que par l’expérience.

Cette conférence avait duré six ou sept heures, et Madame Guyon qui ne plus satisfaire Monsieur (14) de Meaux sur les articles de parler, se regarda comme une personne trompée et dans l’illusion et voulut que ses amis la regardassent de même. Elle prit la résolution de se retirer beaucoup plus loin et de rompre commerce généralement avec tout le monde ; elle en écrivit sur ce pied à M. le Duc de Chevreuse en le remerciant des peines qu’il avait prises et le suppliant de remercier M. De Meaux de celles qu’il s’était donné ; elle le pria encore de lui faire agréer la résolution qu’elle prenait de se retirer. M. de Meaux témoigna à M. Le Duc de Chevreuse que les difficultés sur quoi il insistait ne regardaient ni la Foi ni la Doctrine, qu’il pensit différemment d’elle à la vérité sur les articles dont il s’agissait, mais qu’il ne l’en croyait pas moins catholique, et qui si pour sa consolation et celle de ses amis elle en souhaitait un certificat, il était prêt de lui en donner un par lequel il paraîtrait qu’près l’avoir examinée ; il ne lui avait rien trouvé que de catholique et qu’en conséquence il lui avait administré les sacrements de l’Église. Madame Guyon le remercia de ses offres et lui fit dire que n’ayant souhaité de le voir que pour son instruction particulière ; il lui suffisait de l’assurance qu’il lui donnait sur le fond de la doctrine ; qu’elle faisait [15] son possible pour se conformer aux choses qu’il lui avait prescrites, mais que la sincérité dont elle faisait profession ne lui permettait pas de lui cacher qu’il y en avait sur lesquelles elle ne pouvait lui obéir quelque envie sincère qu’elle en eût et quelque effort qu’elle eut fait pour entrer dans cette pratique ; elle lui marqua en particulier les choses dont il s’agissait, et après en avoir reçu une lettre de plus de vingt pages avec la permission de se retirer qu’elle demandait avec beaucoup d’instances, elle rompit commerce avec tous ses amis en les assurant néanmoins que toutes les fois qu’il s’agirait de rendre raison de sa foi, elle reviendrait au premier signal qu’on lui en donnerait.

[Madame de Maintenon — « horrible déchaînement »]

Il s’était joint un peu de crainte naturelle au premier motif qui l’avait engagé à se retirer ; ce qu’elle avait souffert de la part de Monsieur l’Archevêque de Paris lorsqu’elle fut mise à Sainte-Marie, lui faisait craindre de retomber dans ses mains, il ignorait que Madame de Maintenon eût changé de sentiments pour elle ; mais cela ne pouvait être caché longtemps, et il était à craindre, piqué contre elle au point où il l’avait été, qu’il ne fit donner une nouvelle lettre de cachet (16) lorsqu’il la verrait privée d’une telle protection. Monsieur Fouquet fut le seul à qui elle se confia du lieu de sa retraite ; et ce fut par lui qu’elle apprit l’horrible déchaînement qui se fit contre elle dès qu’on sût le changement de Madame de Maintenon et que ses amis ne la défendraient point, car c’est une justice qu’il faut lui rendre que dès le mois de juillet de l’année précédente lorsque les premiers éclats se firent, ceux d'entre eux qui étaient à portée de parler au roi et de le prévenir contre les mauvais offices qu’on pouvait rendre, se mirent en devoir de le faire. Madame de Maintenon même les y portait, on fit un mémoire sur cela qu'elle approuva et qu'elle offrit d'appuyer sitôt que Madame Guyon le sût, elle s'y opposa constamment, et soit qu'elles craignit de les compromettre inutilement ou qu'elle crut, comme il était assez vraisemblable, que son éloignement calmerait tout, puisqu'on ne lui reprochait jusque-là que de vouloir mettre indifféremment toutes sortes de gens dans une oraison à laquelle on croyait que peu de monde était appelé (ce qu'on ne lui imputerait plus dès qu'elle ne verrait plus personne) elle demanda si fortement qu'on ne fit aucune démarche pour sa justification (17) et qu'on la laissât pour ce qu'elle était, ont crut ne devoir pas passer outre, et le mémoire fut supprimé.

Cependant Madame de Maintenon à qui l'on fit voir des erreurs très grossières et tous les principes quiétisme dans le petit livre du Moyen court qu'elle avait fort goûté auparavant, ou qui crut les y voir sur la foi de ceux qui lui parlaient contre Madame Guyon, ne songea plus qu'à détromper ceux d'entre ses amis qu'elle croyait entêtés de ces sentiments ; elle en parla à Monsieur l'Abbé de Fénelon qui lui répondit qu'il n'avait plus de commerce avec elle, non plus que les autres dont elle pouvait être en peine, et que son éloignement qu'elle avait approuvé elle-même faisait apparemment tomber toute l’inquiétude que l’on avait prise sur son sujet. C’était en effet ce que l’on en devait présumer, mais on commençait à avoir un autre but. La confiance que Madame de Maintenon avait en Monsieur l’Abbé de Fénelon et sa faveur qui se déclarait tous les jours donnait de l’ombrage à bien des gens ; l’occasion était trop belle pour la manquer, on le crut entamé dès que Madame de Maintenon s’était déclarée contre Madame Guyon, et l’on n’oublia rien de tout ce qui pouvait fortifier les soupçons qu’on lui donnait contre lui dès qu’on sentit qu’elle y prêtait l’oreille. Ses meilleures amies y entrèrent, mais avec des vues (18) différentes, les uns pour se faire de sorte et entrer en commerce avec Madame de Maintenon, d'autres par être intimidés du péril on les assurait qu'était leur ami de se laisser aller à des préventions dangereuses dont il serait difficile de les faire revenir, et plusieurs par des sentiments naturels et humains qui ne manquent pas aux gens de Cour. L'on n’oublia rien pour rendre la personne de Madame Guyon odieuse dont le contrecoup semblait retomber sur lui, l'on décria ses mœurs et on lui attribua toutes les horreurs du quiétisme. Des personnes d'une dignité éminente écrivirent des lettres qu’on fit courir par la ville et à la Cour, qui en donnaient des idées affreuses. Un grand parti qui ne lui était pas déjà favorable s’y joignit, enfin tout conspira à un décri universel.

Ce déchaînement qu’elle apprit dans sa retraite lui fit juger qu’on en voulait à d’autres qu’à elle ; elle n’avait pas fait jusque-là un personnage assez considérable pour causer une si grande rumeur ; mais, quel qu’en pût être le motif, elle crut puisqu’il s’agissait de ses mœurs, devoir rompre le silence et chercher à les justifier par une voie qui ne laissât plus rien à désirer.

[« Qu’on lui fasse son procès »]

Pour cet effet elle écrivit à Madame de Maintenon (19) qu’elle la suppliait de lui faire donner par le Roi des commissaires pour informer à charge et à décharge sur toutes les choses qu’on lui imputait, qu’on lui fit son procès suivant toute la rigueur des lois, qu'elle ne demandait aucune grâce si elle était condamnée, qu'elle marquerait toutes les personnes avec qui elle avait passé sa vie, tous les lieux où elle aurait été et que si l'on avait la volonté d'entrer dans cet expédient le plus capable de faire connaître la vérité, elle se rendrait au bout de huit jours dans telle prison qu'on voudrait bien lui marquer ; elle ajoutait que comme les juges ecclésiastiques ne prononceraient pas sur le crime, elle la suppliait de les faire nommer moitié laïques moitié ecclésiastiques afin que jugeant sur le tout, elle subisse la peine qui lui serait due si elle était condamnée ou qu'on les fit subir à ceux qui l’auraient injustement calomniée. Monsieur le duc de Beauvilliers voulut bien se charger de cette lettre et la faire tenir à Madame de Maintenon, mais elle ne jugea pas à propos d’entrer dans un expédient qui paraissait si naturel, elle répondit simplement à Monsieur de Beauvilliers qu’elle ne croyait rien des bruits qui couraient sur Madame Guyon, que ce n’était point de ses mœurs dont il (20) s’agissait, qu’elle avait toujours cru très bonnes, mais du fonds de ses sentiments, et qu’il serait à craindre qu’en la justifiant sur les mœurs, l’on ne donnât trop de créances à sa doctrine qui était très mauvaise ; qu'il fallait une bonne fois éclaircir cet article de la doctrine et que le reste ensuite tomberait de soi-même.

Ces discussions paraissaient fort embarrassantes à cause de Monsieur l'Archevêque de Paris à qui l'on concevait de part et d'autre qu'il en fallait ôter la connaissance. Jusque-là le roi n’avait point entendu parler de toutes ces affaires de Madame Guyon, l’on jugea à propos de lui en parler, et Madame de Maintenon le fit avec beaucoup de ménagement. Elle lui fit entendre qu’il y avait de petits livres de Madame Guyon qui commençaient à faire du bruit comme favorisant le quiétisme, que plusieurs jeunes dames de la cour qui la connaissaient et à qui elle avait fait beaucoup de bien en les retirant du monde et les portant à la piété, paraissaient y prendre une si grande confiance qu’il était à craindre qu’elle ne leur inspirât des sentiments dangereux, supposé qu’elle en eût, que cette dame ne demandait pas mieux que d’être redressée si on lui faisait connaître qu’elle se fut écartée le moins du monde du chemin battu et qu’elle (21) demandait avec insistance qu’on la fît examiner par des gens d’un caractère à lui mettre une bonne fois l’esprit en repos aussi bien qu’aux autres, que cet examen naturellement regardait Monsieur l’Archevêque de Paris [ajout marginal d’autre main ; de Harlay], mais toutes les parties avaient si peu de confiance en lui qu’elle est en ce point qu’il lui en fallait ôter la connaissance pour la donner à des gens d’une piété aussi bien d’un savoir reconnu ; elle lui fit aussi connaître l’intérêt que Monsieur de Beauvilliers et Monsieur de Chevreuse avaient à cet examen, tant à cause de ces jeunes dames et des autres amis de Madame Guyon dont ils étaient environnés, que parce qu’ils la connaissaient eux-mêmes et avait beaucoup d’estime pour elle à cause de sa vertu et de sa piété. Le roi se rendit à ces raisons et pour ne pas faire de peine à Monsieur l’Archevêque, dans le diocèse duquel cela se devait faire, il ne voulut pas paraître y avoir entré ni même savoir qu’il se fit.

[Examen par M. de Meaux ?]

Il ne s’agissait plus que de savoir sur qui on jetterait les yeux pour cet examen ; le premier qui se présente à Monsieur de Meaux, il en avait déjà fait un particulier quelques mois auparavant, et Madame de Maintenon qui le savait, le voulut voir pour sonder ses sentiments (22) et savoir jusqu’où elle pouvait compter sur lui dans la condamnation qu’elle voulait faire faire ; car c’était de cela dont il s’agissait et cet examen prétendu n’était que pour la rendre plus authentique et fermer la bouche à ce qu’une conduite trop passionnée aurait blessé ou éloigné du but qu’elle se proposait. Il ne fut pas difficile à Monsieur de Meaux de pénétrer les intentions de Madame de Maintenon non plus que son inquiétude sur ses amis ; la confidence avait quelque chose de flatteur et il promit apparemment tout ce qu’on pouvait espérer de lui. D’un autre côté Madame Guyon et ceux qui s’intéressaient pour elle furent bien aises de l’y voir entrer ; il avait eu déjà connaissance de l’affaire et après un long examen où il n’était entré que par un esprit de charité, non seulement il lui avait administré les sacrements le jour de la conférence, mais même depuis il avait offert à Monsieur le Duc de Chevreuse le certificat dont il a été parlé, et de son aveu les choses sur lesquelles il n’avait pu convenir avec elle n’ayant pas été décidées par l’Église, n’en blessaient pas [point partout pour pas] la foi. Il fut donc choisi de part et d’autre avec le même agrément. Madame Guyon à cause (23) de Madame la Duchesse de Guiche qu’elle avait beaucoup vue, souhaita que Monsieur l’évêque de Chalon y entrât, il avait de la douceur et de la piété, et elle croyait qu’il avait quelque connaissance des voies intérieures dont il s’agissait plus ici que du dogme de l’Église. Monsieur de Beauvilliers et Monsieur l’Abbé de Fénelon souhaitèrent que Monsieur Tronson y entrât aussi : il était supérieur de la maison de Saint-Sulpice et ils avaient tous deux une confiance très particulière en lui depuis un grand nombre d’années. L’on demanda à ses trois messieurs un grand secret sur toute cette affaire ; elle aurait blessé Monsieur l’Archevêque qui l’aurait portée au Roi et s’en serait attribué la connaissance avant que de n’entrer dans aucune discussion, Madame de Maintenon souhaita que Monsieur l’Abbé de Fénelon y entrât comme quatrième, et le Roi l’approuva ; il y avait de la répugnance à cause de la liaison qu’il avait eue avec Madame Guyon et les préventions où l’on était qu’il était trop entêté de ses sentiments ; cependant il ne put s’en défendre et il travailla de concert avec ces messieurs.

Dans la première entrevue qu’il eut avec Monsieur de Meaux, ce prélat lui avoua de bonne foi qu’il n’avait aucune connaissance des auteurs (24) mystiques et qu’il n’avait jamais lu Saint-François-de-Sales ni le bienheureux Jean de la Croix ni la plupart de ceux qui traitent des voies intérieures et de ce qu’on appelle la vie spirituelle, comme c’était de la conformité de leurs sentiments avec ceux de Madame Guyon dont il s’agissait, il ajouta qu’il les allait lire avec beaucoup d’attention, qu’il les emporterait à Germigny avec les écrits de Madame Guyon et que dans une affaire de cette conséquence il fallait prendre un grand temps pour tout examiner et ne laissait rien derrière soi.

[Les Justifications]

Monsieur l’abbé de Fénelon qui entra dans sa pensée, lui offrit de faire des extraits d’un grand nombre de ces auteurs qui lui étaient connus ; c’était un grand travail dont il ne soulageait et qui le mettait tout d’un coup à portée de voir l’état de la question ; madame de Maintenon approuva son dessein ; il travailla donc sur Saint Clément, saint Grégoire de Naz [iance], sur Cassien, Saint-François-de-Sales, le bienheureux Jean de la Croix et plusieurs autres. Ce travail était grand, mais comme il ne s'agissait que de lui fournir des matériaux et les mettre à portée de consulter les originaux sur les difficultés qui se présenteraient, ou sur ce qui lui paraîtrait de trop nouveau, il entreprit avec la confiance d'un homme qui agit à découvert avec son ami (29) pour le soulager dans son travail, et n'alla pas s'imaginer qu'on le prétendit rendre responsable d’écrits informes et faits à la hâte et sans précaution sur les termes, qui n’étaient que pour lui ; il les envoyait à Monsieur de Meaux à mesure qu'il les achevait, ce prélat gardait un profond silence ; disait qu'il fallait tout voir et qu'il se réservait de juger du tout à la fin. Cette réserve n'était que pour Monsieur l'abbé de Fénelon. Il s'expliquait plus ouvertement avec Monsieur de Chalons et à Monsieur Tronçon lorsqu'il les voyait. Il leur donnait pour sentiment de cet abbé les expressions de ces saints auteurs que cet abbé rapportait sans précaution, et ces Messieurs qui y allaient tout à la bonne foi lui faisaient à leur tour leurs difficultés, qu'il levait sur-le-champ, parce que le plus souvent elle ne roulait que sur des équivoques. La plus grande part de ses écrits tendait à faire voir que les mystiques des premiers siècles n'avaient pas moins exagéré que ceux qui étaient venus après eux ; qu'il ne fallait prendre en rigueur ni les uns ni les autres, mais que quoi qu'on en rabattît, il en resterait encore plus qu'il ne fallait pour soutenir l'amour désintéressé. Monsieur de Meaux avait toujours soutenu l'opinion contraire et ne pouvait souffrir qu'on lui fît voir qu'une traduction de l'église constante (26) et suivie sur un point si essentiel à la religion [l’amour désintéressé] lui eut échappé. C’était sur quoi Monsieur de Fénelon insistait toujours, et c’était aussi ce qui indisposait toujours Monsieur de Meaux de plus en plus contre lui ; il n’était pas accoutumé à cette sorte de résistance et la trouvait encore moins supportable dans un homme qu’il regardait comme son disciple de ce point capital sur lequel il pensait si différemment, il naissait un grand nombre de questions sur lesquelles il était bien difficile qu'ils accommodassent ; il arriva de la qu'après un examen de plusieurs mois dans lequel Monsieur de Meaux ne lui avait fait aucune ouverture de ses sentiments ou fort peu, ils eurent bien de la peine à convenir de quelque chose de précis sur cette matière lorsqu'il a voulu réduire à des principes certains. À vérité ce n'était d'abord l'intention ni dessein ni des autres. L'on avais-je songé dans le commencement de l'examen qu'à la seule Madame Guyon et à en détacher ce que l'on appelait ses amis, en leur faisant voir qu'elle était dans l'illusion : elle promettait une soumission aveugle pour la décision de ces Messieurs ; après quoi elle offrait de se retirer où l'on voudrait. Il ne s'agissait donc que de lui faire voir en quoi elle se méprenait, l'abus qu'on pouvait faire de ces expressions par la conformité qu'elle (27) avait avec celle des faux mystiques, lui faire expliquer les choses qui faisaient de la peine ; en un mot, la redresser et faire connaître aux uns et aux autres en quoi elle avait excédé. C'était la voie la plus simple et la plus naturelle pour parvenir au but que l'on se proposait, mais Monsieur de Meaux voulait faire un personnage ; il fallait entretenir avec Madame de Maintenon un commerce qui ne roulait que sur cette affaire, et faire sentir à Monsieur de Fénelon une autorité pour laquelle il n’avait pas une déférence assez aveugle ; sans parler de ce fonds de jalousie qu’il ne connaissait pas lui-même, mais qui n’avait pu échapper à leurs amis communs. Monsieur de Meaux qui était l’âme de cette affaire, tant par son caractère que par son âge et la réputation de doctrine où il était, voulut donc que l’Église fût en péril par ces deux petits livres de Madame Guyon dont il a déjà été parlé, car il ne s’agissait pas pas de ses manuscrits que personne ne connaissait et qu’elle offrait de brûler au moindre signal qu’on lui en donnerait ; il avait eu sur la fin de l’année 1694 une ou deux conférences avec elle où Monsieur de Chalons était présent, et elle n’avait servi que pour rendre plus authentique la condamnation qu’il avait (28) promis d’en faire ; il en rendit compte à Madame de Maintenon qui le dit au roi et l’un et l’autre crurent que c’était une affaire finie dont ils n’entendraient plus parler.

En effet peu de jours après Madame Guyon se retira dans le monastère des filles de Sainte-Marie à Meaux de l’agrément de ce prélat qui le souhaita même pour achever, disait-il, de la désabuser de sa prétendue spiritualité et elle rompit le peu de commerce que la nécessité l'avait obligé de garder avec quelques-uns de ses amis pour voir ces Messieurs qui la faisait avait examiné.

[Madame Guyon à Meaux — Fin de l’Affaire ?]

Il y avait donc lieu de croire qu'on n'entendrait plus parler de cette affaire ; toutes les parties le souhaitaient également, et l'on avait pris les précautions que la bonne prudence ce semble avait exigé pour couper le mal dans sa racine. Monsieur de Meaux n'en voulut pas demeurer là et supposant pour des raisons dans tout autre que lui aurait eu peine à rendre compte, que l'Église était en péril, il voulut faire des canons comme pour assurer le Dogme catholique contre les erreurs des quiétistes. Pour cet effet, dans une conférence qu'il eut a Issy avec Monsieur de Chalons, Monsieur Tronçon et Monsieur de Fénelon qui venait d'être nommé à l'archevêché (29) de Cambrai, il leur montra trente articles qu'il avait dressés et leur proposa de les signer comme une barrière contre toutes les nouveautés. Monsieur de Cambrai après les avoir lus dit à Monsieur de Meaux qui ne croyait pas que ces articles dans l'état où ils étaient expliquassent suffisamment la matière sur laquelle il voulait prononcer ; et demanda pour y ajouter ce qu'il croyait lui manquer ; il en changea plusieurs, les ayant rapportés avec des changements Monsieur de Meaux les rejeta et insista toujours sur ce qu'il avait proposé. Monsieur de Cambrai demanda sur cela que l'on expliquât nettement deux vérités que l'on admettait, l'une de l'amour désintéressé, l'autre de l'oraison passive. À l'égard de l'amour désintéressé, il voulait que l'on restreignît les actes distincts qu'on exige à ne blesser pas cet amour, et soutenir que cette restriction ne pouvait être trop nette et trop positive.

Pour l'oraison passive que l'on admettait également dans les articles et que l'on distinguait de la contemplation active, de l'oraison de présence de Dieu et des autres après à peu près semblables, il demandait qu'on la définisse exactement après avoir défini les autres, et qu'ensuite prononça que c'était une insigne témérité que de tenir l'oraison passive (30) pour suspecte ; il soutenait que ne le point faire c'était ne rien faire et être toujours à recommencer ; que c'était ne point autoriser sérieusement cette oraison contre ceux qui l’attaquaient, ni préserver de l'illusion ceux qui l'a poussaient trop loin ; il insistait donc pour demander qu’on fît des définitions précises ; enfin il donna le choix de signer les trente articles contre sa persuasion parce qu'il ne les croyait pas assez expliqués sur ces deux points essentiels ; et de le faire par pure soumission à l'autorité des évêques, ou bien de les signer par pleine et entière persuasion avec les modifications qu'il avait ajoutées dans son projet par rapport à l'amour désintéressé et à l'oraison passive ; que de la première façon il signerait avec soumission contre sa pensée, mais qui serait pourtant de bonne foi parce qu'il préférait le jugement des évêques aux siens ; de la seconde, il signerait de tout son cœur ; qu'il croyait plus que personne ce qu'il signerait et qu'il voudrait le signer de son sang. Monsieur de Chalons pressa fortement Monsieur de Meaux sur ces choses qui lui paraissaient justes et nécessaires ; il se rendit enfin et peu de jours après on ajouta trois articles aux trente qui furent le 12. le 13. et le 33e, après quoi Monsieur de Cambrai non seulement ne fit plus difficultés, mais il marqua qu'il était (31) prêt de les signer de son sang. Dans la dernière conférence qui se tint à Issy pour la signature des articles on ajouta le 34e qui fut dressé sur le champ entre tous ces messieurs dans le moment même l'on allait signer.

C'était peu pour Monsieur de Meaux d'avoir adressé des articles s'il ne les donnait au public ; la bienséance voulait qu'il ne le fît pas sans la participation de ceux qui y avaient eu part. Il passa par-dessus cette formalité, et quelque temps après Monsieur de Cambrai apprit et leur impression et la distribution qu'il en faisait aux gens de la Cour ; il ne s'en plaignit pas et continua d'agir avec lui comme il avait toujours fait. D'un autre côté Monsieur de Meaux avait applaudi plus que personne à la nomination pour l'archevêché de Cambrai. Le choix du disciple pour une place de cette conséquence faisait honneur à celui que l'on avait toujours regardé comme son maître, et ce qui venait de passer au sujet des affaires de Madame Guyon semblait assurer Monsieur de Meaux, d'un dévouement plus parfait de la part de Monsieur de Cambrai.

Il le connaissait à fond, ses dispositions intérieures lui étaient parfaitement connues, et sur quelque (32) léger soupçon que Monsieur de Meaux lui avait laissé paraître que son commerce avec Madame Guyon ne l'eût entraîné à quelques nouveautés, il lui avait donné un écrit sur son intérieur où il avait mis tout ce qui peut être compris dans une confession générale de toute sa vie. Personne aussi n’avait applaudi plus que Monsieur de Meaux au choix que le Roi en avait fait. Ce prélat voulut être son consécrateur et il surmonta tous les obstacles que la présence de Monsieur de Chartres comme évêque diocésain y pouvait apporter.

L'intelligence de ces deux prélats avait toujours paru la même jusqu'à ce jour ; ces petites semences de division avaient échappé au public. Monsieur de Meaux croyait avoir réduit Monsieur de Cambrai au point d'une déférence aveugle pour tous ses sentiments, et Monsieur de Cambrai en lui faisant admettre les articles ajoutés aux trente premiers, se promettait de lui faire admettre par des conséquences nécessaires tout son système sur l'amour désintéressé. L'un et l'autre se trompèrent dans leur jugement comme l'événement le fera voir.

Monsieur de Meaux avait exigé de Madame Guyon qu'elle irait passer quelque temps dans son diocèse ; il la fit souscrire aux 34 articles d'Issy, eut de grandes conférences avec elle, fit les derniers efforts pour tirer d'elle une rétractation (33) des erreurs sur lesquelles il prétendait l'avoir condamnée ; mais elle l'assura constamment qu'elle n'en avait jamais eu aucune de celles qui lui imputaient ; qu'elle ne prétendait pas défendre les expressions de ses écrits si l'on en pouvait tirer des conséquences contraires à la foi, qu'elle était la première à les condamner s'il y avait quelque chose de mauvais, qu'elle était une femme ignorante sur la valeur des termes ; qu'elle avait toujours entendu dans un sens très catholique ; et que sans mentir au Saint Esprit elle ne pouvait avouer d'avoir cru des erreurs qu'elle n'avait jamais crues. Il n'y eut rien que Monsieur de Meaux ne tenta et ne mit en œuvre pour tirer d'elle l’aveu de ses erreurs prétendues, elle fut inébranlable sur cet article autant qu'elle était soumise sur tout le reste ; il la fit souscrire à la censure de ses livres imprimés, et tira d'elle quelques autres signatures à force de la persécuter pour lesquelles, comme elle ne connaissait pas la valeur des termes et qu'elle craignit une surprise, elle fit sur-le-champ des protestations. Ce prélat l'ayant traité pendant tout le temps qu'elle fut dans ce monastère d'une manière qu'on aurait peine à croire ; ne put cependant se dispenser de lui donner à (34) la fin l'attestation qu'elle lui demandait, il en fit différents projets qu'il lui proposa et qu'elle le supplia de changer comme étant insuffisant, après le scandale horrible qui s'était élevé contre elle ; cela finit par un écrit qui lui mit entre les mains dans lequel il déclare [ce qui suit souligné] au moyen des déclarations et des soumissions de cette dame il demeure satisfait de sa conduite, qu’il lui continue la participation des Saints Sacrements dans laquelle il l’a trouvée, déclarant en outre qu'il ne l’a trouvée en aucune sorte impliquée dans les abominations de Molinos ou autres condamnées ailleurs, et qu'il n'a entendu la comprendre dans la mention qu'il en a faite dans son ordonnance du 6 avril 1695 [fin du soulignement]. Cette attestation est du 1er juillet de la même année. Cet acte si authentique après un examen si rigoureux et tant de précautions pour faire paraître Madame Guyon quiétiste, déplut infiniment à ceux qui voulaient qu'elle l’a fut. On le ne lui cacha pas la peine où l'on en était sitôt qu'il fut arrivé de Meaux, et ce prélat eût le déplaisir de voir qu'on était peu reconnaissant de tant de peines qu'il s'était données. Il crut qu'il était encore temps d'y remédier et que Madame Guyon étant entre ses mains il lui serait facile de (35) retirer l'acte qu’il lui avait donné et d'en substituer un autre en la place qui ne voudrait rien dire. Pour cet effet il écrivit à la supérieure du couvent où elle était qu'elle retirât des mains de Madame Guyon l'acte qu’il lui avait donné et le lui renvoyât sur le champ, qu’il lui en envoyait un autre plus entendu et qu'il avait ses raisons pour en user ainsi ; le voici dans son entier.

[Une Attestation à substituer ?]

[annotation marginale] seconde attestation que Monsieur de Meaux voulait substituer à la première]

Nous évêque de Meaux avons reçu les présentes soumissions et déclarations de ladite dame Guyon tant celle du 15 avril 1695 que celle du 1er juillet de la même année et lui en avons donné acte pour lui valoir ce que de raison, déclarant que nous l'avons toujours reçue et la recevrons sans difficulté à la participation des Saints Sacrements dans laquelle nous l'avons trouvée, ainsi que la soumission et protestation de sincère obéissance et avant et depuis le temps qu'elle est dans notre diocèse, y joint la déclaration authentique de sa foi avec le témoignage qu'on nous a rendu et qu'on nous rend de sa bonne conduite depuis six mois qu'elle est au dit monastère. Le requérant, nous lui avons enjoint de faire en temps convenable les demandes et autres actes que nous avons marqués dans lesdits articles par elle souscrite comme essentiels à la piété et expressément (36) recommandés de Dieu sans qu’aucun fidèle s’en puisse dispenser sous prétexte d'autres actes prétendus plus parfaits où éminents, ni autres prétextes quels qu'ils soient, et lui avons fait [mot illisible : impératives ?] défense tant comme évêque diocésain qu'en vertu de l'obéissance qu'elle nous a promise volontairement comme dessus, d'écrire, enseigner ou dogmatiser dans l'Église, ou d'y répandre ses livres imprimés ou manuscrits, ou de conduire les âmes dans les voies de l'oraison autrement, à quoi elle s'est soumise de nouveau nous déclarant qu'elle faisait lesdits actes. Donné à Meaux au dit monastère le jour et an que dessus. Signé Évêque de Meaux. [Fin de l’ajout marginal d’un trait continu signalant transcription].

Cet acte si différent du premier ne trouva plus Madame Guyon à Meaux lorsqu'il y arriva. Le prélat en lui donnant la première attestation, comptant qu'elle finissait toutes leurs discussions et qu'elle n'avait plus rien à faire dans le couvent où elle était, lui avait permis de se retirer ou bon lui semblerait, et elle avait ainsi grand intérêt de se retirer de ses mains par tous les procédés qu'il avait eu avec elle pendant le séjour qu'elle avait fait à Meaux que dès qu'elle se vit libre, elle ne songea plus qu'à en partir. La supérieure à qui l'acte était adressé l'envoya à Madame (37) Guyon avec la lettre de Monsieur de Meaux. Cette dame lui fit réponse que le premier n'était plus entre ses mains, qu'elle l’avait envoyé à sa famille le jour même que Monsieur de Meaux le lui avait donné, et qu'après les bruits qu'on avait répandus d'elle dans le public, elle ne croyait pas que sa famille se dessaisit d'un acte qui faisait sa Justification, et se contentât du dernier qui bien loin de la faire, était capable de faire croire qu'elle eut donné lieu à tout ce qu'on avait dit contre elle. Monsieur de Meaux n'insista plus et eut le déplaisir de ne contenter personne. Monsieur de Harlay archevêque de Paris étant venu à mourir vers ce temps-là il semblait que le roi penchât du côté de Monsieur de Meaux pour lui faire remplir cette place importante, mais soit que Madame de Maintenon ne fut pas contente de la manière dont il avait fini avec Madame Guyon ou qu'elle songeât déjà à l'alliance de Monsieur de Noailles, elle la fit donner à Monsieur de Chalons. Sur la fin de la même année, on fit arrêter Madame Guyon par ordre du roi et elle fut mise à Vincennes. Monsieur de la Reynie eût ordre de l'interroger, mais comme je n'ai parlé d'elle qu'à l'occasion du différent, dont vous me demandez le récit, je me renfermerai dans les bornes que je me suis prescrites sur le différent de ces deux (38) prélats et ne parlerai de cette dame qu'autant qu'elle y a donné lieu. Cependant le cœur de Madame de Maintenon se fermait tous les jours de plus en plus pour Monsieur de Cambrai ; elle regardait comme un entêtement inexcusable la résistance qu'il faisait paraître à ne pas condamner Madame Guyon sur les faits rapportés par Monsieur de Meaux ; elle lui en parlait en toute occasion, lui en faisait parler par Monsieur l'Archevêque avec lequel elle souhaitait qu'il se liât particulièrement, et lui en écrivit un jour avec une amertume de cœur qui ne se peut exprimer. Monsieur de Cambrai était véritablement touché de sa peine et eût voulu faire toutes choses au monde pour la contenter ; trop de motifs l'y engageaient, la reconnaissance, le respect, la place qu'elle occupait, le désir de voir finir une affaire si ennuyeuse pour lui et plus que tout cela son attachement personnel pour elle169 était des raisons très puissantes pour le porter à tout ce qu'elle aurait voulu, mais il avait au-dedans de lui un cœur trop sincère pour s'y arrêter ; et sa conscience lui faisait suivre d'autres règles. Si j'étais capable, lui répondit-il, d'approuver une personne qui enseigne un nouvel évangile (39) j'aurais horreur de moi plus que du diable, il faudrait me déposer et me brûler, bien loin de me supporter comme vous faites, mais je puis fort innocemment me tromper sur une personne que je crois sainte parce que je crois qu'elle n'a jamais eu l’intention d'enseigner ni d’écrire rien de contraire à la doctrine de l'église. Si je me trompe dans ce fait, mon erreur est très innocente ; et comme je ne veux jamais ni parler ni écrire pour autoriser excuser cette personne, mon erreur est aussi indifférente à l'Église qu’innocente pour moi. Je dois savoir les vrais sentiments de Madame Guyon mieux que tous ceux qui l'ont examinée pour la condamner ; car elle m'a parlé avec plus de confiance qu'à eux. Je l'ai examinée en toute rigueur et peut-être que je suis allé trop loin pour la contredire.

[Fénelon défend Mme Guyon auprès de Mme de Maintenon]

Je n'ai jamais eu aucun goût naturel pour elle pour ses écrits, je n'ai jamais rien éprouvé d'extraordinaire en elle qui est pû me prévenir en sa faveur. Dans l'état le plus libre et le plus naturel, elle m'a expliqué toutes ses expériences et tous ses sentiments ; il n'est pas question des termes que je ne défends pas et qui importent peu dans une femme pourvu que le sens soit catholique. Elle est naturellement exagérante, (40) ajoute-t-il, et peut précautionner dans ses expressions, elle a même un excès de confiance pour les gens qui la questionnent. La première est bien claire puisque Monsieur de Meaux nous a redit comme des impiétés, les choses qu'elles lui avaient confiées avec un cœur soumis et un secret de confession. Je ne compte pour rien ni ses prétendues prophéties ni ses prétendues révélations, et je ferais peu de cas d'elle si elle les comptait pour quelque chose. Une personne qui est bien à Dieu peut dire dans le moment ce qu'elle a au cœur sans en juger et sans vouloir que les autres s'y arrêtent. Ce peut être une impression de Dieu, car ses dons ne sont point taris, mais ce peut être aussi une imagination sans fondement. La voie où l'on aime Dieu uniquement pour lui en se renonçant pleinement soi-même, est une voie de pure foi qui n'a aucun rapport avec les miracles et les visions. Personne n'est plus précautionné ni plus sobre que moi là-dessus. Ensuite venant aux faits particuliers que Monsieur de Meaux reprochait à Madame Guyon, je n'ai jamais lu, dit-il, ni entendu dire à Madame Guyon qu'elle fut la pierre angulaire, mais supposer qu'elle l’ait dit ou écrit, je ne suis pas en peine du sens de ces paroles. Si elle veut dire qu'elle est Jésus-Christ, elle (41) est folle, elle est impie ; je la déteste et je le signerai de mon sang ; si elle veut dire seulement qu'elle est comme la pierre du coin qui lie les autres pierres de l'édifice, c'est-à-dire qu'elle édifie et qu'elle unit plusieurs personnes en société, qui veulent servir Dieu, elle ne dit d'elle que ce qu’on peut dire de tous ceux qui édifient le prochain et cela est vrai de chacun suivant son degré. Pour la petite église, elle ne signifie pas dans le langage de Saint Paul, d’où cette expression est tirée, une Église séparée de la catholique. C'est un membre très soumis. Je me souviens que le père de Mouchy bien éloigné de l'esprit du quiétisme, ne m'écrivait jamais sans saluer notre petite Église ; il voulait parler de ma famille. De telles expressions ne portent pas par elles-mêmes aucun mauvais sens, il ne faut pas juger par elles de la doctrine d'une personne, tout au contraire il faut juger de ces expressions par le fond de sa doctrine. Je n'ai jamais parlé de ce grand et de ce petit lit, ajoute-t-il, mais je suis assuré qu'elle n'est pas assez extravagante et assez impie pour se préférer à la Sainte Vierge, je parierai ma tête que tout cela ne veut rien (48) dire de précis et que Monsieur de Meaux est inexcusable de vous avoir donné comme une doctrine de Madame Guyon ce qui n'est qu'un songe ou quelque expression figurée ou quelque autre chose d'équivalent, qu'elle ne lui avait même confié que sous le sceau de la confession. Quoi qu'il en soit, si elle se comparait à la Sainte Vierge pour s'égaler à elle, je ne trouverais pas de terme assez fort et assez rigoureux pour abhorrer une si extravagante créature.

Il est vrai qu'elle a parlé quelquefois comme une mère qui a des enfants en Jésus-Christ et qu'elle leur a donné des conseils sur les voies de la perfection, mais il y a une grande différence entre la présomption d'une femme qui enseigne indépendamment de l'église, et une femme qui aide les âmes en leur donnant des conseils fondés sur ses expériences et qui le fait avec soumission aux pasteurs. Toutes les supérieures de communauté doivent diriger de cette dernière façon quand il n'est question que de consoler, d'avertir, de reprendre, de mettre ces âmes dans certaines pratiques de perfection, ou de retrancher certains soutiens de l'amour-propre. La supérieure pleine de grâce et d'expérience peut le faire très utilement (43), mais elle doit renvoyer au ministre de l'église toutes les décisions qui ont rapport à la doctrine.

Si Madame Guyon a passé cette règle, elle est inexcusable, si elle l’a passé seulement par le zèle indiscret, elle ne mérite que d'être redressée charitablement, et cela ne doit pas empêcher qu'on ne puisse la croire bonne, si elle y a manqué avec obstination et de mauvaise foi, cette conduite est incompatible avec la piété.

Ses choses avantageuses qu'eslle a dites d'elle-même ne doivent pas être prise ce me semble dans toute la rigueur de la lettre. Saint Paul dit qu'il accomplit ce qui manquait à la passion du fils de Dieu. On voit bien que ces paroles seraient des blasphèmes si on les prenait en toute rigueur, comme si le sacrifice de Jésus-Christ eut été imparfait et qu'il fallut que saint Paul lui donnât ce degré de perfection qui lui manquait ? À Dieu ne plaise que je veuille comparer Madame Guyon à saint Paul ; mais saint Paul est encore plus loin du fils de Dieu que Madame Guyon ne l'est de cet apôtre. La plupart de ces expressions pleines de transport sont insoutenables si on les prend dans toute la vigueur de la (44) lettre. Il faut entendre la personne et ne se point scandaliser de ces sortes d'excès si d'ailleurs la doctrine est innocente et la personne docile ; ensuite il lui cite l'exemple de la bienheureuse Angèle de Foligny, de Sainte Catherine de nes et de Sainte Catherine de Sienne qui ont dirigé plusieurs personnes avec cette subordination de l'Église, et qui ont dit des choses prodigieuses de l'éminence de leur grâce et de leur état. L'exemple de saint François d'Assise qui parle de lui-même en des termes qui ne sont pas moins capables de scandaliser ; celui de Sainte Thérèse qui a dirigé non seulement des filles, mais des hommes savants et célèbres dont le nombre est assez grand, et qui parle souvent contre les directeurs qui géhennent les âmes, il ajoute que les femmes ne doivent pas enseigner ni décider avec autorité, mais qu'elles peuvent édifier, conseiller et instruire avec dépendance pour les choses déjà autorisées, que tout ce qui va plus loin lui paraît mauvais, et que le surplus ne regarde que des faits sur la discussion desquelles il peut se tromper innocemment et sans conséquence. (45)

Enfin il finit en lui disant, permettez-moi de vous dire Madame qu'après avoir paru entrer dans notre opinion de l'innocence de cette femme, vous passâtes tout d'un coup dans l'opinion contraire. Dès ce moment où vous vous défiât de mon entêtement, vous tes le cœur fermé pour moi : des gens qui voulurent avoir occasion d'entrer en commerce avec vous et de se rendre nécessaire, vous firent entendre par des voies détournées que j'étais dans l'illusion et que je deviendrais peut-être un hérésiarque. On prépara plusieurs moyens de vous ébranler. Vous fûtes frappée, vous passâtes de l'excès de simplicité et de confiance à un excès d'ombrage et d'effroi. Voilà ce qui a fait tous nos malheurs : vous n’osâtes suivre votre cœur ni votre lumière. Vous voulûtes (et j'en suis édifié) marcher par la voie la plus sûre qui est celle de l'autorité. La consultation des docteurs vous a livrée à des gens qui sans malice ont eu leurs préventions et leur politique. Si vous m'eussiez parlé à cœur ouvert et sans défiance ; j'aurais en trois jours mis en paix (46) tous les esprits échauffés de Saint-Cyr dans une parfaite docilité sous la conduite de leur saint Évêque [addition marginale de Dupuy : Monsieur de Chartres Godefroy Desmarest]. J'aurais fait écrire par Madame Guyon les explications les plus précises de tous les endroits de ses livres qui paraissent ou excessifs ou équivoque: ces explications ou rétractations, comme on voudra les nommer, étant faites par elle de son propre mouvement en pleine liberté, auraient été bien plus utiles pour persuader les gens qui l’estiment que des signatures faites en prison et que des condamnations rigoureuses faites par des gens qui n'étaient certainement pas encore instruits de la matière. Lorsqu'ils vous ont promis de censurer, après ces explications ou rétractations écrites et données au public, je vous aurais répondu que Madame Guyon se serait retirée bien loin de nous et dans le lieu que vous auriez voulu avec assurance qu'elle aurait cessé tout commerce et toute écriture de spiritualité.

Dieu n'a pas permis qu'une chose si naturelle ait pu se faire. On n'a rien trouvé contre ses mœurs que les calomnies. On ne peut lui (47) imputées qu’un zèle indiscret et des manières de parler d'elle-même qui sont trop avantageuses. Pour sa doctrine, quand elle se serait trompée, de bonne foi est-ce un crime ? Mais n'est-il pas naturel de croire qu'une femme qui a écrit sans précaution avant l'éclat de Molinos, a exagéré ses expériences, et qu'elle n'a pas su la juste valeur des termes ! Je suis si persuadé qu'elle n'a rien cru de mauvais que je répondrais encore de lui faire donner une explication très précise et très claire de toute sa doctrine pour la réduire aux justes bornes et pour détester tout ce qui va plus loin. Cette explication servirait pour détromper ceux que l'on prétend qu'elle a infectés de ses erreurs et pour la décréditer auprès d’eux. Si elle fait semblant de condamner ce qu'elle a enseigné, peut-être croirez-vous Madame que je ne fais cette offre que pour la faire mettre en liberté ! non. Je m'engage à lui faire faire cette explication précise et cette réfutation de toutes les erreurs condamnées sans songer à la tirer de prison. Je ne la verrai point, je ne lui écrirai que des lettres que nous que vous verrez et qui (48) seront examinés par les Évêques : ses réponses passeront toutes ouvertes par le même canal : on fera de ces explications l'usage que l'on voudra, après tout cela laissez -là mourir en prison, je suis content qu'elle y meure, que nous ne la voyions jamais et que nous n'entendions jamais parler d'elle. Il me paraît que vous-même croyez ni fripon ni menteur ni traître ni hypocrite ni rebelle à l'Église ; je vous jure devant Dieu qui me jugera que voilà les dispositions de mon cœur. Si c'est là un entêtement, du moins c'est un entêtement sans malice, c'est un entêtement pardonnable, un entêtement qui ne peut nuire à personne ni causer aucun scandale ; un entêtement qui ne donnera jamais aucune autorité aux erreurs de Madame Guyon ni à sa personne. Pourquoi donc vous resserrez-vous le cœur à notre égard Madame comme si nous étions d'une autre religion que vous ? Pourquoi craindre de parler de Dieu avec moi comme si vous étiez obligés en conscience à fuir la séduction ? Pourquoi croire que vous ne pouvez avoir le cœur en repos et en union avec nous ? Pourquoi défaire ce que Dieu avait fait si visiblement ? Etc.

[« Rien ne pouvait la calmer… » — Le confesseur Pyrot]

Je rapporte cette lettre presque dans son (49) entier pour faire connaître la disposition où se trouvait Madame de Maintenon tant à l'égard de Monsieur de Cambrai que de ses anciens amis au commencement de l'année 1696. Rien ne pouvait la calmer qu'une condamnation rigoureuse de Madame Guyon, que Monsieur de Cambrai ne pouvait faire contre sa lumière et sa conscience, connaissant à fond l'innocence de cette dame et l'oppression qu'on lui faisait depuis qu'elle avait été renfermée dans Vincennes. Monsieur l'archevêque comme évêque diocésain s'était chargé de sa conduite et lui avait donné Monsieur Pyrot soit pour la confesser ou pour tirer d'elle un aveu des erreurs qu'on lui attribuait. Monsieur Pyrot la tourmenta beaucoup et n'en tira pas plus qu'avait fait Monsieur de Meaux. Monsieur de Cambrai à qui Monsieur de Paris se plaignait de son opiniâtreté, lui ayant représenté un jour que l'on n'en obtiendrait rien par la voie que l'on prenait, parce qu'elle ne pouvait jamais avouer d'avoir cru des erreurs qu'elle n'avait point crues, lui offrit les mêmes choses que ce qu'il avait offert à Monsieur de Meaux et s'engagea de lui faire donner de sa propre main une explication très ample et très précise de toute sa doctrine parfaitement conforme aux 34 (50) propositions, et qu'en même temps elle rejetterait toutes les erreurs qu'on lui imputait ; qu’on ferait imprimer cet écrit si on le jugeait à propos, pour détromper ceux qui avaient de l'estime pour elle et pour sa voie, supposé qu'elle y tint un langage différent de ce qu'elle leur avait tenu, qu'il se chargeait de venir à bout de tout cela sans la voir et sans lui écrire rien que lui Monsieur l'archevêque n’eut lu auparavant, que tout passerait par ses mains, que ce qu'il lui écrirait serait simple, clair, incapable de toute équivoque, enfin il se chargeait de la faire convenir de toute la conduite qu'elle aurait à tenir si jamais, contre toute apparence, elle rentrait en quelque liberté, que si l'on jugeait à propos après ces explications de la laisser en prison, il ne dirait jamais un seul mot pour sa délivrance ni pour l'adoucissement de son état. Toutes ces offres ne produisirent rien, Monsieur de Paris suivait les impressions que lui donnait Madame de Maintenon et elle s'était livrée à trop de gens et d'intérêt trop différent pour accepter un parti comme celui-là, on aurait par cette voie connu les vrais sentiments de Madame Guyon, et de quelque nature qu'ils eussent été, chacun eut su à quoi s'en tenir ; le chemin (51) était trop court et l'on voulait demeurer en commerce avec elle [Mme de Maintenon], on lui fit donc rejeter ces offres de Monsieur de Cambrai et Monsieur de Paris lui témoigna qu'il fallait chercher quelque autre expédient. Monsieur de Cambrai crût qu'il le fallait laisser chercher à Monsieur de Paris lui-même puisqu'il était chargé de sa conduite, et jugea qu'il ne lui restait plus d'autre parti que d'écrire lui-même sur cette matière d'une manière qui sût fermer la bouche à quiconque entreprendrait de vouloir rendre sa foi suspecte ; mais avant que de parler de son livre et des démêlés qu'il a eus avec Monsieur de Meaux, j'achèverai en peu de mots ce qui regarde Madame Guyon par la part qu'elle y a eue.

Monsieur de Paris ne s'en était chargé qu'avec peine et avait tenté plusieurs fois de la faire envoyer dans quelque endroit éloigné ; mais inutilement ; il se faisait un scrupule de la dureté qu'on voulait qu'il eût pour une personne qui protestait hautement de sa soumission pour l'Église, à qui Monsieur de Meaux venait de donner une attestation très favorable comme malgré lui, et à qui l'on ne pouvait reprocher d'autre crime depuis sa sortie de Meaux, que de (52) n'avoir pu se résoudre à se remettre entre ses mains après le traitement qu'elle en avait reçu et un procédé aussi étonnant que celui de vouloir retirer l'acte qu'il lui avait donné pour sa décharge. D'un autre côté on lui faisait entendre que dans les principes où elle était, elle donnerait autant de signatures qu'il en voudrait exiger et qu'il ne pourrait jamais s'assurer sur rien de ce qu'elle lui promettait. Mais Monsieur Pyrot qui lui rendait compte des entretiens qu'il avait avec elle, ami et instruit par Monsieur de Meaux, lui en parlait sur un ton bien différent ; il avait mis tout en usage pour l'engager à une rétractation d'erreurs, et son procédé avait été si violent qu'elle s'en était plaint à lui plusieurs fois. Monsieur de Paris lui ôta Monsieur Pyrot et chargea Monsieur le Curé de Saint-Sulpice de la voir. Celui-ci gagna plus que son esprit et après plusieurs conférences qu'il eut avec elle il l'engagea à signer un écrit sur lequel Monsieur de Paris lui accorda l'usage des sacrements et sa sortie de Vincennes ; la crainte que cet écrit ne laissât quelque soupçon de sa foi et qu'elle eût crû des erreurs, la fit résister longtemps à ce qu'on souhaitait d'elle ; mais enfin s’en étant rapporté à Monsieur Tronçon et ayant vu son avis au pied, elle le signa [addition marginale telle que le voici il faut rapporter cet écrit], après quoi Monsieur de Paris (53) la fit mettre à Vaugirard dans une petite communauté sous la conduite de Monsieur le Curé de Saint-Sulpice et avec ordre de ne lui laisser aucun commerce avec les gens du dehors, elle y a demeuré près de deux ans, après quoi on la mit à la Bastille sans qu'on en ait bien su le motif ni celui pour lequel on l’y retient.

[Bossuet entreprend d’écrire]

Peu après la signature des articles d'Issy, Monsieur de Meaux entreprit d'écrire sur la matière qui y avait donné lieu et n'en fit de secrets qu'à Monsieur de Cambrai. La chose lui revenant de plusieurs endroits, il se crut obligé d'écrire aussi de son côté pour éclaircir ce qu'il ne croyait pas suffisamment expliqué dans ces articles. Il en fit une explication étendue suivant son système de l'amour désintéressé et de sa passive[e respecté] que Monsieur de Meaux n'avait jamais voulu définir. Cette passiveté était ce qui les avait le plus arrêtés ; et c'était la difficulté sur laquelle Monsieur de Cambrai avait insisté le plus fortement, dans le temps de la signature des articles. Il demandait qu'en disant qu'on ne peut nier l'oraison passive sans une insigne témérité, on réalisât une décision si forte, qu'on lui donnât un sens précis et (57) qu'on définit exactement cette passiveté qu'on autorisait, de peur que ce ne fût qu'un vain nom qui fit encore le scandale des uns et l'illusion des autres. Monsieur de Meaux voulait que la passiveté fut une contemplation extatique et seulement par intervalle, Monsieur de Cambrai disait que c'était un état habituel de pure foi et de pur amour où la contemplation n'est jamais perpétuelle, dont les intervalles sont remplis de tous les actes distincts des vertus, et où l'amour paisible et désintéressé exclut seulement les actes inquiets qu'on nomme activité. Monsieur de Meaux qui ne supposait qu'une passiveté extatique, tirait une très bonne conséquence d'un principe fort opposé à celui-là, car il imputait à Monsieur de Cambrai de croire les âmes passives dans une extase perpétuelle qui détruisait la liberté essentielle au pèlerinage de cette vie et qui introduisait une inspiration fanatique. Tout cela eût été vrai si la supposition eut été bien fondée ; mais elle était évidemment contraire à son principe. Monsieur de Cambrai à qui Monsieur de Meaux ne s'ouvrit point, apprenant de plusieurs endroits qu'il écrivait, donna d'abord cette explication étendue. Monsieur Tronçon qui l'approuva (58) et qui commença à voir clairement l'équivoque sur laquelle Monsieur de Meaux était prévenu, ensuite Monsieur de Paris l'ayant vu, lui a dit qu'il n'y avait rien trouver que de correctes et de précis. Cette explication est encore en nature. Quelque temps après Monsieur de Cambrai écrivit une lettre à une carmélite qui lui demandait quelques éclaircissements sur cette matière, dans laquelle il trouva moyen d'aller au-devant de tout ce qui pouvait faire de la difficulté est causé quelque ombrage. Dans la prévention ou l'on paraissait être contre lui, il la montra à Monsieur de Meaux et pour ainsi dire la soumise à sa censure. Ce prélat l'examina, lui proposa d'expliquer plus clairement quelques termes que des gens ombrageux pourraient rendre équivoque, il ne fit au-delà de tout ce qu'il pouvait souhaiter, et Monsieur de Meaux approuva la lettre et lui donna beaucoup d'éloges, il dit que si l'on n'en parlait, il dirait qu'elle ne laissait rien à souhaiter, et Monsieur de Paris voulut en avoir une copie afin qu'elle pût se reprendre et que le public pu voir la conformité de leurs sentiments parcelles qu'elle avait aux 34 articles d'Issy. (56) cependant Monsieur de Meaux continuait d'écrire, et se voulant faire honneur dans le public et plus encore auprès de Madame de Maintenon, d'avoir ramené Monsieur de Cambrai du penchant ou il était pour les opinions nouvelles, il s'était proposé en lui faisant approuver son livre, de lui faire faire une espèce de rétractation des erreurs qu'il attribuait à Madame Guyon, et de le faire souscrire par la à la condamnation personnelle de cette dame comme de ses livres ; il en avait fait confidence à plusieurs amis qui en avaient d'autres et Monsieur de Cambrai était devenu un spectacle curieux longtemps avant que Monsieur de Meaux lui eût parlé de l'approbation de son livre. Enfin ce prélat lui écrivit à Cambrai et les mandats qu'il faisait un ouvrage pour autoriser la vraie spiritualité et réprimer l'illusion, et le pria de l'approuver.

[Fénelon évite le piège d’une « collaboration »]

Monsieur de Cambrai qui cru que Monsieur de Meaux allait donner un corps de doctrine sur les voies intérieures qu'il appuierait de principes solides et d'une autorité décisive pour tenir en respect et critiques ignorants des voies de Dieu et pour redresser les mystiques visionnaires ou indiscrets (57) comptant d'ailleurs que cet ouvrage établirait avant que de détruire, et prouverait le vrai avant que de réfuter le faux, le faux ne se réfutant bien que par la preuve du vrai dans toute son étendue, Monsieur de Cambrai, dis-je, entra tout à fait dans sa proposition, se réjouit avec lui d'un dessin si utile à l'Église, s'offrit d'aller passer quelques temps chez lui à la campagne pour travailler de concert, et lui manda qu'il était bien assuré qu'ils ne pouvaient disconvenir en rien d'important ; il ne s'imaginait pas que Monsieur de Meaux songeât à réveiller dans le public des idées qu'il était si important de laisser effacer ; les censures qu'il avait faites ainsi que celle de Monsieur de Paris n’avaient trouvé ni murmure ni contradiction, les particuliers qui avaient les livres censurés les avaient brûlés ou mis entre les mains des personnes en droit de les garder, il n'était plus question d'une femme ignorante, sans appui, qu’on avait laissé accabler sans dire un mot, que personne ne voulait ni relever ni excuser, Monsieur de Meaux avait marqué en plusieurs occasions qu'il n'était pas permis (58) de douter de la sincérité de Monsieur de Cambrai ; en un mot il l’avait consacré et avait marqué pour le faire un empressement que l'on n'a pas pour un homme dont la foi est suspecte. Tout cela faisait juger à Monsieur de Cambrai qu'il ne pouvait trop se livrer à Monsieur de Meaux. Il lui promit donc d'approuver son livre après qu'il aurait examiné. À son retour de Cambrai des gens sages et modérés qui s'intéressaient à lui, l'avertirent de prendre garde aux desseins de Monsieur de Meaux, que l'approbation de son livre n'était point un secret ; qu'il en avait fait confidence à gens qui en mirent d'autres dans la leur, et qu'en un mot l'on promettait ce livre au public contre des erreurs abominables où l'on se faisait fort de le faire souscrire comme à une espèce de formulaire. Il est aisé de juger de la surprise que lui causa un discours si peu attendu ; d'abord il ne le voulut pas croire, mais comme cette nouvelle lui revint par les personnes mêmes les plus dignes de foi et d'autres auxquelles Monsieur de Meaux s’en (59) était ouvert, il commença dès lors à sentir qu'on le voulait mener insensiblement comme un enfant au but qu'on s'était proposé sans le lui laisser voir, et vit bien que ce but, quel qu'en pût être le motif, serait une flétrissure pour lui dont il ne se relèverait jamais. Il attendit en paix ce que ferait Monsieur de Meaux qui lui donna enfin son ouvrage comme il était prêt de s'en retourner à Cambrai il le garda 24 heures et en parcourut seulement les marges, il vit partout des passages de Madame Guyon avec des réfutations atroces ; il lui imputait les erreurs les plus abominables, que ce prélat assurait être évidemment l'unique but de tout son système et des parties qui le composaient. Ces erreurs n'étaient ni vénielles ni excusables par l'ignorance de son sexe, il ne s'agissait pas de quelque conséquence subtile éloignée qu'on aurait pu contre son intention tirer de ces principes de ces expressions.

[« Un dessin diabolique qui était l'âme de tous ses livres »]

C'était, disait Monsieur de Meaux un dessin diabolique (60) qui était l'âme de tous ses livres, soutenu avec beaucoup d'art d'un bout jusqu'à l'autre.

Premièrement. Madame Guyon selon lui n'avait écrit que pour détruire comme une imperfection toute foi explicitée des attributs des personnes divines, des mystères de Jésus-Christ et de son humanité.

Deuxièmement. Elle prétendait éteindre en eux toute vie intérieure et toute oraison réelle en supprimant tous les actes distincts et en réduisant pour toujours les âmes à une quiétude oisive.

Troisièmement. Elle ne leur laissait qu'une indifférence impie et brutale entre le vice et la vertu, entre la haine éternelle de Dieu et son amour éternel.

Quatrièmement. Elle défendait comme une infidélité toute résistance réelle aux tentations les plus abominables.

Cinquièmement. Elle voulait qu'on supposât qu'on n’a plus de concupiscence, qu'on est impeccable et infaillible.

Sixièmement. Que tout ce qu'on fait avec facilité par la pente de son cœur est fait passivement et par pure inspiration. (61)

Septièmement. Elle attribuait à elle et à ses semblables une inspiration prophétique et une autorité apostolique au-dessus de toute loi écrite.

Huitièmement. Elle établissait une tradition secrète sur cette voie qui anéantissait la tradition universelle de l'Église.

Neuvièmement. Non seulement elle disait toutes ces choses, mais M. de Meaux assurait qu'elle n'avançait rien que pour les prouver et les inculquer.

Approuver par un témoignage public cette explication du système de Madame Guyon était achever de persuader au public que l'imputation qu'on lui en faisait était juste, et par conséquent la reconnaître pour la plus impie de toutes les femmes.

Le lendemain Monsieur de Cambrai remit le livre entre les mains de Monsieur le Duc de Chevreuse pour le rendre à Monsieur de Meaux et partit pour son diocèse ; il le pria en partant de dire à ce prélat qu'ayant entrevu à la simple ouverture de ses cahiers des citations du Moyen court à la marge, il avait cru qu'il attaquait au moins indirectement (62) Madame Guyon, que le moins qu'il pouvait donner à une personne de ses amies malheureuse, de qui il n'avait jamais reçu que de l'édification, c'était de se taire pendant que les autres la condamnaient, que cela le mettait hors d'état d'approuver son livre ; et comme il ne le voulait pas lire pour lui refuser ensuite son approbation, il prenait le parti de n'en rien lire de suite et de le rendre incessamment. Monsieur le duc de Chevreuse garda ces cahiers pendant quelques jours, et manda à Monsieur de Meaux qui était allé à Meaux qu'il les avait entre les mains pour les lui rendre.

Sitôt qu'il en fut de retour, Monsieur le Duc de Chevreuse les lui rendit et lui dit la réponse de Monsieur de Cambrai. Lorsque ce prélat la sut, il en fit part à ses amis et un certain nombre de gens qui attendaient cette réponse avec une grande curiosité furent soigneusement informés des motifs de ce refus, ce qui leur parut un grand scandale. Monsieur de Meaux éclata en (63) de grandes plaintes et ne gardant plus aucune mesure sur Monsieur de Cambrai il fit entendre au préjudice de leur secret ou plus qu'il n'en disait.

[« Il ne restait plus à Monsieur de Cambrai qu'une seule ressource, c'était d'écrire… »]

Il ne restait plus à Monsieur de Cambrai qu'une seule ressource, c'était d'écrire pour le public en termes si forts et si clairs, sur des principes de tradition si constante que nulle critique n’osât l'attaquer et ne pût douter de sa sincérité dans cette explication de doctrine ; il en parla à Monsieur de Paris et à Monsieur Tronçon qui approuvèrent son dessein. Monsieur de Chartres, plus opposées que personne à Madame Guyon et qui avait pris de grands ombrages contre Monsieur de Cambrai par les discours que les émissaires de Monsieur de Meaux répandaient partout, fut si touché des raisons de ce prélat dans une conférence qui se tint à Issy chez Monsieur Tronçon se trouvèrent aussi Monsieur de Paris, Monsieur le Duc de Beauvilliers et Monsieur le Duc de Chevreuse, qu'il se chargea du mémoire qu'il en avait fait pour le faire agréer à M. de Maintenon qui craignait un éclat (64) entre des personnes de ce caractère d'autant plus que depuis longtemps le Roi regardait cette affaire comme une affaire finie et dont il ne s'agissait plus. Dès le soir de cette conférence, Monsieur le Chartres étant revenu à Paris changea de résolution sans en dire aucune raison et approuvant toujours que Monsieur de Cambrai s'expliquât par un ouvrage public, il le pria de le dispenser de le faire agréer à Madame de Maintenon. Monsieur l'archevêque voulut bien s'en charger et tous promirent un secret qu'ils ont gardé inviolablement jusqu'à la fin.

Ce fut au mois d'août 1696 que cela se passa. L'explication des 34 articles que Monsieur de Paris et Monsieur Tronçon avait si fort approuvée servit de règle à l'ouvrage que Monsieur de Cambrai fit dans la suite, mais il était beaucoup plus étendu qu'il ne l'est dans le livre imprimé, car Monsieur de Cambrai y avait mis tous les principaux témoignages de la tradition. Il le mit entre les mains de Monsieur de Paris comme l'on partait pour Fontainebleau (65) et ce prélat l'assura qu'il le lisait avec une grande attention, quelque temps après il lui écrivit qu’il lisait son ouvrage très lentement parce qu'il était bien aise de confronter les citations sur les originaux, qu'il lui paraissait qu'il y avait un peu trop de raisonnement et des endroits trop rebattus, et qu'il le priait de le faire voir encore à quelque théologien de l'École plus vigoureux que lui. Monsieur de Cambrai lui répondit que rien ne le pressait de donner son ouvrage au public, qu'ayant à expliquer à fond un système qui n'a jamais été bien expliqué par les uns ni bien compris par les autres, il n'avait pu s'empêcher de s'étendre autant qu'il avait fait, qu'il n'y avait mis tant de redites que pour lever toute équivoque dans une matière si délicate et où l'on était devenu tout d'un coup si ombrageux ; qu'il n'y avait mis des raisonnements que pour réduire tout à la plus vigoureuse précision de l'école ; que plus un scolastique serait exact théologien et ferme dans la métaphysique ; plus il verrait que ce raisonnement avait un enchaînement nécessaire (66) et qu'ils mettaient les véritables bornes à la spiritualité pour empêcher la plus subtile illusion, qu'en examinant d'un côté les passages des saints et de l'autre les raisonnements, on verrait que ces raisonnements ne sont faits que pour modérer les passages et les réduire à une doctrine plus correcte ; qu'il ne s'agissait pas de traiter cette matière superficiellement, d'adoucir, de glisser, et de donner un tour de condamnation perpétuelle du quiétisme à un ouvrage pour mettre le public de son côté, qu'il croyait devoir dire la vérité tout entière, non seulement afin que ceux qui l’ignoraient ne s'en éloignassent pas de plus en plus, mais encore afin que ceux qui la voulaient étendre trop loin puissent être redressés par un ouvrage où ils verraient qu'on leur donne tout ce qu'ils peuvent demander de solide ; que les autorités de la tradition qu'il rapportait étaient décisives, et les raisonnements reçus de toutes les écoles, que c'était un tout que la plupart des théologiens n'étaient pas assez accoutumés à voir dans toute l'étendue (67) d'un système suivi, mais que ce tout n'était composé que de parties qu'ils avaient cent fois admises et dont tous leurs livres étaient pleins, que cependant il retrancherait et des passages et des raisonnements tout ce que lui et Monsieur Tronçon jugeraient nécessaire ou pour lever les équivoques ou pour prévenir les objections des docteurs effarouchés, ou pour réduire le sens des passages au dogme de l'école, mais qu'il était à craindre qu'en retranchant les raisonnements on ne lui imputa peut-être des conséquences qu'il rejetait plus que personne ; au surplus Monseigneur, ajoute-t-il, pour ce qui est de condamner en termes formels tout ce qui va plus loin que mon système je crois l'avoir fait usque ad nauseam. Si vous croyez que je doive le faire encore plus que je ne l'ai fait, je le ferai sans peine ; car je n'ai aucune répugnance à condamner de bouche ce que je déteste du fond du cœur et qu'on ne peut jamais trop détester. Je n'ai aucune répugnance à dire mille fois ce que j'ai dit cinq cents fois. À l'égard du choix d'un homme qui puisse vous aider dans un (68) si grand travail, vous savez que je vous ai donné tout pouvoir sur moi et sur mon ouvrage. Je n'ai exclu Monsieur Pirot que par la crainte qu'il s’ouvrirait à Monsieur de Meaux ; d'ailleurs je le crois bon homme et théologien, il me conviendrait fort. Il me reste toujours un fond d'amitié pour Monsieur Boileau, mais je connais sa vivacité ; et vous avez décidé vous-même qu'il valait mieux jeter les yeux sur quelque autre. Je vous ai laissé plein pouvoir de montrer tout à Monsieur Beaufort. Si vous cherchez quelque autre examinateur que lui, je vous supplie d'éviter les personnes trop effarouchées et de chercher quelque théologien ferme et véritablement touché de Dieu. Plus il sera théologien précis et homme recueilli, plus îl conviendra à cet examen.

[Monsieur de Paris après avoir vu l'ouvrage… où il a paru depuis sous le titre de Maximes des saints]

Monsieur de Paris après avoir vu l'ouvrage le rendit à Monsieur de Cambrai, et comme il persista dans sa première pensée qu'il en fallait retrancher cette longue suite de passages de saints qui marquaient la tradition et les raisonnements dont ils étaient accompagnés170, Monsieur de Cambrai se rendit (69) et fit tout ce qu'il voulut ; il retoucha son ouvrage et l'ayant mis dans l'état où il a paru depuis sous le titre de Maximes des saints, il le lut en entier à Monsieur de Paris en présence de Monsieur de Beaufort, après quoi il le lui laissa pour l'examiner à son loisir. Au bout de trois semaines, Monsieur de Paris le lui rendit et lui montra des coups de crayon qu’il avait donnés à tous les endroits qui lui avaient fait quelques difficultés ou qui n'étaient pas suffisamment expliqués. Monsieur de Cambrai retoucha en sa présence tout ce qu'il avait marqué, la plupart ne roulant que sur des termes qu'il croyait susceptibles de quelque équivoque. Il arriva plusieurs fois que Monsieur de Paris l'arrêtait sur son trop de facilité à se rendre aux objections qu’il lui faisait, mais comme ce prélat voulait aller au-devant de ce qui pouvait en avoir l'ombre, il changeait sur-le-champ l'expression pour ne s'attacher qu'à la chose. Monsieur Tronçon le lisait depuis six semaines avec toute l'attention que l'importance de la matière et la conjoncture présente pouvaient exiger, après quoi ces deux messieurs l'assurèrent qu'il le trouvait (70) correct est utile. Monsieur de Paris même lui témoigna qu'il le trouvait plus précautionné que celui de Monsieur de Meaux sur l'état passif et qu’il était bien aise que le public en eût un témoignage si authentique. Il le pria seulement de ne donner son livre qu'après que celui de Monsieur de Meaux aurait paru, ce que Monsieur de Cambrai lui promit.

Il ne restait plus qu'à convenir d'un choix d'un théologien. Monsieur de Paris voyant que Monsieur Pyrot ne faisait de la peine à Monsieur de Cambrai qu'à cause de ses liaisons avec Monsieur de Meaux, lui répondit du secret de Monsieur Pyrot et aussitôt ils arrêtèrent qu'on lui ferait voir l'ouvrage. C'était de tout ceux que l'on pouvait choisir celui qui paraissait propre à cet examen ; il avait travaillé autrefois sous feu Monsieur l'Archevêque de Paris à la censure des livres de Madame Guyon, elle avait été du temps sous sa conduite, et il avait écrit quelque chose contre elle. Il était dévoué à Monsieur de Meaux depuis plusieurs années et il voyait actuellement avec lui l'ouvrage que ce prélat (71) allait publier. Monsieur de Cambrai se renferma avec lui et ils examinèrent le livre en trois séances de quatre ou cinq heures chacune ; ils avaient chacun un manuscrit devant les yeux ; ils lisaient ensemble. Monsieur Pyrot l'arrêtait sur les moindres difficultés et il changeait sans peine tout ce qu'il souhaitait. Après cette lecture Monsieur de Cambrai lui voulu laisser le manuscrit pour l'examiner plus à loisir, Monsieur Pyrot le refusa et déclara en présence de quelques amis communs présents à cet examen, c'était Monsieur l'Abbé de Maulevrier et Monsieur l'Abbé de Longeron que le livre était tout d'or et qu'il en était charmé. Il en rendit compte en même temps à Monsieur de Paris sur le même pied, et quelques jours après ce prélat écrivit à Monsieur de Cambrai que Monsieur Pyrot était charmé de son ouvrage. Monsieur de Cambrai donna son livre à l'imprimeur et en partant pour son diocèse il recommanda à des gens de confiance de ne le publier que quand Monsieur de Paris le jugerait à propos et qu'après que Monsieur de Meaux aurait donné le sien.

Tous ceux qui était dans le secret du livre (72) de Monsieur de Cambrai l'avaient gardé avec une fidélité inviolable ; et le libraire avait pris la précaution de ne faire imprimer la première feuille, celle où était le titre du livre, que la dernière, mais elle ne la fut pas plutôt [imprimée] qu'il se répandit un bruit sourd de ce livre qui vint jusqu'aux oreilles de Monsieur de Meaux. L'on peut juger de ce qui se passa en lui par une lettre qu'il écrivit à Monsieur Pirot dans le moment qu'il en apprit la nouvelle. Je suis assuré lui dit-il que cet écrit ne peut causer qu'un grand scandale par ce qu’après ce qu'il m'a fait dire (parlant de Monsieur de Cambrai) sur le refus d'approuver mon livre, il ne se résoudra jamais à condamner les livres de Madame Guyon. Deuxièmement. Il voudra établir comme possible la perpétuelle passiveté, ce qui mènera à des illusions insupportables. Troisièmement. Je suis assuré qu'il laissera dans le doute ou dans l'obscurité plusieurs articles sur lesquelles il me sera aisé de faire voir qu'il fallait s'expliquer indispensablement dans la conjoncture présente et si cela est comme il le sera, qui peut me dispenser (73) de l'obligation de faire voir à toute l'Église combien cette dissimulation est dangereuse. Tout cela démontre qu'à moins de concerter tous ensemble ce qu'il faut dire, c'est qu'on veut tromper ….171 Voilà la vérité à laquelle il faut que je sacrifie ma vie. Je le répète, on veut rendre la condamnation de Madame Guyon douteuse. Enfin dit-il, je me réduis à ce dilemme : ou l'on veut écrire la même doctrine que moi ou non ; si c'est la même, unité de l'Église demande qu’on s’entende ; si c’en est un autre, me voilà réduit à écrire contre ou à renoncer à la vérité.

L’âcreté de ce style et l'indignation ou le refus de Monsieur de Cambrai avaient mis Monsieur de Meaux, qui n'était que trop connue, firent juger aux amis de Monsieur de Cambrai qu'il n'en demeurerait pas à une simple menace et qu'il en fallait prévenir les suites en publiant son livre le plus tôt qu'il serait possible. Ils n’ignoraient pas l'impression que ferait sur l'esprit de Madame de Maintenon l'éclat que Monsieur de Meaux allait faire et les discours que (74) dans l'excès de sa peine il ne manquerait pas de lui tenir. Il était à craindre que dans l'embarras où cela la jetterait, elle ne s'opposât à la publication du livre et n’ôtât par là à Monsieur de Cambrai la seule ressource qui lui restait pour justifier la pureté de sa foi sur les articles les plus essentiels et qui emportent les mœurs avec eux. D'un autre côté ils étaient liés par la parole que Monsieur de Cambrai avait donné à Monsieur de Paris de ne publier son livre qu'après la publication de celui de Monsieur de Meaux, et son éloignement ne leur permettait pas de le pouvoir consulter. Dans cette perplexité, Monsieur le Duc de Chevreuse alla trouver Monsieur de Paris pour le prier de rendre à Monsieur de Cambrai la parole qu’il lui avait donnée ; les raisons de la lui redemander étaient si palpables et Monsieur de Paris était tellement au fait qu'il ne lui fut pas difficile de le persuader, mais comme il voulait garder des ménagements avec Monsieur de Meaux dont il connaissait la vivacité, il fit entendre à Monsieur le [75] Duc de Chevreuse que sans donner son consentement à la chose, il ne s'opposait point non plus à ce qu'il jugerait nécessaire pour mettre l'honneur de son ami à couvert. Monsieur le duc de Chevreuse prit la balle au bond, et en moins de deux jours eut assez d'exemplaires du livre pour en faire présenter au roi et à plusieurs personnes de la Cour sans la participation de Monsieur de Cambrai qui ne savait rien de ce qui se passait et qui se trouva par là soulagé d'un grand embarras.

Il arriva quelques jours après à la Cour où il ne fut pas longtemps sans s'apercevoir de l'impression secrète que les discours de Monsieur de Meaux et les confidences qu'il faisait sur tout leur procédé y avaient causée. Il en sentit l’effet d'abord sans en bien pénétrer la cause ; et voulant savoir une bonne fois à quoi s'en tenir avec lui, il fit un mémoire qu'il pria Monsieur le Duc de Chevreuse de lui faire lire, dans lequel après lui avoir représenté toutes les irrégularités de son procédé depuis le commencement de cette affaire, il vient aux raisons qui l'ont engagé à lui refuser l'approbation de son livre ; à celle de (76) s'expliquer soi-même dans un ouvrage publié sur lequel il ne lui avait plus été permis de rentrer en concert avec lui après ce qui s'était passé entre eux ; sur la nécessité de lui en faire un mystère pour n'en être pas traversé dans l'excès de sa peine ; enfin lui dit-il : Monseigneur après ce que je viens de vous dire si librement, vous croirez que j'ai le cœur bien malade ; non en vérité ; je me sens le cœur pour vous comme je voudrais que vous l'eussiez pour moi. Si peu que je trouvasse de correspondance de sentiments, je serais encore avec vous comme j'étais autrefois. Si on me dit dans le monde que vous vous plaignez de moi, voici ce que je répondrai :

Pour moi je ne me plains pas de Monsieur l'évêque de Meaux, je le respecte trop pour ne lui manquer en rien. S'il avait à se plaindre de moi, je crois que c'est à moi-même qu'il s'en plaindrait. Je me laisserai plutôt condamner que de me justifier sur des choses ou nous nous devons l'un à l'autre un secret inviolable en honneur et en conscience.

Vous pouvez voir Monseigneur ajoute-t-il que je ne suis capable ni de duplicité ni de politique (77) timide, quoi que je craigne plus que la mort tout ce qui ressent la hauteur. J'espère que Dieu ne m'abandonnera pas, et en gardant les règles d'humilité et de patience avec celle de fermeté, je ne ferai rien de faible ni de bas. Jugez par là de ma sincérité dans les assurances que je vous donne. C'est à vous à régler la manière dont vivons ensemble ; celle qui me donnera le moyen de vous voir, de vous écouter, de vous consulter et de vous respecter autant que jamais, est la plus conforme à mes souhaits et à mes inclinations. Ce mémoire et du 9 février 1697. Les faits qu'il contenait étaient constants. Monsieur le duc de Chevreuse ami de l'un et de l'autre, et par qui presque tout avait passé, était un témoin qu'on ne pouvait démentir. Monsieur de Meaux voulut seulement justifier quelques endroits de peu de conséquences, et témoigna à Monsieur le Duc de Chevreuse qu'il était serviteur de Monsieur de Cambrai avec lequel il serait ravi de pouvoir vivre comme il avait fait par le passé ; l'assurant qu'il garderait un silence entier sur tous les petits sujets de plaintes qu'on pouvait avoir de part et d'autre. (78)

Il tint mal sa parole, il alla se jeter aux pieds du Roi pour lui demander pardon de ne lui avoir pas découvert plus tôt les erreurs de Monsieur de Cambrai et combien il était favorable aux nouvelles opinions et à la doctrine de Madame Guyon. Il y eut peu de gens à la Cour à qui il ne fit confidence du procédé que Monsieur de Cambrai avait eu avec lui et cela avec des couleurs très noires. La douleur qu'il en marquait, avec des circonstances qu'il y joignait, faisait un effet inconcevable ; il parlait seul, Monsieur de Cambrai ne disait mot, et quoique la chose lui revint de plusieurs endroits très sûrs, il ne voulut jamais entrer dans aucune justification, ce qui achevait de persuader le public en faveur de Monsieur de Meaux.

[Madame Guyon était le motif secret de cette division] 

Cette confidence secrète que Monsieur de Meaux faisait aux gens de la Cour sur le procédé, il la faisait aux gens de la ville et des provinces avec qui il avait quelque relation, et ne manquait pas de faire entendre que Madame Guyon était le motif secret de cette division ; tout cela dit à l'oreille dans une espèce de confidence et avec les marques de la douleur la plus amère (79) prépara les choses à un soulèvement presque général contre Monsieur de Cambrai dont le silence était regardé comme un aveu de tous ceux qu'on lui imputait. À l'égard de son livre, que ceux qui n'étaient pas au fait lisaient comme une apologie de Madame Guyon, une infinité de gens s'élevèrent contre, et l'on regarda comme une décision hautaine ce qui n'était qu'une simple déclaration de son sentiment sur chacun des articles ; qu'il croyait ne pouvoir donner d'une manière trop nette et trop précise. Les gens du monde qu'on avait si bien prévenus sur cette affaire en jugèrent par leur prévention ne pouvant guère faire autrement sur une matière qui leur était si peu connue. Quoi qu'il en soit le soulèvement fut si grand contre ce livre qu'il n'y eut pas jusqu'à Monsieur l'abbé de la Trappe qui ne se crut en droit de crier contre. Il écrivit des lettres à Monsieur de Meaux son ancien ami qui coururent dans le public par les soins de ce prélat dans lesquelles il paraissait avoir été instruit de très bonne heure malgré sa grande retraite, des sentiments qu'on attribuait à Monsieur de Cambrai même avant la publication (80) de son livre.

Monsieur de Meaux cependant tenait une conduite fort mesurée à l'égard de ce prélat qui depuis la lecture de son mémoire l'avait été voir. Il avait été aussi de son côté une fois à la porte de Monsieur de Cambrai sans le rencontrer, et comme il paraissait vouloir garder des mesures avec lui, il affectait de parler peu de son livre, s'il n’était avec des gens dont il se crût bien sûr. Il lui échappa pourtant de dire à Monsieur d’Allement gentilhomme de savoir et de mérite, ami communs de tous les deux, qui lui en demandaient son sentiment, que dans tout autre temps ce livre n'aurait reçu aucune contradiction et n'aurait point donné de prise contre l'auteur qui d'ailleurs ne serait pas embarrassé de soutenir la doctrine qu'il avait fait de l'amour désintéressé par l'autorité des pères. Il dit la même chose à Monsieur l'Abbé Caumartin, et s'étant ouvert ensuite à quelques amis communs qu'il faisait des remarques sur ce livre, Monsieur de Cambrai les lui fit demander dans la vue d'en profiter pour expliquer dans une nouvelle édition ce qui (81) ne l'aurait pas été suffisamment dans la première. Monsieur de Meaux lui fit dire qu'il les lui donnerait incessamment en secret et avec toute l'amitié cordiale. D'abord ce fut par Monsieur le Duc de Chevreuse, ensuite par Monsieur le cardinal de Bouillon, enfin le père de la Chaise les lui demanda plusieurs fois, mais quoiqu'on put faire, il ne les donna qu'après de six mois après, lorsque toute voie d'amendement fut rompue et que l'affaire eut été renvoyée à Rome.

Je passe sur la réflexion qu'on pourrait faire sur ce procédé pour m'enfermer dans la simple exposition des faits. Dès que Monsieur le Cambrai s'aperçut de l'opposition que recevait son livre, il crut devoir s'assurer de Monsieur de Paris qui se trouvait dans une sorte d'engagement d'en soutenir la doctrine ; par l'approbation qu’il y avait donnée après l'examen qu'il en avait fait. En effet pour peu que ce prélat eût marqué de résolution, Monsieur de Meaux lui-même, ni aucun de ceux qui ont paru dans la suite les plus échauffés, ne se (82) seraient avisés de demander à Monsieur de Cambrai autre chose qu'une explication des endroits difficiles de son livre et d'enlever les équivoques. Mais dès la première conversation qu'il eût avec ce prélat, son air embarrassé et les incertitudes il le trouva lui firent juger qu'il n'en tirerait pas le secours qu'il s’était promis. Il s'apparut même dans quelques conversations qu'il eut avec Madame de Maintenon que ce prélat lui rapportait les choses d'une manière toute différente desquelles s'étaient passées. Cela lui fit croire qu'avant d'aller plus en avant, il fallait rendre les faits constants pour ne rien laisser en arrière ; Madame de Maintenon elle-même ayant voulu pour cela les voir ensemble et pour savoir une bonne fois à quoi s'en tenir, il fut résolu que cette conversation se ferait à Saint-Cyr et que Monsieur le Duc de Chevreuse y serait présent. Il était ami de l'un et de l'autre ; il avait une connaissance parfaite de tout ce qui s'était passé, et la mémoire en était trop fraîche pour en perdre aucune circonstance. Monsieur de Cambrai la veille fit un mémoire, dans lequel il rassemble (83) article par article, les principaux faits sur lesquels Madame de Maintenon voulait être instruite et de la vérité desquelles il était bien assuré que Monsieur de Paris ne disconviendrait pas en leur présence ; il lui en envoya copie le même jour pour s’en rappeler les idées avec plus de loisirs, et le lendemain ces trois Messieurs se trouvèrent à Saint-Cyr comme il avait été convenu.

[M. de Cambrai lut son mémoire article par article à M. de Paris en présence de Madame de Maintenon]

Monsieur de Cambrai lut son mémoire article par article à Monsieur de Paris en présence de Madame de Maintenon et il ne s'en trouva aucun de la vérité duquel ce prélat ne convient. Ces faits seront trop importants dans la suite pour n'en pas rapporter le mémoire dans son entier. Le voici :

1. N’est-il pas vrai Monseigneur que Monsieur l'évêque de Meaux ne m'a jamais rien marqué de ce qui lui faisait de la peine dans les écrits que je lui ai remis entre les mains à la prière qu'il m'en a faite pour éclaircir les difficultés qui se rencontreraient touchant la vie intérieure et que je ne lui donnais que comme des matériaux informes ?

2. N'est-il pas vrai que ce prélat nous a dit (82) au commencement de cette affaire que cette matière lui était peu connue et qu'il n'avait jamais lu ni saint François de Sales, ni le bienheureux Jean de la Croix, ni aucun des auteurs mystiques.

3. N'est-il pas vrai qu'il était tout occupé à établir son opinion sur la charité contre l'amour pur, contraire à presque toute l'école ; et que vous m'avez témoigné que vous aviez eu bien de la peine avec Monsieur Tronçon à le faire revenir de ce qui avait été établi sur cet amour dans les articles d'Issy.

4. N'ai-je pas dit d'abord, lorsqu'il s'agit de dresser ces articles, qu'il fallait particulièrement examiner trois choses sur les voies intérieures.

Premièrement. La nature de l'amour. Je demandais à Monsieur de Meaux que l'on ne s'écartât point sur cet article du sentiment commun de toutes les écoles. Deuxièmement. Les épreuves, sur quoi il allait au-delà de ce qu'on lui demandait. Troisièmement. L'oraison passive qu'il était dangereux d'admettre sans la définir.

5. Ces mêmes écrits faits à la hâte ; sans précaution et presque sans les relire, pour (83) éclaircir la matière et qui n'étaient que pour nous, Monsieur de Meaux et Monsieur Tronçon n'ont-ils pas toujours mis des bornes certaines à l'oraison passive que je mettais, ainsi que j'ai fait dans mon livre, dans un état habituel de pure foi, et où l'amour paisible et désintéressé exclut seulement les actes inquiets, qu’on nomme activité ? Je suis prêt Monseigneur par ces mêmes écrits qui sont encore en mes mains, de vous les justifier en présence de Monsieur Tronçon si la mémoire vous en est pas bien présente ?

6. N'est-il pas vrai qu'en dressant les articles d'Issy, j'ai formé des difficultés auxquelles on a satisfait par des additions, après quoi j'ai signé très volontiers.

N'est-il pas vrai que Monsieur de Meaux n'a jamais voulu définir l'oraison passive que nous admettions tous, que j'assistais qu'on la définît ? J'ai encore la lettre que j'écrivis pour lors qui en fait foi.

7. N'est-il pas vrai que je donnai alors avec explication de ces mêmes articles beaucoup plus étendue dans laquelle je condamnais très (84) sévèrement toutes les erreurs ! Je la ferai voir quant on voudra.

8. N'est-il pas vrai que vous m'avez conseillé d'éviter toute discussion personnelle avec Monsieur de Meaux sur ce qu'elle ne se pouvait faire sans trop d'aigreur de sa part ?

9. N'est-il pas vrai que peu après les articles d'Isssy je vous remis entre les mains un ouvrage qui expliquait d'une manière fort étendue chacun de ces articles que j'avais déjà fait voir à Monsieur Tronçon, et que vous en fûtes l'un et l'autre très contents ! Monsieur Tronçon seulement avait souhaité que je changeasse le terme d'excitation pour ôter à Monsieur de Meaux le moindre prétexte de contestation.

10. N’écrivis-je pas ensuite une lettre à une carmélite touchant la vie intérieure que Monsieur de Meaux approuva toute entière, il souhaita seulement que j'expliquasse le terme d'enfance quoiqu'il soit de l'Évangile ; ce que je fis ! Cette lettre est en nature et contient en substance le même système que nos anciens écrits.

11. N'est-il pas vrai que Monsieur de Meaux avait (85) répandu le bruit que je devais approuver son livre avant qu'il m’eût rien fait voir des horreurs qu'il attribuait à Madame Guyon !

12. N'est-il pas vrai Monseigneur que vous et Monsieur Tronçon avez jugé que je ne devais pas approuver ce livre qui imputait à Madame Guyon une doctrine impie et digne du feu ? N'est-il pas vrai encore que touché de ces raisons vous vous êtes chargé de les montrer à Madame de Maintenon et de les y faire agréer !

13. N'est-il pas vrai que vous avez lu avec Monsieur de Beaufort Mery présent et l’avez examiné avec beaucoup d'attention ! Ne l'avez-vous pas gardé pendant près de trois semaines, n'en avez-vous pas marqué avec un crayon les endroits que vous souhaitiez que je change ; et ne m'avez-vous pas marqué même que vous craigniez que je n'eusse trop d'égard aux difficultés que vous formiez ?

14. N'est-il pas vrai qu'ayant été quelque temps après voir Monsieur Tronçon qui avait gardé le même livre pendant six semaines, vous convînt avec lui qu'il était correct et utile ! (86)

15. N'est-il pas vrai que je vous priai Monseigneur de le faire voir ensuite à quelque docteur habile, que vous me dites vous-même que Monsieur Boileau n'était pas propre à cet examen à cause de la prévention où il était, et que nous convînmes de Monsieur Pirot ; qu'après l'avoir lu, il lui donna beaucoup de louanges, et qu'il refusa d'en faire un plus long examen ! J'ai encore la lettre où vous me parlez des louanges qu'il donna à cet ouvrage.

16. N'est-il pas vrai que vous me dites en ce temps-là que vous vous réjouissiez de ce que mon livre était différent de celui de Monsieur de Meaux qu’en ce qu'il était plus précautionné que le sien sur l'oraison passive !

17. N'est-il pas vrai que sitôt que Monsieur de Meaux apprit l'impression de mon livre, il écrivit à Monsieur Pirot une lettre qu'il le chargea de vous faire voir par laquelle il menaçait d’en empêcher l'édition, il y protestait de répandre jusqu'à la dernière goutte de son sang pour s’opposer aux erreurs qu'il savait très certainement que je favorisais, et il assurait qu'il écrivit contre, même avant l'avoir lu ! Ne fut-ce pas sur (87) cette lettre et sur les menaces de Monsieur de Meaux que mes amis jugèrent à propos de le prévenir et qu'il se dépêchèrent de faire paraître au jour le livre que vous et Monsieur Tronçon aviez approuvé ?

18. N'est-il pas vrai que Monsieur le Duc de Chevreuse vous alla voir lui-même vous faire connaître les raisons que l'on avait de presser cette édition de crainte que Monsieur de Meaux ne la troublât, ajoutant que cependant l'on ne passerait pas outre, si vous y opposiez ? N'est-il pas vrai que pressé par l'évidence de ces mêmes raisons, vous lui répondîtes que vous n'aviez rien à lui dire et que vous ne vouliez rien savoir ?

19. N'est-il pas vrai que je n'ai pu savoir pour lors ce qui se passait et que deux jours après, le livre ayant paru, si ça est une faute, vous en êtes coupables que moi qui n'en pouvais rien savoir.

20. Enfin n'avez-vous pas gardé pendant six mois aussi bien que Monsieur Tronçon mon grand ouvrage sur la tradition du pur amour dont il est parlé dans mon livre et dont dépend tout mon système ?

Tous ces faits ne pourraient être contredits par Monsieur de Paris, comme je l'ai dit. Si quelque chose lui avait pu échapper ; Monsieur le Duc de Chevreuse (86)

15. N'est-il pas vrai que je vous priai, Monseigneur, de le faire voir ensuite à quelques docteurs habiles ; que vous me dites vous-même que Monsieur Boileau n'était pas propre à cet examen à cause de la prévention il était, et que nous convainc âme de Monsieur Pirot ; qu'après l'avoir lu, il lui donna beaucoup de louanges, et qu'il refusa d'en faire un plus long examen ! J'ai encore la lettre ou vous me parlez des louanges qu'il donna à cet ouvrage.

16. N'est-il pas vrai que vous me dites en ce temps-là que vous vous réjouissez de ce que mon livre n'était différent de celui de Monsieur de Meaux quand ce qu'il était plus précautionné que le sien sur l'oraison passive !

17. N'est-il pas vrai que sitôt que Monsieur de Meaux appris l'impression de mon livre, il écrivit à Monsieur Pirot une lettre qu'il la chargea de vous faire voir, par laquelle il menaçait d'en empêcher l'édition, il y protestait de répandre jusqu'à la dernière goutte de son sang pour s'opposer aux erreurs qu'ils avaient très certainement que je favorisai, et il assurait qu'il écrivit contre, même avant l'avoir lu ! Ne fussent pas sur (87) cette lettre et sur les menaces de Monsieur de Meaux que mes amis jugèrent à propos de le prévenir et qu'ils se dépêchèrent de faire paraître au jour le livre que vous et Monsieur tronçon aviez approuvé ?

18. N'est-il pas vrai que Monsieur le Duc de Chevreuse vous à voir lui-même pour vous faire connaître les raisons que l'on avait de presser cette édition de crainte que Monsieur de Meaux ne la troublât, ajoutant que cependant l'on ne passerait pas outre, si vous vous y opposiez ? N'est-il pas vrai que presser par l'évidence de ces mêmes raisons, vous lui répondit que vous n'aviez rien à lui dire et que vous ne vouliez rien savoir ?

19. N’est-il pas vrai que je n'ai pu savoir pour lors ce qui se passait, et que 2 jours après le livre ayant paru, si ça est une faute, vous en êtes plus coupables que moi qui n'en pouvais rien savoir ?

20. Enfin n'avez-vous pas gardé pendant 6 mois aussi bien que Monsieur tronçon mon grand ouvrage sur la tradition du pur amour dont il est parlé dans mon livre et dont dépend tout mon système ?

Tous ces faits ne pouvaient être contredits par Monsieur de Paris, comme je l'ai dit. Si quelque chose lui avait pu échapper, Monsieur le Duc de Chevreuse (88) qui n'en ignorait aucune circonstance le remettait sur la voie et il avouait de bonne foi qu'elle s'était passée ainsi qu'elle était marquée dans le mémoire ; il fut arrêté dans la même conversation que Monsieur de Cambrai ferait un nouvel examen de son livre avec Monsieur de Paris, Monsieur Tronçon et Monsieur Pyrot sur ce que Monsieur de Paris témoigna qu'il avait lu le livre un peu en courant, et qu'il n'avait pas d'abord été frappé de plusieurs choses qui lui paraissaient souffrir de la difficulté présentement. Le Roi à qui Monsieur de Cambrai en parla peu de jours après, approuva cette résolution, après quoi il fit un écrit avec Monsieur de Paris qui contenait les conditions suivantes :

1. Que Monsieur de Cambrai recommencerait l'examen de tout le livre avec Monsieur Paris, Monsieur Tronçon et Monsieur Pyrot.

2. Que Monsieur de Meaux donnerait ses remarques, mais qu'il n'aurait aucune part à l'examen.

3. Que l'on déclarerait le livre contenant une bonne doctrine, à moins que l'on ne fît voir des propositions de foi ou des conclusions théologiques auxquelles celle du livre seraient formellement contradictrices sans des correctifs précis et évidents (89)

4. Que si l'on ne trouvait dans le livre aucune de ces propositions, l'on n’exigerait point de lui de l'augmenter ou de l'expliquer, mais que sans y être forcé, il chercherait de concert avec Monsieur de Paris les voies les plus propres à calmer les esprits.

5. Monsieur de Paris s'engageait de ne former aucun jugement sur le livre qu'il n'en eût fait une discussion entière avec Monsieur de Cambrai et les deux autres Messieurs, encore moins de s'en ouvrir à personne qu'elle ne fut entièrement finie.

L'exclusion de Monsieur de Meaux était si capitale pour Monsieur de Cambrai après tout ce qui s'était passé entre eux qu'il n'y eût personne qui ne l'approuva. Le Roi à qui il en parla l'approuva comme les autres, il ne songea donc plus que suivre ce projet et à profiter des conseils et des lumières de ses trois Messieurs pour aplanir ce qu'il y avait des difficultés dans son livre. Mais Monsieur de Meaux ne donnait point ses remarques ; tantôt il les voulait donner au seul Monsieur de Cambrai, tantôt il disait qu'il voulait les faire voir à Monsieur Paris et à Monsieur de Chartres. Enfin il fit si bien que sous prétexte d'en conférer avec ces deux prélats, il engagea insensiblement (90) des assemblées qui se firent à l'archevêché auxquelles Monsieur de Paris disait qu'il ne pouvait s'opposer, eu égard à la nécessité du temps et aux clameurs de Monsieur de Meaux. Ce prélat cependant soutenait contre Monsieur de Cambrai toutes les personnes qui environnaient Monsieur de Paris et qui avaient part à ces assemblées Monsieur Pyrot lui-même ne se souvient plus d'avoir trouvé le livre tout d’or et commença d'y voir des difficultés qu'il n'avait pas vues d'abord, et bientôt après Monsieur de Meaux, que Monsieur de Cambrai avait exclu de l'examen de son livre avec tant de précautions, l'en exclut lui-même. Enfin les remarques que l'on attendait toujours ne venant pas, Monsieur de Paris dit à Monsieur de Cambrai les principales choses sur quoi elles [les assemblées] roulaient. Cela lui donna lieu d'écrire à Monsieur de Chartres une lettre sur la matière de l'espérance qui en faisait la principale difficulté. On la trouva saine et suffisante.

Monsieur de Paris ensuite lui ayant proposé de donner, suivant la doctrine de cette lettre, des éclaircissements pour les joindre à son livre dans une nouvelle édition, il y travailla sur le champ, et crut démontrer que la doctrine de son livre et celle de la lettre étaient une même chose. Cependant il pressait (91) toujours Monsieur de Paris d'exécuter le projet arrêté entre pour l'examen de son livre ; mais il n'en fut bientôt plus le maître. Il avait par les assemblées tenues chez lui laissé prendre à Monsieur de Meaux insensiblement toute autorité dans cette affaire. Ce prélat, accoutumé de primer et fort supérieur à tous ceux qui les composaient, avait tourné les choses de manière que Monsieur de Paris céda à un torrent auquel il ne pouvait plus résister, il oublia donc aussi bien que Monsieur Pyrot qui l’avait trouvé [le livre] exact et correct, et pour se tirer d'une dissension embarrassante sur laquelle il ne pouvait plus donner de satisfaction réelle à Monsieur de Cambrai, il lui répondit qu'il était accablé d'affaires qui ne lui permettaient pas de lui donner du temps pour un nouvel examen, qu'il fallait enfin finir, et que pour cela il fallait expliquer ouvertement la doctrine et abandonner celle de son livre.

Ce discours surprit Monsieur de Cambrai et l'affligea. Il jugea après une déclaration de cette nature qu'il n'y avait plus rien à attendre de Monsieur de Paris et qu'il avait pris son parti ; il lui répondit que d'abandonner son livre dont la doctrine était la même que celle de la lettre à Monsieur de Chartres qu'on approuvait, était le plus mauvais parti qu'il (92) ne pouvait jamais prendre ; qu'il aurait toute la honte d'une rétractation sans en avoir le mérite ; qu'il aimerait mieux en faire une ouverte qui aurait de la simplicité et de la bonne foi, si cela se pouvait sans blesser la vérité et sa conscience ; mais qu’on ne pouvait lui demander de rétractation ni directe ni indirecte avant la discussion qu'on lui avait promise ; qu'encore une fois le livre n'avait qu'un sens, approuvé dans la lettre à Monsieur le Chartres ; que si l'on prétendait le réduire à une explication qui l’abandonnât pour le donner au public, suivant l'intention de Monsieur de Meaux, comme un homme qui se rétracte, on voulait une injustice à laquelle il ne consentirait jamais, que ce serait abandonner la doctrine du pur amour tel qu’elle est approuvée dans la lettre à Monsieur de Chartres et qui fait tout le système de son livre ; que ce serait approuver les sentiments de Monsieur de Meaux qui ne cessait depuis un fort grand nombre d'années d'attaquer cette doctrine et qui l’attaquait encore dans son dernier livre ; enfin qu'il ne voulait ni trahir sa conscience ni déshonorer l'épiscopat par sa lâcheté qu'il mériterait par l'opprobre dont on le voulait couvrir, et qu'il aimait mieux en être (93) couvert sans l'avoir mérité.

Monsieur de Paris avait peine à résister à ces raisons, il aurait bien voulu y entrer, il l’aurait fait même s'il avait suivi ses propres lumières et agi de son propre mouvement, mais dès qu'il avait vu Monsieur de Meaux et ces autres Messieurs, il changeait le sentiment et ne voulait plus recevoir l'explication du livre ; il avouait même à Monsieur de Cambrai qui s'en plaignait à lui qu'il ne pouvait faire autrement.

[Monsieur de Meaux et ses émissaires assuraient que ce livre était une apologie secrète de Madame Guyon]

Monsieur de Cambrai voyant qu'il ne pouvait plus rien attendre de Monsieur de Paris se tourna du côté de Monsieur de Chartres et mis tout en œuvre pour le faire entrer dans l'explication du livre ; mais Monsieur de Meaux et ses émissaires assuraient que ce livre était une apologie secrète de Madame Guyon, qu'il en favorisait les illusions, et que c'était renverser les censures des évêques que de l'admettre avec quelque explication que ce fut sur ce principe ; Monsieur de Chartres n'en voulut jamais admettre aucune et fit connaître toute son inquiétude par ces mots d'une réponse qu'il fit à Monsieur de Cambrai sur ce sujet : si vous soutenez ce livre par des explications, on le tiendra bon, utile, sain dans la doctrine, on le (94) imprimera, on accusera de peu d'intelligence ou de mauvaises intentions tous ceux qui l’auront condamné, ainsi il aura cours.

Monsieur de Cambrai travailla inutilement à lui faire voir que ses principes ne pouvaient jamais souffrir l'illusion et qu'il avait porté les correctifs au-delà des saints les plus approuvés ; que son livre réprimait bien plus sévèrement l'illusion dans la pratique que celui de Monsieur de Meaux qui autorise une oraison très dangereuse en ce qu'elle attaque la liberté d'une manière indéfinie ; ses efforts furent inutiles, il y perdit bien du temps, et les démarches qu'il fit pour cela ne furent pas approuvées de tout le monde.

Il y avait encore un article sur lequel, depuis les assemblées tenues à l'archevêché, Monsieur de Paris et Monsieur de Chartres n'insistaient pas moins que sur le livre, c'était d'adhérer aux censures des trois évêques contre les livres de Madame Guyon ; il leur répondit que dans une lettre qu'il avait écrite au pape, de l'agrément du Roi et de concert avec Monsieur de Paris, il avait parlé sur ces censures d'une manière dont on devait être content ; qu'il y avait loué le zèle des évêques et qu'il y avait dit que ces livres étaient (95) censurables dans le sens qui se présente naturellement à l'esprit, in sensu obvis et naturalis, que c'était l'expression la plus forte dont le Saint-Siège se serve en ces matières, qu'il ne pouvait rien ajouter de réel à ce qu'il avait dit dans cette lettre au pape auquel comme à son juge et à son supérieur il rendait compte de ses sentiments dans l'occasion toute naturelle qu'il avait de lui parler des 34 l'article d'Issy ; qu'il comptait de mettre cette lettre à la tête de son livre dans une nouvelle édition, que ce serait l'acte le plus authentique et le plus décisif qu'il put donner au public et que pour aller au-devant de l'unique chose qu'on pouvait lui objecter, qui était de n'avoir pas nommé expressément les livres de Madame Guyon, il mettrait les noms de ces deux livres à la marge de sa lettre au pape.

Après avoir posé ce fondement, il lui demanda ensuite de quel droit on voulait exiger de lui une adhésion aux censures des trois évêques ! Si c'était une chose qui entrât dans la doctrine de son livre dont il avait promis de recommencer l'examen ? Si l'Église avait fait un formulaire là-dessus ? Si trois évêques, quelque mérite qu'ils eussent, étaient l'Église ! Si l'Église demandait cette admission aux autres évêques ? Pourquoi le vouloir flétrir en le (96) distinguant par une demande si affectée pendant qu'on paraissait s'intéresser si vivement sur sa réputation ! Qu'avait-il fait que son livre dont il offrit de démontrer que la doctrine était approuvée dans la lettre à Monsieur de Chartres ? Enfin leur dit-il, ce que j'ai dit au pape sur les livres de Madame Guyon est simple ; libre ; naturel, à propos et décisif, ce que je dirais dans une adhésion aux censures dans les circonstances présentes, n'y ajouterait rien et paraîtrait forcé, je le dirai à pure perte et avec les apparences d'un homme faible et politique, qui fait par crainte une abjuration déguisée, je ne crains pas ajoutait-il l'accusation du quiétisme ; je parlerai si haut là-dessus qu'en peu de temps je ferai taire ceux qui parlent et qui soulèvent le public, mais pour les partis bas et suspects de politique en matière de religion, ils me déshonoreraient et je n'en veux jamais entendre parler.

Pendant les différentes allées et venues qui se faisaient entre ces trois prélats, Monsieur de Meaux fit demander avec beaucoup d'instances à Monsieur de Cambrai de se trouver aux assemblées pour discuter, disait-il, de vive voix et amiablement les difficultés qu'il trouvait sur son livre. Ce prélat le refusa ; il ne voulut pas s'engager à des conférences qui (97) détournaient l'exécution du projet fait par Monsieur de Paris dont il ne voulait pour rien se départir. De plus il ne voulait pas se commettre davantage avec un homme qui joindrait à toutes ses anciennes préventions une nouvelle hauteur depuis les éclats qui étaient arrivés ; il ne lui était plus permis d'espérer une discussion paisible et tranquille avec ce prélat dont la vivacité voulait tout entraîner dans les temps mêmes qu'elle était moins excitée ; que pouvait-il s’en permettre dans une conjoncture pareille à celle où il se trouvait ? L'on n'y mettrait pas en question si son livre pouvait recevoir de bonnes ou de mauvaises interprétations ! Monsieur de Meaux qui déciderait au nom de toute l'Église qu'il n'en pouvait avoir qu'une mauvaise ; puisqu’il ne contenait [pour M. de Meaux] qu'une apologie de Madame Guyon et un renversement des censures : c'était un spectacle qu'il ne voulut point donner au public, l'autorité de ce tribunal n'étend pas encore assez établie pour en vouloir subir la correction, et où tout ce qui s'y serait passé aurait été sujet à diverses explications sur lesquelles Monsieur de Meaux aurait été crû.

Il ne voulut donc pas prendre le change ; et demeurant ferme à demander à Monsieur de Paris l'exécution (98) du projet accepté pour recommencer entre eux deux l'examen de son livre ; y joignant seulement ceux qui y avaient déjà été admis, il fit proposer à Monsieur de Meaux une voie d'éclaircissement aussi sûre et plus paisible que celle des conférences [qui] pouvait être tumultueuse et sujette à diverses interprétations. C'était celle de se faire l'un à l'autre de courtes questions et de courtes réponses par écrit pour avoir des preuves littérales de part et d'autre de tout ce qui se passerait entre eux. Ce prélat en convint. Monsieur de Cambrai lui envoya vingt courtes questions et Monsieur de Meaux lui en envoya d'autres lui promettant de répondre aux siennes, dès qu'il y aurait répondu ; Monsieur de Cambrai le fit sur-le-champ, mais Monsieur de Meaux nonobstant sa promesse ne voulut point lui répondre par écrit.

Ces questions sont encore en nature ; et il ne faut que les lire pour juger des raisons qu'avait Monsieur de Meaux de n'y pas répondre.

Pour couvrir ce refus, Monsieur de Meaux se plaignait hautement de ce que Monsieur de Cambrai refusait les conférences et le fit comme s'il n'avait été en demeure avec lui ni pour ses remarques attendues près de six mois ni pour les réponses à ses questions (99) et il ne garda plus de mesure avec lui depuis ce temps-là.

Monsieur de Paris pressant de nouveau Monsieur de Cambrai sur ces conférences que demandait Monsieur de Meaux, il lui répondit que pour éviter une scène confuse que chacun rapporterait suivant ses préventions, il y consentirait, mais à ces trois conditions. 1. Qu'il y aurait des évêques et des théologiens présents, 2. Que l'on parlerait tour à tour et que l'on écrirait sur-le-champ les demandes et les réponses. 3. Que Monsieur de Meaux ne se servirait pas du prétexte de ces conférences pour vouloir se rendre examinateur du texte de son livre ; mais qu'après avoir examiné tous les principes par rapport au dogme, Monsieur de Cambrai se réservait de régler en détail avec Monsieur de Paris, Monsieur Tronçon et Monsieur Pyrot toutes les expressions du livre qui lui faisait quelque peine : à ces conditions Monsieur de Meaux ne voulut pas de conférence, elles éludaient le point principal qu’il s'était proposé qui était de se rendre juge du texte du livre ; et peu de jours après, Monsieur de Paris dit à Monsieur de Cambrai qu'il n'en fallait plus parler. Ce fut à peu près dans ce temps-là que Monsieur de Meaux lui envoya ses remarques, mais (100) elles étaient devenues inutiles dans la conjoncture où l'on se trouvait.

Comme il ne restait plus de ressources à Monsieur de Cambrai pour l'explication de son livre que sa lettre à Monsieur de Chartres dont la doctrine était approuvée des uns et des autres, il offrit en dernier lieu à Monsieur de Paris de mettre à la tête d'une nouvelle édition de son livre les éclaircissements qu’il lui avait demandé suivant la doctrine de cette lettre, et qu'il avait remis entre ses mains il y avait déjà quelque temps ; Monsieur de Paris lui répondit qu'il les avait fait voir à huit docteurs séparément, et qu'après les avoir examinés avec beaucoup d'application, ils ne trouvaient pas qu'ils fussent suffisants pour faire voir que la doctrine de la lettre à Monsieur de Chartres fut la même que celle du livre ; Monsieur de Cambrai le pria de lui dire le nom de ces docteurs pour éclaircir avec eux les difficultés qui les avaient arrêtés, ne doutant pas qu'il ne lui fut facile d'en venir à bout ? Mais ce prélat lui fit entendre qu'il était engagé au secret et qu'il ne lui était pas permis de les nommer. Après une telle réponse, il jugea bien qu'il n'y avait rien à et à espérer de ce côté-là et il (101) ne songea plus qu'à envoyer à Rome ses explications qu'on refusait de faire paraître en France, espérant que le pape ne les condamnerait pas au moins sans l'entendre.

Avant que d'écrire au roi pour lui demander la permission de porter l'affaire à Rome, il alla trouver Monsieur de Paris et lui demanda deux choses. La première était un projet par écrit des paroles précises qu'on voudrait qu'il donnât au public sur son livre, pour examiner s'il pourrait les accepter. La seconde était d'être assuré qu'il eût un plein pouvoir pour finir avec lui en prenant le conseil des plus habiles docteurs, ajoutant qu'il n'était pas juste de tirer continuellement des paroles de lui sans s'engager réciproquement autrement qu'après avoir fini avec lui Monsieur de Paris, il se trouverait à recommencer avec Monsieur de Meaux. Ce prélat lui répondit qu'il ne pouvait lui donner par écrit le projet des paroles précises qu'on lui demandait et lui dit qu'il n'avait aucun pouvoir pour lui répondre d'aucune décision, ce qu'il lui confirma un jour ou deux après par un mot d’écrit. Sur cette réponse pour lui représenter (102) la cruelle situation il était, les parties qu'il avait proposées pour la paix, le refus qu'on lui faisait d'expliquer son livre pour le rendre suspect sur la foi, et que ne lui restant plus d'autre voie que celle de s'adresser au Pape, il le suppliait de trouver bon qu'il alla à Rome, qu'il faisait ce voyage avec défiance de soi-même, sans contention et pour être détrompé si par malheur il était trompé ; enfin, pour trouver ce qu'il ne pouvait trouver en France c'est-à-dire quelqu'un avec qui finir, qu'il ne s'agissait pas seulement de son livre, mais de lui-même qu'il fallait détromper du livre s'il était mauvais, que personne n'en pouvait défendre la cause que lui seul, qu'il n'avait ni ne pouvait trouver personne qui voulut aller en sa place défendre une cause qu'on avait rendue si odieuse et si dangereuse à soutenir, qu'il n'était pas juste de rassembler toutes choses contre lui et lui ôter la liberté de se justifier ; qu'enfin supposer sans preuve que sa doctrine n'est que nouveauté et erreur avant qu'une autorité légitime l’eût décidé, c'était supposer ce qui était en question pour suspendre sa religion et engager son zèle à (103) l'accabler. Il écrivit à peu près les mêmes choses à Madame de Maintenon qui lui venait de refuser une audience qui lui avait demandé deux jours après. Le Roi lui fit dire par Monsieur de Paris qu'il trouvait bon qu'il portât son affaire à Rome puisqu'il ne la pouvait faire finir en ce pays, mais qu'il ne jugeait pas à propos qu'il y alla lui-même. Peu après le roi lui fit dire par Monsieur le Duc de Beauvilliers de s'en aller dans son diocèse et de n'en pas revenir sans son ordre ; que cependant il pouvait ne se pas presser pour son départ et se donner le loisir dont il aurait besoin pour donner ordre à ses affaires, mais ce prélat jugea qu'il n'était pas à propos de différer et partit de Versailles dès le lendemain.

[La disgrâce de M. de Cambrai devenue publique]

La disgrâce de Monsieur de Cambrai devenue publique au commencement d’août 1697 donna matière à beaucoup de raisonnements. L'on en chercha la source ailleurs que dans l'application de son livre qu’on lui refusait, et l'on y entendit des mystères qui ne sont rien à ce que je me suis proposé de dire ici. Il employa le peu de temps qui lui (104) resta jusqu'à son départ pour Cambrai à chercher sur qui il jetterait les yeux pour l'envoyer à Rome ; c'était une commission bien épineuse dans la conjoncture. Monsieur l'abbé de Chanterac son parent et grand vicaire de Cambrai offrit de lui rendre ce service malgré son âge et ses infirmités. Il avait tout ce qu'il fallait pour se bien acquitter d'un tel emploi ; il était bon théologien, sage et modéré, il avait des manières simples et naturelles, de la piété et par-dessus tout cela une forte conviction de la bonté de la cause de Monsieur de Cambrai qu'il regardait en théologien et par principe. Monsieur de Cambrai se trouva trop heureux dans son malheur d'avoir une personne de ce caractère pour aller soutenir une cause qui ne manquerait pas dans les suites de trouver bien des traverses. Il lui donna les instructions qu'il jugea nécessaires et partit aussitôt pour Cambrai. Peu de jours après y être arrivé il reçut une lettre d'un des amis de Monsieur de Chartres et les siens qui lui rendaient compte d'une conversation qu'il avait eue avec ce prélat dans laquelle il lui avait marqué prendre (100) beaucoup de part à son malheur et que si dans la situation même des choses il voulait dans une lettre pastorale marquer le fond de sa doctrine et combien elle était éloignée de celle qu'on lui imputait et faire ensuite une nouvelle édition de son livre, il serait très content quand même les autres ne le seraient pas. Monsieur de Cambrai répondit à cet ami dans le moment et le pria de dire de sa part à Monsieur de Chartres :

1°. Qu'il n'aurait jamais de peine à dire la vérité qu'il croyait ni à condamner leur l'erreur qu'il détestait, qu'il avait pressé six mois durant pour qu'on le laissât faire ce que Monsieur de Chartres demandait présentement, que s'il avait bien voulu s'y fixer et dire à Monsieur de Meaux qu'il ne pouvait se joindre à lui pourvu que lui Monsieur de Cambrai fit des explications bien précises, il lui aurait épargné six mois d'amertume et d'oppression et aurait étouffé un grand scandale dans sa naissance.

. Qu'il était prêt à faire une lettre pastorale où il promettait une édition nouvelle de son livre avec des additions qui lèveraient toutes les (106) difficultés qu’on faisait sur certains endroits, et qu'en attendant il expliquerait sommairement dans cette lettre pastorale des principales choses sur lesquelles on lui imputait des sentiments contraires aux siens, que jusqu'alors il n'avait pu faire cette lettre ni aucune autre chose semblable ayant promis à Monsieur de Paris de ne rien faire imprimer.

. Qu'il était prêt à faire une édition nouvelle avec des additions qui ne laisseraient aucun prétexte d'ombrage au lecteur même le plus prévenu, que ces additions feraient pour la vérité contre l'erreur un effet aussi grand que la rétractation la plus ouverte ; que la différence ne consisterait qu'en ce qu'il n'abandonnerait pas un livre qu'il ne croyait pas en sa conscience susceptible dans toute la suite de son texte des mauvais sens qu'on avait voulu lui donner, et que les additions le justifieraient en condamnant l'erreur, au lieu qu'il ne pourrait abandonner son livre sans reconnaître tout au moins qu’il avait favorisé le quiétisme ; et sans laisser soupçonner qu'il ne l'abandonnerait que par politique à l'extrémité ; mais qu'il n'y avait ni (107) espérance ni crainte qu'on lui pût jamais arracher un mot équivoque pour l'abandon de son livre ; qu'il aimait mieux cent fois se soumettre de bonne foi et sans retenue à une condamnation rigoureuse du Pape son supérieur que de faire un accommodement équivoque avec Monsieur de Meaux pour mettre en doute le sens de son livre.

4°. Que pour la lettre pastorale il pouvait la faire tout au plus tôt, mais pour les additions de l'édition nouvelle il lui fallait un peu plus de temps, que la chose devait moins presser après la publication de la lettre pastorale parce qu'elle montrerait ses intentions et contenterait par provision les esprits modérés, qu'il prétendait les faire revoir et retoucher par un certain nombre de théologiens exacts qui ne pourraient aller vite. De plus qu'il ne parviendrait jamais à faire cette édition nouvelle à Paris ou Monsieur de Meaux la traverserait toujours, qu'il avait une trop forte expérience de son pouvoir excessif pour se devoir rembarquer avec lui, qu'il voudrait toujours le (108) réduire à son point et faire des changements qui détruiraient la première édition, qu'il se rendrait toujours d'une manière secrète et indirecte le vrai correcteur de son ouvrage ; et que ni lui ni Monsieur de Paris ne pourraient jamais s'assurer d'être libres de suivre constamment un projet modéré qu'ils auraient formé avec lui, Monsieur de Cambrai, dans la meilleure intention du monde, qu'encore une fois l'expérience décidait là-dessus ; qu'ainsi sa pensée était d'envoyer ces additions à Rome et de supplier le Pape d'avoir la bonté de les y faire examiner et arrêter par ses plus habiles théologiens, qu'il ne pouvait rien offrir de plus raisonnable que de vouloir passer par toute la sévérité de l'inquisition et de se laisser corriger en son absence ; que Monsieur de Chartres ne devait être ni plus zélé ni plus rigoureux contre le quiétisme que le Pape et toute l'Église romaine cette erreur avait été foudroyée dès sa naissance ; que quand ces additions auraient été arrêtées à Rome, il ferait sa nouvelle édition, qu'enfin si ce projet convenait (109) à ce prélat, ils étaient d'accord dès ce même jour, qu'on attendrait en paix la décision du Pape et qu'ils demeureraient unis autant qu'ils l’avaient jamais été, que par ce moyen ils édifieraient l'Église dans la diversité même de leurs sentiments. Monsieur de Cambrai demandait en même temps une réponse prompte et précise de Monsieur le Chartres et de sa propre main afin qu'il pût marcher sur un fondement certain. La lettre est du 6 août. Il se pressa de donner la lettre pastorale qu'il venait de promettre. À cela point de réponse. Peu de jours après parut la déclaration latine des trois évêques du 6 août 1697 par laquelle ils se rendent comme les dénonciateurs du livre. Les deux premiers prétendant qu'ils étaient obligés de désavouer publiquement une doctrine dont on avait voulu les rendre garants dans un ouvrage publié.

Monsieur de Meaux publia dans la suite que Monsieur de Chartres ne lui avait fait aucune ouverture de la proposition que Monsieur de Cambrai lui avait faite d'envoyer à Rome les objections et les réponses, et d'attendre en paix la décision du (110) Pape. Quoi qu'il en soit, ce fut la la source de cette infinité d'écrits de part et d'autre qu'on a vu depuis paraître dans lesquels Monsieur de Meaux particulièrement a répandu tant de fiel et d'amertume.

[M. de Cambrai comme un second Molinos]

Peu de jours après la déclaration qui en fut comme le signal, Monsieur de Meaux fit paraître le Somma doctrinae. Il y donne Monsieur de Cambrai comme un second Molinos et n'oublie rien pour défigurer la doctrine de son livre jusqu'à en tirer le quiétisme. Monsieur de Cambrai jugeant bien par un tel procédé qu'on le voulait pousser sans aucun ménagement, tourna toutes ces pensées du côté de Rome et y envoya sa défense en répondant à tous les articles de la déclaration des trois évêques et de du Summa de Monsieur de Meaux, mais il y garda une modération bien différente de la hauteur et de la cruauté des écrits de ses confrères, se renfermant dans les bornes de juste défense. Quelque temps après il fit un écrit des véritables oppositions de la doctrine de Monsieur de Meaux et de la sienne sur les matières intérieures. La première est sur la (111) nature de la charité, la seconde est sur l'oraison passive. Dans l'une il prétend prouver que l'opinion de Monsieur de Meaux détruit la notion commune de toutes les écoles sur la nature de la charité ; dans l'autre que ce qu'il dit dans son livre des états d'oraison sur l'oraison passive est contraire au vrai sens des bons mystiques et à tous les pères, et qu'il détruit absolument les 11, 26 et 27 articles arrêtés à Issy. Il se contenta dans les commencements d'envoyer ses ouvrages à Rome pour justifier la doctrine de son livre ; ainsi ses premiers écrits ont été peu connus. Il ne prit pas même d'abord la précaution de les faire imprimer, mais on lui manda de Rome, et quelques cardinaux lui firent dire qu'il n'était pas possible de fournir de si longs manuscrits à tant de gens du Saint-Office sans des longueurs excessives, et qu'on ne pouvait pas répondre que les manuscrits ne fussent bientôt aussi publiés que les imprimés le pouvaient être ; bien plus, que ces imputations qu’on lui faisait de favoriser le quiétisme (112) rendues publiques par des ouvrages aussi authentiques que ceux des Évêques ne lui permettaient pas de se borner à de simples productions au Saint-Office comme dans le cœur des affaires ordinaires, mais que les accusations étant publiques en France, sa justification le devait être aussi, et qu’il ne pouvait prendre trop de précautions pour faire connaître la pureté de sa foi attaquée d'abord par tant de voies indirectes et puis d'une manière si publique. Il prit donc le parti de faire imprimer ses ouvrages et de les reprendre à mesure que la nécessité l'y contraindrait en se renfermant toujours dans les bornes d'une simple défense.

[Sitôt que l'affaire avait été portée à Rome, M. de Meaux écrivit à Monsieur l'Abbé Bossuet]

Sitôt que l'affaire avait été portée à Rome, Monsieur de Meaux écrivit à Monsieur l'Abbé Bossuet son neveu qui était allé voir l'Italie et qui était sur le point d’en partir, de rester à Rome pour l'y poursuivre cette affaire [qui] lui était devenue comme personnelle ; et les frais qui ont été très grands ont été portés par lui seul. Il lui envoya toutes les instructions qu'il jugea nécessaires (113) par un homme de confiance de son chapitre [annot. marg. : Filippeaux] qui lui devait servir de conseil sur des matières où il était peu exercé ; enfin il n'oublia rien de ce qui pouvait servir à sa cause, crédit, amis, sollicitations, jusque-là que l'envoyé de Monsieur le grand Duc allait de sa part chez les cardinaux et chez les consulteurs du Saint-Office pour les prévenir en sa faveur. Monsieur de Cambrai avait un ami à Rome et c'était le seul qui parut ouvertement soutenir ses intérêts, il s'appelait Monsieur de la Tuillière homme de lettres et de savoir qui avait été auprès de Monsieur le duc de la Rocheguyon, on lui fit des menaces terribles dont il sentit les effets fâcheux peu de temps après malgré les précautions de Monsieur de Cambrai qui, dans la crainte de lui attirer des affaires, l'avait prié de ne se pas mêler des siennes. On lui fit sentir par la perte d'un emploi considérable que le Roi lui avait donné à Rome à la prière de Monsieur le Duc de La Rochefoucauld qu'on n'était pas impunément des amis d'un homme qui avait à la cour de si puissants ennemis.

Au commencement de l'année 1698 Monsieur de Meaux (114) donna un nouveau livre au public intitulé divers écrits où il ne garda plus de mesures contre Monsieur de Cambrai : il le traitait d'hérétique et se laisser aller à des invectives où il paraissait beaucoup de passion. Il fit presser en même temps le Pape de donner une prompte décision et dans un même temps l'on engagea Monsieur le Nonce d'écrire à Monsieur de Cambrai pour le porter à attendre en paix la décision du Saint-Siège ; comme si les éclaircissements ou plutôt les réponses qu'il faisait aux écrits de ses parties en arrêtaient le cours. Monsieur le Nonce lui disait que le nouveau livre de Monsieur de Meaux suivant ce qu'on lui mandait de Rome ne disait rien de nouveau sur la doctrine, que les écrits se multipliant de part et d'autre éloigneraient de plus en plus le jugement que le Roi faisait demander au Pape avec beaucoup d'instances ; qu'ainsi s'il souhaitait la fin de l'affaire comme il n’en doutât pas, il lui conseillait de s'en tenir à ces dernières réponses, sans vouloir encore répondre au nouveau livre qui venait de paraître. Après avoir remercié Monsieur le Nonce de ses conseils et lui avoir marqué le désir sincère de les suivre, Monsieur de Cambrai répondit qu'il ne faisait que de (115) recevoir le nouveau livre de Monsieur de Meaux, qu'il commençait à le lire et que le peu qu'il en avait déjà lu lui paressait rempli de tout l'art imaginable pour prendre ses paroles à contresens et pour le détourner à des fins impies, qu'il le lisait dans la disposition de ne répondre rien à toutes les accusations qui ne paraîtraient pas tout à fait importantes auxquelles il croyait avoir déjà répondu par avance, qu'à l'égard de celles qui seraient capables d'éblouir le public, il n'y répondrait que d'une manière si courte et si douce qu'on y verrait son amour sincère pour la paix et son impatience de finir, que ce nouveau livre était plein de redites pour le fond, mais de tous nouveaux et dangereux ; que le donnant à la veille de la décision du Pape, sa vue était de frapper les examinateurs par des raisons qu'on n’aurait pas le loisir de réfuter, ou pour éloigner la fin de la dispute ; mais qu'il espérait de la sagesse et de l'équité du Saint-Père qu'il éviterait ces deux inconvénients. Si peu que le nouvel ouvrage fasse d'impression sur les esprits à Rome ajoutait-il, il serait juste (116) d'attendre mes réponses. C'est toujours l'accusé qui doit parler le dernier, surtout quand il s'agit d'accusations si horribles sur la foi, et que l'accusé est un archevêque dont la réputation est importante à son ministère. Si Monsieur de Meaux veut toujours écrire le dernier, il trouble l'ordre de toute procédure et il ne veut pas finir. Si je suis obligé de lui répondre, je le ferai Monseigneur si promptement et si courtement que ma réponse ne retardera de guère le jugement de Rome ; il peut avoir des raisons pour prolonger l'affaire, je n'en ai aucune qui ne me presse de la finir au plus tôt. Quant à des écrits je ne suis pas embarrassé d'y répondre, et j'espère avec l'aide de Dieu éclaircir tout ce qu’il enveloppe, mais quoi que je n'ai rien à craindre de cette guerre, j'aime la paix et je voudrais m’employer entièrement à des fonctions plutôt que de donner au public des scènes dont il ne peut être que mal édifié. Quand j'ai fait une Instruction pastorale, je n'ai attaqué personne, j'ai parlé de mes parties avec un respect qui devait les apaiser. Depuis ce temps je n'ai écrit que pour me justifier sur leurs (117) accusations atroces sans y mêler aucune passion. Je ne demande que la paix et le silence quoi que j'ai de quoi me plaindre et de quoi réfuter. Je connais la vivacité de ceux qui mènent tout ceci. Nous ne finirons point s'il n'intervient quelque autorité, et quelque soin que l'on ait de prévenir le Roi, je connais assez sa profonde sagesse et sa sincère piété pour être assuré qu'il appuiera tout ce que le Saint-Père aura fait.

Cette réponse à Monsieur le Nonce fut suivie fort peu après des cinq premières lettres qu'il écrivit à Monsieur de Meaux pour réponse à son livre. Comme elles ont été entre les mains de tout le monde, je n'en dirai rien ici non plus que tous les autres écrits de part et d'autre dont on ne peut guères juger que par ses propres yeux ; mais cette petite lettre n'était pas achevée qu'il parut une Instruction par pastorale de Monsieur de Paris où, sans nommer Monsieur de Cambrai il était désigné d'une manière si précise avec des couleurs si noires qu'il ne lui était permis ni de s’y méconnaître ni de n'y pas répondre (118).

Cet ouvrage était très bien écrit et eut un grand succès. Ce prélat n'avait rien oublié de ce qui pouvait instruire son troupeau sur les principes de la saine doctrine, et en même temps la précautionner contre les illusions de la fausse. Mais cette fausse doctrine se trouvait partout tellement revêtue des termes et des expressions du livre de Monsieur de Cambrai qu'il était aisé aux plus ignorants de percer ce mystère et de voir qu'on la confondait avec soin et de propos délibéré avec celle de ce prélat. Il prit donc le parti d'y répondre. Plus votre place nous donne d'autorité Monseigneur, lui dit-il à la fin des trois lettres qui lui écrivit d'abord, plus vous êtes responsables des impressions que vous donnez au public contre moi. Votre vertu et la modération qui paraît dans vos paroles ne servent qu'à les rendre plus dangereuses. Les accusations véhémentes et outrées imposent moins au public, mais quand vous ne montrez que douceur et patience en imputant les erreurs les plus monstrueuses, le public est tenté de croire que j'ai enseigné toutes ses erreurs quoique je n'ai rien dit d'équivoque (119) pour les excuser, et que je les aie condamnées plus rigoureusement que personne. Voilà Monseigneur le mal que vous faites contre votre intention. Si vous croyez que je sois persuadé de toutes les erreurs que vous imputez à mon livre, malgré ce que j'ai dit si ouvertement pour les détester, vous me croyez le plus faux et le plus hypocrite de tous les hommes, et supposé que vous ayez de bonnes preuves pour former ce jugement, vous devez me dénoncer à l'Église ; comme le plus dangereux ennemi qu’elle ait eu; mais si au contraire vous croyez que je suis sincère et que je déteste de bonne foi les conséquences qu'on peut tirer de mon livre, souffrez que je vous représente ici avec une liberté évangélique que vous auriez dû vous opposer au scandale qu'on a fait dans votre diocèse et de ne le pas augmenter par votre lettre pastorale.

Je vous avoue Monseigneur, lui dit-il, au commencement de la seconde lettre, que plus j'examine cet ouvrage, moins je vous reconnais dans ce style où vous ne me ménagez en apparence (120) que pour donner un tour plus modéré et plus persuasif aux plus terribles accusations, vous ne parlez presque jamais de moi ; vous n'en parlez qu’en des termes honnêtes ; mais vous rapportez sans cesse quelques-unes de mes paroles pour les joindre dans un même corps de doctrine avec ce qui vous paraît le plus propre à exciter l'indignation publique. Vous savez Monseigneur que rien n'est plus facile et moins concluant en matière de dogme que de faire ainsi un tissu de passages détachés de divers auteurs pour en tirer toutes les conséquences les plus odieuses....172 Ce qui convient le moins à la modération dans vous avez voulu user, c'est qu'après avoir rapporté mes paroles dans un certain arrangement avec d'autres pour leur donner un sens impie ; vous nous récriez à chaque page, illusion, sophisme des nouveaux docteurs, chimères, subtilité des quiétistes, visions fanatiques, erreur des bégards et des béguines, des illuminés et de Molinos !

Dans la quatrième lettre qui sert de réponse à une addition que fit Monsieur de Paris à son (121) Instruction pastorale, Monsieur de Cambrai y rassemble douze propositions qui semblent en composer le système. Il prie ensuite ce prélat de nier ou d'affirmer ces propositions. Plus je tâche d'approfondir vos expressions, lui dit-il, Monseigneur, plus j'y trouve une liaison de principes qui forme un système complet. Si je le conçois mal, vous n'aurez qu'à nier chaque proposition qui ne sera pas véritablement de votre doctrine ; je n'insisterai pas contre vous, comme vous avez insisté contre moi quand j'ai nié si précisément ce que vous m’imputiez. Votre désaveu précis décidera d'abord pour moi et je constaterai avec joie que je ne vous ai pas bien entendu.

Après avoir proposé à Monsieur de Paris ces douze questions, il lui en proposa cinq autres qu’il assure être la sienne [doctrine] dont la plus grande part roulant sur l'état de pure nature. Je vous supplie instamment Monseigneur lui dit-il encore, de nier ou d'affirmer précisément chacune de ces cinq propositions ; si vous en niez quelqu'une, j'offre de la démontrer. Si au contraire vous les accordez toutes, il ne faut plus parler du désir de salut comme d'une chose (122) essentiellement juste et qui est comme l'essence de la volonté ; c'était ce que voulait Monsieur de Paris dans son addition.

Monsieur de Paris fit d'une réponse à ces quatre lettres ; il s'y plaint de ce que Monsieur de Cambrai ne lui a pas adressé d'abord ces réponses imprimées et de ce qu'elles ont courues longtemps avant qu'il les ait reçues, il assure qu'il aura avec lui un procédé différent, qu’il lui adresse sa réponse à lui directement et non au public et qu'il voudrait ne la point montrer [sinon] à un très petit nombre de personnes distinguées à qui il ne la peut refuser. Cette lettre roule presque toute entière sur le procédé et rappelle tout ce qui s'est passé entre le prélat au sujet de Madame Guyon, l'estime de Monsieur de Cambrai pour cette dame ; la signature des articles d'Issy, le refus d'approuver le livre de Monsieur de Meaux. L'examen du Livre des Maximes des Saints avant son impression, enfin tout ce qui s'est passé depuis l'impression de ce livre jusqu'à ce que l'affaire ait été portée à Rome.

Le style de cette réponse à beaucoup d'aigreur (123) et de hauteur, il y a peu de choses sur la doctrine et le frère Laurent [de la Résurrection] est justifié de son indifférence prétendue pour le salut. Monsieur de Paris y assure Monsieur de Cambrai qu'il peut à l'avenir écrire tant qu'il lui plaira, mais qu'il ne lui répondra plus. En effet cette lettre est le dernier ouvrage de ce prélat sur cette matière. Monsieur de Cambrai reçut cette lettre le 25 mai 1698 et trois jours après on lui en envoya de Paris l’imprimé qui se vendait publiquement chez le libraire de Monsieur l'Archevêque. Ainsi l'ouvrage était imprimé dans le temps qu'on assurait Monsieur de Cambrai qu'il ne se donnerait pas au public.

Monsieur l'abbé Brisacier supérieur des Missions étrangères fort lié avec toutes les parties de ce prélat, lui écrivit dans ce temps-là une lettre fort ample sur le mauvais effet que faisait dans le public cette guerre d’écrits, l'extrémité où elle pouvait porter les esprits et les partis violents qu'elle était capable de faire prendre ; cette lettre lui faisait aussi quelques reproches sur l'impression de ses Lettres à Monsieur de Paris et à Monsieur de Meaux qui étaient entre les mains de tout le monde ; enfin il exhortait de tout son (124) pouvoir à ne plus écrire quoique l'on fît contre lui et de se renfermer dans les bornes d'une simple défense ; c'est-à-dire aux seules productions du Saint-Office où son affaire était sur le point d'être décidée.

Monsieur de Cambrai lui répondit qu'il n’avait écrit qu'à regret et à l'extrémité et qu'il avait d'abord envoyé ses défenses manuscrites à Rome ; mais qu'il avait pris le parti de les faire imprimer sur ce qu'on lui avait mandé qu’au tribunal du Saint-Office on imprimait d'ordinaire les productions parce que les manuscrits n'étaient ni assez lisibles ni assez corrects pour servir au jugement dans une matière si délicate et si importante, que ses réponses devaient être aussi publiques que les accusations, et qu'il n'avait cédé aux instances qu'on lui faisait pour l'impression que par l'impossibilité où il s'était trouvé de faire autrement, que cependant il avait eu tant de répugnance à donner cette scène au public qu’il avait envoyé ses écrits imprimés à Rome plus de six semaines avant que de les publier en France ; mais que voyant les ouvrages de ses parties affichées et répandues partout son diocèse, il avait conclu qu'il n'y avait (125) plus de réserves à garder sur ses défenses, et qu'il ne devait pas se laisser diffamer au milieu de son troupeau.

Pour la manière dont j'ai écrit ajoute-t-il, je puis me tromper et j'en laisse juger le lecteur, mais comme je n'ai eu ce me semble en écrivant ni aigreur ni ressentiment, il me semble aussi que je n'en ai pas marqué dans mes réponses. J'ai pris grand soin de supprimer tout ce qui ne m'a point paru essentiel à ma cause ; j'ai ménagé les personnes qui me ménageaient le moins, mais je n'ai pu taire certaines choses qui retombaient malgré moi sur ces personnes, parce que ces choses étaient importantes, les unes pour la doctrine ; les autres pour le procédé.

N'ai-je pas souvent attesté qu'on me contraindrait de me justifier d'une manière qui retomberait sur mes accusateurs ! A-t-on daigné m'écouter ! N’a-t-on pas affecté de chercher les plus étranges extrémités pour rendre tous accommodements impossibles ! N'a-t-on pas pris ma patience pour une faiblesse sans réserve. Ne m'a (126) t-on pas réduit à un état où je ne puis plus me justifier sur des impiétés horribles et sur un désespoir [?] inexcusable, qu'en montrant à toute l'Église la justice de cette accusation ?

Quand ils voudront garder le silence ajoute-t-il, je le garderai aussi avec joie ; car au milieu de ces combats de paroles je ne respire que la paix et la fin du scandale ; mais plus ils écriront plus ils me réduiront à prononcer clairement leur but que je voudrais pouvoir cacher si après avoir tant écrit ils n'ont plus qu'à faire des redits, ils ne perdront rien pour leur cause en gardant le silence. Les règles sont comme vous le savez que les accusateurs ayant été les premiers à parler doivent aussi être les premiers à se taire. Si au contraire ils ont encore de nouvelles preuves ou de nouveaux tours des anciennes preuves à publier, il est juste que j'ai le temps d'y répondre. L'accusé doit parler le dernier, surtout quand c'est un évêque qu'on veut convaincre d'impiété à la face de toute l'Église ....173 Pour moi quoiqu'il arrive je soumets de plus en plus (127) mes ouvrages au Saint-Siège avec une docilité sans réserve et sans distinction de fait et de droit. Je souhaite que ceux qui m'ont attaqué soient aussi dociles et aussi soumis pour les Dogmes qu'ils ont avancés.

Ce qu'il y a de particulier à cette lettre de Monsieur Brisacier c'est qu'il l’écrivait dans le temps précisément que Monsieur de Paris faisait imprimer la sienne sur le procédé, et que Monsieur de Meaux en venait de publier une sur la doctrine où il promettait aussi une autre sur les faits. Il ne l'ignorait pas sans doute et le faisait assez entendre par sa lettre ; aussi cette démarche ne parut pas venir de son seul mouvement ; les partis violents que l'on était capable de prendre, supposé la docilité de Monsieur de Cambrai à suivre ses conseils, étaient un dernier effort que l'on voulait tenter pour supprimer des lettres qui faisaient une grande impression dans le public, et ces menaces n'ayant rien produit, on fit tomber sur les personnes qui lui étaient le plus attachées ou qu'on crût le plus de ses amis, une partie de l'indignation (128) que l'on avait conçue contre lui. L'on chassa d'auprès de Messieurs les princes les abbés de Beaumont et de Langeron174, Dupuis175 et l'Echelle, et l'on ne lui laissa pas ignorer le sujet de leur disgrâce.

Cette aventure fit beaucoup de bruit et l'on en jugea diversement. L'on crut qu'ils avaient eu trop de part à la publication des écrits de Monsieur de Cambrai et que c'était par leur canal qu'ils étaient répandus à la Cour et à la ville176 ; qu'ils étaient des agents peut-être trop zélés qui l’instruisaient de tout ce qui se passait ou qui pouvait mettre quelque obstacle aux impressions que l'on voulait donner de Monsieur de Cambrai à Monsieur le Duc de Bourgogne177. D'autres crurent que les prélats par ce coup d'autorité avaient voulu faire montre de leur crédit à la Cour de Rome où l'on allait avec trop de circonspection à leur gré, et où leurs agents voulaient que la faveur de la Cour fût la règle du jugement qui s'y poursuivit. Quoi qu'il en soit ces quatre Messieurs eurent ordre de se retirer, et quelques instances que pût faire Monsieur le Duc du Beauvilliers auprès (129) du Roi, il n'en put rien obtenir. Le Roi lui témoigna qu'il combattait depuis très longtemps en lui-même pour lui épargner la peine qu'il prévoyait qu'il en aurait, qui s'était dit d'avance toutes les choses qu’il lui marquait, mais que dans un point aussi essentiel que celui de l'éducation des princes ses petits-enfants, il ne pouvait laisser plus longtemps auprès d’eux des personnes si suspectes sur la doctrine.

[M. le duc de Beauvilliers insista, du moins pour qu'on leur laissât leurs pensions…]

Monsieur le duc de Beauvilliers insista, du moins pour qu'on leur laissa leurs pensions, mais il ne put rien obtenir et quoique Monsieur le Duc de Bourgogne fut déjà marié, on lui redonna de nouveaux gentilshommes de la Manche pour leur ôter toute espérance là-dessus. Les amis de Monsieur de Cambrai se trouvèrent fort consternés depuis cette aventure et peu de temps après Monsieur de Meaux fit un écrit sur les faits qui fit une impression prodigieuse contre lui et contre tout ce qui était lié d'amitié avec ce prélat. C'était la Relation du quiétisme. Madame Guyon y est peinte avec des couleurs qui causaient un ridicule, un mépris et une indignation à soulever (130) contre elle tout le genre humain. Monsieur de Meaux y trouvait le moyen de les faire également retomber sur Monsieur de Cambrai en les confondant ensemble. Tout y était plein d'art et de tours pour rendre sa personne odieuse ; et le ton affirmatif sur lequel il l’avait pris ne permettait pas de douter de la vérité des faits qu'il y alléguait. Il en distribua des exemplaires à toute la Cour qui était pour lors à Marly et ce fut un spectacle assez curieux pendant quelques jours de voir les courtisans et les dames par pelotons lire cet ouvrage ; y faire des commentaires à leur mode et les accompagner de réflexions telles que la matière les pouvait suggérer. Le roi ordonna qu'ont lu cet écrit à Monsieur le Duc de Bourgogne et le triomphe de Monsieur de Meaux fut complet.

Les personnes les mieux disposées en faveur de Monsieur de Cambrai haussaient les épaules et ne savaient que répondre sur des détails si bien circonstanciés. Ils ne croyaient pas même qu'il ne put jamais répondre rien de précis sur les faits y est rapporté, et la tempête fut (131) telle qu'il n'y eût personne qui osa dire un mot en sa faveur. Ses amis les plus considérables parurent violemment attaqués ; l'on faisait retomber sur eux indirectement une partie des choses qu'on lui imputait et comme ils avaient des emplois considérables sur lesquels chacun formait des vues, il ne se trouva que trop de gens qui poussèrent à la roue et qui secondèrent les intentions de Monsieur de Meaux.

Ces amis de Monsieur de Cambrai crurent dans cette occasion avoir lieu de se louer de Monsieur de Paris dont les sentiments étaient plus modérés, et en effet si ce prélat eût secondé les efforts de son confrère on aurait engagé la piété du Roi en des choses fort contraires à son inclination. Monsieur de Meaux disait assez haut à qui le voulait entendre qu’en vain l'on avait ôté d'auprès de Messieurs les Princes ceux qu'on en avait chassés, tant qu'il en restait de beaucoup plus considérables par leurs emplois et par la confiance qu'ils y avaient. Madame de Maintenon faisait en quelque façon les honneurs de cette relation et appuyais de son témoignage (132) certains faits sur lesquels on aurait eu peine à en croire Monsieur de Meaux sur sa parole. Enfin jusqu'au silence de Monsieur de Cambrai qui fut quelque temps sans y répondre, tout conspire à l'accabler.

Ce n'est pas qu'il n’eût de quoi le faire et qu'il ne lui fut aisé de faire retomber sur Monsieur de Meaux lui-même une partie des choses qui venaient de soulever le public ; mais il était retenu par des considérations qui lui faisaient craindre d'entraîner ces mêmes amis dans sa disgrâce. Il lui revenait de plusieurs endroits qu'elle serait infaillible s'il publiait certains détails sur lesquels leur témoignage était nécessaire, et on lui faisait craindre d'irriter un pouvoir capable de les perdre, mais qui avait encore quelque ménagement pour eux178. Cela l'arrêta quelque temps et cependant il répondit à la lettre de Monsieur de Paris par une Latine qu'il se contenta d'envoyer à Rome ; il se justifie de tous les faits sur lesquels Monsieur de Paris l'attaque par les vingt questions qu’il lui avait faites à Saint-Cyr au commencement de l'année précédente en présence de Madame de Maintenon et de Monsieur le Duc de (133) Chevreuse : elles y sont toutes rapportées, un reste d'amitié et de considération pour ce prélat [M. de Paris] l'empêcha apparemment de la faire publier en France ; mais comme elle était nécessaire au Saint-Office pour détruire l'impression qu'avait pu y faire celle de Monsieur de Paris il l'envoya à Rome et il en vint par le canal de l'abbé Bossuet quelque exemplaire à M. de Paris et à M. de Meaux : ce dernier en la citant dans un de ses écrits postérieurs a montré par là qu'il l’avait lue et M. de Paris qui l’avait lue comme lui ne s'est jamais mis en devoir d'y répondre pour n’en contester aucun fait. D'ailleurs cette lettre a été peu connue.

Peu de jours après cette lettre à Monsieur de Paris, Monsieur de Cambrai publia sa réponse à la Relation et sans y compromettre personne il rendit les faits sur lesquels il avait été attaqué si palpables et si sensibles qu’on y découvrit les motifs de la persécution de Monsieur de Meaux et sur quel fondement il avait détourné une dispute purement dogmatique en une discussion si odieuse sur les faits. (134) [mot illis.] eut un succès qui passa ses espérances, et le public à qui l'on [en] avait imposé se tourna contre Monsieur de Meaux et conçut contre lui une indignation dont il n'est pas revenu. Ce prélat y répondit par un écrit intitulé Remarques de Monsieur de Meaux ; mais il lui attira une autre réponse si triste pour ce prélat et qui mit tout le monde si bien au fait qu'il ne s'avisa plus d'écrire sur cette matière qu'il aurait mieux fait de ne traiter jamais.

Comme ces écrits de Monsieur de Meaux et de Monsieur de Cambrai sur le procédé ont été entre les mains de tout le monde, je n'entre dans aucun détail de ce qui les regarde ; on peut les lire et tout homme un peu censé en peut porter jugement.

Monsieur de Meaux dans la réponse aux quatre premières lettres de Monsieur de Cambrai s'était comme engagé de ne plus écrire sur la doctrine ; en effet cette matière devait être épuisée après la déclaration des évêques, le Summa doctrinae et ce gros volume qu'il avait publié sous le nom de divers écrits, mais cela ne lui paraissant pas suffisant, les trois autres petits traités latins qu'il envoya à Rome (136) pour tenir les consulteurs du Saint-Office en haleine.

Il fallut encore que Monsieur de Cambrai y répondît. Tout cela retardait le jugement de l'affaire et Monsieur de Meaux criait de toutes ses forces qu'il [M. de Cambrai] ne cherchait qu'à prolonger et à éluder. Il est arrivé plusieurs fois dans le cours de cette affaire qu'au même temps que ce prélat venait de donner quelque chose de nouveau au public, il mettait tout en œuvre et faisait employer les instances et l'autorité de la Cour pour avoir un prompt jugement de Rome ; et sitôt que Monsieur de Cambrai il avait répondu, il demandait avec la même instance qu'on lui donnât le temps de faire quelque chose de nouveau, comme si le Saint-Siège n’eut rien dû décider que suivant les impressions qu’il lui donnait.

Ce prélat après avoir publié sa Relation assura publiquement que Monsieur de Cambrai aurait une entière liberté de publier ses défenses comme s'il eut été injuste de l'attaquer et de se servir de l'autorité pour l'empêcher de répondre aux choses qu'on lui imputait ; mais soit qu'il n'en (136) fut pas le maître ou que les fréquentes réponses de Monsieur de Cambrai embarrassassent ses parties, l’on arrêta aux portes de Paris par ordre du lieutenant de police les premières lettres à Monsieur de Chartres sur son Ordonnance pastorale. Cette violence et la manière dont on fit signer un grand nombre de docteurs contre les usages de Sorbonne, qui donnèrent une espèce de jugement anticipé pendant qu'on était si attentif à celui qui se préparait à Rome ; de plus l'éclat qui fit une disgrâce plus éclatante de ce prélat au commencement de l'année 1699 par son appartement de Versailles donné179 et ses appointements de précepteur des princes rayés de dessus l'état de la maison, tout cela fit juger qu'on ne voulait plus garder de mesures avec lui et qu'on le pousserait aux plus grandes extrémités.

Dès que l'affaire avait été portée à Rome, les ministres de cette Cour avaient fait tous leurs efforts pour qu'on trouvât moyen de l'accommoder en France. Ils prévoyaient que la Cour ne les laisserait pas entièrement libres, et que de quelque côté qu’on penchât la faveur, cela pourrait les géhenner ou (137) qu'elle paraîtrait du moins avoir trop de part dans un jugement touchant la doctrine. Ils en écrivirent au Nonce à Paris, ils en parlèrent aux agents que les prélats avaient à Rome, mais cette affaire n'était point en termes d'accommodement, on les avait trop constamment rejetés, et la disgrâce de Monsieur de Cambrai devenue publique donnait une nouvelle hauteur à Monsieur de Meaux qui s'était rendu le maître de l'affaire et qui en était comme le modérateur.

Cette tentative n'ayant pas réussi ils espérèrent que le temps y apporterait des adoucissements, et crurent que la longueur des procédures du Saint-Office fournirait d'elle-même des expédients qui leur éviteraient un jugement. Pour cet effet ils donnèrent aux parties tout le temps qu'ils purent souhaiter pour faire leur production et commencèrent l’affaire dans toutes les formes d'une procédure judiciaire.

[Le livre fut remis entre les mains des consulteurs du Saint-Office]

Le livre fut remis entre les mains des consulteurs du Saint-Office parmi lesquels s'en étant trouvé un qui n'était pas du goût de Monsieur de Meaux pour avoir été examinateur du livre du cardinal Sfondrat, l'abbé Bossuet fit tant de (138) bruit et ses amis insistèrent si fort pour qu'il en fût ôté qu'il fallait leur donner cette satisfaction. C’était un cordelier nommé le père Jean Damascene. Quelque temps après ils se plaignirent de ce que le Pape n'avait donné que des religieux pour examiner le livre ; par complaisance pour eux, l'on y ajouta deux nouveaux sujets qui furent Monsieur Rhodolowich Archevêque de Chietti depuis Cardinal et le père Joseph Lambert Ledroit Evêque de Porphyre, sacriste [sacristain] du Pape et docteur de Louvain. Les religieux étaient le père Philippe de Saint-Nicolas qui avait été général des Carmes, homme d'une grande piété ; le père Paulin Bernardini maître du sacré palais dominicain, François Massoulié autre dominicain de la province de Toulouse, le père d'Elmiro bénédictin, le père Alfaro jésuite ; le père Gabrielis feuillant depuis Cardinal, le père Granelli franciscain, et le père Serani augustin, tous théologiens et tous de réputation dans leurs ordres.

La Congrégation des consultants ayant été formée, le Pape nomma les cardinaux Norris et Ferrari (129) pour être présent à tout ce qui s'y passerait et lui en rendre compte. Il tinrent leurs assemblées pendant près de huit mois pendant lesquels ils travaillaient à cette affaire avec une application extrême. Ils se trouvèrent partagés au bout de ce temps-là, et de dix qu'ils étaient, cinq furent d'avis de censurer le livre, les cinq autres voulaient que la doctrine en fût saine et irrépréhensible, jusque là que l'archevêque de Chietti dit ouvertement qu'il fallait ou brûler les livres de Sainte Thérèse et de Saint François de Sales ou admettre celui de Monsieur de Cambrai qui contenait la même doctrine et les mêmes principes. Ces cinq consulteurs étaient les plus considérables et par leur doctrine et par leur piété, c’était l'archevêque de Chietti, l'évêque de Porphyre, l’ex-général des Carmes, le père Gabrielis et le père Alfaro. Les cinq contraires étaient les deux dominicains, le père d'Elmiro, le père Serani et le père Granelli. Ces derniers n'étaient pas unis dans leurs sentiments. Quelques-uns d’eux admettaient des propositions que les autres rejetaient et quoiqu'il (140) voulussent tous également la censure, c'était par des conséquences dont ils ne reconnaissaient pas entre eux. Leurs adversaires leur opposaient que ces propositions qu'ils condamnaient n'étaient point du livre de Monsieur de Cambrai, qu'il se trompait dans le fait, et que pour mettre les cardinaux et le Saint-Père en état d'en juger sans beaucoup de discussion, ils n'avaient qu'à écrire dans la première colonne d'une page la proposition qu'ils condamnaient dans le livre, et ils offraient de mettre à côté dans la seconde colonne la proposition contradictoire tirée du texte et des propres termes du livre. Là-dessus l'on rejeta trente-sept propositions que les consultants opposés au livre avaient extraites comme manifestement contraire à son vrai texte, et l'on en arrêta ensuite un certain nombre dont toutes les parties convinrent unanimement, mais dont les uns et les autres des conséquences bien différentes.

Il y avait près de trois semaines que les assemblées des consultants était finies sans qu’on sût pourquoi ils ne donnaient point leur volume, c’est (141) ainsi qu'on appelle le sentiment particulier de chacun des examinateurs, mais enfin l'on en pénétra la raison. Ceux qui étaient favorables à Monsieur de Cambrai soutenaient que son livre et les propositions que l'on en avait extraites étaient orthodoxes tant pour la doctrine que pour les expressions ; ceux qui lui était contraires ne convenaient ni sur les endroits du livre qui leur paraissaient répréhensible pour les propositions qu'ils rejetaient, ni pour la qualification qu'il leur voulait donner, les uns admettant et rejetant ce que d'autres ne voulaient ni admettre ni rejeter, de sorte que leurs suffrages n'ayant aucune force contre ceux de leurs adversaires, l'on voulut qu'ils se fixassent aux seules propositions dans lesquelles il convenait tous cinq. Pour cet effet ils firent plusieurs assemblées chez le père Massoulié qui était regardé comme leur chef et celui qui entraînait le maître du sacré palais et les autres, et s'étant enfin fixés entre eux, l'affaire fut portée devant les Cardinaux.

L'intervalle qu'il y eût entre la fin de la première (148) Congrégation qui était celle des consulteurs et celle des Cardinaux qui ne commença qu'assez longtemps après, donna lieu à l’abbé Bossuet de tenter un Jugement précipité en faisant venir des lettres très pressantes du Roi au Pape aussi bien que du Nonce qu'il voulait faire cadrer avec le temps où les consulteurs qui lui étaient favorables devaient donner leur volume et l'appuyer de toutes leurs forces. Il espérait que ces dernières impressions que l'on prendrait contre le livre effaceraient les premières qui lui étaient si favorables et que ses lettres survenant là-dessus jointes à la faveur des parties de Monsieur de Cambrai entraîneraient les Cardinaux que le grand âge du Pape et la vue d'un prochain conclave devaient rendre fort attentifs à ne pas déplaire à la Cour de France. Il crut avoir si bien pris ces mesures que ses amis publiaient avec une entière confiance que le mercredi 21 mai l'affaire serait rapportée devant les Cardinaux et le lendemain sans manquer jugée devant le Pape suivant les intentions du Roi.

Le Saint-Père ne jugea pas à propos d'aller si (149) vite dans une affaire de cette importance, et voulut qu'elle fût traitée avec toute l'application possible. Pour cela il ordonna que l'on tiendrait trois congrégations par semaine les examinateurs donneraient leur votum en présence des Cardinaux selon le style du Saint-Office.
Il fut encore réglé que sur chacune des propositions que les examinateurs contraires au livre lui attribuaient, les examinateurs qui le soutenaient, répondraient sur le fait et sur le droit, parce qu'ils assuraient que ces propositions prétendues n'étaient point en effet celles du livre et que par la suppression de quelques mots qui suivaient ou précédaient, on faisait des propositions qui lui étaient contraires et à son vrai sens.

Ce fut sur ce pied qu’on commença l’affaire dans la congrégation des Cardinaux. L'on y porta trente-huit propositions extraites du livre de Monsieur de Cambrai du consentement unanime de tous les consulteurs, tirées du Saint-Office où elles avaient été déposées comme le fondement de la question à juger. Les consulteurs eurent ordre de se trouver le 26 mai à la Minerve pour y rendre compte (180 ) de leur votum et y dire leur sentiment sur chacune des propositions, ce qu'ils firent les uns et les autres dans la suite ; non plus comme de simples consulteurs qui devaient proposer simplement leurs pensées sur la matière dont il était question, mais en parties intéressées qui avaient adopté la doctrine qu'ils défendaient et qui croyaient l'Église en péril si l'on y donnait quelque atteinte, mais à peine commençait-on de discuter cette affaire dans la congrégation des Cardinaux qu'on apprit la disgrâce du neveu de Monsieur de Cambrai et des trois autres181. Cette nouvelle donna un air de triomphe aux parties182 de Monsieur de Cambrai et consterna étrangement ceux qui s'intéressaient pour ce prélat. Ce coup d'autorité embarrassait la cour de Rome. Ceux qui y allaient tout à la bonne foi, assuraient qu'on n’aurait point d'égard à toutes ces démarches de la Cour de France dans un jugement qui regardait la doctrine de l'église, et qu'au contraire elles ne serviraient qu'à faire faire plus d'attention sur ce qui pouvait la mettre hors d'insulte ; que Rome ne pouvait s'empêcher de sentir la hauteur des parties de Monsieur de Cambrai qui voulait que le jugement (149) qu'ils faisaient du livre fût celui de l'Église ; prévenant ou plutôt ne comptant pour rien celui du Pape ; que c'était surprendre la religion du Roi pour empêcher qu'un archevêque qu'ils condamnaient sans autorité ne pût trouver un asile assuré entre les bras et dans le sein même du souverain Pontife il s'était venu réfugier ; qu'enfin c'était déshonorer l'église de Rome de croire qu'elle fut capable de céder ainsi à la faveur des princes dans une affaire de Religion.

D'un autre côté il était aisé de juger de l'embarras la devait jeter cette faveur si déclarée pour les parties de Monsieur de Cambrai et l'indignation que l'on faisait paraître contre les amis de ce prélat. On n’ignorait point que ces prélats avaient seuls la liberté de parler au Roi sur cette affaire et qu'ils avaient un canal secret et assuré pour lui donner toutes les impressions les plus favorables à leur cause. L’on sentait plus que jamais l'autorité de la France et depuis plusieurs siècles jamais Rome n'avait été si attentive à ne rien faire (146) qui pût être désagréable à nos Rois que dans la circonstance présente ; ou la mort prochaine du Roi d'Espagne exposait toute l'Europe et principalement l'Italie à de si grands changements. Il n'est guère possible, disait-on, qu'on puisse s'empêcher de plier sous le poids d'un si grand fardeau, quand même on voudrait employer toutes ses forces pour le soutenir ? Comment résister à une si grande autorité quand elle-même rend un témoignage si public du terrible scandale que cause un seul livre dans tout un Royaume, car c'était sur quoi le Roi appuyait le plus. Comment n'en pas craindre les suites pour la bonne doctrine, ajoutait-on, il n'est jamais permis de l'abandonner, il faut même la défendre, mais si la flétrissure d’un livre est nécessaire pour apaiser de si grands troubles, le bien de l’Église et la sagesse de son gouvernement veulent sans doute qu’on l’accorde à un prince pieux qui la demande pour la paix de tout son royaume.

C’était ainsi qu’on raisonnait à Rome et joignant à cela les liaisons anciennes et fort étroites de Monsieur de Meaux, de Monsieur de Paris et de Monsieur de Reims avec (147) plusieurs Cardinaux du Saint-Office, et ceux mêmes qui s’y étaient acquis plus d’autorité par leur doctrine, sans parler du parti des jansénistes qui y avait pour lors un grand crédit, on commença d’avoir mauvaise opinion de l’affaire de Monsieur de Cambrai et de croire qu’il y succomberait.

Dès le commencement que cette affaire avait été portée à Rome, les jansénistes firent pressentir ce prélat sur les engagements que depuis longtemps ils avaient voulu prendre avec lui, et crurent la conjoncture favorable pour y réussir ; ils lui représentèrent qu’il aurait peine à soutenir cette affaire s’il ne se procurait des amis puissants, habiles, savants et capables de donner de la réputation comme de l’ôter, que les jésuites étaient des gens décriés, sans amis, qui lui attireraient la haine et le mépris de tous les honnêtes gens, en un mot ils lui répondirent du succès s’il voulait se lier à eux. Ces offres le firent aucun effet sur l’esprit de Monsieur de Cambrai : il remercia ces gens qui lui parlèrent de l’intérêt qu’ils semblaient prendre à ce qui le (148) touchait, il les assura qu’il aimait et honorait ceux d’entre les jésuites en qui il trouvait de la piété et du savoir, comme il honorait la vertu partout où elle se trouvait sans embrasser aucun un intérêt de parti, et qu’il espérait de la bonté de sa cause et de la justice du Saint-Père qu’on n’abandonnerait pas une doctrine que l’on avait déjà canonisée à Rome en canonisant tant de saints qui l’avaient enseignée.

Cette réponse et l’opposition qu’il avait pour leurs sentiments dont toutes les lettres à Monsieur de Paris et à Monsieur de Meaux sont pleines, leur ayant fait connaître combien il leur était opposé, ils mirent tout en œuvre pour le faire succomber, et ceux qui ont tant soit peu de connaissance des souplesses et des intrigues du parti, n’ignore point combien il a de ressources pour parvenir à la fin qu’il se propose.

Le Pape cependant paraissait assez bien intentionné en faveur de Monsieur de Cambrai, il en parlait avec éloge et même avec tendresse toutes les fois que l’abbé de Chanterac se trouvait à (149) portée de lui rendre compte de ses sentiments et de sa soumission, et depuis que ces explications eurent paru, il assura plusieurs fois cet abbé qu’il n’y avait rien à souhaiter dans la doctrine de ce prélat, et qu’il s’agissait seulement de la conformité qu’elle avait avec son livre. Pendant le cours de cette affaire, on chercha divers expédients pour concilier ces prélats si opposés, celui-ci entre autres ; que le Saint-Père proposât un certain nombre de principales et plus importantes maximes des bons mystiques, qu’il donnat comme la règle de ce qu’on devait croire et enseigner sur ces matières, et qu’il parlât toujours affirmativement et jamais négativement, c’est-à-dire ne rapportant aucune des propositions ou expressions qui pourraient être censurées ou rejetées, mais se servant seulement de celles qui expliqueraient clairement et sûrement la bonne mystique ; que par là aucun des prélats n’aurait sujet de se plaindre ; et qu’on les réunirait nécessairement, puisque chacun d’eux se ferait honneur de dire que ces propositions du Pape étaient (150) la vraie doctrine qu’il avait enseignée, qu’il n’en croyait point d’autre ; qu’il rejetait et condamnait tout ce qui lui pourrait être contraire ; et qu’ainsi la paix serait rétablie dans un moment et la foi et la bonne mystique dans une parfaite sûreté pour le présent et l’avenir.

Sur ce fondement, quelques jours avant la décision de l’affaire, le Pape dans une des dernières congrégations proposa aux cardinaux d’examiner entre eux s’il ne serait pas plus à propos de la terminer par un décret dogmatique qui renfermerait sous certains chefs la doctrine de l’Église sur les matières de la vie spirituelle et intérieure, et qui marquerait ce que l’on devait croire et ce que l’on devait rejeter comme l’on voyait dans les Canons du Concile !

Le Cardinal Casanata rejeta hautement cette proposition. C’était disait-il autoriser le livre de Monsieur de Cambrai dont les propositions étaient insoutenables, et de plus que cela les rejetterait dans des longueurs insupportables qui les brouillerait avec le Roi, que cette affaire durait depuis trop longtemps, qu’ils avaient à juger du (151) livre dont l’instruction était suffisamment faite ; et que toute autre partie les éloignait de la fin pour laquelle ils étaient assemblés ; on lui répondait que cet expédient était utile à la religion, qu’il instruirait des vérités que l’on devait croire, qu’il détruirait toutes les erreurs jusque dans la racine ; et qu’il satisferait pleinement au désir de la lettre du Roi qui demandait une décision claire, nette, et qui ne laissa aucun détour sur la doctrine. L’ont rejeta ce parti, et le Cardinal fut soupçonné d’avoir eu des égards en matière de religion pour la Cour de France ; et d’en avoir voulu ménager la faveur qu’il avait trop négligée autrefois ; en effet on y avait pris des impressions contre lui qu’il avait intérêt d’effacer dans la conjoncture d’un prochain conclave. Enfin le jugement tant attendu parut au bout de dix-huit mois que l’affaire avait été portée à Rome. Le Pape donna un bref portant condamnation du livre et de vingt-trois propositions qui en étaient extraits, ainsi qu’on le peut voir par le bref même qui est entre les mains de tout le monde.

[Sitôt que M. de Cambrai apprit la décision du Saint-Père, il se mit en devoir d’exécuter ce qu’il avait promis]

(152) Sitôt que Monsieur de Cambrai apprit la décision du Saint-Père, il se mit en devoir d’exécuter ce qu’il avait promis si solennellement touchant sa soumission au Saint-Siège. Il fit un mandement par lequel il condamna tant le livre que les vingt-trois propositions précisément dans les mêmes formes et avec les mêmes qualifications, simplement et absolument et sans aucune restriction, et en défendit la lecture à tous les fidèles de son diocèse.

La forme dans laquelle ce jugement était rendu se trouvant peu conforme aux usages de France, le Roi fit tenir des assemblées provinciales pour convenir des moyens les plus propres à le faire recevoir. Dans celle de la province de Cambrai, l’évêque de Saint-Omer insinua deux choses qui tendaient à faire voir que le mandement de Monsieur de Cambrai n’était pas suffisant dans la conjoncture présente, l’une qu’il semble ne contenir qu’une soumission de respect et non une soumission intérieure que l’Église a toujours exigée de cœur et de bouche en de semblables cas, et pour cela il rapporte l’exemple de ce qui s’est passé dans la condamnation de (153) Jansénius et de ce qui a été pratiqué pour recevoir la foi du Concile de Trente. L’autre qu’il eût été à désirer que le mandement eût exprimé quelque sorte de repentir, qu’il paraît à la vérité qu’on se console de ce qui humilie, mais que l’on n’y dit pas que l’on s’humilie soi-même.

Quelque humiliant que fut ce discours pour Monsieur de Cambrai, il y répond avec modération que l’assemblée se tient par ordre du Roi, non pour examiner son mandement et en juger, mais pour faire recevoir et accepter la constitution du Pape et convenir des moyens pour en rendre l’exécution ponctuelle et uniforme ; qu’il reçoit néanmoins sans conséquence et par pure déférence les avis d’un confrère qu’il respecte ; ensuite il explique d’une manière simple et précise les termes qu’il employait dans son mandement pour faire voir la sincérité de sa soumission et combien elle est éloignée de toute équivoque ; néanmoins qu’il ne peut avouer contre sa conscience qu’il ait jamais cru aucune des erreurs qu’on lui avait (154) imputées, qu’il avait pensé seulement que son livre avec les correctifs qu’il avait cru y mettre, ne pouvaient signifier l’erreur ni la favoriser, mais qu’il renonçait à son jugement pour se conformer pleinement à celui du Saint-Siège.

Il ajoute ensuite qu’on ne peut faire aucune comparaison entre la condamnation du livre de Jansénius et celle de son livre par ce que les propositions de Jansénius sont qualifiées chacune en particulier comme hérétiques, et que la plus forte des qualifications portées contre les propositions du sien n’est que celle d’erronée respective. Enfin qu’il avait tâché de recevoir par des paroles humbles et soumises l’humiliation qui lui venaient du Saint-Père, et que si Sa Sainteté trouvait sa soumission défectueuse, il était prêt à l’augmenter et à la faire telle que le Saint-Siège la croirait à propos.

Quant aux écrits qui avaient été faits pour la défense du livre, le même M. de Saint-Omer ayant insisté qu’on les supprimât, prétendant (155) que ce n’était point pourvoir suffisamment au péril des âmes qui pourraient se laisser surprendre à l’erreur, que de laisser en leur entier des écrits qui en faisaient l’apologie, Monsieur de Tournai et Monsieur d’Arras furent du même avis, Monsieur de Cambrai leur représenta

. Qu’après les marques d'une soumission aussi complète et aussi sincère que celle qu’il avait donnée l’on ne pouvait raisonnablement rien craindre de l’impression que pourraient faire les endroits de ces mêmes écrits qui ont expliqué trop favorablement et trop bénignement, mais de très bonne foi le texte condamné.

. Que le pape n’ayant ni condamné ni prohibé ses écrits quoique répandus dans Rome et partout ailleurs, il n’était pas convenable d’aller plus loin que le Bref de Sa Sainteté ; et que la lettre du Roi tentait seulement à le faire recevoir avec le respect qui lui était dû.

. Que ces écrits postérieurs contiennent beaucoup d’autres choses qui ne regardent nullement le (156) texte du livre condamné ni le jugement porté par le Bref, entre autres une discussion de faits personnels à la suppression desquels il ne pourrait consentir sans s’ôter à soi-même les seules pièces qui peuvent montrer son innocence pour l’honneur de son ministère. Ces messieurs ne jugèrent pas à propos d’entrer dans ces raisons, de sorte que Monsieur de Cambrai au nom et comme président de l’assemblée conclut à la pluralité des voix, en déclarant pourtant que c’était contre son sentiment, que le Roi serait très humblement supplié d’ordonner que les ouvrages faits pour la défense du livre seraient et demeureraient supprimés. Monsieur de Tournai et Monsieur d’Arras ne voulurent point écrire leurs raisons et se contentèrent de les dire de vive voix en opinant.

Les premières assemblées provinciales en petit nombre conformément et au désir de la lettre du Roi reçurent la constitution du pape et en ordonnèrent la publication sans faire aucune mention des écrits apologétiques de Monsieur de Cambrai (157), mais après celle de Paris qui la première en demanda la suppression, la plupart suivit le même exemple et demanda qu’ils fussent supprimés dès que les procès-verbaux en eurent été envoyés à la Cour. Le roi fit expédier des lettres patentes le 4 août 1699 qui ordonnèrent la publication du Bref et bientôt après elles furent enregistrées dans tous les parlements du Royaume. Enfin pour donner la dernière main à cette affaire le clergé assemblé à Saint-Germain-en-Laye en l’année 1700 ordonna à Monsieur de Meaux lui-même comme plus instruit que nul autre de toute cette affaire d’en faire une mention sommaire qui serait insérée dans le procès-verbal de l’assemblée. L’on fit un bureau pour cela dont était Monsieur l’abbé Bossuet et où ce prélat présida. L’on peut voir par le même procès-verbal avec quelle exactitude il s’acquitta de cette commission.

Je ne parle point des sujets de plainte que ces trois prélats crûrent avoir lieu de faire contre Monsieur le Cardinal de Bouillon dans le cours de cette affaire, il apparut que sa disgrâce commença dès lors (158) par les impressions qu’ils donnèrent au Roi du peu d’égard qu’il avait eu pour ses ordres. Quoi qu’il en soit, il est certain d’un côté que Monsieur le cardinal de Bouillon avait beaucoup d’inclination pour servir Monsieur de Cambrai et peut-être encore plus pour diminuer le triomphe de ses parties qu’il n’aimait pas. D’un autre côté aussi il n’avait ni assez d’intelligence du fond de la matière ni assez de zèle pour les voies intérieures ni assez de désintéressement pour résister à l’indignation de la Cour dont il était menacé ; ainsi en cédant au torrent et à l’autorité aux dépens de son ami, il lui fit en en un sens contre son intention plus de mal que ses ennemis mêmes.

Lorsque l’abbé de Chanterac alla prendre congé du Pape, Sa Sainteté le chargea d’assurer de sa part Monsieur de Cambrai d’une estime très particulière, il parla de sa soumission avec beaucoup d’éloges et lui dit plusieurs fois ces paroles l'habbiamo nel core, joignant ses mains sur la poitrine comme pour l’embrasser avec tendresse. Il ajouta de lui-même qu’il voulait lui écrire et le chargea de voir le cardinal Spada qu’il avait (159) chargé d’en expédier le Bref. Ce Cardinal lui dit qu’il était tout près et qu’il le lui envoyait incessamment, il s’offrit de l’aller prendre chez lui, mais il s’y opposa honnêtement et lui promit de le lui envoyer. Après l’avoir attendu ceux jours inutilement, l’abbé de Chanterac lui envoya une personne de confiance à qui il répondit qu’il était fâché de n’avoir pas encore envoyé, mais qu’il l’aurait incessamment. Cependant comme il parut quelque embarras dans la manière dont le Cardinal accompagna sa réponse, l’abbé de Chanteurac crût que ce dessein du Pape pouvait être traversé par les parties de Monsieur de Cambrai et il ne se trompa point dans sa conjecture. L’on sut bientôt le secret de ce retardement dès que les parties de Monsieur de Cambrai sûrent que le pape avait écrite à ce prélat, ils trouvèrent le moyen d’avoir une copie du Bref et comme il était plein de louanges qu’il lui donnait sur sa doctrine et sa piété, ils mirent tout en œuvre pour en empêcher l’exécution. Les Cardinaux de leurs amis firent naître chaque jour des difficultés sur les (160) expressions du Bref, ils voulaient qu’on en retranchât certains endroits qui leur paraissaient trop avantageux, ils assuraient que la Cour ne serait pas contente qu’on affaiblît par là la condamnation du livre, et firent si bien qui réduisirent Sa Sainteté ou à n’en point donner du tout ou de l’envoyer au Nonce pour s’assurer qu’on en serait content. Là-dessus le cardinal Spada fit dire à l’abbé de Chanterac qui ne pouvait pas l’en charger comme il le lui avait proposé d’abord, et qu’on enverrait au Nonce qui le ferait tenir à Monsieur de Cambrai. Mais le cardinal Albano représenta au pape que c’était trop assujettir le Saint-Siège au sentiment des Cours étrangères que de leur faire voir cet excès de timidité, qu’un Pape n’osa écrire à un archevêque sans convenir avec les princes de ce qui devait faire la matière de ses Brefs. Votre Sainteté, ajouta-t-il, ne peut refuser à un archevêque soumis le témoignage que vous lui devez sur la pureté de sa doctrine contenue dans ses écrits, il est en droit de vous le demander et il (161) vous réduirait à le lui donner quand même. Vous tâcheriez d’éluder pour ne le faire pas ; ce discours du cardinal Albano qui est le Pape d’à présent détermina tout d’un coup le Saint-Père a ordonner qu’on remettrait le Bref entre les mains de l’abbé de Chanterac et le cardinal Spada le lui envoya à deux heures de nuit la veille de son départ, mais si défiguré par les divers changements que l’on y avait faits que ce n’était plus le même. L’ont pris même la précaution de l’envoyer tout scellé sans lui envoyer de copie de peur qu’il ne le fît voir à Rome et que ses parties n’en fussent irritées.

(fin)



ÉTUDES (J. Baruzi, L.Cognet, J.Orcibal, autres références)






[1931] Jean BARUZI, SAINT JEAN DE LA CROIX […]

SAINT JEAN DE LA CROIX et LE PROBLÈME DE L’EXPÉRIENCE MYSTIQUE par JEAN BARUZI

DEUXIÈME ÉDITION REVUE ET AUGMENTÉE D’UNE PRÉFACE NOUVELLE

PARIS LIBRAIRIE FÉLIX ALCAN 1931


LIVRE IV LA SYNTHÈSE DOCTRINALE

CHAPITRE II UNE CRITIQUE DES APPRÉHENSIONS DISTINCTES

« porque el amor es obrar en despojarse y desnudarse por Dios de todo lo que no es Dios... »

Subida, II, IV. /1

La doctrine de Saint Jean de la Croix, en son affirmation essentielle, a été si profondément comprise par Fénelon, et aussi par Mme Guyon, que l’on serait d’abord tenté de faire appel à eux pour la ressaisir. Fénelon sait découvrir dans l’attitude de Jean de la Croix une sorte de perception fondamentale, le non-voir/2 ; il rappelle avec force que l’âme ne se doit pas arrêter aux « lumières extraordinaires », mais les doit « outrepasser »/3. Mme Guyon insiste, elle aussi, sur la nécessité « d’outrepasser tout ». « Vous m’aviez accoutumée dès le commencement », déclare-t-elle en s’adressant à Dieu, « à la sécheresse et à la privation ; je la préférais même à l’abondance parce que je savais qu’il vous fallait chercher au-dessus de tout. J’avais même, dès les premiers commencements, un instinct au plus intime de moi-même d’outre -

1. “… Car l’amour est travailler à se dépouiller et se dénuder pour Dieu de tout ce qui n’est pas Dieu…”

2. Cf. Maurice Masson : Fénelon et Mme Guyon, Documents nouveaux et inédits. Paris, 1907, p. 122 et note 4, p. 247 et les textes cités ibid.

3. Cf. Fénelon : Explication des maximes des Saints sur la vie intérieure. Édition critique publiée d’après des documents inédits, par Albert Cherel, Paris, 1911, art. ViII Vray, p. 169-170 : “Cette obscurité de la pure Foi ne donne par elle-même aucune lumière extraordinaire. Ce n’est pas que Dieu, qui est le maître de ses dons, ne puisse y donner des extases, des visions, des révélations, des communications intérieures. Mais elles ne sont point attachées à cette voye de pure foy et les Saints nous apprennent qu’il ne faut point alors s’arrester volontairement à ces lumières extraordinaires, pour s’en faire un appuy secret, mais les outre-passer comme dit le bienheureux Jean de la Croix, et demeurer dans la foi la plus nue et la plus obscure.”

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-passer tout et de laisser les dons pour courir au donateur… »/1. Plus encore que Fénelon qui, parlant de notre adhésion à Dieu, nous demande d’outrepasser « tout autre objet distinct »/2 et ne consent pas à faire de la foi elle-même une obscurité que ne soutiendrait pas l’évidence de l’autorité/3, Mme Guyon voudrait aller au-delà de toute donnée distincte ; elle songe à une immersion ; elle trouve « partout, dans une immensité et vastitude très grandes, celui » qu’elle ne possédait plus, mais qui l’avait abîmée en lui »/4. Et telle est la seule « extase » qu’elle juge « parfaite », extase qui ne « s’opère que par la foi nue, la mort à toutes choses créées, même aux dons de Dieu », lesquels « étant des créatures, empêchent l’âme de tomber dans le seul incréé »/5. On pourrait, plus profondément, dire qu’elle n’admet pas l’extase transitoire, mais accepte seulement une « extase permanente » ou absorption, en Dieu, de l’âme anéantie/6. Mme Guyon estime qu’elle retrouve en tout cela la doctrine de saint Jean de la Croix. Elle allègue des textes solidement choisis et oppose avec rigueur.

1. Cf. La Vie de Mme J. M. B. de la Mothe Guion, Écrite par elle-même, A Cologne…, 1720, t. 1, p. 247, partie I, c. XXVI, § 2. Cp. id., t. I, p. 267, partie 1, c. XXVIII, § 6 : « Lorsque j’eus perdu tous les appuis créés, et même les divins, je me trouvai dans l’heureuse nécessité de tomber dans le pur divin. » Cp., Id., t. II, p. 83, partie II, c. VIII, § 7 : « O si les âmes avaient assez de courage pour se laisser perdre, sans avoir pitié d’elles-mêmes, sans regarder à rien ni s’appuyer sur rien, quels progrès ne feraient-elles pas ! »

2. Cf. M. Masson, p. 143, Lettre de Fénelon à Mme Guyon, s. d. (1689) : « Pour l’illusion qui peut sans doute se mêler jusque dans les choses les plus parfaites, je crois qu’on en verra toujours les marques ; mais une personne qui la craint, qui se défie d’elle-même, qui […] marche par le chemin de la foi toute nue et toute obscure, ne trouvera que Dieu, parce qu’elle outrepasse tout autre objet distinct. » Non souligné dans le texte.

3. Cf. M. Masson, p. 246-247.

4. Vie…, t. 1, p. 267, partie I, c. xxviii, § 5.

5. Cf. Vie, t. I, p. 86, partie I, chap. lx, § 10.

6. Cf. Les Justifications de Madame J.-M.-B. de la Mothe Guion, écrites par elle-même… À Cologne… 1720, t. I, p. 179, XV, Non-Désir : « il y a une manière d’aller à Dieu par voie d’élévation au-dessus de soi ; et celle-là est accompagnée d’extases et de ravissements. Il y a une autre manière de sortir de soi par voie d’anéantissement et de nudité ; et celle-là n’a point d’extase c’est une voie toute de mort ; et par cette mort l’âme sort de soi et passe par une extase permanente en son divin Objet… » Cp. Vie, t. I, p. 82, partie I, chap. ix, § 1.

7. Cf. Justifications, t. I, p. 255 sq., 305 sq., 349 ; Vie, t. II, p. 39, P. Il, chap. iv, § 8, t. III, p. 158, P. III, chap. xiv, § 6. — Cf. en particulier, Justifications, t. 11, p. 276, note b, cette remarquable analyse : « … Pour bien entendre ceci, il faut faire attention qu’avant les dernières épreuves, que le B. Jean de la Croix appelle nuit de l’esprit, Dieu ensuite de la nuit du sens ou de la première purification, se communique à l’âme d’une manière beaucoup plus parfaite qu’il n’avait jamais fait ; ainsi qu’il est marqué dans le

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“la voie de lumière distincte” et “la voie de la foi ni. Elle sait ‘qu’il est de très grande conséquence d’empêcher les âmes de s’arrêter aux visions et aux extases parce que cela les arrête presque toute leur vie’/2. C’est sans doute encore l’influence de saint Jean de la Croix qu’elle subit, lorsqu’elle constate, avec la purification passive, un extrême élargissement de son expérience. ‘Sitôt que mon esprit fut éclairé sur la vérité de cet état’, dit-elle, ‘mon âme fut mise dans une largeur immense… Auparavant tout se recueillait et concentrait au-dedans, et je possédais Dieu dans mon fond et, dans l’intime de mon âme ; mais après, j’en étais possédée d’une manière si vaste, si pure et si immense, qu’il n’y a rien d’égal. Autrefois, Dieu était comme enfermé en moi et j’étais unie à lui dans mon fond : mais après, j’étais comme abîmée dans la mer même/3.’ Et elle explique ensuite comment, aux pensées qui se ‘perdaient’ naguère ‘mais en manière aperçue’ a succédé un complet oubli de nous-mêmes par nous-mêmes et après que Dieu, écrit Fénelon, a ‘peu à peu arraché à l’âme tout son senti ou aperçu’/4.

Il n’y a pas lieu de rechercher ici dans quelle mesure l’expérience de Mme Guyon et la pensée fénelonienne ont déformé le système de saint Jean de la Croix/5. En fait, Fénelon et Mme Guyon

Cantique. Mais plus cette faveur est pure et sublime, plus l’absence de l’Époux et la purification qui suit, devient terrible : car il ne se montre que pour fuir avec plus de rigueur. Il faut aussi faire attention que nous avons dit, que ce qui rend les épreuves plus terribles, c’est cette absence de l’Époux jointe à l’expérience de ses misères, aux effroyables peines intérieures, aux persécutions extérieures des hommes et des démons : tout cela joint ensemble est quelque chose de si terrible, que qui ne l’a pas éprouvé ne l’imaginera jamais. L’absence de l’Époux est bien appelée nuit et mort, parce qu’il est la lumière et la vie de l’âme…”

Delacroix observe avec raison : Études…, p.240-241, que les nombreuses citations des Justifications, à la rédaction desquelles Fénelon n’a pas été étranger, ne nous doivent pas faire croire que Mme Guyon ait lu, durant la période de formation, tous les textes allégués.

1. Justifications…, t. I, p. 322.

2. Vie, t. I, p. 82, partie I, chap. ix, § 1. Cf. Justifications, t. I, p. 255 sq. Cf. Delacroix, Études, p. 152 : “Elle s’est toujours défiée de l’extraordinaire ; la voie de lumière lui paraît très incertaine et très inférieure à la voie passive en foi qu’elle veut avoir suivie…” Et Delacroix ajoute que si importants qu’aient été chez elle les phénomènes extraordinaires, ce n’est point sur des faits de ce genre qu’elle s’est appuyée… » (Id., ibid.).

3. Vie, t. II, p. 32, partie II, chap. iv, § 2.

4. M. Masson, p. 241.

5. Seillière estime que Mme Guyon a subi aussi l’influence de sainte Catherine de Gênes ; Cf. Madame Guyon et Fénelon précurseurs de Rousseau, Paris, 1918, p. 7. On sait d’autre part l’influence qu’elle a subie de sainte Jeanne de Chantal et de saint François de Sales. Cf. Delacroix : Études…, p. 243 sq.

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sont allés droit à l’essence. oublions les particularités d’un vocabulaire nouveau et, chez Mme Guyon, un accent sombre, une aspiration a un néant et à une mort qui ne sont plus ni le néant ni la mort auxquels songeait saint Jean de la Croix. Fénelon et Mme Guyon n’en sont pas moins les deux êtres qui, pour la première fois, ont donné à la doctrine de saint Jean de la Croix un prolongement de caractère métaphysique. Par eux, par Mme Guyon surtout, une notion de la foi pure et de l’anéantissement intérieur s’est propagée au-delà de l’Église catholique et dans les groupes spirituels qui, s’ils n’ont sans doute pas connu profondément Jean de la Croix, l’ont du moins inséré dans une tradition de catholiques persécutés où il serait inexact de l’enfermer, mais cdont il serait non moins faux de l’exclure/1. Il y a plus. Fénelon

1. Il est intéressant de voir le nom et l’influence de Jean de la Croix vivants encore chez des spirituels violemment hostiles au catholicisme. Cf. Lettre de Fleischbein, 31 décembre 1765, ap. Chavannes : Jean-Philippe Dutoit, Lausanne, 480, p. 410-211 « J’ai écrit que je croyais tout ce que les saints mystiques de l’Église catholique ont cru, mais que pour cela je n’étais pas papiste. Je ne me soumettrai en effet jamais au pape… Ce clergé, dont l’esprit persécuteur et intriguant s’est révélé par une multitude de crimes, ne permettrait jamais à une personne adonnée à la vie intérieure de lire les livres mystiques, et en partictilier ceux de Mme Guyon qu’il rejette comme hérétiques. Si une telle personne se faisait catholique, elle serait bientôt espionnée et persécutée, comme l’a été Mme Guyon, Jean de la Croix, Molinos ; le Père La Combe, Fénelon et tant d’autres. Il n’y a donc pas moyen de faire réellement profession de la religion catholique. J’écris ceci afin que, lorsque je ne serai plus, cette feuille serve de témoignage… »

Une étude historique concernant Poiret, Dutoit, le comte de Fleischbein, Charles-Hector de Saint-George de Marsay (cf. l’autobiographie inédite de ce dernier, conservée en Suisse aux Archives du château de Changins) et les ermitages tels que ceux qui furent créés par Poiret à Rheinsburg en 1688 ou, par Fleischbein, à Hayn, devrait s’appliquer à démêler ce qui, par delà l’influence de Mme Guyon, rejoint saint Jean de la Croix lui-même. Poiret, à la fin de l’Avis liminaire de son édition de la « Théologie germanique » [cf. La Theologie reelle vulgairement ditte la Theologie — germanique… Amsterdam, 1700], renvoie à Jean de la Croix et « aux premiers livres de ses divines œuvres. » Le paragraphe 3 de la Lettre touchant les auteurs mystiques, ibid., est consacré à Jean de la Croix. Poiret énumère les auteurs qui lui paraissent dériver de Jean de la Croix et en arrive à Matthieu Weyer, qu’il caractérise ainsi : « Enfin un auteur, et même un tableau original et vivant du caractère de Jean de la Croix sur la matière de la Purification passive et rigoureuse, est Matthieu Weyer, particulier qui mourut à Wesel en 1650, homme de douleur et homme éclairé d’en haut… » (Loc. cit. p. 25). Jurieu lui-même qui, dans son Traité historique contenant le Jugement d’un protestant sur la Théologie mystique attaque violemment les Mystiques, et abus qu’ils font des images : (« toute leur théologie », dit-il, « est pleine d’images, de noces, de mariage, de liquéfactions, d’abîmes où ils se plongent, etc. », op. cit., seconde édition, s.l., 1700, p. 31), établit une distinction entre la mystique qui est un allégorisme et celle qui conduit à l’union avec Dieu, « d’essence à essence, sans images et sans milieu » (Id., p. 8). « Quand on en est là » (à l’état de contemplation), écrit-il, « selon le bienheureux Jean de la Cour » (sic), « la méditation devient un moyen bas et un moyen de boue. » (Id., p. 27). Dans un opuscule inédit de Marsay concernant Mme de Rottenhof (ms. qui m’a été obligeamment communiqué par M. le Pasteur Viénot, cf. p. 20 sq.), il est fait allusion à la nécessité de la purification de la nuit obscure.

Une enquête de ce type aurait une portée générale. Elle conduirait celui qui l’entreprendrait à reconstituer un milieu spirituel encore ignoré. Elle nous amènerait d’autre part à mieux connaître l’histoire des rapports de Leibniz et de Poiret, à mieux pénétrer la belle correspondance, encore inédite, de Leibniz et de Morell (Bibliothèque Royale de Hanovre, 99 fos), à mieux classer quelques écrits de Leibniz lui-même.

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et Mme Guyon ont nettement compris que saint Jean de la Croix est étranger à toute expérience qui ne renierait pas les révélations et les visions. Et, en effet, si unies qu’elles soient finalement, si parentes qu’elles soient aussi dans leur plus profond développement, l’expérience de sainte Thérèse et celle de saint Jean de la Croix divergent183. Que sainte Thérèse ait dépassé les paroles et les visions, elle n’en a pas moins combiné l’expérience ineffable et un langage divin qui s’articule. Peu importe ici que Mme Guyon ait eu une expérience chargée de troubles pathologiques. Dans la mesure où elle a compris saint Jean de la Croix, elle adhère à une ligne idéale qui est la seule qui compte pour elle. Henri Delacroix a raison de dire, à propos du mysticisme de Mme Guyon, que c’est à l’Église « de juger ce qui s’accorde ou non avec l’idée qu’elle se fait de la sainteté et de l’expérience chrétienne/1 ». Mais il a raison aussi de marquer que seul celui qui n’aurait pas lu attentivement « les mystiques approuvés, ou tout au moins, certains d’entre eux », pourrait « ignorer ce par quoi Mme Guyon leur est semblable »/2. Ce sont les étrangetés du langage de Mme Guyon et le drame de sa vie qui ont fait méconnaître le substrat de sa doctrine. De même, et inversement, c’est parce que la pensée de Jean de la Croix nous est arrivée mutilée184 et déformée que l’intuition fondamentale n’y est pas aisément discernable. Cette intuition, qu’on le veuille ou non, est ressaisie de façon aiguë, à travers la tradition mystique catholique, par Fénelon et Mme Guyon, qu’elle qu’ait pu être la doctrine qui s’y ajoute et dont Jean de la Croix n’est nullement responsable. Cette doctrine est par elle-même de si grande portée, et si inattendu est le langage qui la recouvre, que nous n’avons pas le droit de percevoir, à travers le guyonisme ou le fénelonisme, la pensée de Jean de la Croix. Mais il était indispensable de noter, à propos d’un exemple significatif, que la mystique de Jean de la Croix, plus intimement que toute autre expérience catholique, rejoint la

1. Delacroix, Etudes, p. 240.

2. Delacroix. Etudes, p. 240. Cf. Henri Bremond, Apologie pour Fénelon, Paris, 1910, p. 32-34 et 379.

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vie spirituelle de ceux, à quelque confession qu’ils appartiennent et qu’ils soient ou non attachés à un dogmatisme déterminé, qui ont chassé de leur pensée toute représentation et même toute notion de Dieu et se sont perdus en une Foi [maj.] qui, en un autre sens que la raison, mais aussi puissamment qu’elle, élimine les pensées médiocres, l’anthropomorphisme grossier, les puérilités, le contenu empirique arbitraire. Par là même, la doctrine de saint Jean de la Croix est liée, non seulement à l’histoire de la spiritualité et de la mystique, mais à l’histoire des idées religieuses et, plus généralement encore, à l’histoire de la pensée. L’état théopathique où nous serons conduits ne nous fera pas découvrir un Dieu à peine dégagé de l’expérience humaine. Quelles que puissent être par ailleurs leurs affirmations, ceux des mystiques qui, comme sainte Thérèse, ont eu un entretien avec un Seigneur, maître de leur activité, ordonnateur de leur pensée, se situent sur un autre plan et, en dépit d’eux-mêmes, sur un plan humain. Jean de la Croix voudrait instaurer en nous une vie divine, au sens strict du mot. Il est de ceux qui ont cru éprouver une expérience de l’infini et, selon la remarque de Fritz de Hügel, peut être compté comme l’un des plus grands parmi ceux-là/1. C’est cette expérience qu’il faudrait surprendre à sa source et en nous fondant, pour remonter jusqu’à elle, sur les textes mêmes, réfléchis en leur pureté native.



1. Fritz von Hügel, t. II, p. 343.

Voici reproduit intégralement l’article185 remarquable (résumé biographique très bien informé (à lire absolument et de préférence à mes résumés). Il fit reconnaître Mme Guyon au sein du monde catholique grâce au courage de son auteur 186 resté toutefois sulpicien prudent d’avant 1968 !

[1967] GUYON (JEANNE-MARIE BOUVIER DE LA MOTTE) par L. Cognet, Dictionnaire de Spiritualité.

écrivain spirituel français, 1648-1717. — 1. Biographie. — 2. Œuvres. — 3. Spiritualité.

Dans le présent article, Mme Guyon est étudiée pour elle-même, indépendamment, autant qu’il est possible, de la controverse du quiétisme, sur laquelle on trouvera tous les renseignements désirables à l’article QUIÉTISME.

I. BIOGRAPHIE

1° Années de formation et mariage.

JeanneMarie Bouvier de la Motte naquit à Montargis le 13 avril 1618. Elle avait pour père Claude Bouvier, écuyer, seigneur de la Motte-Vergonville, procureur du roi. Ce dernier avait contracté successivement deux alliances.

De la première avec Marie Ozon, qu’il épousa en 1622, il eut quatre enfants qui furent tous prêtres ou religieux. Devenu veuf, il se remaria en 1615 avec Jeanne Le Maistre de la Maisonfort, veuve elle-même d’Étienne Ravault de Putteville, dont elle avait eu en 1626 une fille qui fut ursuline sous le nom de Jeanne de Sainte-Marie — La future Mme Guyon fut le premier fruit de cette seconde union ; ultérieurement, il en naquit un fils prénommé Jacques. Elle vint au monde un mois avant terme et toute son enfance fut de santé extrêmement fragile. Ses parents furent l’un et l’autre gens de grande piété, mais la Inére semble avoir été de caractère bizarre et d’une dévotion quelque peu étroite ; en outre, elle aimait peu sa fille et lui préférait ouvertement son frère puiné.

Jeanne n’avait encore que deux ans et demi lorsqu’on essaya de la mettre pensionnaire chez les ursulines, dont la supérieure était une parente. La maladie contraignit à la reprendre et elle grandit à la maison paternelle, abandonnée aux mains des domestiques. Un peu plus tard, en 1652, elle fut mise quelques mois chez les bénédictines de Notre-Dame des Anges, à la demande de la duchesse de Montbazon, amie de son père, qui y résidait comme pensionnaire. Elle y fut malade et dut en sortir.

En 1655, son père, trouvant son éducation par trop négligée, la plaça de nouveau chez les ursulines, où elle fut confiée aux soins de sa demi-sœur paternelle, Marie de Sainte-Cécile Bouvier (1624-1664), religieuse de la plus haute valeur dont la profession avait été reçue en 1610 par Mgr André Frémyot, frère de sainte Jeanne de Chantal. Sous sa direction, la fillette fit de rapides progrès dans le domaine spirituel aussi bien que dans le domaine intellectuel et s’initia à une vie intérieure extrêmement fervente. Il semble que cette situation ait suscité quelque jalousie de la part de son autre demi-sœur, fille de sa mère, Jeanne de Sainte-Marie Ravault. En 1658, on dut la mettre chez les dominicaines dont la prieure, Edmée de Courtenay, était une amie de sa famille. Elle y resta huit mois et y eut une première fois la petite vérole [variole]. Elle revint ensuite chez les ursulines pour s’y préparer à sa première communion, qui eut lieu le 13 avril 1659. Puis elle rentra dans sa famille et y vécut auprès de sa mère dans une demi-claustration où elle s’ennuya beaucoup.

Ainsi, elle ne reçut qu’une formation intellectuelle des plus incomplètes, mais elle y suppléa ultérieurement par quelques études personnelles et de nombreuses lectures. Sa ferveur se relâchait quelque peu. Mais, au cours de l’été 1661, la famille Bouvier eut la visite d’un neveu de Claude Bouvier, Philippe de Chamesson-Foissy, original, mais pieux personnage, qui appartenait aux Missions étrangères et était sur le point de partir pour l’Extrême-Orient. Sous son influence, sa vie intérieure se fit plus profonde. Elle lut quelques ouvrages de piété, en particulier l’Introduction é la vie dévote de saint François de Sales et la Vie de sainte Jeanne de Chantal par Henri de Maupas (1644). Cette dernière eut pour elle une importance décisive : elle frappa fortement son imagination et il est certain que, par la suite, elle essaya plus ou moins consciemment de recréer le type de Mme de Chantal.

Naturellement, elle tenta d’entrer à la Visitation de Montargis, mais en fut empêchée par ses parents qui avaient d’autres projets. En 1662, elle dut soigner son père gravement malade et fut elle aussi contrainte de s’aliter. Au cours de sa convalescence, en 1663, elle éprouva un sentiment quelque peu tendre pour un de ses cousins, pieux garçon que son père lui eût sans doute laissé épouser, mais qu’elle finit elle-même par éconduire. Un séjour de quelques mois à Paris acheva de la ramener à une relative mondanité. Enfin, après que ses parents eurent refusé quelques prétendants qui l’eussent entraînée loin de Montargis, ils la fiancèrent le 28 janvier 1664 à Jacques Guyon, seigneur du Chesnoy et de Champoulet, fils de l’un des constructeurs du canal de Briare, pourvu de ce chef d’une fortune considérable.

Le fiancé avait vingt-deux ans de plus qu’elle, et elle ne le vit d’ailleurs que deux jours avant le mariage, mais elle était si lasse de la vie auprès de sa mère qu’elle y consentit volontiers. Les préliminaires furent brefs : la signature du contrat eut lieu le 18 février 1664 et le mariage fut célébré peu de jours après. Moins d’un mois plus tard, le 17 mars, elle perdait sa sœur l’ursuline Marie de Sainte-Cécile, qui avait été pour elle une conseillère et un guide. Pendant les douze années de son mariage, Mme Guyon eut cinq enfants, dont trois vécurent : Armand-Jacques (1665-1720), Jean-Baptiste-Denys (1674-1752), Jeanne-Marie (1676-1736).

2° Initiation spirituelle et veuvage.

Mme Guyon entrait dans la vie conjugale avec de profonds besoins affectifs qui malheureusement demeurèrent inassouvis. Elle quitta la vaste demeure paternelle sise rue du Loing pour venir habiter avec son mari et sa belle-mère, née Anne de Troyes, une maison relativement modeste, rue du Four-Dieu. Elle y fût traitée en enfant et sans cesse rabrouée par une belle-mère irritable et avare et par un mari incompréhensif, borné et quelque peu jaloux. Elle était belle, comme l’atteste un portrait conservé au musée de Montargis, et elle le savait ; tout en demeurant pieuse et en continuant à faire oraison, elle ne dédaignait pas la vie mondaine, dans toute la mesure du moins où on la lui permettait. Mais de graves difficultés allaient bientôt assombrir son existence.

Dés la fin de 1664, son mari eut un premier accès de goutte, que bien d’autres suivirent, aigrissant son caractère. Un peu plus tard, la société du canal de Briare fut atteinte par les mesures financières prises par Colbert, et Jacques Guyon vit en outre ses revenus considérablement amoindris parla réduction des rentes sur l’hôtel de ville. Pour chercher un remède à ces ennuis financiers, il partit pour Paris au cours de la seconde moitié de 1665, et, ne voulant pas qu’on put l’accuser d’intrigues, vécut plus ou moins caché à l’hôtel de Longueville, où la duchesse, qui le connaissait, lui offrit l’hospitalité. Comme son absence se prolongeait, Mme Guyon l’y rejoignit vraisemblablement au printemps de 1666, et, dans les jardins de l’hôtel de Longueville, elle fut présentée à l’ancienne frondeuse devenue pénitente. Elle se mêla quelque peu à la société parisienne et y eut du succès. Mais, en janvier 1667, elle tomba gravement malade et faillit mourir. Les époux rentrèrent ensemble à Montargis vers la fin du printemps de 1667. Peu après, en juillet, elle perdit sa mère.

Claude Bouvier avait des relations hautement aristocratiques. En 1656, il avait même eu l’honneur do recevoir chez lui pendant quelque temps Henriette de France, reine d’Angleterre. Au cours de l’été 1667, il offrit un corps de logis de sa propre maison à deux illustres exilées, la mère du surintendant Fouquet, née Marie de Maupeou, et sa fille, Marie Fouquet (1610-1716), qui avait épousé en 1657 Armand de Béthune, duc de Charost. En 1664, après la condamnation du surintendant, elles avaient été exilées à Ancenis, mais elles venaient de recevoir l’autorisation de se rapprocher de Paris et de s’installer à Montargis. Il ne faut pas oublier que Fouquet avait été dans l’ensemble soutenu par le parti dévot et par la Compagnie du Saint-Sacrement, à laquelle avait vraisemblablement appartenu le père de Mme Guyon. La duchesse était une âme d’une piété profonde et de nuance nettement mystique. Elle se lia avec Mme Guyon d’une amitié que rien ne devait jamais altérer. Son influence, jointe à celle de Chamesson-Foissy qui repassa par Montargis vers ce même temps, firent évoluer et s’approfondir la vie intérieure de la jeune femme et éveillèrent des tendances latentes au mysticisme dont on trouve en elle des indices dès son enfance.

Le 8 janvier 1668, la naissance de son second fils, Armand-Claude, la rendit très malade, et, peu après, une grave maladie de son père la plongea dans de grandes angoisses. Dans ces pénibles circonstances, elle fit la connaissance d’un religieux récollet, Archange Enguerrand +1699 (cf DS, t. 5, col. 1639-1640) [187 ], qui l’orienta dans le même sens que la duchesse de Béthune.

Une sorte de transformation brusque qui se produisit le 22 juillet 1668 lui ouvrit les portes de l’expérience mystique ; il est à noter pourtant que le récit qu’elle donne de cet événement semble bien avoir été influencé par l’épisode analogue qu’on trouve dans la vie de sainte Catherine de Gênes, dont plus tard l’emprise s’est fortement exercée sur elle. Elle parvint assez rapidement à une forme d’oraison non conceptuelle, « vide de toutes formes, espèces et images », qui « excluait toute distinction » et où elle n’avait « aucune vue ni de Jésus-Christ ni des attributs divins » et qu’elle nomme « oraison de foi » (Vie, t. 1, p. 88-89) ; les formules par lesquelles elle la décrit évoquent nettement Benoît de Canfield et Jean de Bernières, qu’elle ne lut probablement que beaucoup plus tard. À cette date en effet, sa culture spirituelle était des plus réduites.

Un peu plus tard, elle connut une sorte d’état passif, accompagné du sentiment d’être en tout mue par Dieu, et où s’exaltèrent ses tendances naturelles à l’illuminisme et à voir partout des signes divins. [188 ]. En même temps, elle fit la découverte du thème du pur amour et du désintéressement absolu dans la charité, qu’elle interpréta dans les perspectives du « saint abandon » salésien. En revanche, il ne semble pas que, ni à ce moment ni plus tard, sa _ie spirituelle ait présenté de phénomènes de type extatique nettement caractérisé, et les manifestations visuelles ou auditives se produisirent presque toujours pour elle dans le rêve. 189

De tempérament assez exalté, elle s’adonna sans contrôle à tout ce que lui suggérait sa ferveur nouvelle et, assez mal dirigée sans doute, manqua de mesure.

Elle s’imposa de redoutables mortifications corporelles et même, en une ou deux circonstances, des actes de scatophagie. [?]. Elle eût voulu surtout pouvoir se livrer en toute liberté à son goût pour le recueillement et la prière, difficilement compatible parfois avec ses obligations sociales et familiales ; d’où de nombreux et désagréables incidents avec son mari et sa belle-mère, aggravés par un dissentiment avec son ancien confesseur, un des pères du collège que les barnabites possédaient à Montargis. 190 Même en tenant compte de quelque exagération possible dans la manière dont elle décrit ces épisodes, il est certain qu’elle dut subir pendant toutes ces années une véritable persécution domestique qui lui fut très pénible, mais qui ne ralentit en rien l’évolution de sa vie intérieure ; le recueillement s’accentua en elle à tel point qu’elle parvint assez rapidement à une habituelle présence de Dieu, sans que ses occupations l’interrompissent. Elle fit avec son mari un nouveau séjour à Paris en 1669 et tenta d’en profiter pour consulter quelques confesseurs, mais sans en tirer grand-chose ; pendant cette période, elle eut surtout comme confidente Geneviève Granger (1600167i), bénédictine, prieure du monastère Notre-Dame des Anges de Montargis, qui laissa dans son ordre une réputation de haute sainteté.191 Il faut remarquer pourtant que son entourage lui permit assez difficilement de fréquenter le couvent des bénédictines, où cependant deux de ses belles-sœurs étaient religieuses.

Au début de l’été 1670, son mari, se trouvant mieux, l’emmena faire un voyage à Orléans et en Touraine, et un pèlerinage aux Ardilliers. Elle revint vers la mi-septembre. Presque aussitôt, ses trois enfants prirent la petite vérole, et elle en fut elle-même atteinte le 1er octobre. Son second fils, qui avait alors deux ans et demi, en mourut le 20 octobre. Après avoir été elle aussi aux portes de la mort, elle guérit, mais son visage en demeura très profondément marqué, sans perdre pourtant la beauté et la régularité de ses traits, comme on le peut voir dans le remarquable portrait qui appartient présentement à la famille de Montlivault, descendante de son fils aîné (reproduit dans Agnès de la Gorce, Le vrai visage 1le Fénelon, Paris, 1958, p. 112).

Vers le milieu de 1671, elle eut à Montargis la visite d’un jeune barnabite, François La Combe (vers 1640-1715) [192 ], que lui envoyait son demi-frère, barnabite lui aussi, Dominique de La Motte. Fr. La Combe était alors sur le chemin de Rome où il devait séjourner quelques années. Elle sympathisa avec lui, mais sans soupçonner aucunement la place qu’il devait tenir un jour dans sa vie. En fait, elle cherchait toujours un directeur.

Vers la fin de septembre 1671, un hasard amena à Montargis un ami de la mère Granger, Jacques Bertot (vers 1620-1681), prêtre du diocèse de Coutances résidant à Paris, directeur spirituel renommé, fort apprécié des bénédictines, spécialement à Montmartre, et d’un cercle très aristocratique où l’on trouvera plus tard les Beauvillier et les Chevreuse. Bertot avait été le disciple et l’ami de Jean de Bernières et les textes qui nous restent de lui, en grande partie réunis dans Le directeur mystique (Cologne, 1726, 4 vol.), probablement par le pasteur Poiret, attestent qu’il a reçu profondément son influence. [193 ]. Mme Guyon devint sa dirigée dès l’automne 1671. Elle se plaint de n’avoir pas été vraiment comprise par lui, mais il est très probable que ce fut à travers lui qu’elle subit l’emprise de Bernières, qui se retrouve très apparente dans son œuvre ultérieure, et qui renforça ses tendances spontanées. Cf. DS, t. 1, col. 1537-1538. 194

La petite vérole lui avait laissé un œil assez fragile, et, sous le prétexte de le faire soigner, elle fit en mai 1672 un séjour à Paris, avec l’espoir de pouvoir y consulter Bertot plus à loisir ; vers la fin du mois, elle s’accorda quelques jours de retraite à l’abbaye bénédictine de la Malnoue, à une quinzaine de kilomètres de Paris, où dirigeait Bertot et dont l’abbesse, Marie-Éléonore de Rohan, était son amie. Elle fut interrompue par la nouvelle d’une grave maladie de son père, qui mourut le Ier juin sans qu’elle ait pu le revoir. Trois jours plus tard, le 4, elle perdit sa fille, Marie-Anne, née le 6 février 1669, à laquelle elle était passionnément attachée. Elle surmonta pourtant le choc et même, le 22 juillet, en la fête de sainte Madeleine qui lui fut toujours particulièrement chère, contracta, sur le conseil de la mère Granger, un mariage mystique avec l’Enfant-Jésus, ce qui montre qu’elle était déjà venue à cette dévotion qui devait tenir grande place dans sa vie, mais sans qu’on puisse dire par quels intermédiaires elle l’avait connue.

Dans les mois qui suivirent, la santé de son mari déclina à nouveau. Comme il désirait beaucoup avoir d’autres enfants, il fit avec elle, à cette intention, au cours de l’été 1673, le pèlerinage de Sainte-Reine en Bourgogne, près de Semur-en-Auxois. Elle eut effectivement son quatrième enfant, Jean-Baptiste.Denys, le 31 mai 1674. Le pèlerinage fut renouvelé l’été suivant, avec un arrêt au tombeau de Saint Edmond de Cantorbéry à Pontigny. Au retour, elle apprit avec douleur la mort de la mère Granger, survenue le 5 octobre.

Quelques semaines plus tard, elle alla avec son mari au mariage de son frère Jacques, qui eut lieu le 25 novembre 1674 à Orléans ; cette union fut l’occasion de graves dissentiments familiaux dont elle eut beaucoup à souffrir. Puis il lui fallut suppléer son mari, de plus en plus impotent, dans une délicate affaire financière ou était engagée la somme considérable de 200 000 livres. Vers le même temps, Bertot lui ayant envoyé comme précepteur pour son fils un ecclésiastique dont l’identité nous demeure malheureusement inconnue, mais pour lequel elle eut une grande estime, elle se mit avec son aide à apprendre le latin.

Peu après, au début de 1675, sa vie intérieure évolua et entra dans une période de purifications passives marquées par des troubles et des sécheresses, qui devaient durer environ sept ans.

Ici se place un épisode dont les détails nous demeurent mystérieux. Elle fit la connaissance d’un prêtre appartenant à la meilleure société, de tendances ouvertement jansénistes, et qui séjournait alors à Montargis, mais qu’il n’a pas été possible jusqu’ici d’identifier. Ce personnage, qui était lié avec son mari, lui fit de nombreuses visites ; il était séduisant, et elle s’aperçut qu’elle en était plus ou moins éprise. Elle chercha donc à l’écarter, et ce d’autant plus qu’il voulait l’attirer elle-même au jansénisme. Ultérieurement, après son veuvage, elle finit par rompre nettement ; c’est à la rancœur de cet ami éconduit qu’elle attribue l’hostilité du parti janséniste, qui désormais ne cessa de la poursuivre partout où elle alla. Cependant, il serait utile de pouvoir élucider plus complètement les détails de cette curieuse histoire.

Dans l’intervalle, après une grossesse particulièrement pénible, mais où ses troubles intérieurs avaient connu quelque répit, elle mit au monde le 21 mars 1676 son dernier enfant, une fille prénommée Jeanne-Marie. Au début de l’été, Jacques Guyon tomba gravement malade. Après trois semaines de souffrances, il s’éteignit dans sa propriété du Chesnoy, aux portes de Montargis, le 21 juillet 1676. Mme Guyon lui fit faire des obsèques magnifiques, mais il semble qu’elle ait peu regretté ce mari qu’elle n’avait jamais vraiment aimé.

3° Le temps des grandes aventures.

Dans les semaines qui suivirent la mort de son époux, Mme Guyon eut à régler une succession difficile, et elle le fit avec une connaissance des affaires qui l’étonna elle-même et que son illuminisme lui fit considérer comme miraculeuse.

Elle restait veuve jeune encore avec des revenus considérables, excédant annuellement 70 000 livres. Bien qu’on lui eût offert assez rapidement trois brillantes occasions de se remarier, elle était bien résolue à ne plus aliéner sa liberté et à vivre dans la piété et la charité.

Au début, elle voulut continuer à habiter avec sa belle-mère, et ce fut la cause de froissements continuels dont elle eut beaucoup à souffrir et qui s’ajoutèrent à ses peines intérieures. Un voyage à Paris qu’elle fit au printemps de 1677 pour revoir Bertot et passer quelques jours de retraite auprès de lui ne lui apporta guère qu’une déception. En décembre 1677, les relations avec Anne Guyon devinrent si tendues qu’elle faillit être obligée de la quitter brusquement. Enfin, en août 1678, elle acheta la maison contiguë à celle de sa belle-mère et s’y établit, reprenant ainsi son indépendance.

Elle y vécut paisiblement, entourée d’une estime générale dont témoigne le lazariste François Hébert, futur curé de Versailles, qui séjourna à Montargis vers 1676.

À la fin de 1679, une circonstance fortuite — une lettre de recommandation pour un domestique qui voulait devenir barnabite — la remit en relation avec François La Combe, devenu en 1678 supérieur d’une maison de son ordre à Thonon. Elle échangea avec lui quelques lettres, se sentit comprise et y trouva grand réconfort. Connaissant l’importance qu’elle attachait à cette date, on ne s’étonnera pas que ses épreuves intérieures aient subitement pris fin le 22 juillet 1680. Elle parvint alors à un état qu’elle qualifie d’« union d’unité », où, dit-elle, « elle trouvait qu’une autre volonté avait pris la place de la sienne, volonté toute divine, qui lui était cependant si propre et si naturelle qu’elle se trouvait infiniment plus libre dans cette volonté qu’elle ne l’avait été dans la sienne propre » (Vie, t. 1, p. 288-289). Ces formules rendent un son nettement canfeldien. 195

Depuis son veuvage, l’idée d’aller exercer un apostolat à Genève, en pays protestant, la hantait : des rêves et des avertissements intérieurs venaient matérialiser une obsession qui avait sans doute son origine dans la fascination qu’exerçait sur elle le personnage de Mme de Chantal. [196 ] Comme celle-ci, elle était toute disposée à quitter sa famille pour suivre ce qu’elle estimait être sa vocation. Sur le conseil d’un dominicain de ses amis, elle décida de s’en ouvrir à l’évêque de Genève résidant à Annecy, lequel était alors Jean d’Arenthon d’Alex (1620-1695).

Quelques jours plus tard, elle apprit que le successeur de saint François de Sales séjournait à Paris, où effectivement les affaires de son diocèse le retinrent du 30 juin an début de décembre 1680. Elle fit le voyage de Paris pour l’y rencontrer.

En cette dame pieuse, riche et quelque peu exaltée, d’Arenthon vit le secours providentiel dont il avait besoin pou réaliser un projet qui lui tenait à cœur et pour lequel il manquait de ressources : l’établissement à Gex d’une maison de Nouvelles-Catholiques. Mme Guyon entra dans ses vues, mais non sans faire remarquer qu’elle ne voulait pas s’engager définitivement à Gex et qu’elle estimait que sa vocation la conduisait à Genève.

Elle prit conseil et recueillit des avis favorables de Bertot, de François La Combe, de Claude Martin, fils de la célèbre Marie de l’Incarnation [du Canada], ursuline, de la supérieure des Nouvelles-Catholiques de Paris, la sœur Garnier. Elle tint son projet secret. Cependant, au cours de l’hiver 1680-1681, qui fut très rude et où elle multiplia les charités, son entourage en soupçonna quelque chose : pour la retenir, on l’entoura de prévenances, et sa belle-mère elle-même eut alors avec elle des relations aimables. Bertot mourut en mars1681 et elle se retrouva sans directeur.

Finalement, non sans quelque hésitation, elle se décida à suivre les conseils qu’on lui avait donnés et à se mettre à la disposition de l’évêque de Genève. Elle prépara son départ en secret et peu après le 2 juillet, prenant prétexte d’un voyage à Paris, elle quitta Montargis, emmenant sa fille et laissant ses deux fils. À Paris, elle vit un conseiller au parlement, cousin germain de son mari, Denis Hugnet, à qui elle remit les documents nécessaires pour la gestion des biens de ses enfants, se réservant pour elle et sa fille environ 15 000 livres de rentes. Peu après, elle partit pour la Savoie ; elle passa par Annecy et le 22 juillet elle arrivait à Gex.

Immédiatement, elle eut le pressentiment qu’elle s’était trompée et qu’elle avait commis une erreur en acceptant de participer à cette fondation. Les débuts en furent à tous égards difficiles, et les relations de Mme Guyon avec les religieuses de la Propagation de la Foi, chargées de la maison, posèrent des problèmes délicats. Comme elle risquait de se décourager, d’Arenthon, sachant qu’elle connaissait François La Combe, le lui envoya de Thonon pour la réconforter.

Immédiatement, elle sentit que s’établissait entre lui et elle une « grâce de communication » et elle le prit pour son directeur. La Combe était assurément loyal, droit et généreux, mais quelque peu porté lui aussi à l’illuminisme : en fait, ce fut surtout Mme Guyon qui eut de l’influence sur lui et l’entraîna dans sa propre voie. En septembre, elle passa quelques jours à Thonon pour mettre sa fille en pension chez les ursulines et le revit. Puis, à Gex, elle tomba gravement malade et fut guérie par une intervention de La Combe qu’elle tint pour miraculeuse. Ensuite, en décembre, elle revint à Thonon faire sous sa conduite une retraite de douze jours. Elle rentra par Genève, fit une chute de cheval assez sérieuse et connut ensuite une période de grande exaltation, accompagnée de phénomènes mystiques plus accentués et de manifestations qu’elle jugea diaboliques.

L’hiver 1681-1682 fut pénible. Comme il était prévisible, sa famille avait réussi à la retrouver et mettait tout en œuvre pour la faire revenir. Elle échangea toute une correspondance sur le sujet avec son frère barnabite, Dominique de La Motte.

Finalement, par un acte en date du 3 février 1682, elle abandonna la garde-noble ou tutelle de ses enfants à sa belle-mère, et, par un autre en date du 11 mars, elle renonça à ses biens personnels en échange d’une pension qui lui laissait d’ailleurs une situation très suffisante. D’autre part, elle eut à Gex des difficultés avec le doyen, Garrin, de tendances nettement jansénistes et dont elle redoutait l’influence sur la communauté. Enfin, elle avait dû assumer la charge de sacristine, qui se révélait matériellement au-dessus de ses forces.

Redoutant son départ qui l’eût privé de ressources importantes, d’Arenthon tenta de se servir de François La Combe pour la fixer définitivement à Gex, mais le barnabite refusa d’intervenir en ce sens. Finalement, peu avant le mercredi des cendres, 11 février 1682, Mme Guyon quitta Gex et rejoignit sa fille chez les ursulines de Thonon. Le jour suivant, La Combe partit pour un séjour dans la vallée d’Aoste et un bref voyage à Rome ; il en revint sans doute dans le courant de mai.

Dans l’intervalle, d’Arenthon avait renouvelé ses instances auprès d’elle au début d’avril, et Mme Guyon se plaint qu’il ait alors tissé autour d’elle un vaste réseau d’intrigues, entrant pour cela en collusion avec le P. de La Motte et allant jusqu’à intercepter sa correspondance, mais elle refusa obstinément de se fixer à Gex, tout en continuant à donner une partie de ses ressources aux Nouvelles-Catholiques. Au mois de mai, sa fille eut la petite vérole ; elle fut guérie après avoir reçu la bénédiction de La Combe, ce que Mme Guyon tint une fois encore pour miraculeux. En juillet, elle eut la visite de sa demi-sœur ursuline, Jeanne de Sainte-Marie, qui séjourna près d’un an auprès d’elle et prit soin de l’instruction de sa fille.

Au début de l’été 1682 elle fit une nouvelle retraite sous la direction du P. La Combe, et, peu après, avec le sentiment d’agir sous une sorte de dictée intérieure, elle écrivit le premier, et d’ailleurs le meilleur, de ses ouvrages, Les Torrents, qu’elle retoucha et compléta par la suite, et qui circula longtemps en copies manuscrites. En même temps, elle découvrit que lui avait été donnée une grâce de « maternité spirituelle ». Peu après, le 14 septembre, elle tomba encore gravement malade et passa tout l’hiver physiquement assez diminuée. Ces mois furent marqués par une nouvelle évolution de sa vie spirituelle : elle connut pendant quelques semaines un « état d’enfance », qui renforça sa dévotion à l’Enfant-Jésus. Puis elle fit pour la première fois l’expérience de ces « communications de silence » dont elle devait faire ultérieurement grand usage, et qui lui donnaient l’impression de pouvoir atteindre ses interlocuteurs sans se servir des paroles.

Dans la nuit du 2 au 3 février 1683, elle eut un songe où elle se vit elle-même « sous la figure de cette femme de l’Apocalypse, qui a la lune sous ses pieds, environnée du soleil, douze étoiles sur sa tête » (Vie, t. 2, p. 162). Elle y vit le symbole de sa maternité spirituelle. Minée par la fièvre, elle vécut quelques semaines dans un paroxysme d’exaltation et eut plusieurs songes où elle trouva une prophétie de ses épreuves à venir.

Enfin, elle guérit le 3 mai, subitement comme de coutume, ce qui laisse bien l’impression que les phénomènes névropathiques jouaient un grand rôle dans ses malaises. Elle s’adonna alors à un très intense apostolat mystique et répandit autour d’elle, dans les communautés et parmi les fidèles, ses idées sur l’oraison affective et le saint abandon. Elle semble y avoir connu du succès, mais avoir provoqué d’assez violents remous ; le 29 juin d’Arenthon écrivait : « Je ne puis approuver qu’elle veuille rendre son esprit universel et qu’elle veuille l’introduire dans tous nos monastères au préjudice de celui de leurs instituts. Cela divise et brouille les communautés les plus saintes » (cité par Fénelon, Réponse à la Relation sur le quiétisme, ch. 1 Oeuvres, t. 3, Paris, 1848, p. 7). À cette date, d’Arenthon semblait avoir renoncé à l’utiliser pour la fondation de Gex et se montrait décidé à lutter contre la diffusion, probablement inconsidérée, de son mysticisme. Elle essaya de pacifier la situation, au début de l’été 1683, en quittant les ursulines et en se retirant dans une maison misérable, située loin du lac dont le voisinage lui était contraire. Cependant, elle comprit que sa position en Savoie devenait de plus en plus précaire, et elle songea au départ ; d’Arenthon, semble-t-il, lui en fit même donner le conseil par le P. de La Motte.

Vers le même temps, François La Combe fut demandé comme théologal, par l’entremise du général des barnabites, par l’évêque de Verceil, Vittorio Augusto Ripa.

Elle-même était invitée à Turin par une de ses amies, la marquise de Pruney, sœur d’un ministre et secrétaire d’État. Finalement, au grand soulagement de d’Arenthon, elle décida de partir avec François La Combe.

Les deux voyageurs prirent la route au début d’octobre 1683. Elle resta à Turin chez son amie et La Combe continua jusqu’à Verceil. Pendant ce temps, sa belle-mère était morte le 23 septembre et la tutelle de ses enfants était passée à Denis Huguet. Son fils aîné vint la trouver à Turin vers la fin d’octobre, mais, en dépit de ses sollicitations, elle refusa de revenir en France avec lui. Elle recommença à Turin à diffuser son enseignement spirituel et se heurta à de nouvelles difficultés et à des bruits malveillants dont elle rejette la responsabilité sur des interventions épistolaires de Mgr d'Arenthon et du P. de La Motte. La marquise de Pruney finit par se lasser quelque peu de cette relation trop encombrante et Mme Guyon envisagea de quitter Turin. La Combe, de son côté, ne tenait aucunement à la voir arriver à Verceil. Pour lui en enlever toute velléité, il surgit un beau soir à Turin, sans doute peu après Pâques, qui tombait cette année-là le 2 avril, et lui intima l’ordre de partir le lendemain pour Paris.

Comme Mme Guyon redoutait de prendre seule la route, il se décida, quoiqu’à regret, à l’accompagner jusqu’à Grenoble, où ils arrivèrent peu de jours plus tard. Elle y fut reçue par une de ses amies, dont l’identité ne nous est pas connue. La Combe eut alors le sentiment qu’elle devait rester là et y reprendre son apostolat spirituel.

Il repartit sans tarder, la laissant à Grenoble, où son enseignement rencontra le plus grand succès et où elle devint une sorte de célébrité : du matin au soir, les visiteurs, prêtres, religieux et gens du monde, défilaient en son logis. Mme Guyon y voit les effets d’une grâce d’« état apostolique », qui lui fut donnée alors. Son influence s’étendit sur de nombreuses communautés religieuses : on en trouve des traces chez les chartreuses, chez les capucins, les bénédictins, les religieuses du Verbe incarné, et il semble même qu’elle fit un voyage à la Grande Chartreuse, où elle conquit quelques disciples, mais où elle se heurta au général, Innocent Le Masson +1703, qui fut plus tard un de ses adversaires acharnés.

Les activités de Mme Guyon finirent par inquiéter l’évêque de Grenoble, Étienne Le Camus, qui devint cardinal en septembre 1686. Les raisons exactes de [col. 1315] l’attitude prise par Le Camus demeurent mystérieuses, et, pour l’apprécier, il faut tenir compte des sympathies ouvertement jansénistes et de l’évidente duplicité du personnage, qui plus tard cherchera à se donner la gloire un peu facile d’avoir été l’un des premiers à détecter le quiétisme en France. Ce qui est certain, c’est que Mme Guyon se heurta à Grenoble à une campagne d’insinuations malveillantes, analogue à ce qu’elle avait déjà rencontré à Turin. Cela ne ralentit guère son zèle, ni surtout son activité littéraire, qui, en cette période, confina à la graphomanie. En moins de six mois, de juillet à décembre 1684, elle produisit la plus grande partie de son volumineux commentaire mystique de la Bible, publié beaucoup plus tard en vingt volumes entre 1713 et 1715. C’est aussi à Grenoble que, sur la prière d’un pieux conseiller au parlement nommé Giraud, elle fit imprimer son premier livre, le Moyen court et très facile pour l’oraison, petite méthode d’oraison écrite assez longtemps auparavant, à Turin ou peut-être même à Thonon, où elle expose ses idées sur l'« oraison du cœur » pratiquée dans l’abandon et le silence intérieur, et dont elle marque d’une manière sans doute un peu excessive l’aspect de passivité.

L’ouvrage parut vers la mi-mars, à peu près au moment où Mme Guyon, cédant aux conseils de Le Camus transmis par son aumônier Magnon, se résolvait à quitter Grenoble, laissant sa fille en pension aux ursulines. Pour couper court aux difficultés, elle avait décidé d’aller passer quelque temps à Marseille et en Provence.

Après une descente du Rhin fort mouvementée, en compagnie de Magnon et d’un autre prêtre, elle arriva à Marseille, mais s’y heurta immédiatement à l’opposition bien déterminée du milieu janséniste, prévenu déjà contre elle. Elle n’y resta guère qu’une semaine et eut tout juste le temps de rencontrer le célèbre mystique aveugle François Malaval (1627-1719), dont les tendances rejoignaient de fort près les siennes. Elle eut aussi un entretien amical avec l’évêque, Charles-Gaspard de Vintimille, plus tard archevêque de Paris. Ne sachant trop que faire, elle voulut retourner à Turin, gagna Nice par la route et s’embarqua pour Gênes.

Après avoir essuyé une tempête, elle y débarqua le 18 avril, ne put trouver de moyen de se faire conduire à Turin et finalement, faute de mieux, dut se résigner à gagner Verceil où elle arriva au soir du Vendredi saint, 20 avril 1685, à la grande contrariété de François La Combe, qui la croyait toujours à Grenoble. Elle y bénéficia pourtant de quelques mois de tranquillité, car elle y fut solidement protégée par l’évêque qui l’appréciait beaucoup et songea même à se servir d’elle pour fonder une congrégation. Malheureusement, sa santé s’accommodait très mal du climat de Verceil.

Par une lettre du 3 juin 1685, elle demanda à d’Arenthon l’autorisation de s’installer au faubourg Saint-Gervais à Genève. Celui-ci, qu’une lettre assez malveillante de Le Camus en date du 18 avril avait mis au courant des activités de Mme Guyon à Grenoble, refusa, ne souhaitant nullement voir la spiritualité guyanienne se répandre à nouveau dans son diocèse. Elle fut de plus en plus malade dans les mois qui suivirent, et cette période fut en outre assombrie par un incident pénible avec une fille nommée Cateau Barbe, qu’elle avait prise à son service à Grenoble et emmenée avec elle, et que son frère vint rechercher. Il s’agissait d’une mythomane, qui ultérieurement accusa Mine Guyon des pires dépravations morales, et finit ensuite par se rétracter. Dans de telles conjonctures, elle se résigna à regagner Paris, où d’ailleurs La Combe venait d’être rappelé par ses supérieurs.

Le barnabite partit au début de mars. Elle quitta Verceil une douzaine de jours plus tard ; le 2i mars, elle était à Turin, où elle passa une douzaine de jours auprès de la marquise de Pruney. À Chambéry, elle retrouva le P. de La Motte, son demi-frère, qui se rendait à Rome. Laissant François La Combe partir pour Thonon, elle alla seule l’attendre à Grenoble, où elle passa près de trois semaines. Elle y eut des rapports assez détendus avec Le Camus. L’évêque lui conseilla de renoncer à ses relations avec La Combe et de cesser de dogmatiser ; cependant, il lui proposa, si elle le voulait, de demeurer à Grenoble. Ce n’était d’ailleurs là qu’une amabilité sans conséquence, puisqu’elle était bien décidée à rentrer à Paris.

Après un arrêt à Dijon où elle rencontra un prêtre du nom de Claude Quillot, qui se fit par la suite un ardent propagateur du Moyen court, elle arriva à Paris en compagnie de La Combe le 21 juillet 1686.

Elle loua une maison au Cloître Notre-Dame où elle s’installa avec sa fille, et sa piété fit l’édification du voisinage, quoique à la vérité ses relations suivies avec le P. La Combe aient soulevé quelques commérages.

Elle retrouva le cercle de ses relations, qui se situaient dans un milieu hautement aristocratique. À nouveau, elle fréquenta assidûment la duchesse de Béthune et, dans son entourage, devint vite intime avec les deux filles de Colbert et leurs maris, les ducs Paul de Beauvillier et Charles de Chevreuse, que l’on considérait comme l’élite morale de la cour. Elle y reprit son enseignement mystique, et, quoiqu’elle se soit montrée plus discrète qu’à Grenoble, à nouveau des bruits déplaisants circulèrent sur son compte. Cependant, la première affaire réellement grave dans laquelle elle fut enveloppée demeure à tous égards fort mystérieuse. La destruction systématique, attestée par Bossuet, du dossier qui eût dû être conservé à l’archevêché de Paris montre que très probablement on ne tenait guère à ce que la vérité fût connue. Pour tout cet épisode, le récit autobiographique de Mme Guyon demeure à peu près notre unique source, mais il paraît véridique dans son ensemble.

Il semble que la dot très considérable dont disposait sa fille ait été un des éléments fondamentaux du problème. D’autre part, on demeure perplexe devant le rôle joué par l’archevêque de Paris, François de Harlay de Champvallon, personnage d’une moralité extrêmement douteuse. Un fait au moins est certain : ce sont les tentatives de l’archevêque pour obtenir que Mme Guyon consentît au mariage de sa fille Jeanne-Marie avec son propre petit-neveu François, marquis de Champvallon, né en 1672 ; or, en dépit de son jeune âge, le prétendant avait assez mauvaise réputation, et, de toute manière, Mme Guyon avait, pour l’avenir de sa fille, d’autres projets. L’archevêque était en relation avec le P. de La Motte, qui était alors un prédicateur réputé, et il se mit d’accord avec le barnabite pour forcer la décision de Mme Guyon. Comme d’autre part, à juste titre, on pouvait craindre que l’influence du P. La Combe s’exerçât en sens opposé, on décida de s’en débarrasser. Dans cette ténébreuse machination, un rôle fort important revint à un ménage du nom de Gautier, lié au P. de La Motte, et qui semble s’être spécialisé dans la dénonciation et le faux en écriture. L’accusation de quiétisme fournit la méthode la plus efficace. Elle était alors fort à la mode, car l’opinion française, où l’antimysticisme gagnait du terrain, s’était passionnée pour les nouvelles venues de Rome concernant le procès de Molinos : dans un discours du 23 janvier 1687, l’avocat général Talon avait même formulé des reproches de ce genre contre le pape Innocent XI.

Contre François La Combe, l’affaire fut assez rondement menée. Ses séjours à Rome permettant de répandre le bruit [col. 1317] qu’il avait été en relation avec Molinos, l’archevêque lui interdit la prédication sous prétexte qu’il était suspect de quiétisme. La Combe, peut-être à dessein mal informé par le P. de La Motte, donna néanmoins un sermon aux Augustins le l5 septembre 1687. Immédiatement, l’archevêque obtint contre lui une lettre de cachet qui permit de le faire arrêter le 3 octobre. Interné d’abord chez les Pères de la Doctrine Chrétienne, puis à la Bastille, il fut envoyé en février 1688 à l’île d’Oléron, puis en juin à la forteresse de Lourdes. Il ne recouvra jamais sa liberté et sa longue détention finit par altérer ses facultés mentales, mais aucun procès régulier ne fut instruit contre lui, et les divers mémoires justificatifs qu’il put faire parvenir au général des barnabites paraissent bien prouver son innocence foncière.

Sous le même prétexte de quiétisme, l’archevêque obtint également une lettre de cachet contre Mme Guyon. Une grave maladie qu’elle eut en novembre obligea à différer, et c’est seulement le 29 janvier 1688 qu’elle fut internée chez les visitandines de la rue Saint-Antoine, cependant que sa fille était mise en pension chez les visitandines de la rue Saint-Jacques.

Elle fut soumise au début à un régime de totale réclusion très pénible, accompagné à nouveau de douloureuses épreuves intérieures. Peu à peu, elle conquit la sympathie des visitandines et de leur supérieure, la célèbre Louise-Eugénie de Fontaine, celle même qui avait été envoyée en 1664 pour tenter de réduire les opposantes de Port-Royal, et son sort s’adoucit. Les émissaires de l’archevêque, l’official Nicolas Chéron et le syndic de la faculté de théologie, Edme Pirot, tentèrent de mettre sur pied, contre elle, une vaste affaire doctrinale en prenant pour base le Moyen court, qui avait été réimprimé à Lyon et à Paris en 1686, et ses papiers personnels inédits, qui furent saisis à son domicile. En fait, ils n’y trouvèrent rien qui pût étayer une accusation. Au début de juillet, en présence de Pirot, du P. de La Motte, de la mère de Fontaine et du tuteur Denis Huguet, Mme Guyon fut sommée une fois encore de consentir au mariage de sa fille avec le marquis de Champvallon. Elle persista dans son refus, et sa captivité fut à nouveau rendue plus rigoureuse. Elle trompa son attente en écrivant la première partie de son autobiographie, terminée le 21 août.

Cependant, ses amis cherchaient à la faire libérer. Pour atteindre le roi, la méthode la plus sûre était naturellement de passer par Mme de Maintenon.

Celle-ci fut alertée par une triple voie. Une démarche auprès d’elle fut faite par Mme de Miramion, que toute la société parisienne vénérait comme une sainte : fort prévenue d’abord contre Mme Guyon, Mme de Miramion avait modifié son jugement après en avoir entendu parler par les visitandines.

Une autre intervention vint du lazariste Antoine Jassault, qui confessait souvent Mme de Maintenon depuis 1685 et qui avait fortuitement fait la connaissance de la fille de Mme Guyon. Mais la sollicitation décisive vint de celle qui était pour Mme de Maintenon la favorite du moment : Marie-Françoise-Silvine Le Maistre de la Maisonfort, cousine germaine de Mme Guyon, fille d’un frère de sa mère. Chanoinesse de Poussay en Lorraine, elle était venue par hasard à Saint-Cyr, et Mme de Maintenon, conquise par son charme, l’avait retenue auprès d’elle. D’autre part, Mme de Maintenon haïssait l’archevêque Harlay, et elle n’était pas fâchée de lui faire pièce. Après une première démarche infructueuse auprès du roi, Mme de Maintenon réussit.

L’ordre d’élargissement fut signé le 24 août et la prisonnière fut libérée le 13 septembre 1688, après que l’archevêque lui eût fait imposer la signature d’une formule sans conséquences, où elle désavouait hypothétiquement toutes les erreurs qui pourraient se trouver dans ses écrits. Mme Guyon se retira alors provisoirement dans la communauté fondée par Mme de Miramion ; ses premières visites furent pour l’archevêque, puis pour Mme de Maintenon, qui la reçut à Saint-Cyr ; les duchesses de Chevreuse et de Beauvillier l’accompagnaient.

4° Saint-Cyr, Fénelon et l’affaire du quiétisme.

Une fois libérée, Mme Guyon retrouva le cercle de ses relations ordinaires, auquel vint s’ajouter quelques semaines plus tard un élément de la plus haute valeur : vers le début d’octobre 1688, au château de Beynes, qui appartenait à la duchesse de Béthune, elle fit la connaissance de Fénelon, ami très intime des Chevreuse et des Beauvillier (cf DS, art. FÉNELON).

Immédiatement, elle pressentit qu’elle avait trouvé en lui un disciple d’élection, mais l’abbé, de tempérament plutôt froid, choqué par son exubérance, mit assez longtemps à sympathiser avec elle : c’est seulement au bout de quelques semaines qu’il conçut pour elle cette vénération profonde que rien jamais ne devait altérer. Cependant, Fénelon chercha en elle l’expérience de Dieu beaucoup plus qu’un système intellectuel : sous ce rapport, il construisit lui-même et d’une manière relativement indépendante sa propre synthèse et ne réussit jamais à faire l’effort de lire les volumineux écrits de Mme Guyon, dont elle le combla. Mais les horizons de l’âme et du cœur qu’elle lui ouvrit renouvelèrent entièrement son univers intérieur et lui firent découvrir le domaine du mysticisme dont il se fit désormais le champion. Leur correspondance fut particulièrement abondante pendant l’hiver 1688-1689. 197

Quelques joies marquèrent pour Mme Guyon cette période. Le 16 août 1689, Fénelon fut nommé précepteur du duc de Bourgogne. Le 25 août, sa fille épousa le comte de Vaux, frère cadet de la duchesse de Béthune, et pendant un peu plus de deux ans elle vécut à la campagne avec le jeune ménage ; devenue veuve en 1705, Jeanne-Marie Guyon se remaria en 1719 avec le duc de Sully, mais n’eut pas d’enfants. Dans les derniers mois de 1691 Mme Guyon revint habiter Paris, et y vécut très retirée.

Pendant toutes ces années, l’apostolat mystique de Mme Guyon se ralentit et ne s’exerça guère que sur un petit cercle d’intimes et, dans une certaine mesure, à Saint-Cyr, où elle avait rapidement été introduite par Mme de Maintenon. Elle allait de temps à autre y passer deux ou trois jours, sans presque ne jamais cependant coucher dans la maison. Elle avait des conversations particulières avec quelques-unes des religieuses et des novices, et ses ouvrages imprimés ou manuscrits, spécialement le Moyen court et les Torrents, y circulaient. Pourtant, son influence y était restreinte en comparaison de celle de Fénelon, dont, pendant cette période, la spiritualité a dominé Saint-Cyr, dans un sens d’ailleurs parallèle à celui de Mme Guyon, mais avec des nuances différentes. L’emprise de Mme Guyon fut, semble-t-il, particulièrement forte sur le noviciat, et c’est de là que partit le drame.

Vers le milieu de 1691, sous prétexte de liberté spirituelle, quelques novices s’abandonnèrent à des comportements plutôt inquiétants : « Jusqu’aux sœurs converses et aux servantes, il n’était question que de pur amour et d’abandon, et il y en avait qui, au lieu de faire leur ouvrage, passaient une partie du temps à lire les livres de Mme Guyon ou autres semblables ». [1319] (Mémoires sur Mmde Maintenon, Paris, 1816, p. 308).

On en parla dans l’entourage, et Mme de Maintenon, qui se savait épiée par une cour où presque tout le monde la détestait, sentit le danger : elle résolut de ramener la spiritualité de Saint-Cyr aux normes les plus ordinaires. Cette liquidation devait être favorisée par la transformation des Dames de Saint-Cyr en religieuses à vœux solennels, laquelle eut lieu en ce même temps. Pourtant, Mme de Maintenon se heurta à de vives résistances, celle en particulier de Mme de la Maisonfort, très attachée à Fénelon. Elle s’assura l’appui de Godet des Marais (1618-1709), évêque de Chartres, dont dépendait la Maison royale, et, en mars 1693, pria Mme Guyon, fort aimablement d’ailleurs, de ne plus revenir à Saint-Cyr, d’où peu à peu ensuite elle éloigna Fénelon. Un peu plus tard, en juillet, Godet des Marais fit la visite canonique de la maison et y retira de la circulation tous les ouvrages imprimés ou manuscrits de Mme Guyon. Cf DS, t. 6, col. 556-562.

Cette exclusion fut connue du public, probablement d’ailleurs par les soins de Mme de Maintenon, qui tenait à dégager sa responsabilité, et Mme Guyon se trouva de ce chef dans une position délicate, son orthodoxie étant à nouveau mise en cause. Pour y parer, ses amis tentèrent d’obtenir la caution d’une personnalité ecclésiastique connue, qui approuverait ses écrits. Des tentatives à cette intention furent faites, au cours de l’été 1693, d’abord auprès du célèbre Pierre Nicole, puis de Jean-Jacques Beaulaigue, dit Boileau, précepteur chez le duc de Luynes (cf art. BOILEAU, DS, t. 1, col. 1756-1758), l’un et l’autre fort attachés au jansénisme. Ce fut sans succès. On songea alors à Bossuet, avec qui Fénelon entretenait des relations très amicales, mais qui ne passait nullement pour un spécialiste des questions mystiques. Bossuet accepta. Mme Guyon lui remit ses écrits et même, non sans quelque hésitation, son autobiographie, qu’elle considérait à juste titre comme strictement confidentielle. En outre, dans l’intervalle, son commentaire du Cantique des cantiques avait paru à Lyon au début de 1688, probablement à son insu. Bossuet lut assez rapidement tout cela et, vers la fin d’août 1693, en rendit un premier verdict, favorable dans l’ensemble.

Cependant, Mme de Maintenon, qui ignora probablement toujours ce premier jugement rendu par Bossuet, songea de son côté à se servir de lui pour liquider la situation à Saint-Cyr, qui demeurait toujours fort malsaine. Elle l’invita à Saint-Cyr, lui demanda officiellement d’examiner les écrits de Mme Guyon et lui fit comprendre qu’elle attendait de lui une condamnation. Pris ainsi entre deux feux, Bossuet tenta de gagner du temps. Parallèlement, les amis de Mme Guyon cherchaient à obtenir d’autres approbations auprès de Louis Tronson, supérieur de Saint-Sulpice, et de Louis Le Valois, jésuite, qui l’un et l’autre se dérobèrent.

Dès la fin d’octobre, Bossuet commença à prendre position en se déclarant hostile aux « communications de silence » dont usait Mme Guyon, et à ses idées sur la passivité mystique. Le 30 janvier 1694, le prélat et Mme Guyon eurent une longue entrevue chez un cousin de Bossuet, Hugues Jannon, qui demeurait rue Cassette, en face des bénédictines du Saint-Sacrement, avec qui Mme Guyon avait d’excellentes relations. [198 ] L’entretien fut assez décevant, et Bossuet s’y montra nettement hostile. Une nouvelle conférence le 20 février n’eut pas un meilleur résultat. Enfin, le 1 mars, par une lettre de plus de vingt pages, il rendit son jugement définitif, où il condamne l’ensemble des idées de Mme Guyon en partant du principe que le pur amour et l’état passif sont incompatibles avec la pratique des vertus théologales et morales : c’est déjà pour l’essentiel la thèse qu’il défendra contre Fénelon.

Depuis un an, Mme Guyon vivait fort retirée, soit à la campagne, soit dans sa maison de Paris, où elle ne recevait personne. À nouveau des bruits calomnieux circulaient sur son compte. Après la sentence de Bossuet, vers le 10 mars, elle revint à la campagne, cessant à peu près toutes relations, cessant même d’écrire au duc de Chevreuse avec qui, depuis de longs mois, elle entretenait une correspondance presque quotidienne. Mais Mme de Maintenon s’était chargée de rendre public le jugement défavorable de Bossuet, et il est possible qu’elle y ait ajouté des insinuations malveillantes concernant la vie morale de Mme Guyon.

Pour couper court à ces déplaisantes rumeurs, celle-ci, vers le 10 juin, écrivit à Mme de Maintenon pour lui demander officiellement à être examinée sur sa foi et ses mœurs. Mme de Maintenon n’accepta l’idée que pour ce qui concernait la doctrine, sachant pertinemment, par une enquête personnelle, qu’aucune charge d’ordre moral ne pouvait être retenue contre Mme Guyon, et elle obtint l’assentiment du roi. Les examinateurs choisis furent Bossuet, Tronson et Louis-Antoine de Noailles, évêque de Châlons et futur archevêque de Paris. En fait, Mme de Maintenon manœuvra de telle sorte que, dans cet examen, Fénelon fût mis en cause plus encore que Mme Guyon. Ce dernier le comprit et intervint activement, par l’envoi de nombreux mémoires, dans les conférences, ou Entretiens d’lssy, qui se tinrent à la maison de campagne du séminaire Saint-Sulpice auprès de L. Tronson, à peu près impotent. Mme Guyon y intervint à l’automne en envoyant aux examinateurs de volumineux cahiers de Justifications, rédigés en moins de deux mois, ot dont nous possédons encore l’original annoté de la main de Bossuet. Ce sont des recueils de textes fort bien choisis ; même en admettant, ce qui n’est nullement prouvé, qu’elle ait été aidée par son entourage, ils attestent une culture spirituelle peu commune.

Les Entretiens d’lssy faillirent être interrompus par une intervention de l’archevêque de Paris, Harlay, qui, mécontent de ces conciliabules qui se tenaient à son insu dans son propre diocèse, voulut en anticiper le résultat par un mandement en date du 16 octobre1694 où, sans nommer Mme Guyon, il condamnait le Moyen court et le Commentaire sur le Cantique des cantiques.

Mme Guyon ressentit durement ce coup. Elle traversa à nouveau une période d’exaltation, où elle conclut une nouvelle alliance avec saint Michel, l’archange du pur amour, et où elle institua « l’ordre des enfants de l’Enfant-Jésus », répartis en « Christofflets » et « Michelins », ces derniers pratiquant le parfait abandon ; ces expressions reviendront souvent désormais dans ses lettres. Cependant, elle envoya à Harlay une lettre affirmant sa soumission à la condamnation de ses livres. Malgré tout, les Entretiens d’lssy purent reprendre et, en décembre, Mme Guyon rencontra personnellement les examinateurs ; Tronson lui manifesta une évidente sympathie et jugea qu’elle exprimait ses idées d’une manière fort satisfaisante. Après des tractations embrouillées, les entretiens aboutirent, le 10 mars 1695, à la signature des trente-quatre [1321] Articles d’lssy, texte peu satisfaisant et fortement marqué par l’intellectualisme de Bossuet ; cependant Fénelon, nommé en février 1695 à l’archevêché de Cambrai, ce qui allait l’éloigner définitivement de Saint-Cyr, avait pu prendre part aux dernières négociations et arracher quelques concessions en faveur du mysticisme.

Dans l’intervalle, sous la pression de Mme de Maintenon, Bossuet avait envoyé Mme Guyon à la Visitation de Meaux ; elle y arriva le 13 janvier 1695 et y fut malade jusqu’à la fin de février. Pendant ce temps, Tronson, débordant en cela les intentions de Mme de Maintenon, faisait mener une enquête approfondie sur le comportement et les mœurs de Mme Guyon.

Toutes les pistes qui pouvaient conduire à un témoignage défavorable furent suivies, spécialement auprès de d’Arenthon et de Le Camus. Elles n’aboutirent qu’à un résultat entièrement négatif, comme le constatait Bossuet lui-même, qui semble d’ailleurs avoir été antérieurement renseigné sur ce point par Mme de Maintenon et qui n’en attendait rien. Bossuet se trouvait en fait, à cette date, enveloppé dans un problème beaucoup plus grave. À Meaux, conformément sans doute aux ordres de Mme de Maintenon, il avait fait tenir Mme Guyon dans une véritable captivité, mais là encore les visitandines, et spécialement la supérieure, Françoise-Élisabeth Le Picart, lui furent vite extrêmement favorables. Lorsqu’elle eut communication des Articles d’lssy, elle y vit d’abord « une invention de Baraquin », c’est-à-dire du démon, puis son émotion s’apaisa. Bossuet les lui communiqua officiellement au début d’avril, et elle les accepta sans discussion. Ultérieurement, les trente-quatre articles furent publiés dans trois instructions pastorales : une de Bossuet le 16 avril, une de Noailles le 25 avril et une beaucoup plus tardive de Godet des Marais le 21 novembre. Dans les trois documents, cette publication était assortie d’une condamnation des ouvrages de Mme Guyon et d’un opuscule publié par François La Combe en 1686 à Verceil, Orationis mentalis analysis. Mme de Maintenon eût voulu que Fénelon en fît autant dans son diocèse de Cambrai, mais il s’y refusa toujours obstinément.

Il paraît certain que Bossuet avait ordre, en outre, de faire signer à Mme Guyon la reconnaissance d’une hérésie formelle, ce qui eût justifié toutes les mesures contre elle, passées et futures. Comme elle avait accepté et la condamnation de ses ouvrages et les Articles d’lssy, le point précis était difficile à trouver. En plusieurs de ses écrits, Mme Guyon, à l’exemple de nombreux mystiques antérieurs, avait affirmé qu’au sommet de la vie spirituelle l’âme transcende la vision distincte de l’humanité du Christ. Bossuet y vit un prétexte pour lui faire affirmer qu’elle n’avait pas la foi explicite au Christ Homme-Dieu. Au cours d’une visite qu’il lui fit le 12 avril, il voulut lui faire signer une déclaration en ce sens, mais elle refusa. Le 14, il lui remit le texte d’un acte de soumission assez anodin, constitué par une protestation générale d’orthodoxie. Elle le lui rendit signé le 15 avril et en souscrivit le double sur le registre personnel de Bossuet ; il lui fit également souscrire une déclaration protestant de l’innocence de ses mœurs, et tenta à nouveau de lui faire signer une formule admettant qu’elle ne croyait pas au Verbe incarné ; il se heurta à un nouveau refus, et peu après Mme Guyon réussit à faire enregistrer devant notaire une déclaration protestant d’avance contre toute signature qu’on pourrait lui extorquer par la violence. Au début de mai, il lui fit souscrire son ordonnance pastorale du 16 avril et exerça sur elle de nouvelles pressions dans le même sens que précédemment, sans plus de résultat. D’autres entretiens du même genre, sans doute assez orageux, eurent lieu au cours des deux mois suivants ; l’entretien du 10 juin fut si dramatique que la mère Le Picart y prit la défense de Mme Guyon contre Bossuet. Le détail en est connu par les innombrables lettres que Mme Guyon écrivit à Chevreuse pendant toute cette période. Bossuet comprit qu’il n’arriverait jamais à satisfaire Mme de Maintenon ; pour s’en tirer, comme Mme Guyon demandait à se rendre aux eaux de Bourbon, il résolut de la laisser partir, mais en faisant croire à la femme du roi qu’elle avait quitté Meaux à son insu.

Le 2 juillet, après lui avoir donné la communion, il lni fit signer un acte de soumission dont elle reçut une copie, et il lui remit une attestation d’orthodoxie, brève et précise ; ces deux actes figuraient sur son registre personnel assortis d’une autre attestation d’orthodoxie, plus longue, mais vague. Mme Guyon contresigna le tout, et se hâta d’envoyer à Paris les deux pièces remises par Bossuet. Le lendemain, Bossuet vint pour lui reprendre l’attestation courte et lui remettre en échange une copie de l’attestation longue, mais il en fut pour ses frais. Emmenée par la duchesse de Mortemart, sœur de la duchesse de Chevreuse, Mme Guyon quitta la Visitation de Meaux le 9 juillet1695 ; elle emportait un certificat très élogieux des visitandines où, pour faire pièce à Bossuet, sa foi en l’incarnation était explicitement mentionnée. Vers le 21 juillet, Bossuet lui écrivit pour lui demander de revenir à Meaux et lui envoyer une copie de l’attestation longue en lui demandant l’attestation brève.

Naturellement, elle garda la première sans rendre la seconde et fit répondre qu’elle ne reviendrait jamais à Meaux. Un peu plus tard, les amis de Mme Guyon firent circuler des copies des attestations remises par Bossuet, au grand ennui de celui-ci qui tenta, mais vainement, de faire croire que l’attestation courte était fausse.

De toute manière, à partir de cette date, Mme Guyon ne joue plus, dans l’affaire du quiétisme, qu’un rôle de comparse tout à fait marginal : c’est entre Bossuet et Fénelon que se concentre la lutte. L’évident acharnement de Boesuet contre Mme Guyon n’a d’autre cause que son désir de tirer d’elle des arguments contre son adversaire. Rapidement, il sentit qu’il avait commis une imprudence en la laissant partir.

De son côté, la pauvre femme comprit que sa liberté, guettée par Mme de Maintenon et M. de Meaux, était précaire. Elle tenta de leur échapper par la fuite, songea à passer en Angleterre ou à aller à Lourdes visiter François La Combe dans sa forteresse, où il avait conquis quelques amitiés et d’où il correspondait avec elle. Après avoir passé quelques jours chez la comtesse de Morstein, elle y renonça. Au moyen d’intermédiaires, elle loua successivement une maison au faubourg Saint-Antoine ou elle resta six semaines, puis une autre rue Saint-Germain-l’Auxerrois, où elle demeura environ trois mois, et finalement acheta une petite maison très retirée à Popincourt, où elle vint habiter le 30 novembre avec ses deux femmes de chambre, et avec l’assistance d’un clerc du diocèse de Paris, nommé Paul Cousturier.

Cependant, Mme de Maintenon et Bossuet étaient bien décidés à ne pas la laisser échapper. Pendant les derniers mois de 1695 elle fut activement recherchée [1323] par la police et enfin arrêtée à son domicile par l’exempt Desgrez le 27 décembre, après avoir été gardée trois jours au domicile particulier de Desgrez, elle fut internée à Vincennes, probablement contre l’avis de Noailles et même dans une certaine mesure du roi, qui pensaient qu’un couvent eût suffi ; mais Bossuet fit tout ce qui était en son pouvoir pour que la captivité de Mme Guyon fût rendue aussi rigoureuse que possible. Les livres et les papiers qui se trouvaient dans la maison de Popincourt furent saisis, et plus tard Gabriel-Nicolas de La Reynie, lieutenant de police, et Pirot lui reprochèrent vivement d’avoir eu en sa possession des opéras de Quinault, quelques pièces de Molière, les Contes de Perrault et Don Quichotte.

Entre le 31 décembre 1695 et le 5 avril 1696, La Reynie fit subir à Mme Guyon neuf interrogatoires, dont les procès-verbaux nous sont parvenus. Malgré les ordres précis du ministre Pontchartrain, il y fait de fréquentes incursions, parfois assez comiques, dans le domaine doctrinal, mais à travers tout ce fatras l’intention de compromettre Fénelon et ses amis se révèle évidente, et ni lui ni Chevreuse ne se firent illusion là-dessus. Ce fut d’ailleurs sans le moindre résultat. Noailles, qui, dans l’intervalle, avait remplacé Fénelon dans les faveurs de Mme de Maintenon, laquelle l’avait fait nommer en août 1695 à l’archevêché de Paris, désapprouvait ces mesures de rigueur contre une femme. Il intervint pour faire adoucir sa détention, Il la fit interroger à trois reprises par Pirot, les 18, 20 et 27 avril ; celui-ci revint le 9 juin lui remettre une lettre critiquant violemment sa doctrine et ses relations avec le P. La Combe.

Cependant, Noailles se contenta de faire signer le 28 août à Mme Guyon un acte de soumission assez banal, rédigé par Fénelon et Tronson, et il obtint son transfert à Vaugirard, dans une communauté des sœurs de Saint-Thomas de Villeneuve qui avait pour supérieure Mme du Bois de la Roche. Elle y fut placée sous la responsabilité du curé de Saint-Sulpice, Jacques de la Chétardye. L’ordre en fut donné le 9 octobre, date à laquelle on lui fit signer une nouvelle soumission ; elle s’y installa le 16, avec les deux femmes de chambre qui l’avaient suivie à Vincennes, et y fut toujours dans une étroite captivité dont elle se plaignit amèrement. C’est de là que, pendant toute l’année 1697, elle suivit le développement de l’affaire des Maximes des saints. Elle continuait à correspondre avec Chevreuse, et les nombreuses lettres d’elle qui nous restent montrent jusqu’à quel point elle approuva Fénelon, partageant les angoisses et les espoirs de la petite confrérie du pur amour, Une fois encore, Bossuet allait chercher à tirer d’elle l’argument décisif qui lui permettrait de liquider son adversaire. Car, dès l’automne 1697, il devint évident que, sur le plan doctrinal, Fénelon regagnait du terrain, et Bossuet sentit que la victoire risquait de lui échapper, Il commença dès lors à prêter une oreille complaisante aux conseils de son neveu et agent à Rome, et il songea à transporter le conflit sur le terrain des personnes.

Trois lettres du P. La Combe avaient été saisies parmi les papiers de Mme Guyon, mais elles n’avaient jusqu’ici guère soulevé d’émotion. Il était clair pourtant que le tempérament hypernerveux du barnabite résistait mal à sa longue détention et que sa raison commençait à vaciller, le laissant livré à un douloureux complexe de culpabilité. On estima pouvoir tirer quelque chose de lui.

Dès les premiers jours de 1698, on saisit à nouveau ses papiers et on resserra sa captivité, Le 9 janvier, il envoya à l’évêque de Tarbes un mémoire qui est une véritable autocritique et dont quelques expressions permettaient de lui attribuer des fautes d’ordre moral.

Ce document fut envoyé à Bossuet qui immédiatement en expédia une copie à Rome, où elle arriva le 20 mars.

À peu près en même temps, Bossuet avait réussi à se procurer le texte d’un mémoire envoyé à Mme de Maintenon par Fénelon, où celui-ci parlait ouvertement de son attachement pour Mme Guyon, et il comprit tout le parti qu’il en pouvait tirer s’il réussissait à convaincre Mme Guyon d’immoralité avec La Combe.

En avril, le religieux fut transféré de Lourdes au château de Vincennes, où il arriva le 26 ; le 14 mai suivant, Noailles, accompagné de la Chétardye, vint à Vaugirard voir Mme Guyon et lui montrer une lettre à elle écrite par La Combe le 27 avril, où il l’invitait à reconnaître qu’il y avait eu « de l’illusion, de l’erreur et du péché » dans « certaines choses » qui étaient arrivées avec « trop de liberté » entre eux. En fait, des copies de cette lettre circulaient depuis une quinzaine de jours déjà, et Mme Guyon était au courant de son existence. Elle mit en doute son authenticité et ajouta que, si elle était vraie, elle prouvait simplement que La Combe était devenu fou. Elle demanda à être confrontée avec lui. Cela n’eut jamais lieu. Mais on espéra obtenir d’elle ce qu’on avait sans doute obtenu de La Combe, qui semble bien avoir, dans les semaines suivantes, multiplié les autocritiques, au cours des interrogatoires que lui fit subir La Reynie. Le 4 juin, Mme Guyon fut amenée par Desgrez à la Bastille et ses deux femmes de chambre, dont l’une, Françoise Marc, lui était dévouée depuis de longues années, mises à Vincennes, On l’enferma « dans la seconde chambre de la Tour du Trésor » et Desgrez lui fit porter deux charretées de meubles ; le 8, on lui donna une femme de service choisie par l’archevêque.

Le 26 juin, Bossuet faisait distribuer à la cour sa Relation sur le quiétisme où les relations entre Fénelon et Mme Guyon étaient cruellement persiflées, où elle était présentée comme une demi-folle et où étaient cités les passages les plus confidentiels de l’autobiographie qu’elle avait en 1693 confiée au prélat sous le sceau du secret. La malheureuse était désormais bien incapable de se défendre, tenue dans la plus rigoureuse réclusion, sans la moindre communication avec ses amis ou sa famille.

Pendant quelques semaines, Bossuet espéra obtenir d’elle, par l’entremise do La Reynie, des aveux qui lui eussent permis do consommer la perte de Fénelon, et le bruit courut à plusieurs reprises que c’était chose faite. Rien n’en était vrai, mais ces rumeurs, jointes aux déclarations vraies ou supposées du P. La Combe qui glissait peu à peu vers la démence se répercutèrent à Rome et firent le plus grand tort à la cause de Fénelon. Coupée de toute relation, Mme Guyon n’en sut probablement à pou près rien. Elle acceptait son sort avec une entière résignation, mais, vers la fin de l’année, tomba très malade. Au début de janvier 1699, on annonça même sa mort. A cette nouvelle, Fénelon, déjà relégué à Cambrai, écrivit simplement : « Je dois dire, après sa mort comme pendant sa vie, que je n’ai jamais rien connu d’elle qui ne m’ait fort édifié » (lettre du 16 janvier1699, Œuvres, t. 9, 1851, p. 619).

5° L’exil et les dernières années.

La condamnation des Maximes par le bref Cum alias le [1325] 12 mars 1699 et la déclaration officielle qui fut faite par Bossuet en juillet 1700 à l’Assemblée du Clergé parurent aux yeux du public la conclusion de l’affaire.

Ce ne fut point vrai pourtant pour Mme Guyon qui demeura encore longtemps en prison et ne recouvra jamais son entière liberté. Pendant toutes ces années, nous perdons à peu près sa trace.

Quelques allusions dans les correspondances administratives montrent qu’elle était toujours tenue au secret, qu’on interdisait à ses enfants de la visiter et qu’il fallait une permission de l’archevêque même pour lui apporter un prie-Dieu.

Noailles lui fit donner comme confesseur un jésuite de la plus haute valeur, Isaac Martineau +1720, dont elle fut tort contente, et qui sans doute intervint ultérieurement en faveur de sa libération. Dès 1700, Pontchartrain et La Reynie lui-même avaient renoncé à tout espoir de convaincre Mme Guyon d’aucun délit réel justifiant son incarcération, et vers mai 1701 on songea à la libérer ; au témoignage de Mme de Maintenon, ce fut Bossuet qui s’y opposa.

Pour Mme Guyon, en dépit de son abandon à Dieu, ces années furent douloureuses : « J’étais encore plus exercée au-dedans qu’au-dehors, Tout était contre moi. Je voyais tous les hommes unis pour me tourmenter et me surprendre, tout l’artifice et toute la subtilité d’esprit de gens qui en ont beaucoup et qui s’étudiaient à cela, et moi seule et sans secours, sentant sur moi la main appesantie de Dieu, qui semblait m’abandonner à moi-même et à ma propre obscurité » (Vie, t. 3, p. 256), Enfin, à la fin de janvier 1703, ses enfants furent autorisés à la voir et la trouvèrent très affaiblie par sa longue claustration. Peu après, elle tomba si gravement malade qu’on crut sa fin prochaine. À cette date, Bossuet était lui-même sur son déclin et il ne s’opposa plus à sa libération. Le fils de Mme Guyon obtint sans trop de peine la permission de la prendre en charge pour six mois, à la condition qu’elle n’ait « aucune communication de vive voix ni par écrit avec qui que ce soit ». Le samedi 24 mars 1703, à quatre heures de l’après-midi, elle quitta la Bastille en litière.

Armand-Jacques Guyon, son fils aîné, avait dû abandonner la carrière militaire en 1689, après une grave blessure. Il avait épousé le 24 juin 1692 Marie de Beauxondes et il habitait depuis sur une des terres de sa femme au château de Diziers, sur la paroisse de Saint-Martin de Suèvres, non loin de Blois. C’est là qu’il installa sa mère. Mme Guyon tut placée sous la surveillance du nouveau et premier titulaire du siège de Blois, créé en 1697, David-Nicolas de Bertier, un ami de Fénelon, quoiqu’en bonnes relations avec Bossuet.

La permission accordée tut renouvelée pour six mois encore le 9 septembre 1703, puis rendue définitive. Vers le milieu de 1706, comme Mme Guyon s’entendait mal avec sa belle-fille, elle chercha une autre retraite et envisagea d’aller habiter Courbouzon, près de Beaugency. Mais Pontchartrain refusa, exigeant qu’elle restât dans le diocèse de Blois. Après avoir passé quelque trois mois à Forges, près de Suèvres, elle obtint l’autorisation d’acheter à Blois même une maison sise dans les hauts quartiers, au-dessus des fossés du château, près de l’ancienne église Saint-Nicolas, aujourd’hui disparue. C’est là qu’elle vécut paisiblement ses dernières années, en bon accord avec l’évêque, faisant l’édification de tous ceux qui l’approchaient. Elle avait gardé à son service la fille qui avait été avec elle à la Bastille ; elle avait en outre trois autres servantes et un domestique. Ses infirmités, qui allèrent sans cesse en s’aggravant, ne lui permettaient guère de quitter sa demeure.

Autour d’elle, moralement sinon physiquement, la petite confrérie du pur amour se regroupa. Tous ses anciens amis lui demeurèrent fidèles. Loin de lui reprocher d’avoir brisé sa carrière, Fénelon garda toujours pour elle la même profonde et affectueuse vénération.

Mais, suspects l’un et l’autre, ils étaient contraints à la plus grande prudence ; la correspondance entre eux dut être rare, et les quelques lettres qu’ils purent échanger en se servant d’intermédiaires sûrs furent certainement détruites.

Il semble que l’un de ces intermédiaires ait été Isaac Dupuy, ancien gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne, ami de Fénelon et enveloppé dans sa disgrâce, qui fit alternativement de longs séjours à Cambrai et à Blois. Ce qui est certain, c’est que Fénelon envoya à Mme Guyon ses disciples d’élection. [199 ]. L’un des plus importants est son petit-neveu préféré, Gabriel-Jacques, marquis de Fénelon (1688-1746), qui fut élevé auprès de lui à Cambrai. Fénelon l’envoya faire plusieurs séjours à Blois. Il correspondait assidûment avec Mme Guyon ; il était auprès d’elle au moment de sa mort et ce fut lui qui reçut la mission de porter son cœur à Paris. [200 ].

Dans la vie de Mme Guyon, ces dernières années furent marquées surtout par son action sur les milieux protestants de tendance piétiste, spécialement en Angleterre et en Hollande. Il est fort possible qu’elle ait été très tôt, antérieurement à ses divers emprisonnements, en relation avec le célèbre pasteur Pierre Poiret (1616-1719), qui dès cette date s’intéressait à ses ouvrages imprimés ou manuscrits : c’est en effet très vraisemblablement aux soins de Poiret qu’il faut attribuer une édition de ses Poésies spirituelles parue à Cologne en 1689. De toute manière, ce fut Poiret qui, dans le temps de sa captivité, contribua puissamment à répandre sa réputation dans le milieu piétiste.

Au témoignage du même Poiret, « quelques seigneurs d’Allemagne et d’Angleterre et d’ailleurs, non contents d’une simple lecture, ayant ouï dire que cette dame, depuis la mort de son plus grand adversaire, avait été délivrée de sa dure captivité et reléguée quelque part où pourtant il n’était pas impossible de la visiter, résolurent de tenter s’ils y pourraient réussir. Ils eurent la satisfaction de la trouver et de lui parler à souhait » (Préface à la Vie, t. I, p. XIV). Ces visites doivent se situer assez tôt après sa libération, et il est probable que ce fut là une des raisons des dissentiments qui opposèrent Mme Guyon à sa belle-fille. Dès qu’elle eut sa demeure indépendante à Blois, certains d’entre eux vinrent passer de longs mois, des années parfois auprès d’elle. C’est en particulier dans le milieu jacobite d’Écosse qu’elle fit un grand nombre d’adeptes, dont plusieurs eurent un sort tragique dans l’insurrection de 1715.

Joints aux amis français, ces visiteurs étrangers formaient autour d’elle une véritable petite communauté, où les rapports n’étaient pas toujours paisibles et où celle qu’ils appelaient « notre Mère » devait parfois rétablir le calme. Mme Guyon disposait d’une chapelle privée contiguë à sa chambre, ornée d’une foison de tableaux pieux, et où on disait la messe chaque matin ; souvent ses hôtes protestants y assistaient cachés derrière les rideaux de son lit et s’agenouillaient. Avec tout ce milieu, elle entretint une surabondante correspondance, qu’elle dicta pendant ses derniers mois, où il ne lui fut plus possible d’écrire. Les innombrables lettres d’elle ou de ses correspondants qui nous sont parvenues permettent de se faire une haute idée de la direction qu’elle leur donnait : sage, pondérée, pénétrante, profondément intérieure. Ses amis étaient répartis en deux zones : les « Cis », français et catholiques [1327], et les « Trans », étrangers et le plus souvent protestants. Souvent, jadis, elle avait été hantée par l’idée qu’elle avait un apostolat à accomplir auprès des protestants, et ses dernières années réalisèrent ses pressentiments.

Mais son attitude à l’égard du protestantisme, surtout à son époque, est particulièrement digne de remarque. Elle était profondément persuadée que le catholicisme romain était en soi la seule véritable religion, mais convaincue aussi qu’un protestant de bonne foi et pieux pouvait faire son salut. D’autre part, elle se défiait des conversions brusquées, trop sentimentales ou peu fondées, et conseillait à ses disciples de n’accomplir cette démarche qu’en pleine connaissance de cause : en fait, beaucoup d’entre eux demeurèrent dans le protestantisme, Ce fut le cas par exemple d’un de ses correspondants les plus assidus, le baron de Metternich, qu’elle fit cependant revenir de ses violentes préventions contre l’Église romaine. Ce qu’elle voulait d’abord, c’était amener les protestants à ce qu’elle appelait « l’intérieur », c’est-à-dire la vie d’oraison, et en faire, comme elle disait, des « Enfants du Petit Maître », — c’était le nom qu’elle donnait à l’Enfant-Jésus. Avec les années, cette dévotion n’avait fait pour elle, que s’intensifier : elle utilisait un cachet représentant un Enfant-Jésus entouré de rayons et gardait dans sa chambre un petit Jésus de cire couvert de bijoux. Sur ce terrain de la piété et de la dévotion à l’Homme-Dieu, elle estimait que catholiques et protestants pouvaient se rejoindre, et elle eut en ce domaine une action très intense.

Dans le groupe de ses disciples, une mention particulière doit être faite de l’extraordinaire figure du chevalier André-Michel Ramsay (1686-1743), d’origine écossaise, converti au catholicisme romain dans l’entourage de Fénelon au début de 1711, et que celui-ci envoya à Mme Guyon. Ramsay s’installa vers la fin de 17I3 à Blois où il loua une maison, et son admirable connaissance du français lui permit de servir de secrétaire à celle qu’il nomme dans ses lettres « ma sainte Mère ». Plus tard, il se fit l’historien de Fénelon et écrivit aussi un supplément à l’autobiographie de Mme Guyon, où sont décrites ses dernières années. [201 ].

Mme Guyon ressentit douloureusement les décès d’amis qui vinrent endeuiller sa retraite. En 1714, au moment de la mort de Beauvillier, elle réussit à faire parvenir à Fénelon plusieurs lettres de consolation. La mort de l’archevêque, le 6 janvier 1715, lui fut un coup très cruel. Le marquis de Fénelon lui envoya un récit détaillé de la mort de son oncle, accompagné d’un reliquaire, d’un manteau, de quelques livres qui lui avaient appartenu et son portrait.

Depuis de longues années, sa vie devenait fragile et ses amis en considéraient la prolongation comme quasi miraculeuse. En mars 1714 déjà, elle avait failli mourir. Au début de mars 1717, elle fut à nouveau très gravement malade, mais tint trois mois encore. Autour de son lit d’agonie, elle eut ses enfants, le marquis de Fénelon, Ramsay et trois autres amis écossais. Vers le milieu de juin, Ramsay écrivait à un correspondant anglais : « Elle est morte le 9 de ce mois, à onze heures et demie du soir. Elle me dit le matin, avant et après avoir reçu le saint viatique, qu’elle était dans un état de délaissement extrême. Je compris que le Petit Maître la rendait conforme à son état sur la croix, quand il dit : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ?” Je le lui dis même, et elle ne répliqua que ces paroles, avec une douceur et un abandon parfaits : Mon Dieu, vous m’avez abandonnée ! Le reste du jour jusqu’à six heures du soir se passa en grandes douleurs et souffrances. Alors elle reçut l’extrême-onction et sembla perdre connaissance de tout ce qui est au-dehors, et expira sans douleur, sans peine, dans un silence et une paix profonde ».

Quelques jours auparavant, elle avait dicté un testament où elle avait protesté une dernière fois de son attachement à l’Église et de son orthodoxie foncière. Selon son désir, elle fut ensevelie à Blois dans le cloître des récollets.

2. ŒUVRES

Mme Guyon a beaucoup écrit, avec une facilité parfois un peu inquiétante de graphomane, que traduit bien son écriture rapide, cursive et liée ; elle ne se relisait pratiquement pas et en était fière, y voyant une assistance du Saint-Esprit. Sur le plan littéraire, son style ne manque pas de charme et fourmille de trouvailles heureuses ; on la lit aisément, mais le bavardage est chez elle fréquent et les redites innombrables.

Il demeure d’elle une quantité considérable d’inédits, dispersés en divers dépôts, surtout Paris, Bibliothèque nationale et séminaire Saint-Sulpice, Oxford et Lausanne. Outre les publications occasionnelles que nous avons signalées et qui marquent la première partie de sa carrière, l’ensemble de son œuvre a fait l’objet de deux publications en série, l’une par le pasteur Poiret, de 17I2 à 1720, en 39 volumes, l’autre parle pasteur Jean-Philippe Dutoit, de 1767 à1791 en quarante volumes. Il y a quelques différences entre ces deux éditions, et Dutoit a ajouté à la sienne des préfaces dithyrambiques.

1° La vie de Mme J. M. B. de la Motte-Guyon, écrite par elle-même, qui contient toutes les expériences de lu vie intérieure, Cologne, 1720 (2 éditions), et Paris, 1790, 3 vol.

Une première version écrite sur l’ordre de François La Combe, probablement à Thonon ou Turin, est perdue [202 ]. La majeure partie du texte actuel a été rédigé chez les visitandines en 1688 ; elle y fit deux additions importantes vers la fin do 1688 et vers la fin de 1709. Elle en confia un manuscrit à un visiteur anglais qui est probablement Lord Deskford, lequel l’emporta en Angleterre ; ce manuscrit est vraisemblablement celui qui est conservé à la Bibliothèque bodléienne d’Oxford, dans la collection Rawlinson, et il présente de très intéressantes différences avec l’imprimé. On peut en trouver une « édition partielle dans Les Cahiers de la Tour Saint-Jacques, n. 6, 1962. [203 ]

À la mort de Mme Guyon, Poiret reçut une copie très soignée, prise, dit-il, sur l’original, revue par Mme Guyon elle-même. Immédiatement, il voulut l’éditer, mais se heurta à une vive opposition de Ramsay et aussi à la fille de Mme Guyon, lesquels jugeaient cette publication inopportune, ce qui tut aussi l’avis du marquis de Fénelon. Retardé par ces difficultés, l’ouvrage parut seulement après la mort de Poiret. C’est en partie à titre de correctif que Ramsay publia sa propre Histoire de la vie et des ouvrages de Fénelon (La Haye, 1723).

2° Opuscules spirituels, Cologne, I704, I712, 1720 ; Paris, 1790, 2 vol.

Ce recueil comporte le Moyen court et très facile de faire oraison, déjà édité (Grenoble, 1685 ; Lyon, 1686 ; Paris, 1686, 1690 ; Rouen, 1690), suivi, comme dans toutes les éditions antérieures, d’une lettre de Jean Falconi (cf art. FALCONI), puis vient une Courte apologie pour le Moyen court, rédigée en 1693. Ensuite, Les Torrents spirituels ; il en existe de nombreux manuscrits qui présentent entre eux et avec l’imprimé des différences qui mériteraient d’être examinées de près ; l’édition de 1704 est incomplète et ne comprend que la première partie. Ensuite un Traité de la purification de l’âme après la mort ou du [1329] Purgatoire, inspiré de sainte Catherine de Gênes, et un Petit abrégé de la voie et de la réunion de l’âme à Dieu.

Les dates de composition de ces opuscules sont incertaines. Le suivant, Règles des associés à l’enfance de Jésus, pose un difficile problème. Il a été imprimé antérieurement à Lyon en 1685 et 1690 avec une approbation très élogieuse du vicaire général Bédien Morange, qui précise que l’auteur est une femme. C’est donc d’une manière absolument fantaisiste que Dominique de Colonia sj (Bibliothèque janséniste, Lyon, 1731, p. 481) l’attribue à Bernières ; cette attribution est reproduite dans toutes les éditions de l’Index à partir de 1900. Bossuet, Noailles, Godet des Marais, d’Arenthon, Nicole, Pirot, Paul Cousturier et même Poiret, à des titres divers, le tiennent pour un ouvrage de Mme Guyon. Cependant celle-ci ne l’a jamais reconnu comme son œuvre. La dédicace à l’Enfant-Jésus précisant que « diverses personnes » y ont contribué, il est vraisemblable que Mme Guyon le considérait non comme une production personnelle, mais comme une compilation ; il n’a cependant pas été possible d’en identifier les éléments. Vient ensuite une Instruction chrétienne pour les jeunes gens, d’intérêt médiocre, deux opuscules de François La Combe, et des Règles des Michelins, fragment d’un écrit plus étendu dont un manuscrit de la bibliothèque de Saint-Sulpice conserve le texte intégral.

3° Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la Vie intérieure, Cologne, 1716 ; Paris, 1790, 2 vol.

C’est un recueil très composite, mais où probablement de nombreux morceaux sont tardifs et doivent se situer à la période de Blois. Les discours 7 et 4 7 sont en fait de Fénelon. Réédition partielle : Douze discours spirituels, Paris, 1903.

4° Poésies et cantiques spirituels sur divers sujets qui regardent la Vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, Cologne, I7I6 ; Paris, 1790, à vol. Le 4e volume inclut le Recueil de poésies spirituelles publié antérieurement à Cologne, 1689.

Un certain nombre de ces poèmes turent écrits pendant la captivité de Mme Guyon, mais bien plus encore à Blois pendant ses dernières années, comme en témoigne le marquis de Fénelon : « Ses tables, les lambris de sa chambre, tout ce qui lui tombait sous la main, lui servait à y écrire les heureuses saillies d’un génie fécond et plein de son unique objet ». Mme Guyon versifiait avec une incroyable facilité et souvent composait des paroles sur les airs que lui chantaient ses amis. Ses poèmes ne sont point tous également mauvais [204 ], et quelques-uns contiennent de belles trouvailles.

5° L’âme amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, Cologne, 1716 ; Paris, 1790,

Les recueils d’emblèmes utilisés avaient paru respectivement en 1615 et 1624 et avaient eu grand succès au 17e siècle (voir art. EMBLÈMES, DS, t. 4, col. 605-609). Les poèmes qui commentent les gravures semblent avoir été eux aussi écrits à Blois.

6° La sainte Bible, ou le Vieux et le Nouveau Testament, avec des explications et réflexions qui regardent la pie intérieure, Cologne, I713.17I5 ; Paris, 1790, 20 vol., soit 12 pour l’Ancien Testament et 8 pour le nouveau.

De ce volumineux ensemble, seul avait paru antérieurement Le Cantique des Cantiques de Salomon interprété selon le sens mystique, Lyon, 1688 (mis en vente à l’automne 1687). Poiret eut beaucoup de mal à récupérer des copies des différentes parties de cet ouvrage, Mme Guyon ne les possédant plus. Ce commentaire est inégal, souvent prolixe et diffus, mais il contient de beaux passages. La plus grande partie en fut écrite à Grenoble en 1684 ; cependant, le commentaire sur l’Apocalypse fut ajouté à Verceil l’année suivante ; c’est un des morceaux les plus intéressants.

7° Les justifications de Mad. J. M. B. de la MotheGuyon écrites par elle-même, Cologne, 1720 ; Paris, 1790, 3 vol. (l’éd, de 1790 porte un titre légèrement différent).

Il s’agit du recueil de textes des auteurs mystiques envoyé par Mme Guyon pour sa défense aux examinateurs d’Issy, en octobre 1694.

Le manuscrit copié par la femme de chambre de Mme Guyon, Françoise Marc, remis à Bossuet et annoté par lui, existe encore à la Bibliothèque nationale de Paris. Il y a quelques variantes par rapport au texte imprimé, et l’ordre des citations n’est pas toujours identique.

8° Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, Cologne, I7I7, 1 vol. ; Londres, 1767-1768, 5 vol.

Du vivant même de Mme Guyon, la plupart de ses disciples conservaient précieusement les lettres qu’ils recevaient d’elle, souvent même les copiaient. Nombre de recueils ainsi constitués nous sont parvenus. [205 ]. C’est de bette manière qu’au lendemain même de la mort de Mme Guyon, Poiret put faire paraître son édition.

Le 5e volume de l’édition Dutoit contient les lettres échangées entre Mme Guyon et Fénelon en 1688-1689, lesquelles n’avaient été que très partiellement utilisées par Poiret. Voir un essai de restitution critique avec une très intéressante introduction dans M. Masson, Fénelon et Mme Guyon, Paris, 1907.

Une édition critique des lettres de Mme Guyon serait grandement souhaitable. Quelques-unes ont été publiées d’une manière particulièrement satisfaisante, soit dans les diverses éditions des lettres de Fénelon, soit dans l’édition Urbain-Levesque de la correspondance de Bossuet. D’autres ont été publiées dans la Revue Fénelon (1910, n. 2 et 3, p. 109-126, 165-169 ; 1911, n. 3-4, p. 194-217 ; 1912, n. 1-2, p. 1-20 lettres à Chevreuse). Enfin, 22 lettres de Mme Guyon se trouvent à la fin du t. 4 du Directeur mystique, Cologne, 1726, à vol., dont les 3 premiers contiennent des traités et des lettres de Bertot. Il est assez probable que ce recueil avait été préparé par Poiret avant sa mort.

Il faut enfin considérer comme étant très probablement l’œuvre de Mme Guyon la Manière courte et facile pour faire l’oraison en foi et de simple présence de Dieu, publiée par Jean-Pierre de Caussade dans ses Instructions spirituelles (Perpignan, 1741) comme écrit de Bossuet, mais qui est en réalité un petit traité anonyme provenant de la Visitation de Meaux et attribué au prélat par les visitandines ; c’est visiblement une adaptation du Moyen court. On peut également avec une certitude quasi totale considérer comme de Mme Guyon un écrit anonyme Sur l’anéantissement publié dans J. — L. Goré, La notion d’indifférence chez Fénelon et ses sources, Paris, 1956, p. 286-293. [206 ].

3. SPIRITUALITÉ

1° Personnalité et sources.

Pour aborder Mme Guyon en toute objectivité, il faut se placer en dehors d’une polémique où les éléments personnels et politiques ont tenu une place considérable, et où se manifeste en outre un antimysticisme qui est une [1331] donnée caractéristique et très générale de la mentalité de l’époque, dans laquelle elle n’a à proprement parler aucune responsabilité. D’autre part, il est bon de se souvenir que les idées de Mme Guyon n’ont fait l’objet d’aucune condamnation romaine réellement déterminante. Le bref Cum alias, arraché à Innocent XII bien contre son désir, ne vise que la systématisation fénelonienne, et encore d’une manière très atténuée.

Seuls le Moyen court et la Règle des associés ont été mis à l’Index en traductions italiennes en 1689, dans la réaction contre Molinos, qui atteignit des œuvres aussi solidement autorisées que le Chrétien intérieur et les Œuvres spirituelles de Bernières, la Règle de perfection de Benoît de Canfield, et plus tard le Catéchisme spirituel de Surin. Ni le commentaire sur le Cantique des cantiques ni aucune des œuvres ultérieures de Mme Guyon n’a fait l’objet d’une condamnation du Saint-Office.

Ses vertus personnelles, et spécialement son détachement, sa patience, sa résignation, sa charité, ne sauraient être mises en doute. D’autre part, la profondeur de sa vie intérieure et la réalité des grâces mystiques qu’elle reçut ne semblent guère discutables ; un juge sérieux et d’ailleurs prévenu contre elle comme Auguste Poulain (Des grâces d’oraison, Paris, 1901, p. 244) l’admet pour la première période de sa vie, mais on ne voit guère de raison pour ne pas étendre son jugement au reste. Ces grâces pourtant ne sont pas sans mélange : l’existence chez elle d’un certain déséquilibre est indubitable ; sa naissance prématurée et les frustrations affectives de son enfance ont probablement joué là un rôle important. La présence dans son cas d’un certain nervosisme est évidente, attestée par de nombreux symptômes, par exemple par ces « plénitudes », où elle voit des effusions de grâce, mais qui lui donnent de telles sensations d’étouffement que les assistants doivent délacer son corset ; à cet égard pourtant, les syndromes qu’elle présente sont moins graves que ceux offerts par d’autres mystiques plus indiscutés, une sainte Catherine de Gênes par exemple. Son illuminisme s’étale sans réserves : les rêves, les motions, les visions intérieures jouent chez elle un rôle considérable et parfois un peu inquiétant. Elle tend à voir partout des miracles ou des signes divins. C’est une hypernerveuse, hypersensible, impulsive, exubérante, souvent bavarde ; Fénelon disait d’elle joliment qu’elle était « naturellement exagérante et peu précautionnée dans ses expressions » (lettre à Mme de Maintenon, 7 mars 1696, Œuvres, t. 9, Paris, 1852, p. 81), Elle n’est pas exempte parfois d’une certaine puérilité. Tout ceci n’empêche pas que la plupart de ceux qui l’approchent ne la trouvent profondément édifiante.

Il est un point sur lequel son dossier doit être totalement révisé : c’est celui de son influence. Partout où nous la saisissons sur des témoignages directs et indubitables, cette influence est ordinairement excellente, apaisante, équilibrée, solide. C’est le cas, nous l’avons vu, de son apostolat en milieu protestant pendant ses dernières années. Mais la direction qu’elle dispensa à Fénelon au début de leurs relations est d’une pénétration non moins remarquable ; il lui dut sans doute sa disgrâce, mais il lui dut aussi d’avoir été une des plus grandes figures des lettres et de la pensée française, et non point seulement un ecclésiastique de cour bien doué. Les Pensées intimes de Beauvillier (éd. par Marcel Langlois, Paris, 1925) rendent un [1332] témoignage analogue, dont on pourrait trouver bien d’autres exemples dans le milieu qui gravita autour d’elle. [207 ] Sous ce rapport, on ne lui rend ordinairement pas justice, et on ne saurait considérer comme décisif le cas malheureux, en grande partie pathologique, de François La Combe.

Cependant, la spiritualité dont elle a vécu et qu’elle a dispensée autour d’elle est en fait peu originale. Les sources en sont assez nombreuses et elles s’inscrivent en général dans la ligne du groupe mystique français au début du 17e siècle, nommé quelquefois école abstraite. Saint François de Sales et Mme de Chantal l’ont orientée dès sa jeunesse vers le pur amour et le saint abandon, mais en outre l’influence de Bertot, à en juger par les lettres publiées dans le Directeur mystique et dont beaucoup lui sont adressées, l’a guidée vers les thèmes chers à Jean de Bernières : l’abjection, l’anéantissement, la perte totale dans l’essence divine.

Elle a d’ailleurs bien connu les œuvres de Bernières, et aussi celles du prémontré Épiphane Louys, qui est en grande partie son disciple. Comme la plupart des spirituels du 17e siècle, elle doit quelque chose à la Règle de perfection de Benoît de Canfield. Elle a beaucoup pratiqué Jean de Saint-Samson. Elle connaît les lettres et les relations de l’ursuline Marie de l’Incarnation [édités par son fils dom Martin — rencontré]. Mais d’autres auteurs plus anciens lui sont familiers, tout particulièrement sainte Thérèse et saint Jean de la Croix, dont elle fut au I7e siècle, au témoignage de J. Baruzi, une des meilleures interprètes ; elle avait aussi un particulier attachement à sainte Catherine de Gênes, à laquelle elle fait de nombreux emprunts. Elle a eu quelque connaissance directe des rhéno-flamands, Il ne semble pas qu’elle ait lu Jean Tauler autrement que dans des anthologies, mais elle a utilisé Jean Ruusbroec et Harphius et elle a pris à Henri Suso la célèbre comparaison du « guenillon » dans la gueule du chien. Il est peu probable qu’elle ait su assez de latin pour les aborder sans aide, mais elle a eu recours aux traductions françaises qu’elle corrige parfois. Dans l’ensemble, sa culture spirituelle est celle d’une autodidacte, mais vaste et approfondie.

2° Anti-intellectualisme et oraison du cœur.

Vers la fin de sa vie, Mme Guyon écrivait au marquis de Fénelon : « Je vous avoue que je n’aime point Descartes, ni le système du P. Malebranche » (lettre inédite, citée par A. de la Gorce, art. cité infra, p. 196) [208 ], Toute sa vie, elle avait estimé qu’on n’atteint pas Dieu par la voie du raisonnement, ni par l’enchaînement des pensées : sous ce rapport, son anti-intellectualisme est aussi radical que celui de Benoît de Canfield ou de saint Jean de la Croix. La méthode qu’elle propose est celle de la recherche de Dieu présent au plus profond de l’âme, car « il est plus en nous que nous-mêmes, et a plus de désir de se donner à nous que nous de le posséder » (Moyen court, Opuscules, t. I, p. 12). Comme le remarquera Bossuet, elle ne fait pas de distinction entre la présence de Dieu naturelle par omniprésence et sa présence par grâce, mais avant elle ni les rhéno-flamands ni saint François de Sales n’avaient fait cette distinction. D’où son opposition aux méthodes organisées en l’oraison, où la vraie règle c’est « de n’y garder aucune règle choisie par nous-mêmes, mais de la faire selon la volonté de Dieu, nous laissant doucement conduire par son Esprit, qui est l’auteur de toute vraie oraison » (Règle des associés, Opuscules, t. 2, p. 368). Puisque « l’oraison n’est autre [1333] chose que l’application du cœur à Dieu et l’exercice intérieur de l’amour », la voie en est ouverte à tous : il s’agit de chercher dans et par l’amour Dieu présent en soi et de faire « non point l’oraison de la tête, mais l’oraison du cœur » (Moyen court, Opuscules, t. I, p. 9 et 11). Sur ce point, — antiméthodisme et abandon au Saint-Esprit —, elle rejoint un grand nombre de ses prédécesseurs du 17e siècle, spécialement Condren, Séguenot, Olier, Marie de l’Incarnation.

Si l’âme est fidèle à chercher Dieu dans la simplicité, peu à peu, sous l’action divine, elle « ressent que le calme s’empare d’elle-même » et que « le silence fait toute son oraison ». Ici encore, sans vouloir devancer une grâce qu’elle estime très largement donnée, elle pense que l’effort de l’homme doit être surtout négatif et consister à « faire cesser l’action et l’opération propre pour laisser agir Dieu » (ibidem, t. I, p. 33-34). Dieu commence alors à lui donner « un amour infus qui est le commencement d’un bonheur ineffable » (p. 33). Il y a donc recherche d’une véritable technique du silence intérieur et de la présence divine, et ses idées ici ne sont point sans présenter une certaine parenté avec celles du carme Laurent de la Résurrection, qu’elle admirait beaucoup. Cependant, elle en accentue encore le psychologisme, car elle attache une importance capitale à ce qu’elle appelle le « goût expérimental de la présence de Dieu » (p. 18), et aussi au plaisir intérieur qui peut en résulter : par la place qu’elle fait à l’hédonisme spirituel, elle est bien de son temps et rejoint parfois curieusement un adversaire comme Pierre Nicole. Elle aussi pense que l’attrait divin se reconnaît « par la douceur d’efficacité et la pureté qui l’accompagnent » (Règle des associés, Opuscules, t. 2, p. 369).

Pourtant, elle dépasse ce psychologisme et cet hédonisme. Car elle est tellement convaincue qu’aucun moyen créé ne peut servir d’intermédiaire entre l’âme et Dieu qu’elle parvient aisément à cette idée, que l’union divine transcende toute perception possible, qu’elle s’opère dans l’obscurité alJsolue et le non-voir.

Sur ce point, l’influence de saint Jean de la Croix est particulièrement sensible. Comme lui, elle pense que Dieu ne peut être atteint que dans l’absolue indétermination, l’informulé, la ténèbre. La « contemplation doit être nue et simple » parce que Dieu est « un être pur et simple » et qu’on ne peut « contempler ce qu’il est que selon ce qu’il est ». Il n’y a donc « que la foi obscure et nue qui puisse nous donner cette contemplation pure et générale » (Discours, t. I, p. 285).

Mme Guyon a consacré les dernières pages du Moyen court à répondre à une objection dont elle sentait toute l’importance et à montrer que, dans cette oraison de silence, l’âme ne demeurait pas oisive et inactive.

Elle insiste sur le fait que cette action, quoique négative, n’en est pas moins réelle, et qu’elle tire sa particulière noblesse du fait qu’elle s’accomplit « par dépendance du mouvement de la grâce » (Opuscules, t. I,, p. 50) et qu’elle suppose une ascèse très exigeante. Cependant, sur ce point, elle use de formules qui sont inégalement heureuses et qui insistent trop sur l’aspect d’abandon passif de cette voie. On peut lui donner raison lorsqu’elle conseille de ne pas se charger de prières vocales en dehors de celles d’obligation. Mais elle entre dans un domaine plus scabreux lorsqu’elle affirme que, dans l’examen de conscience, nous devons « attendre plus de Dieu que de notre propre recherche la connaissance de nos péchés », et qu’elle ajoute qu’alors « l’âme se trouvera dans un état d’impuissance de faire des demandes à Dieu » (p. 40 et 44). Une telle généralisation de l’état passif ne va point sans quelque imprudence.

3° L’anéantissement et l’abandon.

Mme Guyon indique à plusieurs reprises qu’il y a une double manière d’aller à Dieu. L’une, « par voie d’élévation au-dessus de soi », suppose des extases et des ravissements, mais elle est peu sûre et sujette à l’illusion. L’autre, « par voie d’anéantissement et de nudité », ne comporte pas les mêmes dangers. C’est une voie « toute de mort », mais où l’âme arrive, sans phénomènes extraordinaires, à une « extase permanente en son divin objet » ; pour y entrer, l’âme doit « se perdre par une entière mort de volonté en ce qu’elle a de propre » (Justifications, t. I, p. 179). De toute évidence, elle retrouve la voie d’annihilation proposée par les rhéno-flamands, où l’âme perdra « cette impureté si opposée à l’union qui est la propriété et l’activité » (Moyen court, Opuscules, t. I, p. 72). Pour décrire ce processus, elle emploie volontiers un symbolisme funèbre auquel elle a donné dans les Torrents un développement particulièrement systématique. Pour autoriser ce symbolisme du « trépas mystique », elle recourt à l’exemple de Jean de Saint-Samson, mais elle aurait pu tout aussi bien invoquer Jean Ruusbroec. Elle en décrit minutieusement les étapes : agonie, mort, ensevelissement, pourriture, réduction en cendres et finalement résurrection. Cet enchaînement de métaphores est quelquefois d’une insistance un peu appuyée, mais il recouvre une théorie fort cohérente de la voie mystique. La manière dont elle présente l’anéantissement est d’ailleurs d’une précision dont on ne trouve pas toujours l’équivalent chez d’autres auteurs, qui se grisent de formules au néantisme vertigineux. Elle prend bien soin de remarquer que, lorsqu’on parle d’« anéantissement des puissances », cela « ne se doit point entendre d’un anéantissement physique », ce qui « serait ridicule » (Vie, t. I, p. 103). Ce qu’elle met sous le terme d’anéantissement, c’est l’effort de l’âme pour se « vider de tout ce qu’elle a de propre et d’opposé à la volonté de Dieu » qui la fait « renoncer à toutes inclinations particulières, quelque bonnes qu’elles paraissent, sitôt qu’on les sent naître, pour se mettre dans l’indifférence et ne vouloir que ce que Dieu a voulu dès son éternité » (Moyen court, Opuscules, t, I, p. 23). Il s’agit donc d’un processus de dépersonnalisation, mais le schéma strictement volontariste dans lequel il est présenté est certainement fort influencé par Benoît de Canfield.

Dans cette voie d’anéantissement, Mme Guyon, inspirée par saint Jean de la Croix, a intégré une vue fort satisfaisante des épreuves mystiques. Suivant l’itinéraire tracé par la Nuit obscure, elle indique qu’aux premières consolations succède une période d’aridités, de sécheresses, d’angoisses et tentations, par laquelle Dieu, en tant que « divine justice », intervient comme un « feu impitoyable et dévorant » pour amener l’âme à un dépouillement dont elle serait incapable par sa seule activité, Les étapes qu’elle y assigne correspondent bien à la « nuit du sens », puis à la « nuit de l’esprit » où l’âme a le sentiment d’avoir perdu la foi et la charité. D’autre part, elle montre bien que ces épreuves constituent un stade nécessaire du chemin mystique, lié à sa substance même ; à cet égard d’ailleurs, elle s’est quelque peu inspirée de l’idée d’anéantissement passif utilisée par Benoît de Canfield. [1335]

Chacune des étapes de cette voie accentue en l’âme la conformité à la volonté de Dieu et la place de plus en plus dans la « sainte indifférence » où elle ne veut plus que ce que Dieu veut, sans souci du reste. Les idées de Mme Guyon sur ce point sont nettement de mouvance salésienne : au Traité de l’amour de Dieu elle reprend sous des formes diverses la célèbre supposition impossible de l’âme qui préférerait l’enfer si c’était la volonté de Dieu. Cette sainte indifférence a pour corollaire le « pur amour », où Dieu n’est aimé que pour lui-même et dans une totale indifférence au salut personnel, Il faut noter pourtant que la notion de pur amour, présente et importante dans sa spiritualité, n’y a pas le développement ni l’importance qu’elle a pour Fénelon, qui en a fait le pivot de sa synthèse.

Mme Guyon est particulièrement intéressante lorsqu’elle décrit la « vie ressuscitée » de l’âme, ce qui correspond aux derniers stades de la vie unitive, à ce que les théoriciens modernes appellent l’état théopathique. Elle a su en mettre en évidence avec précision les divers caractères. Pour les décrire, certaines de ses formules joignent curieusement au symbolisme funèbre le symbolisme nuptial : « Le mariage se fait lorsque l’âme se trouve morte et expirée entre les bras de l’Époux » ; quant à la consommation du mariage, elle intervient « lorsque l’âme est tellement fondue, anéantie et désappropriée qu’elle peut toute sans réserve s’écouler en son Dieu » (Commentaire du Cantique, Bible, t. 10, p. 214). Cependant, en dehors du Cantique des cantiques, Mme Guyon, comme sainte Catherine de Gênes, use peu du symbolisme nuptial : l’une et l’autre avaient été des épouses peu heureuses.

Ce « mariage spirituel » est décrit dans les perspectives de la mystique des essences comme « union d’essence à essence et communication de substances » (ibidem, p. 131). Cette « union essentielle », où l’âme est « consommée dans l’unité » de Dieu même, est caractérisée par le fait que « l’âme ne doit plus et ne peut plus faire de distinction de Dieu et d’elle ». Ainsi « Dieu est elle et elle est Dieu », et Dieu devient « le principe des actions et des paroles de cette âme » (ibidem, p. 213). Les termes de Mme Guyon évoquent à la fois la dernière strophe de la Vive flamme de Jean de la Croix'et les dernières pages du Royaume des amants de Jean Ruusbroec.

Là encore, un souci de précision l’amène à écarter toute interprétation panthéistique en faisant remarquer que tout ceci « se doit entendre mystiquement par la perte de toute propriété et par un recoulement amoureux et parfait de l’âme en Dieu, et non pas selon le dépouillement réel de la subsistance intime » (p. 134).

µElle met bien en évidence le caractère passif de cet état qui conduit à une sorte d’impossibilité pratique de pécher ; certes, l’âme peut « toujours déchoir, n’y ayant point d’impeccabilité en cette vie, mais Dieu ne le permet guère », car l’âme ne pourrait « pécher sans tirer sa volonté de celle de Dieu, ce qui est difficile » (Justifications, t. I, p. 180). Il faut noter pourtant que jamais elle n’a fait entrer dans ses perspectives l’idée de confirmation en grâce, qui a été envisagée par d’autres mystiques.

Pour expliquer cette union, qu’elle appelle parfois « union centrale, parce que tout se trouve réuni dans le centre de l’âme et en Dieu notre dernière fin » (Vie, t. I, p. 105-106), elle a recours au thème rhéno-flamand de la participation de l’âme à la génération éternelle du Verbe qui s’opère en elle, et ajoute que là « elle comprend la nature de l’union hypostatique du Verbe avec l’homme, la part qui nous y est donnée d’une manière très sublime » (M. Masson, op. cit., p. 59).

Pour exprimer le niveau de l’indifférence à laquelle une âme parvient en cet état, elle a recours une fois encore à la « supposition impossible » et affirme que la « béatitude du fond transformé » subsisterait même en enfer. Elle est moins heureuse lorsqu’elle essaye de l’expliquer par l’absolue séparation qui se réalise alors entre la partie supérieure et la partie inférieure de l’âme, qui va si loin que, si une personne en cet état « était réduite par nécessité à faire des actions de péché, elle les ferait sans pécher ». Sans doute elle n’envisage que la contrainte physique, mais Godet des Marais prétendra y retrouver les abominations reprochées à Molinos. Elle se créera aussi des difficultés en reprenant l’idée, cependant bien représentée chez les rhéno-flamands, qu’au sommet de la vie unitive, l’âme perd la « vue distincte de Jésus-Christ », de telle sorte qu’il « ne reste que Dieu même, comme il était avant la création » (Torrents, Opuscules, t. I, p. 255). Rappelons pourtant que ces théories s’associaient chez elle à une intense et tendre dévotion à l’Enfant-Jésus, — comme aussi à la Vierge, aux anges et aux saints.

Ces quelques notations, sans épuiser le contenu de la spiritualité guyanienne, suffisent à montrer combien profondément elle est insérée dans notre tradition mystique. Il faut donc juger avec indulgence, comme le remarquait déjà Fénelon, les inexactitudes d’expression qu’on y rencontre çà et là, et que le contexte corrige. Sans les controverses qui ont douloureusement assombri sa vie, nous la placerions probablement dans le voisinage de Jean-Joseph Surin, parmi les bons écrivains spirituels de notre classicisme.

Il est question de Mme Guyon dans tous les ouvrages qui traitent de Fénelon et du quiétisme : le lecteur est donc prié de se reporter à la bibliographie de ces deux articles, en se souvenant que Mme Guyon est présentée trop souvent d’une manière superficielle et conventionnelle.

Les indications concernant les œuvres de Mme Guyon ont été données plus haut. Les références du présent article renvoient à l’édition J.-Ch. Dutoit (DS, t. 4, col. 1819-1853).

À remarquer que cette édition qui porte une marque de Paris a été faite à Lausanne, très probablement par le même imprimeur qui a imprimé les œuvres d’Arnauld. Celle de Poiret, munie de marques de Cologne, a vu le jour à Amsterdam.

Le Moyen court et le Commentaire du Cantique ont été réimprimés dans un curieux et rare Recueil de divers traités de théologie mystique qui entrent dans la célèbre dispute du quiétisme qui s’agite présentement en France, Cologne, 1699.

Voici l’indication de quelques publications qui envisagent Mme Guyon pour elle-même : L. Guerrier, Madame Guyon, sa vie, sa doctrine et son influence, Orléans, 1881. Th. C. Upham, Life, religious opinions and experiences of Madame de la Mothe Guyon, Londres, 1818, 189i. - E. Ritter, Mme Guyon et le P. Lacombe, dans Revue savoisienne, t. 31, 1893, p. 219-258. - Ch. Gombault, Mme Guyon, dans Revue de Lille, t. 21, 1910, p. 725-736. - E. Aegerter, Madame Guyon, une aventurière mystique, Paris, 19ii. - L. Cognet, La spiritualité de Mme Guyon, dans XVIIe siècle, n.12-14, 1952, p. 269-275. - A. de la Gorce, Madame Guyon à Blois, dans Études, t. 310, septembre196i1 p. 182-196.

Louis COGNET.


[1978] Jean ORCIBAL Préface aux Opuscules spirituels

Jeanne Marie Bouvier de la Mothe-Guion

Les opuscules spirituels

Mit einem Vorwort von Jean Orcibal

1978 Georg Olms Verlag Hildesheim • New York


INTRODUCTION

Tandis qu’au XVIIIe siècle et au XIXe, l’influence de Madame Guyon s’est fait surtout sentir dans les pays protestants (1), elle a joué un rôle important, encore que mal connu, dans le mouvement philosophique et religieux qui caractérise en France le premier tiers du XXe siècle. Si Alfred Loisy était empêché par le sujet de ses études de manifester l’intérêt qu’il lui portait (ainsi qu’à Fénelon) (2), son ami Henri Bremond avait du contraire voulu faire de son Histoire littéraire du sentiment religieux en France une immense « apologie pour Mme Guyon » : le volume qu’il comptait lui consacrer aurait servi de couronnement à l’édifice. Dans le même cercle, Jean Baruzi a montré avec compétence que auteur du Moyen court avait compris mieux que personne la doctrine de saint Jean de la Croix sur la foi nue, la nuit de l’esprit et l’anéantissement intérieur. À son avis, « Fénelon et Mme Guyon… sont les deux êtres qui, pour la première fois, ont donné à la pensée de saint Jean de la Croix un prolongement de caractère métaphysique » (3). Rencontre encore plus décisive, c’est Mme Guyon qui a conduit Henri Bergson à. la mystique. Nous devons à Jean Guitton de connaître ses propres paroles : « Lorsque je me suis tourné vers les expériences mystiques, je n’ai pas commencé par lire Thérèse d’Avila ou Jean de la Croix. Je crois qu’avant d’aborder les sommets, il faut monter par étapes, et pour comprendre la haute musique, partir d’une musique commune : si vous voulez, connaître Mozart avant J.S. Bach ou Beethoven. Alors, j’ai lu les Torrents de Mme Guyon, qui méritent bien ce nom de Torrents : car c’est un écoulement pur, comme la poésie de Lamartine est aussi un pur écoulement. Et Mme Guyon m’a fait comprendre mieux que sainte Thérèse ce qu’était le flux ininterrompu de l’expérience spirituelle, qui est une durée intérieure. En écrivant l’Évolution créatrice, j’étais presque arrivé à Dieu… Votre Dieu est-il montrable ? me disait-on avec un peu d’ironie. C’est alors que je lus Mme Guyon. Elle m’intéressa. Sans doute elle me choqua un peu par un certain égocentrisme. Je puis dire que je n’ai pas trouvé chez elle ce dépouillement entier de soi-même qui, à mon point de vue, est le propre de la vie mystique. Mais il y avait en elle cette note de réalité qui ne trompe pas, et qui distingue du premier coup et à coup sûr le récit d’un voyageur qui a parcouru le pays dont il parle et la reconstitution de ce même pays par un auteur qui n’y est pas allé (4).

Publiée par les soins du pasteur Pierre Poiret (1646-1719) à Amsterdam chez Henri Wettstein avec l’adresse fantaisiste « À Cologne, chez Jean de la Pierre » et rééditée par son confrère vaudois Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1793) avec l’adresse « À Paris, chez les libraires associés, 1790 », mais en réalité à Lausanne chez Henry Vincent, l’œuvre de Mme Guyon (morte en 1717) compte quarante volumes d’importance très inégale (5). Le premier rang appartient certainement aux Opuscules spirituels qui contiennent ses écrits les plus fameux et, pratiquement, tout l’essentiel de sa pensée. Par un phénomène naturel, ce sont aussi les deux tomes les plus difficiles à trouver sur le marché de l’occasion. Nous croyons donc rendre service à de nombreux lecteurs en reproduisant l’édition définitive qui parut peu après la mort de Poiret avec la date de 1720 et qui avait été préparée par ses éditions partielles de 1704 (534 p.), 1705 (84 p.), 1707 (127 p.) et 1712 (330 p.).

Jeanne-Marie Bouvier de La Motte naquit le 13 avril 1648 à Montargis. Négligée par sa mère, elle passa son enfance dans divers couvents. À douze ans, elle lut saint François de Sales et Jeanne de Chantal qui eurent une influence déterminante sur sa formation. Mariée dès 1664 au riche Jacques Guyon du Chesnoy, elle resta veuve le 21 juillet 1676 avec trois enfants. Dès 1668 la duchesse de Charost l’avait introduite dans un petit groupe formé par un disciple de Jean de Bernières, le prêtre séculier Bertot (1620 - 1681) (6) qui dirigea longtemps les bénédictines de Montmartre. Bien qu’elle se soit plainte qu’il « ne l’aidait guère pour sa vie intérieure » à l’époque où « le divin amour la conduisait par les voies les plus dures et les plus rigoureuses pour lui faire trouver la vie ressuscitée en Dieu » (7), Mme Guyon lui a dû sa conception de « 1' oraison passive en pure et nue foi » au terme final de laquelle action de l’âme se confond avec l’action divine, trouvant « la paix et le repos, autant dans ses misères que dans ses vertus » (8). Il avait d’ailleurs approuvé le dessein de Mme Guyon de quitter, à l’exemple de Jeanne de Chantal et de Marie de l’Incarnation Martin, ses enfants pour se consacrer à la piété (9), mais il était mort quand, en juillet 1681, elle partit pour le diocèse d’Annecy : l’évêque d’Arenthon la plaça aux Nouvelles Catholiques de Gex en lui donnant pour directeur le barnabite François La Combe qu’elle avait rencontré dix ans plus tôt à Montargis. « Sitôt que je vis le Père, je fus surprise de sentir une grâce intérieure, que je puis appeler communication, et que je n’avais jamais eue avec personne » (10). Mais c’est à Genève même que Mme Guyon avait toujours compté établir une maison de converties, et elle quitta au début de 1682 Gex pour Thonon où elle passa chez les ursulines environ un an et demi. Elle y composa le premier et le plus réussi de ses ouvrages, les Torrents (11), où elle illustrait sa conception de la vie spirituelle à l’aide d’images empruntées aux paysages alpins.

LES TORRENTS

« Il me vint un si fort mouvement d’écrire que je ne pouvais résister… Jamais cela ne m’était arrivé. Ce n’est pas que j’eusse rien de particulier à écrire : je n’avais chose au monde, pas même une idée de quoi que ce soit… Le P. La Combe me répondit qu’il avait eu de son côté un fort mouvement de me commander d’écrire… En prenant la plume, je ne savais pas le premier mot de ce que je voulais écrire… Je trouvais que cela venait avec une impétuosité étrange… Cela coulait comme du fond, et ne passait point par ma tête… Je n’ai jamais pris garde où j’en étais restée : et, malgré des interruptions continuelles, je n’ai jamais rien relu que sur la fin, où je relus une ligne ou deux à cause d’un mot coupé que j’avais laissé ; encore crus-je avoir fait une infidélité » (12).

Cette dernière indication s’accorde avec la lettre à son confesseur placée à la fin du chap. 9 de la lere partie (13). Mais, alors qu’elle y déclarait : « Il ne m’est pas permis de poursuivre ici, tout manquant », les manuscrits connus (et les éditions à partir de celle de 1712) contiennent une Seconde Partie, à vrai dire assez courte. On verra l’explication qu’en donna P. Poiret dans la Préface de son édition de 1712 (14) « d’après des personnes qu’on disait bien informées ».

Mme Guyon ne chercha jamais à publier les Torrents, mais, après son retour à. Paris en 1686, elle montra l’écrit à la duchesse de Charost qui « en fit un grand état » et à un confesseur, le P. du troisième Ordre Paulin d’Aumale, « sans lui permettre cependant d’en prendre de copie ». Le religieux le « trouva fort spirituel », bien qu’il y eût « des choses qu’il n’approuvait pas » (15). Le duc de Chevreuse en eut communication et, le 12 mai 1693, Mme Guyon lui permettait même d’en « faire lire le commencement » à J. J. Boileau qui, nous le verrons, avait déjà examiné son Moyen Court.

Les 23 et 24 août 1693, elle plaçait beaucoup plus de confiance dans le jugement qu’en ferait Bossuet, ajoutant : « S’il y a quelque chose de trop fort dans les Torrents, je l’expliquerai et, si je me suis trompée dans ce que j’ai écrit, je suis ravie d’être redressée ». Hélas ! Dès le 30 septembre 1693 Bossuet disait « avoir vu un écrit des Torrents, fort mauvais » (16). Mais il ne devait s’agir que d’une copie sans autorité, puisque le 1er septembre 1694 on demanda au P. Paulin d’Aumale l’attestation que c’était « le même écrit que je me souviens d’avoir lu autrefois mot à mot et qui m’avait été prêté par Mme Guyon » (17). Le 6 décembre 1694, Bossuet et Noailles posèrent à celle-ci huit questions (no 23 à 30) sur des expressions des Torrents et M. Tronson compléta le 12 l’interrogatoire : elle donna des réponses satisfaisantes, mais incomplètes. Une fois à. Meaux, elle déclara solennellement à Bossuet les 15 avril et ler juillet 1695 : « Quant aux manuscrits qu’on répand sous mon nom, notamment celui qu’on nomme Torrens… je n’en puis avouer aucun à cause des altérations qu’on a faites dans les copies ». Aussi l’ouvrage ne fut-il pas mentionné dans les Instructions pastorales de Bossuet et de Noailles d’avril 1695 (18).

Tout changea après que Mme Guyon se fût enfuie de Meaux et, le 21 novembre 1695, l’évêque de Chartres Godet-Desmarais publia un mandement où il dénonçait une soixantaine de propositions de Mme Guyon, dont près de vingt, et les plus accablantes, étaient tirées d’un manuscrit des Torrents communiqué par Bossuet. L’accusée protesta avec indignation dans une lettre du 27 au duc de Chevreuse : « Ceux qui ont transcrit… l’écrit des Torrens. . . avec une fin malicieuse » ont « ajouté des endroits et tronqué d’autres qui le rendent tout à fait différent de lui-même ». Malheureusement elle n’en donne qu’un seul exemple (proposition XXXVI) tiré de la Première Partie, chapitre VIII, n.18 : « Ne portez donc point de compassion à ces âmes et les laissez dans leurs ordures apparentes, qui sont cependant les délices de Dieu, jusqu’à ce que dans ces désordres renaisse une nouvelle vie ». Mme Guyon prétend avoir écrit « l’homme renaît de sa cendre », ce qui s’accorderait en effet avec ce qui précède : « Pour les âmes fortes, moins elles sont secourues… plus tôt sont-elles réduites en poussière » et ce qui suit : « lorsqu’elle est poussière ». L’archétype étant certainement mal écrit, on peut admettre que désordres (pourtant commun aux quatre manuscrits que nous connaissons) est une erreur de lecture (19).

S’ils ignorèrent la protestation de Mme Guyon, les lecteurs de Godet-Desmarais purent s’étonner du silence que Bossuet et Noailles avaient jusque-là gardé au sujet des Torrents. Le docteur Pirot répondait à l’objection le 9 juin 1696 dans une lettre qu’il adressait à la prisonnière : « M. de Meaux dit dans un écrit particulier… qu’il peut rendre témoignage de la vérité des écrits qui sont contenus dans cette censure, et qu’ils sont conforme à un exemplaire qui lui a été mis en main, par votre ordre » (20).

En 1697, Bossuet lui-même le répétait textuellement dans son Instruction sur les états d’oraison ; il ajoutait que Godet « avait trouvé… les Torrens… répandu dans son diocèse » (21). Mais alors pourquoi avait-il besoin de exemplaire de Bossuet ? Et pourquoi celui-ci évitera-t-il dans la Relation sur le quiétisme de placer les Torrents dans la liste des manuscrits qu’il tenait de Mme Guyon (22) ?

Quatre manuscrits des Torrents sont actuellement connus :

- le ms. (R) des Archives générales O. P., Rome, Sainte - Sabine, XIV, 461 a, envoyé sans doute par Bossuet en 1698 avec l’attestation du P. Paulin d’Aumale ;

- le ms. (G) des Archives de Saint — Sulpice 2056 muni du même certificat. La table (dressée par un sulpicien en 1700 - 1703) précise : « Cette copie a été faite sur celle de M. l’évêque de Chartres qui a fait transcrire la sienne sur celle de M. évêque de Meaux, lequel assure que la sienne est fidèle. Elle diffère du manuscrit suivant qui nous a été envoyé d’Autun » (p. 241). Nous désignons par A cette autre pièce du ms. 2056.

– Enfin le ms 169 de la B. M. de Sens (S) a appartenu à l’archevêque Languet de Gergy dont le nom est bien connu des historiens de Fénelon et de Mme Guyon.

Les mss. À et S ne portent pas le certificat du P. Paulin, mais R, G et S semblent remonter à un archétype commun, tandis que le ms. d’Autun est plus proche de celui que Poiret a publié en 1704 dans les Opuscules spirituels (en avouant cependant y avoir suppléé des mots nécessaires sans le mentionner (pp. 138, 141). Mais la copie qu’un anonyme lui avait envoyée (elle aurait été faite sur un manuscrit de Bossuet) ne contenait que la Ire partie (éd de 1712, p. 8). Ce n’est qu’en 1712, dans le t. II des Opuscules, que Poiret put donner les Torrens spirituels retouchés et augmentés d’après « deux manuscrits qu’on croit être du nombre des meilleurs ». Cette fois il s’agit d’un texte révisé et complété par l’addition de mots, de lignes et même de pages qui expliquent les passages délicats et font disparaître les expressions choquantes. Est-ce à dire que l’édition précédente renfermait une « quantité prodigieuse de fautes » (Préface, pp. 24 sq.) ? Ce serait bien invraisemblable. Il ne serait pas moins injuste d’attribuer les nouvelles leçons à Poiret lui-même (qui ne se prive d’ailleurs pas de développer dans des notes ses idées personnelles). Il s’agit bien plutôt d’une seconde édition composée par Mme Guyon après la libération (1703) qu’elle finit par obtenir après avoir passé six ans à Vincennes et à la Bastille : le Dr James Keith (23) aura alors servi d’intermédiaire. Nous croyons utile de donner ici la liste des

PRINCIPALES VARIANTES

DES EDITIONS DES TORRENTS DE 1712 ET 1720

en dehors des titres, subdivisions, sommaires, notes et corrections de style.

Lettre de l’auteur, Opuscules, 1712, p. 31 - 1720, p. 131 : au mouvement de Dieu remplace « à leurs mouvements »

PREMIÈRE PARTIE

Chap. I, 2, Op. 1712, p. 33 - 1720, p. 133 voies et moyens vient renforcer « voies ».

II, 6, Op. 1712, p. 38 - 1720, p. 136 suppriment de (qui n’ayant qu’une capacité) à (aussi de venir) (éd. de 1704 seule).

II, 10-17, Op. 1712, pp. 40-46 - 1720, pp.138-142 rétablissent de à couvrir et à elles à adressées à moi présent dans les manuscrits, mais omis dans l’édition de 1704.

II, 11, Op. 1712, p.42 — 1720, p.139 donnent le spirituel avec la variante « ou le surnaturel » qui est seule attestée dans les manuscrits.

III, 4, Op. 1712, p. 51 - 1720, p.146 ajoutent extérieurement à « arrivent ». Passage cité par Godet-Desmarais, XLV [note] 29.

III, 5 s. f. , Op. 1712, p. 52 - 1720, p. 146 suppriment (leur perfection se commence, s’achève et se consomme).

III, 8, Op. 1712, p. 54 - 1720, p. 148 omettent (souvent même de) devant « certaines antipathies ».

III, 9, Op. 1712, p. 55 - 1720, p. 148 donnent ou suspendues « à l’oraison ».

III, 10, Op. 1712, p. 50 - 1720, p. 149 suppriment (toute) entre « direction » et « divine » (passage cité par Godet-Desmarais, XLV).

III, 11, Op. 1712, p. 57 - 1720, p. 150 portent puisqu’il faut les outrepasser.

III, 12, Op. 1712, p.58 — 1720, p.150 ajoutent à « ce qu’elles veulent, elles le veulent très imparfaitement et très fortement ». Très imparfaitement n’est pas dans les manuscrits dont certains (G, R) portent en revanche « ce qu’elles veulent plus parfaitement ».

III, 17, Op. 1712, p. 60 - 1720, p. 152. Paragraphe final totalement nouveau.

IV, 3, Op. 1712, p. 63 - 1720, p. 153 (fondu) a disparu entre « confondu » et « perdu ».

IV, 6, Op. 1712, p. 66 - 1720, p. 156 : après « vitesse incroyable », « qui augmente son activité » est remplacé par « qui augmente à mesure qu’il approche : quoique sa vitesse augmente, son activité diminue ».

IV, 13, Op. 1712, p. 72 - 1720, p. 161 remplacent « leur voie se commence et se perfectionne par la même providence » par Dieu leur fait trouver.

IV, 14, ibid., abrègent « qu’il faut, au lieu de dissiper leurs forces au dehors, les », en lorsqu’on les fait.

V, 2 s. f., Op. 1712, p. 81 -1720, p. 167 ajoutent le dernier paragraphe de Quoique tous ces défauts à en leur temps.

V, 6, Op. 1712, p. 84 - 1720, p. 169 omettent entre « très dangereux » et « qui se sentent mieux » (qui sont une facilité à se scandaliser des défauts du prochain, à en juger, à avouer avec facilité la peine qu’il nous fait souffrir être de lui, est un grand défaut de charité et tant d’autres).

V, 12, Op. 1712, p. 88 - 1720, p. 173 remplacent « apparente à ses dévotions, s’y affermit davantage » par se sent plus fortement attachée ou attirée à son repos intérieur. V, 16, Op. 1712, p. 92 - 1720, p. 175 changent « dur et cruel » en doux et cruel.

VI, 10 à VII, 9, Op. 1712, pp. 12, 104 à 117 1720, pp.183à193. Très long passage qui

. 417.7, f5

n’est connu que par l’édition de 1704, pp. 225 à. 237. Au ch. VII, 5, l’édition de 1720 (p. 190) complète en outre « il redoublait leurs douleurs » par comme à Tauleur, qui ne se trouvait ni dans celle de 1704, ni dans celle de 1712.

VII, 10, Op. 1712, p. 118 porte comme les ma-

nuscrits : « retombe dans un cloaque plus sale et infect ». Seule l’édition de 1720 a corrigé (p. 194) s’imagine retomber.

VII, 11, Op. 1712, p.119 n’a pas, après « sali ses habits si beaux et si magnifiques », l’addition par ses vaines complaisances, et qu’elle s’est approprié les dons de Dieu par quantité de réflexions et de regards d’amour-propre, 1720, p.194.

VII, 12, Op. 1712, p.120 — 1720, p.195 ajoutent à la fin du premier paragraphe : la dépouille et fait disparafire toutes ses beautés et ses richesses de devant ses yeux.

VII, 13, Op. 1712, p. 53 porte « les divines vertus qu’elle ne peut pratiquer ». L’édition de 1720 ajoute activement (p. 196).

VII, 16 s. f. La phrase « de son Epoux et ne songeant plus à ses misères passées, elle se repaît et se repose dans ces caresses » se trouve non seulement dans toutes les éditions, mais dans le ms. d’Autun.

VII, 18. Les éditions de 1712 (p. 124) et de 1720 (p.198) portent « du péché, de l’attache aux créatures ».

VII, 22. Ce serait peu d’être dépouillée, si elle n’avait pas fâché son Époux (1712, p. 129 - 1720, p. 201) remplace « Elle ne serait peut-être pas dépouillée, si elle n’avait pas fâché son Époux » des manuscrits.

VII, 25. À l’encontre des manuscrits et de l’édition de 1712 (p. 132), celle de 1720 porte : « les sens » semblent vouloir se révolter et ajoute à « l’on ne peut se… ni se garder de rien » par ses propres efforts comme auparavant (p. 204).

VII, 26. L’édition de 1720 est encore seule à ajouter un long développement (trois alinéas, pp. 204-205) comprenant en particulier deux citations du livre de Job. Il commence par 26. Je dois pourtant dire ici et se termine par et mon vêtement aurait honte de me toucher (Job, IX, 3031).

VII, 27 s. f. L’édition de 1712 (p. 133) et celle de 1720 (p. 206) remplacent « méprise » par surprise (souligné).

VII, 30 début. Après « son impureté » (édd. de 1704 et 1712, p. 134), l’éd. de 1720 ajoute foncière, qui est l’effet de l’amour-propre et de la propriété que Dieu veut détruire (p. 207).

VII, 30 s. f. De sa mauvaise odeur a été ajouté après « on ne se plaignait pas » (Op. 1712, p. 135 - 1720, p. 207).

VII, 31 milieu. Entre « défauts » et « les défauts », l’édition de 1712 ajoute : Au contraire, ils paraissent vertus : de sorte qu’en les perdant, il semble qu’on perde la vertu. Car la vertu ne s’acquiert véritablement que par son contraire. Plus nous avons d’attache à une vertu, plus nous sommes exercés sur cette même vertu (p. 136). À la place de « son contraire », on lit en 1720 : les tentations contraires, ainsi qu’il est écrit : Celui qui n’est pas tenté, que sait-il ? (Eccli. XXXIV, 9) (p. 208).

VII, 32 début. Les éditions de 1712 (p. 137) et de 1720 (p. 209) ajoutent Les plus favorisées de avant « ces âmes -ci » et, mais pour elles, il semble qu’avant « elles gâtent tout ».

VII, 35 milieu. « Il la salit » que donne 1712 (p. 141) avec une longue note explicative est remplacé en 1720 (p. 212) par Il semble la salir.

VII, 38. La dernière phrase, de Et plus les vertus sont de conséquence à arrachées (en cette manière) avec plus de force et de douleur ne se trouve que dans les éditions de 1712 (p.144) et 1720 (p.214).

VII, 39 milieu. Entre « donne » et « car elle », l’édition de 1712 (p. 145) et celle de 1 720 (pp.214-215) ajoutent de C’est ce qui fait qu’ici l’oraison paraît entièrement perdue, comme en ceux qui ne l’ont jamais faite à parce qu’ils n’en connaissent pas le prix.

VII, 40 début. D’accord avec le ms. d’Autun, l’édition de 1712 (p. 146) et celle de 1720 (p.215) parlent d’« imagination détraqué» [et non « agitée » comme les autres mss.] et suppriment après « de repos » (ni à l’oraison ni durant le jour).

VII, 40. La dernière phrase « C’est donc la perte de cet imperceptible soutien et l’expérience de ses misères qui cause sa mort », conservée dans l’édition de 1712 (p. 148), est précédée dans celle de 1720 (p. 216) par un long développement (de Elle sait à sentir sa mort).

VIII, 1 milieu. Plus par son bruit que par la vue ; mais il ne paraît que pour, leçon du ms. d’Autun, est suivie par les éditions (1704 - 1712, p.151 — 1720, p.219).

VIII, 2 début. « Elle perd tout acte… » est complété dans les éditions de 1712 (p.152) et 1720 (p.220) par tout désir, inclination, penchant, choix, répugnances et contrariétés foncières.

VIII, 4. La note finale I1 faut remarquer… ces choses ne se trouve que dans édition de 1720 (p. 221).

VIII, 8. Paragraphe les éditions se rapprochent du ms. d’Autun. Mais alors que édition de 1712 (p. 155) porte comme toutes les autres versions « Ici, c’est une corruption horrible… » en remplaçant seulement à la fin de la phrase « horrible » par étrange, celle de 1720 développe : Ici âme voit… sans que les sens y participent (p.222).

VIII, 15. Alors que les manuscrits et l’édition de 1704 portent : « Elle craignait encore la communion de peur d’infecter Dieu '', les éditions de 1712 (p.160) et de 1720 (p. 226) glosent d’infecter ou déshonorer Dieu. Dans la phrase suivante, « elle y va comme à la table », expression encore conservée en 1712, est remplacée en1720 par Il lui semble qu’elle y va tout naturellement.

VIII, 20. La fin du paragraphe [depuis « C’est dans ce tombeau »] forme le second paragraphe du ch. IX dans les éditions de 1712 (pp. 165 sq.) et 1720 (p. 229).

IX, 9. Le texte antérieur (cité par Godet-Des-marais, proposition XVIII) portait : « elle ne fait ni bien ni mal ». Les éditions de 1712 (p. 171) et 1720 (p. 233) ajoutent ce semble. Un peu plus bas « L’obéissance est son guide » y devient : Dieu seul est son guide. À la fin du paragraphe, elles ajoutent : Comme il perd toute répugnance et contrariétés. Au début du n. 10 « contentement immense, général » devient contentement de Dieu, immense, général.

IX, 11. Au lieu de « Dieu en cet état est l’âme de son âme » des manuscrits (celui d’Autun porte cependant « Il ne sent plus son âme »), l’édition de 1712 (p. 172) et celle de 1720 (p. 234) corrigent : Il éprouve en cet état que Dieu est l’âme de son âme.209

IX, 17 début. Entre « qu’elle exerce » et « mais pour », les éditions de 1712 (pp. 175 sqq.) et 1720 (pp. 237 sq.) intercalent un long développement : Car quoiqu’il y ait alors… fournaise de feu et de flammes. Quelques lignes plus bas, elles ajoutent surtout dans ce commencement de vie nouvelle après « et les connaît mieux que jamais ».

IX, 19. Ou vues de foi est ajouté après « émotions » (0p.1712, p.179 — 1720, p.239).

IX, 20. La proposition LXI de Godet — Desmarais : « Sans avoir pensé à aucun état de Jésus-Christ ou à ses inclinations depuis 10, 20, 30 années » est conservée en 1712 (p. 180) avec une note apaisante qui a passé dans le texte de 1720 : sans avoir réfléchi sur les états… (p. 239).

IX, 21 s. f. Après « inclination », ni pour l’action est supplée devant « ni pour la retraite » par les éditions de 1712 (p. 181) et 1720 (p. 240).

IX, 27. « Rien d’extraordinaire » est suivi de qui paraisse au dehors qu’à ceux qui en sont capables dans les éditions de 1 712 (p.184) et 1720 (p.242).

Au lieu de « Tout cela n’est pas de cette voie qui est simple… », les mêmes éditions portent : « Tout cela n’est point de cet état qui est fort au-dessus de tout cela. Cette voie est simple ».

SECONDE PARTIE

I, 1 s. f. Après « ne peuvent faire oraison », les éditions de 1712 (p. 189) et 1720 (p. 245) ont ôté (ni dire leurs prières, soit d’obligation, soit d’observance).

I, 2 début. Dépouille de ses biens remplace « dépouille de tous ces biens » dans les éditions de 1712 (p.189) et 1720 (p.245).

I, 7 début. Les éditions (1712, p. 192 – 1720, p. 248) s’accordent avec les manuscrits, mais celui de Sens porte en outre « extase continuelle par la sortie d’elle-même et la perte en Dieu, mais extase ». Ne s’agit — il pas d’une haplographie ? /210

Quelques lignes plus bas (1712, p. 193), les mss. de Sens et d’Autun portent aussi “qu’à cause des défauts du sujet, et sont pourtant des défauts qui font l’admiration

Nouvelle haplographie ?

I, 9 début. Après « et non dans l’autre », les manuscrits avaient (jusqu’à tel état et non plus). La suppression (1712, p.195 -1720, p. 249) en est-elle voulue ?

II, 1 s. f. « Ne saurait rétrécir ces âmes » (MSS.) —Ne saurait les arrêter (Op. 1712, p. 199 - 1720, p. 252). Après « Dieu ne peut les captiver », les éditions sont d’accord avec les manuscrits de Chartres et de Rome. Mais ceux de Sens et d’Autun contiennent en outre « Dieu les ayant mises dans une innocence parfaite, la sainteté des actions les plus saintes ne sont point sainteté pour elle. Dieu est seul saint, les actions les plus mauvaises ne peuvent communiquer leur venin quand elles seraient obligées de faire ». À la fin du paragraphe (essentielle) est supprimé après « unité » (1712, p. 199 - 1720, p. 252) et (nécessairement) après « concourant » (ibid.).

II, 2 début, « toute pureté propre qui n’est qu’une impureté grossière » devient, par une correction apologétique, pureté grossière.

II, 3. Godet-Desmarais (XXIII /[note]15) avait cité le « ne peuvent presque jamais se confesser » qu’on lit dans tous les manuscrits. Les éditions (1712, p. 200 - 1720, p. 253) y ont substitué ont beaucoup de peine à se confesser. /211

II, 6 s. f. Après « identité d’état » l’édition de 1720 (p. 255) est seule à ajouter et consommation d’unité, mais « qui la rende Dieu » est déjà atténué en 1712 (p. 203) au moyen de l’addition par participation. « Par unité d’identité » est conservé en 1712, mais supprimé en 1720. Dans les deux éditions, « les démons lui sont Dieu » devient au contraire les démons lui sont comme le reste. Ainsi, sur quatre corrections importantes, deux ne datent que de 1720. Quant à la version des manuscrits « le seul Être créé étant tout et en tout, tout Dieu », elle est corrigée, avec raison, semble-t-il, en Être incréé par les deux éditions.

II, 7, milieu. À « la volonté de Dieu est Dieu », l’édition de 1712 (p. 204) et celle de 1720 (p.256) substituent la volonté de Dieu m’est devenue comme naturelle.

II, 8, début. A « perdue en Dieu » des manuscrits et de 1712 (p. 205), l’édition de 1720 (p. 257) ajoute avec Jésus-Christ comme dit saint Paul (Col. III, 3). À ‘par nécessité d’état '', elle est aussi la seule à substituer par état.

II, 8. À « aussi infailliblement que » des manuscrits et de 1712 (p. 205), l’édition de 1 720 (p. 257) substitue comme. De même à la fin du paragraphe, « nécessairement et divinement » n’est changé qu’en 1720 en divinement.

II, 9. « La terre lui paraît moins qu’un point et il lui semble qu’elle renferme toute la terre » est ramené par les éditions à La terre ne lui paraît qu’un point (1712, p. 206 - 1720, p. 258). Il est vrai que le ms. d’Autun avait déjà supprimé la seconde proposition.

II, 10. La phrase inachevée « Or, cet mot : nous sommes assurés » est complétée par exclut tout doute (1712, p. 207 - 1720, p.258).

II, 12. « Fait rejaillir » est précisé par quelque écoulement de sa gloire en 1712 (p. 208) et en 1720 (p. 259).

II, 12. « D’un amour Dieu, et par état » (MSS et 1712, p. 209) est atténué en 1720 (p. 259) par quoique non pas inamissible.

III, 1. Le mot rare gruin /212 étant déformé par tous les manuscrits (grin, S; gruau, GR ; gru, A), les éditions ont supprimé (et le gruin ensuite) après « le son » (1712, p. 210 - 1720, p. 260).

III, 2. À la fin du premier paragraphe, « devenir Dieu » (MSS et 1712, p. 211) n’a été changé en devenir une même chose avec Dieu qu’en 1720 (p. 261).

III, 2. « O état de vie, mais de vie en Dieu, que tu es admirable, mais que » est abrégé en O état de vie ! Que en 1712 (p. 211) et en 1720 (p.261).

III, 3 s. f. « Ces âmes devenues Dieu » (MSS et 1712, p. 212) est changé en 1720 (p.262) en consommées dans l’unité divine./213

III, 8. Les éditions de 1712 (p. 216) et de 1720 (p. 264) suppriment (infiniment) et (à l’infini). « Marie fut divine » est corrigé en était toute remplie de grâces. « Cependant elle croît à l’infini » est atténué par presque. À la fin du paragraphe, les éditions ajoutent après « sa capacité » la perdant et dilatant en lui, comme l’eau dont nous avons parlé s’étend toujours plus à mesure qu’elle est plus perdue dans la mer, où elle s’abîme incessamment, sans en sortir jamais.

III, 9. Après « n’en sentir de nouveau », les éditions de 1712 (p.117) et de 1720 (p. 265) portent : ‘L’âme augmente en plénitude et en largeur.

III, 10 et 11 ne se trouvent que dans les éditions (1712, pp. 218 sq. — 1720, p. 266).

IV, 2 s. f. ‘au premier ange qui en se regardant, s’aimant, devint “est changé en se regardant avec complaisance, et par préférence de ce qu’il devait à Dieu, s’aima et devint (1712, p.221 — 1720, p.268).

IV, 9. Après “pour aucun péché qui se puisse commettre” (MSS ; que l’on, 1712, p. 225), l’édition de 1720 (p. 270) ajoute seule : connaissant à fond et la bonté de Dieu qui cause l’une, et la malice de l’homme qui est la source de l’autre. À la ligne suivante, après “point de peine”, 1720 est aussi seul à interpoler si Dieu ne leur imprimait cette même peine.

IV, 10. Après “les sauver tous”, les éditions (1712, p. 225 - 1720, p. 271) insèrent : il se soit incarné et ait pris un corps passible et mortel. C’est seulement en 1720 (ibid.) qu’efficaces” est précisé : par leur faute.

IV, 11. Les manuscrits et 1712 (p. 227) terminent par « sans péché. Cela est clair ». L’édition de 1720 est seule à ajouter (p. 272) : comme certains tyrans ont fait à des vierges martyres.

MOYEN COURT

Bien que le Moyen court et très facile de faire oraison que tous peuvent pratiquer et arriver par là à une haute perfection ait été publié vingt ans avant que P. Poiret ne donnât le début des Torrents dont il constitue aussi logiquement le préambule, il fut écrit quelques mois plus tard, à Thonon ou à Turin : Mme Guyon raconte en effet qu’a Grenoble (elle y arriva en avril 1684), le conseiller Giraud « trouva sur sa table une méthode d’oraison » qu’elle « avait écrite il y avait longtemps… L’ayant trouvée fort à son gré, il la donna à quelques personnes de ses amis à qui il la crut utile. Tous en voulaient des copies. Il résolut avec le bon Frère » capucin « de la faire imprimer… Ils me prièrent d’y faire une préface », et le curé de Saint-Hugues, Rouffié, donna une approbation enthousiaste en date du 7 mars 1685. L’édition eut lieu aussitôt chez Jacques Petit avec un privilège du 14 mars 1685 et les capucins en prirent quinze cents exemplaires. Mme Guyon partit alors pour Marseille, mais son petit livre y souleva chez les « soixante-douze disciples de M. de S. Cyran » une tempête qui l’obligea à partir au bout de huit jours (24). Manuel de spiritualité dans le genre de ceux de Falconi, de Malaval, de Molinos, du P. La Combe, le Moyen court n’en eut pas moins un très vif succès. À son passage à Lyon, Mme Guyon obtint le 25 mai 1686 de nouvelles approbations chaleureuses du syndic général du clergé Terrasson et du docteur de Sorbonne Cohade. Il y eut aussi des rééditions à Paris en 1686 et en 1690 et une autre à Rouen en 1690. Cependant l’édition de Grenoble, dénoncée le 4 novembre 1687 par l’évêque de Genève dans sa Lettre pastorale contre le quiétisme, avait été mise à l’Index le 3 mai 1689, et, dès 1688, le Moyen court avait fourni à l’officialité de Paris le principal chef d’accusation contre Mme Guyon. Comme, les années suivantes, il eut, grâce à Mme de Maintenon, une large diffusion à Saint-Cyr, il n’est pas étonnant que dans sa visite canonique de l’été 1693 Godet-Desmarais, évêque de Chartres, y ait confisqué tous les écrits de la prophétesse qui furent de nouveau condamnés par des mandements de l’archevêque de Paris Harlay (16 octobre 1694), de Bossuet (16 avril 1695), de Noailles encore évêque de Châlons (25 avril 1695) et de Godet-Desmarais lui-même (21 novembre 1695) (25). L’éclat du procès des Maximes des Saints à Rome amena les éditeurs hollandais à s’y intéresser et, sur le conseil de Pierre Poiret (qui n’est pourtant pas l’auteur de l’Avertissement, très superficiel (26), le Moyen court fut réimprimé en tête du

Recueil de divers traitez de théologie mystiques qui entrent dans la célèbre dispute du quiétisme (À Cologne, chez Jean de la Pierre, 1699, pp. 1-88), en réalité chez H. Wettstein, et c’est aussi chez lui que Poiret le réédita (avec une Préface personnelle, cette fois) dans les Opuscules spirituels de 1704 (pp. 1-96) et de 1720.

Gottfried Arnold avait aussi traduit en allemand dans Etliche Vortreffliche Tractätlein aus der geheimen Gottes Gelehrtheit (1 701 et 1706). En 1704, Poiret indiquait que l’ouvrage avait « paru en diverses langues et tout fraîchement encore en anglais » (27) et, dans le t. II des Opuscules (1712, p. 10), il précisait que c’est celui des écrits de Mme Guyon qui a été le mieux goûté… en sa langue… et ensuite traduit en plusieurs autres comme en flamand, en allemand, en anglais, en latin » (28).

COURTE APOLOGIE

Le Moyen court est suivi d’une Courte apologie du Moyen court, inédite jusqu’à sa publication dans les Opuscules de 1712 (pp. 1-28). Poiret a cru (p. 12) qu’elle fut « écrite à la sollicitation » de Bossuet ; c’est en réalité sur l’invitation de Jean-Jacques Boileau, alors à l’hôtel de Luynes, à qui Nicole, puis Fénelon, avaient adressé Mme Guyon à la fin de l’hiver 1690 (29). Boileau lui demanda en particulier d’expliquer la section XV sur l’examen de conscience en vue de la confession. Elle essaya aussi de montrer que « par la doctrine de la résignation acquise on n’anéantit pas l’usage du Pater » (30). Malgré l’indication erronée de la Vie (31), c’est bien en avril 1690 que la Courte apologie fut écrite et non en 1693. Boileau en ayant conseillé l’édition, Mme Guyon fit valoir qu’elle avait promis en 1688 à l’archevêque de ne rien publier, raison qui aurait convaincu Boileau. Ce n’est qu’à l’été 1693 que la sœur Rose fit de lui un adversaire acharné de Mme Guyon (32).

CANTIQUE DES CANTIQUES

Vient ensuite le Cantique des Cantiques de Salomon interprété selon le sens mystique. Mme Guyon l’écrivit en 1684 à Grenoble et dira dans sa Vie n’« y avoir consacré qu’un jour et demi, et encore reçus-je des visites ». Elle en donna le texte aux chartreuses de Prémol ; le général Innocent Le Masson, l’ayant su, se rendit sur les lieux le 15 septembre 1690 et composa un autre Commentaire du Cantique (1691) pour réfuter le premier (33) qui avait été achevé d’imprimer le 15 septembre 1687 et avait paru à Lyon (avec l’approbation du syndic Terrasson) chez Briasson avec la date 1688 : mais l’évêque de Genève avait condamné le 4 novembre 1687 et il fut mis à l’Index le 29 novembre 1689. En 1694 nous le voyons critiqué par Bossuet (le 30 janvier 1694), par le P. Paulin d’Aumale (le 7 juillet) et condamné par le Mandement de l’archevêque Harlay du 16 octobre (34). Néanmoins, la pièce fut réimprimée dans le Recueil de divers traités (Cologne, 1699, pp.119-136), dans les Opuscules de 1704 (pp. 319-533) et fut, comme le Moyen court, traduit en allemand par G. Arnold (1701, 1706). C’est, aux yeux de Louis Cognet (35), « un des meilleurs morceaux de Mme Guyon ». On notera que celle-ci en attribuait la Préface au P. La Combe.

Nous passerons rapidement sur les deux derniers ouvrages édités pour la première fois en 1712, le Traité de la purification de l’âme (pp. 237 - 284), inspiré par le Purgatoire de sainte Catherine de Gênes, et le Petit abrégé de la voie et de la réunion de l’âme à Dieu (pp. 285-330).

RÈGLE DES ASSOCIÉS

La Règle des associés de l’enfance de Jésus, publiée dès 1705 comme « suite des Opuscules spirituels de Mme Guion » (85 p.), pose un problème bibliographique. Elle est attribuée à l’auteur du Moyen court par Bossuet, Noailles, Godet-Desmarais (36), le docteur Pirot (37). En revanche, dans son mémoire apologétique de 1694 et dans l’acte remis à Bossuet le 15 avril 1695 (38), Mme Guyon ne le met pas au nombre de ses publications et, à la fin de sa lettre à Noailles du 8 juin 1697, Fénelon n’en parlait pas davantage (39) (le silence du Recueil de 1699 est moins probant).

Le P. La Combe déclarait le 9 janvier 1698 : « Il y a une ébauche d’un livret intitulé Règle des associés…, livret qui devait être tout autre que celui qui a été imprimé sous le même titre… quoique celui-là dût être formé sur le même dessein. Je l’avais commencé à Verceil, il y a quatorze ans, avant presque que l’autre eût paru, et depuis je n’y ai plus touché » (40). Il est vrai que Morange indique que l’écrit qu’il approuve est l’œuvre d’une femme, mais celle-ci précise elle-même que « diverses personnes ont contribué de leurs réflexions pour écrire » (Dédicace à Jésus-Enfant, Aa 7). On notera aussi l’allusion de Morange aux « confréries de l’enfance de Jésus » (Aa 6) : elles furent en effet innombrables au XVIIe siècle et beaucoup d’entre elles avaient fait composer à leur usage un livret spécial. J. Bertot était lié au carme Maur de l’Enfant Jésus, auteur du Sacré berceau de l’Enfant Jésus en faveur de… la confrérie (1664, 1680) (41), et le mariage spirituel avec le divin enfant a joué un grand rôle dans la vie de Mme Guyon. C’est sans doute à Grenoble qu’elle a compilé la Règle, puisque celle-ci fut publiée à Lyon dès 1685 (réédition en 1690) avec des approbations de fin juillet et d’août 1685 (42). Ce petit volume fut assez connu en Italie pour être mis à l’Index le 29 novembre 1689. Pierre Poiret ne le possédait pas en 1704, mais il le reçut d’Angleterre (de la part du Dr. James Keith ?) assez tôt pour le publier « à la hâte » en 1705 sous le titre de Suite des opuscules spirituels de Mme Guyon (il est parfois joint au t. I et plus souvent au t. II de 1712).

PIÈCES DIVERSES

Nous pouvons passer rapidement sur les œuvres d’autres auteurs sur lesquels on consultera les notices du Dictionnaire de spiritualité : la célèbre Lettre de Jean Falconi et les Avis fort utiles de s. François de Sales à J. de Chantal déjà insérés, comme pièces à l’appui, dans les éditions du Moyen court de 1685 et 1686 et dans les Opuscules de 1704 (pp. 98-126) ainsi que les Brèves instructions du P. La Combe pour tendre sûrement à la perfection chrétienne qui avait déjà eu plusieurs éditions (Grenoble 1686, Paris 1687) et dont Poiret fit la Seconde Suite des Opuscules spirituels de Mme Guion, s. d. (1707) (pp. 1-108). Mais on attachera une importance particulière aux soixante Maximes spirituelles du même (pp. 111 - 127), inédites jusqu’à cette date, car elles montrent beaucoup plus de hardiesse que l’imprimé, en particulier sur l’abandon absolu (no 21 et 28) et sur la foi nue (no 31, 33).

Jean Orcibal

NOTES

(1) Voir notre article « Les Spirituels français et espagnols chez J. Wesley et ses contemporains », Revue de l’Histoire des Religions, 1951, pp. 68-72.

(2) A. LOISY, George Tyrrell et Henri Bremond, Paris, 1936, pp. 87-142, et R. de BOYER de SAINTE-SUZANNE, A Loisy entre la foi et l’incroyance, Paris, 1968, pp. 120 sqq. J. Michelet a commenté les Torrents (Le Prêtre, la femme et la famille. Les Jésuites, Paris, 1906, pp. 114-120).

(3) Saint Jean de la Croix et l’expérience mystique, 2e éd., Paris, 1931, p. 442, cf. aussi pp. 439-444, 596, 635.

(4) Préface à Jacques MARTIN, Le Louis XIV des Chartreux : Dom I. Le Masson, Paris, 1975, pp. 9 sqq.

(5) Voir à ce sujet la Bibliographie de Pierre Poiret de Mme Marjolaine Chevallier, à paraître214.

(6) Cf. L. COGNET, Crépuscule des mystiques, Desclée, 1958. Détails complémentaires dans nos articles « Le C. Le Camus, témoin au procès de Mme Guyon » (Le Cardinal des montagnes, Grenoble, 1974, pp. 123-140) et « Mme Guyon devant ses juges » (Mélanges de littérature française offerts à M. René Pintard, Strasbourg, 1975, pp. 409-423).

(7) Vie par elle-même, Ire p., ch. 29, Cologne, 1720, t. I, pp. 272-281.

(8) J. BERTOT, Le Directeur mystique, Cologne, 1726, t.I, p.275.

(9) URBAIN-LEVESQUE, Correspondance de Bossuet, Paris, 1912 (cité infra comme C. B.), t. VI, p. 532.

(10) Vie, IIe p., ch. 2, n. 1, t. II, p. 10.

(11) Cf. notre article « Le Camus… », p. 124, n. 10, et les déclarations de Mme Guyon : C. B., t. IX, p. 74 et B. N. Paris, nouv. acq. fr. ms. 5250, f.160.

(12) Vie, IIe p., ch. 11, n. 5, t. II, pp. 118 sq.

(13) Ed. de 1712, pp. 185 sq. - 1720, p.243.

(14) Ed. de 1712, pp. 27 sq.

(15) Oeuvres de Fénelon, Paris-Lille, 1848-1852 (cité infra comme O.F.), t. IX, pp. 25, 44 g. Bien que le P. Paulin ait, au dire de Chevreuse, désavoué sa déclaration, elle est trop précise pour être inventée de toutes pièces.

(16) O. F., t. IX, p. 13 — Revue Fénelon, t. II, pp. 210 sqq. — Archives de Saint-Sulpice (cité infra comme A. S. S.), no 7161, 7189, 7233, ff. 26-27, 62.

(17) On la trouve à la fois sur le ms. R (p.120) et dans le ms. G (A. S. S., 2056, p. 241). Cf. infra, avant la n.23.

(18) 0.F., t. IX, pp. 24 sqq., 28, 44-47 — C. B., t. VII, p. 511 [cf. PHELIPEAUX, Relation… du quiétisme, (1732) in -80, t.I, p.113] — LEDIEU, Les dernières années de Bossuet, éd. URBAIN - LEVESQUE, Paris, 1928, t.I, p.240.

(19) O. F., t. IX, pp. 73 sq.

(20) C. B., t. VIII, pp. 480 sq.

(21) L. X, n. 22, éd. LACHAT, t. XVIII, p. 633.

(22) S. II, n. 1., éd. LACHAT, t. XX, pp. 90 sq. ; S. III, n. 18, ibid., p. 113, les Remarques sur la réponse, art. VI, § 3, n. 12, ibid., p. 227 et la Relation de Phélipeaux, t.I, pp. 71, 152 — Voir inversement la Réponse de Fénelon, ch. I, § 2, O. F., t. III, p. 9 g, ainsi que C.B., t. VII, p. 492 et t. X, p. 166.

(23) Cf. sur lui XVIIe Siècle, 1951-1952, pp. 278 sq.

(24) Vie, IIe p., ch. 21, n. 10 et ch. 23, n. 3, t. II, pp. 229 sq., 246 sq. et notre « Le Camus… », p.126.

(25) C.B., t. VI, pp. 557 sq. et L. COGNET, passim.

(26) Cf. sa Préface des Opuscules spirituels de 1704, pp. 8 et 32.

(27) Ibid., p. 32. La traduction anglaise fut en effet mise en vente en décembre 1703 (Edw. ARBER, The Term Catalogues, Londres, 1906, t. III, p. 366). Cf. le ms. Rawlinson 1302, 263 (Oxford, Bodleian Library).

(28) 1712, p.10. Mme Chevallier n’a pas retrouvé d’exemplaires des traductions flamande et latine.

(29) Voir notre Correspondance de Fénelon (citée infra comme C.F.), Paris, 1973, t. H, pp. 151-157, t. III, pp. 242-250.

(30) Courte Apologie, § II, n. 13 et § III, no. 15.

(31) IIIe p., ch. 11, n. 6, t. III, pp. 124 sqq.

(32) Mme Guyon à Chevreuse, 15 octobre 1693, A. S. S., no 7197, et à Mme de Guiche, 13 octobre 1694, ibid., no 7337 Fénelon à Noailles, 8 juin 1697, s. f., C. F., t. IV, p. 173. Voir sur le fond du problème le projet de soumission adressé le 3 novembre 1694 par Chevreuse à Mme Guyon (O. F., t. IX, pp. 33 sqq.) et l’Instruction de Bossuet sur les états d’oraison (Tr. I, 1. III, § 20, éd. LACHAT, t. XVIII, pp. 442 sq.).

(33) Vie, IIe p., ch. 21, n. 9, t. II, p. 229 —B. N. Paris, nouv. acq. fr. 5250, f. 158 v° et f. 182 v° (sur la Préface du P. La Combe) —C. B., t. IX, p. 61 —Jacques MARTIN, pp. 41-55.

(34) Vie, IIIe p., ch. 13, n. 5, t. III, pp. 145 sq. — O. F., t. IX, p. 269.

(35) L. COGNET, p. 94.

(36) Voir les actes réunis par Bossuet à la fin de la 2e éd. de l’Instruction pastorale sur les états d’oraison.

(37) C. B., t. VIII, p. 466.

Dans la Préface de sa Réfutation des erreurs des quiétistes (Paris, 1695, p. vj v°), Nicole se contente d’indiquer que l’opuscule « passe pour être d’elle ».

(38) C. B., t. VI, p. 557 — O. F., t. IX, p. 58.

(39) C.F., t. IV, p. 173.

(40) C . B., t. IX, p. 481.

(41) On trouvera la liste des principaux écrits sur le sujet dans I. NOYE, « Enfance de Jésus » dans le Dict. de spiritualité, t. IV, col. 669 à 676.

(42) Vie, IIe p., ch. 12, n. 6 et ch. 24, n. 9, t. II, pp. 131, 288.



Quelques autres références

Choix « d’incontournables » 

Dictionnaire de Spiritualité, articles par sujets dont France et Quiétisme, et par noms d’auteurs [base de connaissances référencées, établie par les meilleurs spécialistes entre les années 1930 et les années 1990 sur les auteurs spirituels et mystiques du monde chrétien puis catholique].

[1865] CHAVANNES (Jules), Jean-Philippe Dutoit, Lausanne, 1865 [couvre l’environnement guyonnien de Dutoit] ; à compléter par FAVRE (André), Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911.

[1958] COGNET (Louis), Crépuscule des mystiques, Desclée, 1958. [Madame Guyon avant les prisons] ; ouvrage majeur — au ttire malheureux — à lire (voire rééditer) en consultant l’exemplaire des A.-S.S. annoté par Orcibal (photographié dans ma base de données).

[1983 & 1997] FÉNELON, Œuvres I & II, Paris, Gallimard (Bibl. de la Pléiade), éd. présentée, établie et annotée par J. Le Brun, 1983 & 1997 [V. ses Notices !].

[1985] CHEVALLIER (Marjolaine), Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, vol. V, 1985 ; éditée par André Séguenny, Baden-Baden, Koerner [bibliographie commentée des nombreuses œuvres éditées par Pierre Poiret]

[1989] GONDAL (Marie-Louise), Madame Guyon (1648-1717) Un nouveau visage, Paris, Beauchesne, 1989.

[1994] CHEVALLIER (Marjolaine), Pierre Poiret 1646-1719, Du protestantisme à la mystique, Labor et Fides, 1994, [Biographie reconstituant le cadre où s’est exercé l’activité d’éditeur de Poiret et de ses associés, ce qui permet de cerner les influences guyoniennes en Europe (17-152), et d’étudier sa pensée (153-280)].

[1997] Madame Guyon, Rencontres autour de la vie et l’œuvre, Grenoble, Millon 1997. [première depuis trois siècles].

[1997] ORCIBAL (Jean), Études d’Histoire et de Littérature Religieuse, Paris, Klincksieck, 1997. [recueil de contributions essentielles dont « Le C. Le Camus, témoin au procès de Mme Guyon » (Le Cardinal des montagnes, Grenoble, 1974, pp. 123-140) et « Mme Guyon devant ses juges » (Mélanges de littérature française offerts à M. René Pintard, Strasbourg, 1975, pp. 409-423).

Une filiation incluant madame Guyon

Mes contributions hors « corpus Guyon » :

Le XVIIe siècle semble limité à deux réseaux mystiques solidement constitués215 celui aboutissant à madame Guyon et celui de grands Carmes issu de Jean de Saint-Samson216.

Une Filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô madame Guyon. [reprise infra].

Sur les fondateurs : Jean Chrysostome de Saint-Lô et Jean de Bernières (quatre ouvrages). Sur leurs proches : Marie des Vallées (trois ouvrages), Mère Mectilde, Amis des Ermitages de Caen et de Québec. Sur les transmetteurs : Archange Enguerrand, Monsieur Bertot, auxquels je rattache le Grand Carme en relation avec madame Guyon Maur de l’Enfant-Jésus (deux ouvrages).

Introductions de l’édition de La Vie par elle-même et autres écrits biographiques ; sur les rapports délicats avec des contradicteurs dont le Général des Chartreux intitulée Quiétude et vie mystique ; sur la vie carcérale et à Blois intitulée Les année d’épreuves. Explications de la Bible, un choix ; Discours spirituels I & II ; Correspondance I à III ; Justifications ; Œuvres mystiques.[reprises dans la présente série « opus Guyon » ].

À la suite de Mme Guyon

François La Combe, somme des écrits notables du confesseur rassemblés pour la première fois. François de Fénelon, le Gnostique ; Fénelon mystique, florilège privilégiant la correspondance par dirigé(e)s  ; La direction de Fénelon par Mme Guyon. Marie-Anne de Mortemart (qui succéda à madame Guyon ?) ; Saint-Simon (relevé dans ses Mémoires portant sur les membres du cercle quiétiste) ; Les disciples au siècle des Lumières : Ecoles du cœur au siècle des Lumières ; D. Henderson, Mystics of the North-East (réédition).

www.cheminsmystiques.fr

Donne l’accès à de nombreux textes mystiques dont ceux de Madame Guyon et de sa filiation.


ÉTUDES (D. Tronc)






On vient d’apprécier les études du précurseur Jean Baruzi, la défense par l’abbé Cognet (article « Madame Guyon » dans le Dictionnaire de Spiritualité), les précisions apportées par Jean Orcibal (introduction aux Torrents, Moyen court,…).

Je prends leur suite par des contributions qui ne se situent pas au même niveau érudit, mais présentent Madame Guyon comme chaînon d’une filiation spirituelle. Elles visent le « blanc d’une cible » mystique217.


L’EXPÉRIENCE « QUIETISTE » DE MADAME GUYON [Mélanges Carmélitains]

Mélanges Carmélitains, Histoire, Mystique et spiritualité.

Grands carmes, vol. 2, 2004, 349-395.


Dans la présentation orale faite en mars 2003 chez les Grands Carmes de Nantes, nous avons évité toute discussion autour du « quiétisme » en général, car cette étiquette imprécise amalgame les figures, des plus discutées aux plus sûres, en Espagne, en Italie, en France, et ceci sur une durée de plus d’un siècle. Notre but était précis : faire apprécier la profondeur de l’expérience de madame Guyon (1648-1717) par la lecture de quelques-uns de ses textes, en évitant toute approche érudite factuelle.

Le contenu du texte issu d’une telle présentation reflète cette volonté de laisser la parole à Jeanne-Marie Guyon, fidèle disciple du « petit maître », Jésus-Christ. Après avoir évoqué sa biographie et le cadre dans lequel elle prit place, nous présentons son enseignement qui fut exceptionnellement bien préservé et qui s’appuie, outre l’expérience personnelle, sur la maîtrise de deux traditions chrétiennes : biblique et mystique. Ensuite un choix de textes suggère les beautés et la profondeur d’un témoignage qui traduit une vie intérieure accomplie.

Nous attirons l’attention du lecteur sensible désirant « connaître » davantage madame Guyon sur les deux annexes qui complètent ici cette présentation : une bibliographie veut faciliter la lecture de cette très grande mystique d’expression française tandis qu’un tableau des influences commenté indique les relations — dont celle du Grand Carme Maur de l’Enfant-Jésus — qui la situent dans le droit fil de la spiritualité de son siècle. [annexes omises].

I Le vécu et son cadre.

Aperçu biographique.

La vie de Madame Guyon témoigne d’une existence surmontant des résistances variées au prix de tourments qui laissèrent peu de place à la quiétude. La timidité et le respect des conventions de la jeune femme avant et au début de son mariage laissent place à une volonté de fer et à un esprit de liberté qui affronte la coalition des structures civiles et religieuses de l’époque avec une intelligence dont témoignèrent amis et ennemis. Elle passe des honneurs de la Cour à la honte des interrogatoires policiers. Finalement, après la tempête, demeure chez la vieille dame une vision paisible et ample qui associe respect de la tradition et liberté des opinions. Le résumé qui suit reprend souvent, sous forme de courtes citations entre guillemets, les expressions utilisées par Madame Guyon dans la Vie écrite par elle-même, dans le récit des prisons, dans les témoignages de disciples :

La petite fille est confiée à quatre ans aux bons soins de religieuses. Éveillée, elle sait comment éviter le simulacre de martyre joué par ces dernières, en leur objectant : « Il ne m’est pas permis de mourir sans la permission de mon père ! » Livrée à elle-même lorsqu’elle retourne dans sa famille, elle va « dans la rue avec d’autres enfants jouer à des jeux qui n’avaient rien de conforme à sa naissance. » Sa demi-sœur religieuse du côté de son père, « si habile qu’il n’y avait guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle » — et qui savait le latin — l’éveille à la vie de l’esprit. Mais la jalousie de l’autre demi-sœur religieuse et les réprimandes de confesseurs assombrissent cette adolescence.

Elle est mariée à seize ans : « mon mari avait vingt et deux ans de plus que moi, je voyais bien qu’il n’y avait pas d’apparence de changer… outrée de douleur, il n’y avait que six mois que j’étais mariée, je pris un couteau, étant seule, pour me couper la langue… J’eus quelque temps un faible que je ne pouvais vaincre qui était de pleurer… L’on me tourmentait quelquefois plusieurs jours de suite sans me donner aucune relâche… Je m’en plaignais quelquefois à la Mère Granger 218 qui me disait : “Comment les contenteriez-vous, puisque depuis plus de vingt ans je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir à bout” ? »

Après « douze ans et quatre mois de mariage » son mari meurt avec courage : « Il me donna des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre des gens… ». 

À trente-deux ans elle se libère et part pour Genève : « Je donnai dès Paris… tout l’argent que j’avais… Je n’avais ni cassette fermant à clef, ni bourse. » À Gex « l’on me proposa l’engagement et la supériorité » des Nouvelles Catholiques. Mais « certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas ». « Dépouillée de tout, sans assurance et sans aucuns papiers, sans peine et sans aucun souci de l’avenir », elle compose à Thonon les Torrents : « Cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n’étais pas encore accoutumée à cette manière d’écrire… je passais quelquefois les jours sans qu’il me fût possible de prononcer une parole… » Mais elle découvre « une autre manière de converser », en union avec le P. Lacombe : « j’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait… Peu à peu je fus réduite à ne lui parler qu’en silence. » Suivent des séjours fructueux en Piémont pendant près d’une année, puis à Grenoble.

À trente-huit ans elle revient à Paris, au moment où le quiétiste Molinos est condamné à Rome. Des jalousies entre religieux « firent entendre à Sa Majesté que le père Lacombe était ami de Molinos… [le roi] ordonna… [qu’il] ne sortirait point de son couvent… ils résolurent de cacher cet ordre au père… » qui est finalement arrêté. Quant à elle, « l’on me signifia que l’on ne voulait pas me donner ma fille, ni personne pour me servir ; que je serais prisonnière, enfermée seule dans une chambre… au mois de juillet dans une chambre surchauffée. » On veut en fait marier sa fille au neveu de l’archevêque de Paris. Elle se défend vigoureusement lorsqu’on lui reproche de prendre Dieu à témoin : « Je lui dis que rien au monde n’était capable de m’empêcher de recourir à Dieu. »

Libérée, elle quitte le couvent-prison de la Visitation pour habiter « une petite maison éloignée du monde. » Elle est active auprès d’un cercle de disciples et à Saint-Cyr où « Madame de Maintenon me marquait alors beaucoup de bontés ; et pendant trois ou quatre années que cela a duré j’en ai reçu toute sorte de marques d’estime et de confiance. » Le duc de Chevreuse lui fait connaître Bossuet, auquel on communique la Vie écrite par elle-même que ce dernier « trouva si bonne qu’il lui écrivit qu’il y trouvait une onction qu’il ne trouvait point ailleurs, qu’il avait été trois jours en la lisant sans perdre la présence de Dieu. »

Cela ne dure pas. Elle a quarante-sept ans lorsque commence la seconde période d’épreuve. Elle se rend tout d’abord d’elle-même au couvent de Sainte-Marie de Meaux où elle conquiert l’estime de la mère Picard et des religieuses tandis qu’elle est fort menacée par Bossuet, soumis lui-même aux pressions de madame de Maintenon (les causes du changement d’attitude de l’épouse secrète du Grand Roi ne sont pas encore clairement établies : se mêlent l’attitude de Fénelon, la crainte du scandale, une jalousie spirituelle). Madame Guyon est finalement arrêtée et enfermée par lettre de cachet à Vincennes : « après neuf ou dix interrogatoires de six, sept et huit heures quelquefois, [M. de La Reynie] jeta les lettres et les papiers sur la table… Il fit un dixième interrogatoire où il me demanda permission de rire. » Elle est transférée dans un couvent-prison à Vaugirard constitué spécialement : « [la gardienne] venait m’insulter, me dire des injures, me mettre le poing contre le menton, afin que je me misse en colère. » Il est probable qu’on ait voulu se débarrasser d’elle à l’aide de vin empoisonné. On bascule de la contrainte à la terreur : « M. le Curé me dit, un jour, un mot qui me parut effroyable… qui était qu’on ne me mettait pas en justice parce qu’il n’y avait pas de quoi me faire mourir… défendant, s’il me prenait quelque mal subit comme apoplexie ou autre de cette nature, de me faire venir un prêtre. » Après un chantage exercé sur tous ses proches — sans succès — elle est embastillée.

L’archevêque de Paris présente une lettre forgée et attribuée au Père Lacombe : « [M. le Curé] s’approchant me dit tout bas : On vous perdra ». On la sépare de ses filles de compagnie qui seront maltraitées : « il y en a encore une dans la peine [tourment] depuis dix ans pour avoir dit l’histoire du vin empoisonné devant le juge. L’autre dont l’esprit était plus faible le perdit par l’excès et la longueur de tant de souffrances, sans que dans sa folie on ne pût jamais tirer un mot d’elle contre moi… elle vit présentement paisible et servant Dieu de tout son cœur. » On les remplace par « une demoiselle qui, étant de condition et sans biens, espérait faire fortune, comme on lui avait promis, si elle pouvait trouver quelque chose contre moi. » Les pressions continuent : « M. d’Argenson vint m’interroger. Il était si prévenu et avait tant de fureur que je n’avais jamais rien vu de pareil. » Elle subit « plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures. » Un prisonnier tente le suicide ? « Il n’y a que l’amour de Dieu, l’abandon à sa volonté… sans quoi les duretés qu’on y éprouve sans consolation jettent dans le désespoir… Quelquefois, en descendant, on me montrait une porte, et l’on me disait que c’était là qu’on donnait la question. D’autres fois on me montrait un cachot, je disais que je le trouvais fort joli… ma vie me quittait. Je tâchai de gagner mon lit pour mourir dedans… J’aurais toujours caché mon mal, si l’extrême maigreur, jointe à l’impuissance de me soutenir sur mes jambes, ne l’eût découvert. On envoya quérir le médecin qui était un très honnête homme. L’apothicaire me donna un opiat… Je le montrai au médecin qui me dit à l’oreille de n’en point prendre, que c’était du poison. »

Elle est libérée à cinquante-quatre ans. Durant ses dernières années actives à Blois, elle forme des disciples français et étrangers : « elle vivait avec ces Anglais [écossais] comme une mère avec ses enfants. … ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence et lui en demandait son avis, elle leur répondait : Oui mes enfants, comme vous voulez. … Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans, que laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle. » Elle meurt en paix à soixante-neuf ans.

Les contraintes de l’époque, causes de ces épreuves.

Le contexte était défavorable par suite de la condamnation de Molinos et, post-mortem, de « pré-quiétistes » par les Inquisitions italienne et espagnole. Ce qui nous surprend n’est pas tant le désastre final, prévisible compte tenu de la disparité des forces en présence, que sa date tardive. En effet, plus de dix années séparent la condamnation romaine de 1687 de Molinos, de l’isolement complet de Madame Guyon dans une des huit tours de la Bastille : elle est ainsi réduite au silence pour une durée comparable.

À notre avis il ne s’agit pas tant d’une querelle d’idées que du trouble créé par une femme dans l’ordre social masculin : simple laïque, elle refuse l’entrée en religion, mais dirige des religieux ; bourgeoise, elle détourne les grandes familles du « couvent de la Cour » (Saint-Simon). Bossuet, au début, semble sous le charme de la grâce, mais, soucieux de sa carrière, il se fait l’exécuteur de l’épouse du roi. Fénelon voudra concilier les extrêmes et tentera d’expliquer l’expérience mystique ; acculé, il restera fidèle à l’expérience intérieure révélée par Madame Guyon et choisira le parti de son initiatrice. D’autres adopteront un profil bas.

Pour comprendre ces crises et leur conclusion, il faut tenir compte des conditions concrètes de l’existence et de la mentalité de l’époque : l’adhésion au catholicisme, religion unique après la révocation de l’édit de Nantes, et l’obéissance à un roi absolu, oint de Dieu, sont des évidences pour tous les Français de cette époque. L’individu est mis en échec par un système d’inquisition dans sa version « douce » : celle du confesseur, obligatoire pour tout catholique depuis le concile de Trente, et qui a le droit de connaître le fond des consciences. Pour Madame Guyon, son état mystique la rend incapable de mentir ou de biaiser par omission, comme furent obligés de le faire, un demi-siècle plus tôt, les libertins219. De plus, chaque événement et chaque personne sont envoyés de Dieu, d’où, sur le point particulier le plus intime, l’obligation torturante d’obéir au confesseur qui lui est dévolu.

Le statut féminin de l’époque impose à Mme Guyon d’exercer une « influence » hors cadre, ce qui est ressenti comme une résistance plus ou moins secrète, donc suspecte, et comme une concurrence vis-à-vis de la médiation assurée par les clercs appuyés sur la discrétion sacramentaire. Même les moins combatifs sont agacés par la « Dame directrice 220 ». Mais sa fermeté n’est en rien stoïque : son origine est toute intérieure, trouvant sa source dans la vie mystique, à laquelle se soumet, consciemment et entièrement, une nature par ailleurs volontaire.

Il s’agit de se laisser entièrement conduire par la grâce divine : c’est le sens profond de la « méthode » quiétiste, au-delà de la nature particulière d’une oraison dite passive : dans chaque action, dans chaque état de la vie de tous les jours, il « suffit » de s’ouvrir à l’action de la grâce pour en être imprégné221. Toute la « querelle » est vécue par Madame Guyon de cette façon. De même elle donnait sa Vie à lire, non par égotisme, mais pour que ses amis voient comment, à chaque instant, autant qu’on le peut, on lâche prise sur soi-même pour laisser Dieu agir.

Le « Quiétisme » historique.

La vie de madame Guyon est assombrie par la condamnation du quiétisme dont cette section présente sommairement sa dernière phase historique222. Plus généralement, le climat d’intolérance est grand depuis la fracture entre protestants et catholiques, soutenu par le pouvoir civil et par une opinion qui veut éviter tout risque de retour aux terribles luttes d’origine religieuse si proches (décennies 1560 en France et 1630 en Allemagne). Il s’agit ici d’un phénomène de recherche de cohésion sociale plutôt que de véritables divergences dogmatiques (mais il est facile d’établir des listes de propositions hétérodoxes).

Le « quiétisme » est le nom que prend au dix-septième siècle la résistance de nombreux mystiques dans le monde catholique. Il est symétrique de « piétisme » dans le monde protestant223. Des liens s’établiront d’ailleurs par la suite entre ces deux tendances vers un « christianisme intérieur » sans structure humaine bien définie, par exemple au travers de disciples de Madame Guyon hollandais et suisses.

Nous renvoyons aux études de J. Le Brun et E. Pacho224. La première trace de « quiétisme » italien est ainsi décrite :

Au début de 1671, l’inquisiteur de Casale Monferato communique au Saint-Office la dénonciation concernant un médecin français, Antoine Girardi (ou Grignon) ; il enseigne… « une nouvelle manière de faire oraison, qu’il appelle oraison de silence et de quiétude »… selon la manière que prône la religieuse ursuline Marie Bon du diocèse de Vienne en Dauphiné… le foyer ne disparut pas… il s’étendit… sur la Riviera à l’ouest de Gênes (1675)225.

Lorsque le quiétisme devient une cause controversée, après le succès retentissant de la Guia espiritual de Molinos dont huit éditions italiennes voient le jour de 1675 à 1685, un équilibre paraît encore possible, évitant un « crépuscule » des mystiques en terre catholique. Innocent XI cherche d’ailleurs un accord entre « méditatifs » et « contemplatifs ». Mais la situation favorable à Molinos se détériore assez brusquement, tout comme avait été rapide son ascension : il est emprisonné le 18 juillet 1685 tandis que sa Guia sera condamnée par l’Inquisition espagnole le 24 novembre de la même année226.

Ce quiétisme méditerranéen était connu de Madame Guyon. Elle passe par Marseille et rencontre Malaval. Elle décrit dans la Vie comment la défunte Mère Bon lui apparaît en songe avant son départ pour Gex. Plus tard elle séjourne près d’un an en Piémont, à Turin et dans le diocèse de Verceil, où, en compagnie du P. Lacombe, ce dernier maniant mieux l’italien que le français, elle se lie avec l’évêque Ripa : ils entreprennent un apostolat commun227.

C’est dans un cadre international troublé qu’en 1686 Madame Guyon arrive à Paris. En 1687, Molinos emprisonné depuis deux ans, est officiellement condamné à Rome par la bulle Coelestis Pastor, comme « quiétiste ». En même temps est condamné post-mortem Jean de Bernières (1602-1659), dont on n’ignorait pas à l’époque l’influence déterminante sur le cercle de Montmartre animé par le confesseur Jacques Bertot (1620-1681), cercle repris par Madame Guyon à son retour de voyages.

Le « Quiétisme » mystique.

Tout ce combat pour quelles « idées » ? Que recouvre pour les critiques français l’étiquette de quiétiste ?

« Une des références de l’antiquiétisme en France est le texte de la bulle Coelestis Pastor, imprimé en latin et en français dès l’automne 1687… la thèse essentielle des quiétistes serait, d’après la bulle, une définition de la “voie intérieure”, “voie unique”, par l’annihilation des puissances… ni connaissance, ni souvenir de Dieu, ni de soi, ni rien de propre, ni images… la négation ne porte pas sur l’objet (récompense, châtiment, mort, éternité, salut, etc.), mais sur la démarche du sujet, démarche d’ordre psychologique, devant l’objet de la foi : il ne doit pas “penser” à ces objets, ne doit pas en avoir souci ou espérance… [ce qui exprimerait] un retour du sujet sur soi-même, une volonté propre, un amour propre228. »

Les protagonistes de la querelle ont comme perspectives la question de la cessation des actes, et celle de l’absence possible de toute pensée pendant l’oraison. C’est alors que l’inaction prend son sens moderne de perte de temps, alors qu’il s’agit d’action intérieure mystique, in-action229. Les uns, s’attachent à une représentation intellectuelle, les autres, dans la tradition transmise par Benoît de Canfeld, font intervenir la volonté, la fine pointe de l’âme chère à François de Sales, ou « cœur », siège de la volonté :

« Mme Guyon met l’oraison du cœur au-dessus de “l’oraison de seule pensée” (p.5 [du Moyen Court]), car la pensée est discontinue, l’esprit ne pouvant penser à une chose qu’en cessant de penser à une autre, tandis que l’oraison du cœur n’est point interrompue […] tandis que Bossuet s’oppose, comme Nicole, à une foi nue et à un amour qui ne reposerait sur une connaissance, tout en refusant à la fois un retour sur soi et un retour sur une simple présence de Dieu. Les “actes intérieurs” sont produits par l’attention, et, selon Bossuet, disposent à l’attention […] conception de l’abandon comme acte230. »

Ainsi l’opposition naît de la diversité des expériences intérieures. Certains analystes modernes s’attachent à distinguer entre les couches successives de conscience atteintes par des « plongées » plus ou moins profondes — avec le risque de se limiter à l’humain décrit au niveau conscient ou approché au niveau de l’« inconscient » des rêves, etc. Pour notre part, nous y voyons des expériences liées à un lent « progrès » intérieur, rendu possible lorsque s’exerce une influence qui se situe au-delà de l’humain, la grâce divine.

Au niveau sémantique, quiétisme renvoie à « l’oraison de quiétude » qui se distingue de « l’oraison discursive » : Quiroga, un disciple mystique de Jean de la Croix, éclaire ces points :

« La contemplation est parfaite, elle s’exerce non seulement au-dessus de la raison, mais aussi sans appui sur elle, lorsque l’entendement connaît par la lumière divine les choses que n’atteint aucune raison humaine […] Beaucoup de contemplatifs pratiquent le premier point, c’est-à-dire abandonner tous les actes de la raison, se dépouiller de toutes les similitudes de la connaissance naturelle, et entrer sans tout cela en l’obscurité de la foi comme Moïse dans la nuée qui recouvrait le sommet de la montagne ; mais se reposer là comme lui en totale quiétude d’esprit, bien rares sont ceux qui s’y adonnent : au contraire, en cette obscurité, l’intention de leur esprit est appliquée à la connaissance, leur entendement cherchant à toujours reconnaître son propre acte, quand même serait-ce en cette obscurité de foi. Et cette démangeaison et ce mouvement qui consiste à vouloir reconnaître toujours son propre acte en y inclinant l’intention de l’esprit, s’opposent à ce que nous avons vu par ailleurs de la doctrine de saint Denys : non seulement l’entendement doit abandonner toutes les choses créées et leurs similitudes, mais il doit aussi s’abandonner lui-même en se mettant en quiétude quant à toute son opération active, aussi élevée soit-elle, afin d’être mû par Dieu sans attache ni résistance de sa part231. »

Il faut aller au-delà de la distinction entre des types d’oraison. Il s’agit d’inclure toute la vie, aussi bien extérieure qu’intérieure. Un grand calme déborde peu à peu des temps d’oraison, signe de l’imprégnation par la grâce, qui est une émanation de l’amour divin, « sous forme d’énergie » dirions-nous aujourd’hui, par in-action, attitude d’ouverture à la source intérieure. Alors l’attention au chemin, aux étapes, aux ruptures, laisse place à l’état de grand large, le vaisseau ayant atteint l’océan sans rivage. Ainsi madame Guyon décrit « l’état apostolique » :

« Cet état néanmoins n’est point une sortie de la créature au-dehors pour parler, agir et produire les effets de la vie apostolique. L’âme n’y a point de part : elle est morte et très anéantie à toute opération. Mais Dieu, qui est en elle essentiellement en Unité très parfaite où toute la Trinité en distinction personnelle Se trouve réunie, sort Lui-même au-dehors par Ses opérations : sans cesser d’être tout au-dedans et sans quitter l’unité du Centre, Il se répand sur les puissances, faisant par elles et avec elles232 … »

II L’œuvre.

Une excellente préservation d’écrits méconnus.

L’intérêt des écrits de Jeanne Guyon vient non seulement de leur valeur intrinsèque, mais aussi de leur excellente préservation assurée par l’édition entreprise de son vivant par le pasteur Poiret et par la sauvegarde des nombreux manuscrits rassemblés à l’époque de la querelle du quiétisme, en particulier par les évêques juges des rencontres d’Issy. En fait on possède l’essentiel de ce qu’elle a écrit, ce qui est tout à fait exceptionnel233.

L’abondance et la spontanéité de l’auteur, qui livre des informations ordinairement tenues cachées parce qu’elle ne prévoyait pas leur publication, ainsi que l’absence d’une mise en forme par souci de ne pas interférer avec la spontanéité de l’inspiration, ont nui à leur appréciation. On y ajoutera d’autres causes : vu du monde catholique, le rôle « détestable » des éditeurs, les ministres protestants Poiret et Dutoit, la présence parmi les proches de la fin de sa vie à Blois de nombreux Écossais, Hollandais, Suisses — qu’elle n’incite d’ailleurs pas à se convertir au catholicisme, mais au « petit maître » intérieur, Jésus-Christ ; vu du monde protestant, l’équivoque d’une femme qui s’est occupée au début de sa vie publique de Nouvelles Catholiques converties après la révocation de l’édit de Nantes, et qui n’a jamais rejeté les messes et les sacrements ; s’y ajoutent le scandale et l’« indiscrétion » d’écrits qui ne sont pas restés confidentiels, abordant librement des sujets tels que la transmission silencieuse, le rôle apostolique du mystique, la formation mystique des « enfants intérieurs », l’absence de fausse humilité. C’est une cause profonde probable, sinon de la condamnation, du moins de la discrétion de défenseurs qui éprouvent une gêne234. S’ajoutent bien entendu une mise en cause de la fonction cléricale235, l’insatisfaction de Madame de Maintenon, la servilité et la brutalité de Bossuet, la condamnation plus politique que théologique des Explications sur les maximes des saints236.

Trois volets : expérience, enseignement, tradition.

Un très large spectre est couvert et offre trois approches de la vie mystique, ce qui constitue un cas unique à notre connaissance.

1. En premier lieu, les témoignages de sa vie et de son expérience intérieure. Ils sont remarquables par une grande acuité psychologique propre au siècle de Racine et par un fort désir de comprendre ce qui lui arrive, dont elle ne trouve pas autour d’elle une explication satisfaisante. On note, surtout dans des écrits de jeunesse, une forte volonté appliquée à ne rien laisser échapper de ce qui lui arrive, défaut dont elle se corrigera ensuite et que l’on ne retrouve plus dans les textes édités. Elle demeure, dit-on, « bavarde » : en fait cette abondance est l’effet d’une irruption toute moderne de la dimension subjective psychologique237. Elle influera des auteurs qui sont sensibles à la dimension intérieure, tels que Rousseau, Constant, Amiel.

2. En second lieu, un enseignement est mis en forme dont témoigne le Moyen court qui a atteint un large public à l’époque, avant sa condamnation, grâce à la simplification qui caractérise ce texte direct238. Cette simplification vient de l’affranchissement vis-à-vis de tout moyen préalable qui apparaît comme une condition humaine mise à l’exercice de la grâce divine et traduit souvent notre volonté d’appropriation. Acquis théologiques et dogmatiques, méthodes de prières et exercices, sélections sociales ou culturelles sont écartés ; seul demeure le recours à l’expérience intérieure faisant appel à la médiation du « petit maître » Jésus-Christ239. Cette simplification permet une ouverture à tous, car la liberté sauvage des torrents est préférable aux canaux faits de mains d’hommes. Ceci pouvait faire peur aux hommes de métier, les religieux dont la médiation est mise en question. À leur décharge, les événements vécus dans les convulsions de la Réforme et Contre-réforme étaient encore proches et peu encourageants. Cette remise en cause par l’intérieur de l’ordre traditionnel sera d’ailleurs appliquée au siècle des lumières sous une forme subversive qui conduira à des révolutions politiques et sociales nécessaires, mais douloureuses.

Madame Guyon apparaît chez ceux qui l’ont étudiée soit comme une mystique arrivant trop tard à l’époque d’une normalisation centralisatrice despotique (Brémond, Cognet), soit comme veuve libre et décidée constituant un modèle féministe avant l’heure (Mallet-Joris, Bruneau, etc.), soit comme religieuse laïque sans Église d’accueil (Gondal), soit comme précurseur de l’union entre catholiques et protestants (thème qui demeure encore inexploité), avec une indifférence notoire vers la fin de sa vie pour l’appartenance extérieure à telle ou telle Église (elle n’approuve ni Fénelon dans sa tentative de conversion de Poiret, ni la conversion catholique de Ramsay) sans pour cela relâcher la vie sacramentelle référée à « notre petit maître ». Que choisir parmi toutes ces interprétations ?

On cherchera le moteur qui lui a permis de tenir le cap pendant sa longue existence : la grâce. Il est au-delà de l’humain, mais induit des manifestations physiques, incluant les phénomènes de transmission, de souffrance par compassion, des aspects psychologiques (incluant les rêves). C’est une union intime qui, bien loin d’être un état stabilisé est caractérisé par sa dynamique active orientée vers les autres, une nouvelle vie féconde, une résurrection au service d’une motion divine. On voit ici le risque de méprise si le « prophétique » prend la place de « l’inspiration » selon la distinction donnée plus tard par Dutoit, un disciple de la fin du XVIIIe siècle, conscient d’une telle faiblesse possible chez lui. Ce risque s’est traduit historiquement dans des débordements (revivals, évangélisme) à la mesure de la sclérose des structures en place. Contrairement au véritable intérieur, l’activisme prend alors le pas sur la passiveté, la sensation l’emporte sur l’union, les effets sont privilégiés au détriment de la source. Tout ceci justifie l’insistance sur la pierre de touche que constitue une très profonde tranquillité, quiétude qui accompagne une efficience invisible, au risque d’être accusée de paresse « quiétiste ».

3. Enfin un recours à la Tradition par le commentaire ou Explications de l’Écriture et du Nouveau Testament confrontés avec l’expérience intérieure. Ce commentaire constitue la moitié de l’œuvre soit près de huit mille pages. Ce recours à l’Écriture interprétée spirituellement fut complété dix ans plus tard par les Justifications, anthologie de textes mystiques de plus de mille pages assemblée autour de thèmes constitués par des mots-clefs. Nous laisserons de côté ces deux sources dans l’anthologie qui suit.

Au-delà de la variété demeure la qualité : si l’absence de tout retour sur soi conduit à de nombreuses répétitions (elle évitait volontairement tout repentir littéraire ce dont témoignent ses autographes), la spontanéité assure une conformité à l’expérience vécue qui n’est pas repensée ou coulée dans un moule traditionnel ; la finesse d’analyse comme le lyrisme s’appuyant sur des analogies offertes par la nature annonce les meilleurs auteurs de l’âge romantique. Surtout, toutes les étapes de la vie intérieure sont couvertes, dont l’état constant et apostolique qui suit les degrés de désappropriations et permet la transmission, moyen de formation de disciples. Cet état est certes décrit antérieurement par des mystiques comme l’achèvement d’union au divin, 240 mais sans dire l’aide qu’elle permet d’apporter par la communication en silence et par le partage d’états intérieurs.

Un enseignement qui couvre trois longues périodes de la vie mystique.

On peut distinguer chez Madame Guyon et ses prédécesseurs Bernières, Bertot, comme chez d’autres mystiques, sans en faire un système, trois périodes s’étendant chacune sur des années :

(1) découverte de l’intériorité, accompagnée d’une simplification et d’une pacification progressive. Cette découverte peut s’accompagner d’événements intimes variés selon les tempéraments et l’environnement, brefs instants ou états pouvant durer des jours. Leur caractère extra-ordinaire a toujours attiré une attention exagérée au détriment de la dynamique vitale qu’ils alimentent, de la part de scrutateurs qui ont vite fait de repérer divers alliages impurs de la nature à la grâce dans ces phénomènes. Très utiles pour confirmer le commençant dans sa voie, ils relativisent les jouissances, très réelles et bonnes, dont notre nature est capable. Ils substituent l’expérience réelle directe aux croyances.

(2) Longues années de désappropriations, qui correspondent au stade de purification décrit par tous les auteurs. Le terme de « purification » est ambigu dans la mesure où il risque de laisser croire qu’elle conduirait à son terme à un « nous-mêmes » délivré de ses défauts. Le « nous-mêmes » ne pourra subsister. Sera-t-il transformé ou fondu dans une « vastitude », appelant la comparaison classique de la goutte d’eau dans l’océan ? Mais cette fusion ne voit disparaître ni les capacités, ni les infirmités, ni la structure individuelle, même si cette dernière s’efface à la mort ; elle permet leur mise au service de ce qui vient prendre la place centrale au cœur de la structure, comme l’exprime l’apôtre Paul dans le verset repris très souvent par madame Guyon : Et je vis, non plus moi-même ; mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi… (Ga, 2, 20). Les épreuves sans lesquelles l’amour propre ne serait jamais réduit en cendre pour laisser place à une renaissance dans le pur amour, correspondent à cette longue période.

(3) Naissance à une vie nouvelle où s’exerce très exceptionnellement une transmission. Le terme de vie « apostolique » souvent utilisé par Madame Guyon se réfère directement à la description imagée des Apôtres lorsqu’ils sont compris par tous leurs « auditeurs » après leur Pentecôte : ce n’est plus leur discours qui compte — il ne pouvait être entendu physiquement en diverses langues — mais ce qui passe de cœur à cœur à travers les mots — une forme intense de l’expérience très courante où l’on est sensible à la véracité de l’orateur — et qui peut aussi bien être transmis en silence.

III Un choix de textes.

Il est prématuré de structurer ces textes selon un schéma préétabli : madame Guyon s’en était bien gardée lorsqu’elle rassembla des textes mystiques dans ses Justifications en 67 « clés » constituant en quelque sorte un glossaire spirituel. Nous suivons l’ordre chronologique et de leur situation au sein des œuvres, dans les Torrents, la Vie par elle-même, plus largement dans les Discours… qui concernent la vie intérieure rassemblant de nombreux opuscules qui circulaient à la fin de sa vie dans le cercle des disciples, enfin dans la correspondance longtemps demeurée inédite, regroupée thématiquement : directions spirituelles, combats, mystique. Mais en fait sont entremêlés, comme dans une tresse, événements de la vie concrète, vie intérieure à l’écoute de la grâce, enseignement mystique, perçus et mis au service du « petit maître », le médiateur mystique Jésus-Christ.

(1) Les Torrents décrivent le parcours mystique à l’image de la Dranse, petite rivière issue des Alpes, au parcours parfois irrégulier, qui termine sa course près de Thonon, dans le lac Léman. Facilement accessible, ce texte le plus connu, composé relativement tôt, vers la fin 1682, est précis malgré un style souvent lyrique241. Il faut apprécier son contenu comme traduisant une expérience récente — Madame Guyon est âgée de trente-cinq ans environ lorsqu’elle rédige rapidement le texte — et non comme une théorie spirituelle.

La lente purification ou « mort » mystique mène à la vie divine sans limitation visible :

« Chapitre 7.

« 5. Ce degré de mort est extrêmement long et dure quelquefois les vingt et trente années à moins que Dieu n’ait des desseins particuliers sur les âmes. …242 30. Ici Dieu va chercher jusque dans le plus profond de l’âme son impureté243. Il la presse et la fait sortir. Prenez une éponge qui est pleine de saletés, lavez-la tant qu’il vous plaira : vous nettoierez le dehors, mais vous ne la rendrez pas nette dans le fond, à moins que vous ne pressiez l’éponge pour en exprimer toute l’ordure et alors vous la pourriez facilement nettoyer. C’est ainsi que Dieu fait : il serre cette âme d’une manière pénible et douloureuse, puis il en fait sortir ce qu’il y a de plus caché.

« Chapitre 9.

« 5. Il faut remarquer que comme elle n’a été dépouillée que très peu à peu et par degré, elle n’est enrichie et revivifiée que peu à peu. Plus elle se perd en Dieu, plus sa capacité devient grande : comme plus ce torrent se perd dans la mer, plus il est élargi et devient immense…

« 6. Cette vie divine devient toute naturelle à l’âme. Comme l’âme ne se sent plus, ne se voit plus, ne se connaît plus, elle ne voit rien de Dieu, n’en comprend rien, n’en distingue rien. Il n’y a plus d’amour, de lumières ni de connaissances. Dieu ne lui paraît plus comme autrefois quelque chose de distinct d’elle, mais elle ne sait plus rien sinon que Dieu est et qu’elle n’est plus, ne subsiste et ne vit plus qu’en lui.

(2) La Vie par elle-même est rédigée tout au long de son déroulement, en plusieurs reprises, parfois en prison, entre 1683 et 1709. C’est ce qui explique certaines répétitions, une modification progressive du style, mais surtout l’extraordinaire qualité intuitive et vivante du récit. Facilement accessible, nous en citons ici un seul passage extrait de la conclusion rédigée par la vieille dame qui a traversé toute les épreuves :

3.21. L’état simple et invariable244.

« Dans ces derniers temps je ne puis parler que peu ou point de mes dispositions, c’est que mon état est devenu simple et invariable. … Le fond de cet état est un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable. Tout ce que je sais, c’est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux ; qu’il renferme en soi tous les biens, et moi toutes les misères. Je ne vois rien au-dessous de moi, ni rien de plus indigne que moi. Je reconnais que Dieu m’a fait des grâces capables de sauver un monde, et que peut-être j’ai tout payé d’ingratitude. Je dis peut-être, car rien ne subsiste en moi, ni bien, ni mal. Le bien est en Dieu, je n’ai pour partage que le rien. Que puis-je dire d’un état toujours le même, sans vue ni variation ? Car la sécheresse, si j’en ai, est égale pour moi à l’état le plus satisfaisant. Tout est perdu dans l’immense, et je ne puis ni vouloir, ni penser. … Décembre 1709. »

(3) Mais Madame Guyon ne va pas s’arrêter sur cette perte dans l’immense : elle va former des disciples français et étrangers, catholiques et protestants en proposant des opuscules rassemblant les points communs expérimentaux et en répondant aux uns et aux autres dans sa correspondance.

Les opuscules — parfois issus eux-mêmes de lettres — furent rassemblés sous le titre de Discours chrétiens et spirituels… qui concernent la vie intérieure, publiés en 1716.

L’ouverture est un appel à gravir le mont qui rassemble à son sommet tous les mystiques 245 :

1,01 De deux sortes d’Écrivains des choses mystiques ou intérieures246.

« … comme une personne qui est sur une montagne élevée, voit les divers chemins qui y conduisent, le commencement, le progrès, et la fin où tous les chemins doivent aboutir pour arriver à cette montagne, on voit avec plaisir que ces chemins si éloignés se rapprochant peu à peu et enfin se joignant en un seul et unique point, comme des lignes fort éloignées se rejoignent dans un point central, se rapprochent insensiblement. On voit aussi alors, avec douleur, une infinité d’âmes arrêtées, les unes pour ne vouloir point quitter l’entrée de leur chemin, d’autres pour ne vouloir pas franchir certaines barrières qui traversent de temps en temps leur chemin ; [on voit] que la plupart retournent sur leurs pas faute de courage, et enfin que d’autres, plus courageuses, franchissant tous les obstacles, arrivent au terme tant désiré. On voit avec quelle bonté Dieu leur tend la main…”

L’amour est le « moyen » utilisé pour connaître Dieu, dans la tradition de la mystique « affective », mais non sensible, particulièrement développé chez des franciscains, des chartreux et des carmes. La belle image d’une balance lie notre abaissement et l’élévation vers Dieu :

1,49 Divers effets de l’amour.

« … Plus il y a de charité dans une âme, plus il y a d’humilité — de cette humilité profonde qui, causée par la réelle expérience de ce que nous sommes, fait que, quand nous le voudrions, nous ne pourrions nous attribuer aucun bien. Car l’esprit d’amour est aussi un esprit de vérité. En sorte que l’amour fait ces deux fonctions, qui n’en sont qu’une, qui est de nous mettre en vérité sitôt que nous sommes en charité, car l’amour est vérité. Plus l’amour devient fort, pur, étendu, plus il nous fait approfondir notre bassesse. C’est comme une balance : plus vous la chargez, plus elle s’abaisse et plus elle s’abaisse d’un côté, plus elle s’élève de l’autre. Plus le poids de l’amour est grand, plus elle s’abaisse au-dessous de tout et plus l’autre côté de la balance s’élève vers cet amour-vérité qui fait connaître ce que Dieu est et ce qu’Il mérite. Tout s’élève pour rendre gloire à Dieu et pour L’aimer au-dessus de tout, à mesure que nous sommes plus rabaissés.

Cet amour est pur, net et droit, sans retour sur soi et sans motif intéressé ; sa forme passive est proprement « mystique », cachée par sa lumière même, parce qu’elle reçoit tout de Dieu, dépasse tout entendement et ne peut être décrite ; c’est Dieu lui-même qui agit :

1,53 Du repos en Dieu.

« … Pour aimer Dieu comme Il le mérite… il faut L’aimer d’un Amour pur, net, droit, qui ne regarde que Lui-même : il faut que cet amour surpasse toutes choses et soi-même, sans qu’il lui soit permis d’avoir d’autre regard ni retour sur aucun objet que sur Dieu même en Lui-même, pour Lui-même. Toute autre vue ou motif est indigne de Dieu et n’est pas le pur amour, qui est seul proportionné, sans proportion, à ce que Dieu est. Il aime Dieu dans la totalité de ce qu’Il est : il aime, comme dit saint Denis, le beau pour le beau 247. … C’est ainsi qu’on aime Dieu dans le ciel, sans retour ni raison d’aimer. L’amour est la seule raison d’aimer, l’amour est la récompense de l’amour. Et comme la foi ne discerne rien en Dieu et croit ce qu’Il est dans Sa totalité, l’amour ne discerne rien, mais il aime Dieu dans Sa totalité.

‘… Ensuite elle devient passive, recevant les pures lumières de l’Esprit de Dieu sans y rien ajouter, faisant cesser les lumières du propre esprit. Puis la lumière de Dieu qui devient plus abondante, fait cesser nos propres limites, les mettant en obscurité, comme la lumière du soleil fait disparaître celle des étoiles. Et c’est alors que la foi pure et nue, que la lumière de vérité s’empare de l’esprit, le fait défaillir et mourir à toute lumière et action propre pour recevoir passivement la vérité telle qu’elle est en elle-même et non en image. La volonté est ensuite privée de toute action propre, d’amour, d’affections, de toute action quelle qu’elle soit, pour recevoir purement l’action de Dieu, soit qu’Il la purifie ou qu’Il la vivifie. Et c’est l’amour qui fait toutes ces choses, pour être lui-même l’action de la volonté.’

Tous ne sont pas appelés à la vie mystique et de nombreux grands saints suivent la « voie des lumières » ; l’image de la cire à cacheter — Madame Guyon possédait divers cachets dont un comportant deux cœurs accolés et irradiants et un autre comportant un soleil lointain associé à un héliotrope — est suggestive de la différence d’apparence pour la même « forme divine » :

1,60 Différence de la sainteté propriétaire et de la sainteté en Dieu.

« Vous me demandez la différence de ceux qui sont saints en eux-mêmes et de ceux en qui Dieu seul est saint. Quoique j’aie expliqué diverses fois cette différence, je vous en dirai quelques mots. Les premiers sentent et connaissent leur sainteté, elle leur sert d’appui et d’assurance. Leurs œuvres leur paraissent des œuvres de justice, dont ils attendent des récompenses et des couronnes.

‘… Ceux en qui Dieu est saint, ne sont pas des pierres ou médailles de relief, mais des pierres gravées profondément, comme celle des cachets. C’est Dieu qui S’imprime profondément en eux, qui est leur véritable sainteté. Il ne paraît au dehors de ceux-là qu’une concavité. On n’en peut discerner la beauté qu’en les imprimant sur la cire, c’est-à-dire qu’on ne les connaît qu’à leur souplesse et à la perte de toute leur propriété et de tous les apanages de la volonté propre…’

La voie mystique n’est pas une voie de facilité, même si elle ne requiert pas un effort volontaire et une pratique constante des œuvres ; elle inclut parfois la nuit achevant l’abandon par la perte de soi-même :

«  1,62 De la Foi pure et passive, et de ses effets.

« … Aussi est-ce la conduite de Dieu que nous pouvons voir pas à pas. Dieu ôte à l’âme tout appui extérieur pour la perdre dans l’intérieur. Ensuite il lui ôte la pratique des bonnes choses extérieures pour la perdre davantage. Puis il lui ôte l’usage des vertus pour l’arracher à elle-même. Il lui fait enfin éprouver les plus extrêmes faiblesses et misères qui sont des coups de grâce, et par là Il la perd en Lui. Au commencement de l’expérience des misères, l’âme se perd dans l’abandon, dans la confiance et le sacrifice. Mais comme ce sacrifice, cet abandon, etc. sont encore comme des fils subtils, Dieu lui ôte tout abandon aperçu, tout espoir de salut connu, en sorte qu’elle est contrainte comme malgré elle de se perdre. Mais où se perdre ? Encore si c’était en Dieu aperçu, elle serait trop heureuse. C’est dans l’abîme où elle ne voit rien ni ne connaît rien. Et après enfin elle tombe en Dieu, non pour jouir de Dieu pour elle, mais elle pour Dieu et Dieu pour Lui-même.’

Mais auparavant un long chemin aura été parcouru, dont la mémoire est d’ailleurs utile pour ne pas abandonner lorsque l’espoir de survie se perd ; la comparaison de la tempête et du naufrage est menée sans concession jusqu’à son terme :

2,15 Différence de la foi obscure à la Foi nue.

« Vous demandez la différence de la foi obscure à la foi nue. On commence par la foi savoureuse, qui est comme voguer sur mer avec le vent en poupe, guidé par un excellent pilote. Vous faites beaucoup de chemin avec joie et en plein jour. Vous vous confiez au pilote, mais tout va si bien que vous n’avez nulle occasion d’exercer votre confiance.

“La nuit vient : vous craignez de vous égarer, mais vous vous confiez à votre pilote, qui vous dit de ne rien craindre. Ensuite les vents deviennent contraires, les ondes s’élèvent, la mer grossit, votre crainte augmente ; cependant vous êtes soutenus et par l’excellence du pilote et par la bonté du vaisseau. La tempête augmente, la nuit devient plus noire. Il faut jeter les marchandises dans la mer. On espère le jour et que la bonté du vaisseau résistera aux coups de mer ; mais le jour ne vient point, la tempête redouble. On espère un sort favorable, lorsque le vaisseau tout à coup se brise contre les rochers.

“Quelle transe, quel effroi ! On se sert du débris du naufrage pour arriver au port. On commence tout de bon à s’abandonner sur une faible planche, on n’attend plus que la mort, tout manque, l’espérance est bien faible de se sauver sur une planche. Il vient un coup de vent qui nous sépare de la planche. On fait de nécessité vertu, on s’abandonne, on tâche de nager, les forces manquent, on est englouti dans les flots. On s’abandonne à une mort qu’on ne peut éviter, on enfonce dans la mer sans ressource, sans espoir de revivre jamais.

“Mais qu’on est surpris de trouver dans cette mer une vie infiniment plus heureuse qu’elle n’était dans le vaisseau…”

Si les hommes diffèrent, Dieu est un et Il est toujours le premier à nous aimer, comme l’attestent les mystiques dont le chemin a été ainsi ouvert, parfois par un contact fort : François d’Assise, Angèle de Foligno, Catherine de Gênes248.

2,25 Variété et uniformité des opérations de Dieu dans les âmes.

« La conduite de Dieu sur l’âme est une conduite toujours uniforme. Et ce que nous appelons foi est proprement une certaine connaissance obscure, secrète et indistincte de Dieu, qui nous porte à Le laisser opérer en nous parce qu’Il a droit de le faire.

“… Son opération est toujours la même. Dès le commencement elle consiste en un regard d’amour sur l’homme et ce regard le consume et détruit ses impuretés. Dieu est d’abord occupé à combattre notre activité et tous les obstacles qui empêchent Son entière pénétration dans notre âme. … Car il faut concevoir que toutes les opérations de Dieu en Lui-même et hors de Lui-même ne sont qu’un regard et un amour éclairant et unissant. Ce regard brûle et détruit, comme je l’ai dit, les obstacles.”

Mais tout ne se passe pas d’un coup, même si le départ peut se rattacher à un événement marquant. L’image de la fonte progressive des glaces, de la fluidité de l’eau propre à toute impression ultérieure est souvent reprise par madame Guyon, soit pour suggérer une réponse sous la forme d’une analogie au problème posé par l’absence et par le « péché » qu’elle représente, soit pour figurer la liberté par conformité au Seigneur qui prend les choses en main et « recrée » sa créature :

3,11 Vie d’une âme renouvelée en Dieu et sa conduite.

« … Il ne faut pas croire que Dieu endurcisse le cœur de l’homme autrement que le soleil endurcit la glace : c’est par son absence. Plus les pays sont éloignés du soleil, plus tout y est glacé. L’homme s’éloignant de son Dieu et ne s’en rapprochant plus, devient une glace pétrifiée qui ne peut plus se dissoudre à moins qu’il ne retourne à son Dieu. Alors il Le retrouve au même lieu où il L’avait laissé, toujours prêt à lui faire sentir les influences de Sa grâce ; et plus il approche de ce soleil, plus il se fond peu à peu, en sorte que si après tant de misères il s’approchait assez près de Dieu, il se fondrait et se liquéfierait entièrement. Ce qui empêche sa liquéfaction parfaite, c’est la propriété, qui congèle toujours plusieurs endroits de notre âme, laquelle dès que sa glace est entièrement fondue et rendue toute fluide, s’écoule nécessairement dans son être original, où tous les obstacles sont ôtés. C’est le feu de l’Amour pur qui le fait en cette vie, et ce sera le feu du Purgatoire qui le fera en l’autre.

“Alors il ne reste plus à cette eau aucune impression, aucune qualité propre, aucun vestige. Alors l’âme dans son rien ne peut rien, n’est propre à rien. Il n’y a que l’Être Créateur qui la rende propre à tout ce qu’il lui plaît, et qui agisse sans résistance sur ce rien, qui lui a remis le caractère propre de l’homme, qui est la liberté. Alors l’homme dans son rien, ayant remis à son Dieu et à son Père cette liberté qu’il lui avait donnée, Dieu le crée de nouveau : Emitte Spiritum tuum, et creabuntur ; et renovabis faciem terræ249.

“Mais cette recréation n’est plus au pouvoir de l’homme, ni à son usage, mais au pouvoir de Dieu et à sa volonté…”

En particulier Madame Guyon utilise l’image souple de l’eau pour tenter de faire comprendre à Bossuet la simplicité d’une vie intérieure sans phénomènes extraordinaires, comme ce dernier les appréciait chez certaines religieuses imaginatives :

« À Bossuet. Vers le 10 février 1694.

« … Plus les choses sont simples, plus elles sont pures et plus elles ont d’étendue. Rien de plus simple que l’eau, rien de plus pur ; mais cette eau a une étendue admirable à cause de sa fluidité ; elle a aussi une qualité, que, n’ayant nulle qualité propre, elle prend toutes sortes d’impressions : elle n’a nul goût et elle prend tous les goûts, elle n’a nulle couleur et elle prend toutes les couleurs. L’esprit, en cet état, et la volonté sont si purs et simples que Dieu leur donne telle couleur et tel goût qu’il Lui plaît, comme à cette eau, qui est tantôt rouge, tantôt bleue, enfin imprimée de telle couleur et de tel goût que l’on veut lui donner. Il est certain que, quoique l’on donne à cette eau les diverses couleurs que l’on veut, à cause de sa simplicité et pureté, il n’est pourtant pas vrai de dire que l’eau en elle-même ait du goût et de la couleur, puisqu’elle est de sa nature sans goût et sans couleur, et c’est ce défaut de goût et de couleur qui la rend susceptible de tout goût et de toute couleur. C’est ce que j’éprouve dans mon âme : elle n’a rien qu’elle puisse distinguer ni connaître en elle ou comme à elle, et c’est ce qui fait sa pureté ; mais elle a tout ce qu’on lui donne et comme l’on lui donne, sans en rien retenir pour elle. Si vous demandiez à cette eau quelle est sa qualité, elle vous répondrait que c’est de n’en avoir aucune. »

(4) Nous allons maintenant citer des lettres. Ce fut le moyen second utilisé par Madame Guyon pour animer ses disciples : l’illustre Fénelon, le fidèle duc de Chevreuse, plus tard l’éditeur Poiret, le baron de Metternich, les écossais Duplin et Lord Deskford, ainsi que des figures plus cachées telle la paysanne qui conclut cet aperçu.

Le premier moyen utilisé, qui explique la ferme fidélité de Fénelon et d’autres sur plus de vingt années, malgré la parenthèse du secret durant cinq ans à la Bastille, est celui de la transmission de la grâce par communication intime de cœur à cœur dont nous trouvons l’affirmation dans de nombreuses lettres 250 :

« À Fénelon. 21 juin (?) 1689251.

« … Il a permis que je m’en allasse avec vous, pour vous apprendre qu’il y a un autre langage, lequel Lui seul peut apprendre et opérer, [où] Il n’emplit le cœur de l’onction pure de la grâce que pour vider l’esprit, et Il ne donne que pour ôter : c’est une expérience qui demeure, lorsque la conviction de l’esprit est ôtée. Je vous demande donc audience de cette sorte, de vouloir bien cesser toute autre action et même autre prière que celle du silence. Lorsque l’on a une fois appris ce langage (plus propre aux enfants qu’aux hommes, qui l’ignorent d’ordinaire), on apprend à être uni en tout lieu sans espèces et sans impureté, non seulement avec Dieu dans le profond et toujours éloquent silence du Verbe dans l’âme, mais même avec ceux qui sont consommés en Lui : c’est la communication des saints véritable et réelle. C’est la prière de Jésus-Christ : qu’ils soient un comme nous sommes un [Jn, 17, 22].

Ces communications parurent extravagantes à la fin du XVIIe siècle cartésien. Elles sont attestées, mais de façon voilée, par de nombreux spirituels chrétiens. On peut concevoir qu’il n’y ait point de coupure entre ce monde visible et sa totalité ; madame Guyon a recours aux hiérarchies de Denys, auteur traditionnellement invoqué par les mystiques, et aussi, cartésienne et moderne, au mystère de l’aimant, pour suggérer la plausibilité de telles circulations d’amour divin — il s’agit simplement de reconnaître l’efficace de la prière :

Au duc de Chevreuse. Octobre 1693.

« La main du Seigneur n’est point raccourcie.

“Il me semble qu’il n’y aura pas de peine à concevoir les communications intérieures des purs esprits si nous concevons ce que c’est que la céleste hiérarchie où Dieu pénètre tous les anges et ces esprits bienheureux se pénètrent les uns les autres. C’est la même lumière divine qui les pénètre et qui, faisant une réflexion des uns sur les autres, se communique de cette sorte. Si nos esprits étaient purs et simples, ils seraient illuminés. Et cette illumination est telle, à cause de la pureté et simplicité du sujet, que les cœurs bien disposés qui en approchent, ressentent cette pénétration. Combien de saints qui s’entendaient sans se parler ! Ce n’est point une conversation de paroles successives, mais une communication d’onction, de lumière et d’amour. Le fer frotté d’aimant attire comme l’aimant même. Une âme désappropriée, dénuée et simple et pleine de Dieu attire les autres âmes à Lui, comme les hommes déréglés communiquent un certain esprit de dérèglement. C’est que sa simplicité et pureté est telle que Dieu attire par elle les autres cœurs.”

Mais les disciples ont besoin, au début de leur découverte intérieure, de conseils et non de théorie : comment prier, comment se détacher — sans pour cela quitter le monde —, comment lâcher intellectuellement prise… Cela était difficile pour le baron de Metternich, ancêtre non négligeable de l’homme d’État du XIXe siècle, protestant subtil et questionneur :

Au baron de Metternich. Vers 1715.

« Demeurez simplement exposé à Ses yeux divins comme on s’expose aux rayons du soleil et au feu pour se réchauffer et, quoiqu’il ne vous paraisse aucune action de votre part que la simple exposition de vous-même devant Dieu, la chaleur divine de Son amour ne laissera pas de vous pénétrer imperceptiblement, comme le feu pénètre insensiblement les corps qui sont à une certaine distance, et leur donne une chaleur qui s’insinue partout, ce qui n’est pas si sensible. Nous sommes souples sous Sa main. Je me trouve fort unie à vous en Notre Seigneur.

Au même. /Ce que vous devez faire le plus présentement est de vous détacher universellement de toutes choses et de vous-même, sans quoi la solitude vous serait peu utile… Une des raisons qui fait que je désire qu’on ne quitte point son état, quoique je désire qu’on soit parfaitement détaché, c’est que Dieu voulant à présent et dans les siècles à venir introduire Son Esprit intérieur dans tous les lieux, parmi toutes les nations, dans tous états et conditions, je ne crois pas qu’on doive facilement quitter son état à moins d’une vocation particulière,…

Au même. /… Vous dites que vous voulez être abandonné à Dieu, et [cependant] vous voulez qu’à chaque pas Il vous rende raison des lieux où Il vous mène, et pourquoi Il vous y mène. Vous ne feriez pas ce tort à un guide que vous croiriez honnête homme : vous vous laisseriez conduire…”

Madame Guyon doit parfois mettre un terme à certaines pratiques, que l’on retrouve à toute époque, et aujourd’hui dans certaines techniques orientales, faisant appel à un effort de concentration juste à l’opposé de l’abandon à la providence divine :

À Milord Duplin. Vers 1714.

« … Ce que vous me dites de la violence que vous vous faites pour rendre votre esprit abstrait n’est nullement ce que Dieu demande de vous, et ce n’est point la voie dont il s’agit. Nous tâchons que tout se concentre dans le cœur, sans nul effort de tête, car Dieu souvent cache ce qu’Il opère dans l’intime de l’âme sous des distractions vagues et involontaires, afin de le dérober à la connaissance du démon et de l’amour propre.

À Lord Deskford. 15 avril 1715.

“… Ce que j’ai prétendu, monsieur, a été de vous inspirer une oraison libre dont l’amour soit le principe, et qui parte plus du cœur que de la tête : quelques douces affections mêlées de silence. Car comme votre esprit est accoutumé à agir, à philosopher et à raisonner, j’ai voulu faire tomber l’activité de l’esprit par une foi simple de Dieu présent, que vous devez aimer, et auquel vous devez vous unir par un amour pur et simple, conforme à la simplicité de votre foi. Cela ne se fait pas par une tension de l’esprit qui nuit à la santé, mais par un amour seul, excitant la volonté par une tendance de cette volonté vers son divin Objet.”

Le plus souvent elle répond aux difficultés rencontrées sur « la voie », soulignant son déroulement naturel, à condition d’accepter la destruction du vieil homme ; on a toujours ici une mystique sobre, bien loin des excès, visions et révélations :

Lettre [D.2.1]. Abrégé des voies de Dieu252.

“Monsieur,/Soyez donc persuadé qu’il n’y a rien de violent dans la conduite de Dieu que ce que nous y ajoutons, que Sa conduite est douce et suave : s’il y a quelque violence, c’est ou parce que notre volonté n’est pas encore parfaitement gagnée, ou parce que notre amour propre la cause… Lors donc que toutes ces choses sont, la volonté meurt à soi véritablement, non d’un trépas douloureux et sensible, mais d’un passage doux et tout naturel, qui fait que cette volonté cessant d’être arrêtée en elle-même par ce qu’il y a même de plus délicat, passe infailliblement et nécessairement en Dieu. C’est ce que l’on appelle mort. Elle [la volonté] est morte quant à son propre, mais elle ne fut jamais plus vivante : elle vit en Dieu, non de la première vie, ou d’une vie qui lui soit propre, mais d’une vie que Dieu lui communique, qui n’est autre que Sa propre vie et Sa volonté. … Et c’est alors qu’elle participe aux qualités de Dieu, qui est de se communiquer aux autres, ou plutôt, c’est comme une rivière qui, s’étant perdue dans un grand fleuve, suit sa course et n’en suit point d’autre…

“Ceci, loin d’être une chose forgée par l’imagination, est toute l’économie de la Divinité hors d’Elle-même. C’est la fin et de la création, et de toutes religions, qui n’ont été établies de Dieu que pour conduire l’homme en Dieu même, comme les lits de chaque fleuve sont pour les perdre dans la mer. C’est tout le travail de Dieu sur Ses créatures, c’est toute la gloire qu’Il en peut et doit tirer. Tout ce qui n’est point cela, sont des moyens ou éloignés, ou plus proches, mais ce n’est point ni notre fin ni notre essentielle béatitude.

Lettre [D.3.74].

“On m’a lu votre lettre, monsieur. … Il faut devenir enfant après avoir été homme. Il faut plus, car il faut renaître de nouveau afin de devenir une nouvelle créature en Jésus-Christ. Mais avant ce temps, il faut que tout ce qui est du vieil homme soit détruit, savoir la propriété, l’amour de la propre excellence, enfin tout amour propre, ce qui s’entend de tout ce qui nous concerne et qui a rapport à nous, quel qu’il soit. Le petit enfant se laisse porter où l’on veut : si son père le couche sur un fumier, il n’y pense pas, il n’en sait pas même faire le discernement, il y dort comme dans son [314] berceau, abandonné qu’il est aux soins de son père. Abandonnez-vous donc en la main de Dieu avec un grand courage…”

Une mise en garde vis-à-vis du « sentiment » et surtout des voies extraordinaires préconisées par le prophétisme de certains jeunes émigrés protestants, — considérés comme des martyrs après la terrible répression qui suivit la guerre des Cévennes, et qui firent le tour d’Angleterre et d’Écosse, inspirés par les annonces publiques des prophètes de l’Ancien Testament —, confirme le caractère sobre de Madame Guyon :

Lettre [D.2.111].

“Il y a deux sortes de goûts, celui du fond et celui du sentiment. Il est de la dernière conséquence pour vous et pour les autres que vous ne vous conduisiez pas par le dernier. … N’allez donc jamais par ce que vous sentez ou ne sentez pas. Mais allez par un je ne sais quoi qui, bien que sec, détermine d’abord et ne laisse nulle hésitation. Il détermine sans goût et sans lumière de la raison parce qu’il détermine par la vérité de Dieu. Comme vous n’êtes pas par état dans la pure lumière de Dieu, et qu’il s’en faut bien, vous ferez souvent des fautes là-dessus. Mais à force d’en faire, vous vous accoutumerez à la nue opération de Dieu, non seulement pour être dépouillé, mais pour être agi. Hors de là, tout est méprise.

Lettre [D.4.124].

“… Le règne de Dieu ne viendra point par aucun bruit extérieur, mais l’Esprit saint, étant répandu par tous nos cœurs, préparera par l’onction de sa grâce le règne de Jésus-Christ. La plupart des recueillements des personnes agitées comme cela [les jeunes cévenols] ne sont qu’un bandement et une occupation forte de la tête et du cerveau pour contraindre leur entendement à la cessation, et ces personnes-là ont un recueillement plutôt d’assoupissement. Ce que nous appelons vrai recueillement n’occupe point la tête, mais c’est une tendance du cœur, ou plutôt de la volonté vers Dieu, qui fait que la volonté étant toute occupée de son Dieu, à L’aimer, à Le goûter, ne fait plus aucune attention à ce qui se passe dans l’esprit et en est comme entièrement séparée.

“Vous pouvez tirer de là, mon cher frère, que toutes ces voies extraordinaires, quand même elles seraient vraies, ne pourraient nous unir au Souverain Bien, puisqu’il est bien éloigné de consister en ces choses. L’état de ces prophètes ne peut donner ce qu’on appelle un véritable silence intérieur. Ce que j’appelle silence intérieur est quelque chose de si tranquille, de si paisible, de si un, qu’il ne peut compatir avec aucune agitation corporelle, puisqu’une personne même qui possède ce silence intérieur dans les plus violentes douleurs ne donne aucune marque d’agitation, et peut se plaindre comme un enfant, mais ne s’agitera jamais. Saint Jean dit en l’Apocalypse qu’il se fit un grand silence au ciel [Ap 3, 1]. Lorsque ce silence est fait dans l’âme, il se communique jusqu’au-dehors. Il y a deux sortes de silence extérieur : 1° l’un, que nous faisons nous-mêmes par pratique en nous imposant une suppression de toutes paroles. Ce silence, quoique bon, n’est pas pareil à : 2° l’autre silence qui vient [du silence intérieur] et qui est opéré par le silence intérieur. Dans le premier, c’est nous qui nous taisons ; dans le second, c’est l’amour qui fait taire, et l’âme sent bien que, lorsqu’elle veut parler, elle s’arrache à un je ne sais quoi qui l’attire au-dedans d’elle-même…”

(5) Nous terminons cette évocation de la voie mystique servie par Madame Guyon par deux lettres qui ne sont pas d’elle. La première, « en amont », lui est adressée par Monsieur Bertot, le prêtre qui la dirigea lorsqu’elle était encore mariée ; la suivante, « en aval », provient d’une « simple paysanne » qui résume l’enseignement de tous, en rapportant tout à l’amour :

« De Bertot. Avant avril 1681253. De l’état d’anéantissement parfait en nudité entière, où l’âme est et vit en Dieu, au-dessus de tout le sensible et perceptible.

« Le dernier état d’anéantissement de la vie intérieure est pour l’ordinaire précédé d’une paix et d’un repos de l’âme dans son fond, qui peu à peu se perd et s’anéantit, allant toujours en diminuant, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de sensible et de perceptible de Dieu en elle. Au contraire elle reste et demeure dans une grande nudité et pauvreté intérieure, n’ayant que la seule foi toute nue, ne sentant plus rien de sensible et de perceptible de Dieu, c’est-à-dire des témoignages sensibles de Sa présence et de Ses divines opérations, et ne jouissant plus de la paix sensible dont elle jouissait auparavant dans son fond ; mais elle porte une disposition qui est très simple, et jouit d’une très grande tranquillité et sérénité d’esprit, qui est si grande que l’esprit est devenu comme un ciel serein.

« … Dans cet état ces âmes vivent toujours à l’abandon et étant abandonnées d’état et de volonté à la conduite de Dieu sur elles, pour faire d’elles et en elles tout ce qu’Il voudra pour le temps et pour l’éternité… Enfin dans cet état ces âmes jouissent d’une grande liberté d’esprit, non seulement pour lire et pour écrire, mais aussi pour parler dans l’ordre de la volonté de Dieu. Et ces âmes parlent souvent sans réflexion et comme par un premier mouvement et impulsion qui les y porte et entraîne.

« Ces âmes ne laissent pas en cet état si simple et nu de s’acquitter fidèlement des devoirs de leur état, car Dieu qui est le principe de leurs mouvements et actions, ne permet pas qu’elles manquent à rien de leurs obligations.

« Lettre d’une paysanne à Madame Guyon254.

« … L’amour tient lieu de tout, il ne m’apprend autre chose que la vérité, qui est au — dessus de moi et hors de moi. Oui, Amour, tout ce que l’on me peut dire regarde l’âme, et vous m’avez chassée hors d’elle. Vous y tenez lieu de tout, et je ne puis m’arrêter en aucun autre objet qu’en vous seul. Ô divin Amour ! Vous êtes tellement seul que je ne sais pas si j’ai une âme. Mon unique et pur Amour a délaissé et oublié l’âme : il n’y a temps et lieu que pour lui. Je me soucie autant de toi, ô âme, comme d’une paille… Oh ! qu’on ne me parle plus de l’âme ni de tout ce qui la concerne ! Je ne sais plus autre chose que mon Amour ; et il me semble que tout y est tellement Lui, qu’il y a une impossibilité morale de pouvoir plus regarder ni penser à son âme, mais bien à ce seul et unique Amour, et à cet objet de pureté.

« Mais de dire ce qui occupe, et comme l’on est occupé, c’est ce qui ne se dira jamais. Je n’ai rien de distinct ni de particulier : c’est un objet où tout est un, sans aucune distinction ni discernement. Il n’y a rien en Dieu de particulier, tout y est un, mais silence à toute expression ! Silence à toute intelligence ! Silence pour toute parole ! Je commence de rendre compte de la vérité dont je suis certaine, qui est Dieu, et de Son divin amour, qui est tout mien et qui est tout moi, en disant que je ne puis rien dire. Et je finis en disant que je n’en dirai rien. »

Annexes omises.

UNE PRÉSENTATION DE JEANNE-MARIE GUYON [La Théologie —Une anthologie, 4.]

Les Temps Modernes ? Cerf, 2013.

Au XVIIe siècle, le « faire croire » est en crise depuis la division des Églises et la prise en compte d’un univers sans limites, dépourvu de centre, autonome dans ses mouvements, pouvant inclure des vides255. Les rôles fondateurs de l’expérience physique et de la raison qui l’analyse, s’imposent devant celui des autorités. Ne pouvant plus ignorer la variété des systèmes religieux et chassé du monde clos, hiérarchisé et homogène, si bien décrit par Dante, chacun doit trouver sa voie ; elle conduit souvent à l’individualisation de la relation avec Dieu par recours à l’expérience d’un monde tout intérieur. Mais le frein apporté par des structures politiques et religieuses, dont représentations et fonctions sont mises en cause, rejette beaucoup de ceux qui la vivent au sein de minorités quiétistes ou piétistes.

Madame Guyon (1648-1717) est une mystique catholique qui fut ouverte sur le monde protestant, ce qui reste très exceptionnel. Persuadée que seule une expérience intérieure peut enraciner la foi, elle crut devoir prendre le risque de l’expliciter. Elle dirigea à la fin de sa vie des protestants aussi bien que des catholiques et son œuvre fut éditée à deux reprises par des pasteurs256. Nous proposons deux extraits s’adressant aux uns et aux autres.

Le premier provient du Moyen court, un livret très apprécié de ses contemporains catholiques. Cet « Avertissement destiné aux Pasteurs et prédicateurs 257 » replace ceux-ci devant leur tâche première : « enseigner à faire oraison » non par raisonnement, mais par le cœur.

Mais en voulant inverser l’équilibre en faveur du vécu intérieur, en proposant d’instruire de cette sorte « les bergers… les laboureurs », ne risque-t-on pas de faire prévaloir la « foi du charbonnier », voire d’inciter à des « enthousiasmes » sans lien solide avec les bases scripturaires chrétiennes ?

Le second extrait provient des Explications258, œuvre très ample qui exerça une influence en milieu protestant259. Il commente la première Béatitude, en faisant un usage tout intérieur et mystique du texte. Madame Guyon s’appuie sur une connaissance très approfondie des Écritures comme des mystiques. Elle prend avec maîtrise la suite d’une longue tradition juive et chrétienne d’interprétation symbolique, qui va disparaître pour laisser place aux approches « scientifiques », et décrit la voie mystique qui procède de l’oraison.

Avertissement destiné aux Pasteurs et prédicateurs.

1. Si tous ceux qui travaillent à la conquête des âmes tâchaient de les gagner par le cœur, les mettant d’abord en oraison et en vie intérieure, ils feraient des conversions infinies et durables. Mais tant que l’on ne s’y prend que par le dehors et qu’au lieu d’attirer les âmes à Jésus-Christ, par l’occupation du cœur en Lui, on les charge seulement de mille préceptes pour les exercices extérieurs ; il ne se fait que très peu de fruit et il ne dure pas.

Si les curés de la campagne avaient le zèle d’instruire de cette sorte leurs paroissiens, les bergers, en gardant leurs troupeaux, auraient l’esprit des anciens anachorètes ; et les laboureurs, en conduisant le socle de leurs charrue, s’entretiendraient heureusement avec Dieu. Les manœuvres qui se consument de travail en recueilleraient des fruits éternels. Tous les vices seraient bannis en peu de temps, et tous leurs paroissiens deviendraient spirituels.

2. […] Les hérésies sont entrées dans le monde par la perte de l’intérieur. Si l’intérieur était rétabli, elles seraient bientôt ruinées. L’erreur ne s’empare des âmes que par le manquement de foi et de prière. Si on apprenait à nos frères égarés à croire simplement et à faire oraison, au lieu de disputer beaucoup avec eux, on les ramènerait doucement à Dieu. […]

3. On s’excuse sur ce que l’on dit qu’il y a du danger dans ce chemin, ou que les gens simples sont incapables des choses de l’esprit. L’oracle de la vérité nous assure du contraire : Le Seigneur (dit-il) met son affection en ceux qui marchent simplement. Mais quel danger peut-il y avoir à marcher dans l’unique voie, qui est Jésus-Christ, se donnant à Lui, Le regardant sans cesse, mettant toute sa confiance en Sa grâce et tendant de toutes nos forces à Son plus pur amour ?

4. Loin que les simples soient incapables de cette perfection, ils y sont même plus propres, parce qu’ils sont plus dociles, plus humbles et plus innocents, et que, ne raisonnant pas, ils ne sont pas tant attachés à leurs propres lumières. Étant de plus sans science, ils se laissent mouvoir plus aisément à l’Esprit de Dieu. Au lieu que les autres, qui sont gênés et aveuglés par leur propre suffisance, résistent beaucoup plus à l’inspiration divine.

Aussi Dieu nous déclare que c’est aux petits qu’Il donne l’intelligence de Sa loi. Il nous assure encore qu’Il aime à converser familièrement avec les simples260. Le Seigneur garde les simples : j’étais réduit à l’extrémité, et Il m’a sauvé261. Que les pères des âmes prennent garde de ne pas empêcher les petits enfants d’aller à Jésus-Christ. Laissez venir (dit-Il à ses Apôtres) ces petits enfants, car c’est à eux qu’appartient le Royaume des Cieux262. Jésus-Christ ne dit cela à ses apôtres que parce qu’ils voulaient empêcher les enfants d’aller à Lui.

5. Souvent on applique le remède au corps et le mal est au cœur. La cause pour laquelle on réussit si peu à réformer les hommes, surtout les gens de travail, c’est que l’on s’y prend par le dehors et que tout ce que l’on y peut faire passe aussitôt. Mais si on leur donnait d’abord la clef de l’intérieur, le dehors se réformerait ensuite avec une facilité toute naturelle.

Or cela est très aisé. Leur apprendre à chercher Dieu dans leur cœur, à penser à Lui, à y retourner s’en trouvant distraits, à tout faire et tout souffrir à dessein de Lui plaire, c’est les appliquer à la source de toutes les grâces et leur y faire trouver tout ce qui est nécessaire pour leur sanctification.

6. […] Faites des catéchismes particuliers pour enseigner à faire oraison, non par raisonnement ni par méthode (les gens simples n’en étant pas capables), mais une oraison de cœur et non de tête, une oraison de l’esprit de Dieu et non de l’invention de l’homme.

7. Hélas ! On veut faire des oraisons étudiées ; et pour les vouloir trop ajuster, on les rend impossibles. On a écarté les enfants du meilleur de tous les pères pour avoir voulu leur apprendre un langage trop poli. Allez, pauvres enfants, parler à votre Père céleste avec votre langage naturel : quelque barbare et grossier qu’il soit, il ne l’est point pour Lui. Un père aime mieux un discours que l’amour et le respect met en désordre, parce qu’il voit que cela part du cœur, qu’une harangue sèche, vaine et stérile, quoique bien étudiée. Ô que de certaines œillades d’amour le charment et le ravissent ! Elles expriment infiniment plus que tout langage et tout raisonnement.

8. […] L’Esprit de Dieu n’a pas besoin de nos ajustements. Il prend quand il Lui plaît des bergers pour faire des prophètes. Et bien loin de fermer le palais de l’oraison à quelqu’un, comme on se l’imagine, Il en laisse au contraire toutes les portes ouvertes à tous, et la Sagesse a ordre de crier dans les places publiques : Quiconque est simple, vienne à moi et elle a dit aux insensés : Venez, mangez le pain que je vous donne, et buvez le vin que je vous ai préparé263. Jésus-Christ ne remercie-t-Il pas son Père de ce qu’il a caché ses secrets aux sages, et les a révélés aux petits 264 ?

Explication de la première Béatitude.

Cette première béatitude 265 renferme seule toute la perfection et la consommation de la perfection même. Une vive pénétration de cette sentence de Jésus-Christ a donné lieu aux spirituels et aux mystiques de dire de si belles choses touchant la pauvreté d’esprit à laquelle ils ont donné divers noms, de dépouillement, d’appauvrissement, de nudité, de perte, de mort, d’anéantissement. Tout ce que l’on en dit est bien véritablement fondé sur cette déclaration du Fils de Dieu, et tout ce qui s’en peut dire ne s’approche pas de ce que c’en est dans la vérité ; mais nul ne peut pénétrer le sens de ces profondeurs s’il n’a le courage de se donner à Dieu sans réserve pour les pratiquer.

J’en dirai ici quelque chose selon qu’il plaira au Père des lumières de me l’inspirer. Jésus-Christ met cette béatitude au premier rang et à la tête des autres, comme celle à laquelle elles doivent toutes se rapporter. La pauvreté d’esprit ne s’entend pas seulement du détachement d’affection des richesses comme plusieurs l’expliquent : elle s’étend de plus à un appauvrissement général de toute l’âme, et de tout l’esprit et jusqu’à une désappropriation entière et absolue et une perte de tout propre intérêt. Il faut que cette pauvreté se répande sur les trois puissances de l’âme et qu’elle pénètre même sa substance et son centre pour les dépouiller de tout ce qu’elles possèdent avec attache et les réduire dans une parfaite nudité.

Comme parmi les pauvres de biens extérieurs, il y en a de plus ou moins pauvres, les uns étant dans une extrême indigence et dans la dernière disette, les autres possédant encore quelque chose pour peu que ce soit, de même l’appauvrissement d’esprit est plus ou moins poussé, selon le dessein de Dieu sur les âmes : les uns ne passent que par les premiers dépouillements des sens, quelques-uns vont jusqu’au dépouillement des puissances, mais il en est peu qui vont jusqu’au dépouillement central et à la pauvreté du fond qui est l’entier anéantissement.

Il y a des biens qui sont hors de l’homme, tels que sont les temporels : il y en a d’autres qui sont en lui comme la santé et la beauté. La pauvreté est plus ou moins grande selon qu’elle lui arrache plus des uns ou des autres. L’esprit a de même des biens qui sont hors de lui, comme l’honneur, la réputation, l’estime et l’affection des créatures ; et il y en a qui sont en lui-même, à savoir toutes les richesses des sens intérieurs et des puissances de l’âme, la science, le discernement, la vertu et le reste. Dieu voit que ces biens possédés avec propriété, par une avidité naturelle et impure, au préjudice de la souveraineté de Son amour, empêchent que l’homme puisse posséder le Royaume des cieux, qui n’est autre que Dieu même, le dépouille de tout cela afin qu’il apprenne à donner à Dieu seul la préférence de son estime et de son amour, sans laquelle il est impossible qu’il jouisse de Dieu. Car il est sûr que Dieu ne remplit un cœur de Soi-même qu’autant qu’il est vide et dénué de ce qui pourrait l’attacher, l’amuser ou le partager : tout autre cœur ne serait pas digne de Lui. C’est pourquoi Jésus-Christ déclare que notre béatitude consiste à être pauvres d’esprit, c’est-à-dire que quiconque est parfaitement détaché de tout bien créé est heureux, puisque dès lors le bien souverain, Dieu et tout ce qu’Il est, est à lui.

Dieu commence donc par dépouiller les sens intérieurs, l’imagination et la fantaisie de leurs formes, figures et images et de leurs activités naturelles, et la partie inférieure de l’âme de ses passions. Puis il dépouille l’entendement de ses conceptions, raisonnements et réflexions, de sa subtilité à pénétrer les choses et de la facilité qu’il avait autrefois à exercer ses fonctions ; Il le prive même des dons surnaturels dont Il l’avait gratifié pour un temps, comme des illustrations, extases, visions et révélations. Il dépouille la mémoire de ses idées naturelles ou surnaturelles, des sciences acquises ou infuses, du souvenir des choses passées et de celles qui arrivent de jour en jour, en sorte que toute mémoire semble perdue. Il dépouille la volonté de tout désir, penchant, choix, inclination, affection ou attache à quoi que ce soit : elle croit même perdre toutes les grâces, vertus, dons et biens spirituels sensibles ou aperçus ; enfin toute l’âme est tellement appauvrie qu’elle ne trouve plus rien non seulement qui l’enrichisse, mais même qui la nourrisse et qui la soutienne, en sorte que, se trouvant dans l’impuissance d’agir et de tirer de ses puissances leurs actes ordinaires, elle tombe en défaillance et il lui semble qu’elle a perdu l’esprit et qu’elle n’a plus ni être ni vie. Aussi ce dépouillement s’appelle-t-il une mort : ou la mort des sens, si c’est une privation de leurs plaisirs et inclinations naturelles et de la vivacité avec laquelle ils se portent sur leurs objets ; ou la mort des puissances, l’âme perdant la facilité de s’en servir, en sorte qu’elles semblent être perdues et qu’elles ne se trouvent plus : ou enfin la mort de l’âme, en ce qu’elle se trouve privée de ses fonctions sensibles et aperçues qui faisaient sa propre vie.

Mais cet appauvrissement, quelque extrême qu’il paraisse, ne suffit pas encore. Dieu appauvrit ensuite cette âme de toute propriété centrale, de toute passion secrète et profonde, de toute attache aux choses les plus saintes, de tout amour naturel de ce qui n’est point Dieu, enfin de toute vie et de tout être propre, de sorte qu’elle ne se trouve plus en quoi que ce soit, ni pour quoi que ce puisse être ; c’est comme une cessation d’existence et de subsistance propre pour n’exister et ne subsister plus qu’en Dieu ou, plutôt, tout être propre est ici si fort anéanti quant à sa propriété, opposition et consistance en soi-même qu’il faut nécessairement que, par la perte de tout être propre, l’âme recoule dans le Souverain Être où tous les êtres possibles sont renfermés lorsqu’ils n’ont point d’opposition à n’exister qu’en Dieu. Mais lorsqu’ils ont une opposition foncière, comme celle de la propriété, ils existent bien en Dieu nécessairement, à cause de Son immensité qui renferme toute chose ; mais ils n’y existent pas en unité, ni par l’union d’agrément, qui fait comme un mélange sans distinction de l’être créé avec l’incréé, rien ne l’empêchant plus de se rejoindre à son origine, quoique toujours avec la disproportion essentielle de la créature au créateur, au lieu que les autres créatures propriétaires, ou pécheresses, existent en Dieu par nécessité d’être et de dépendance, mais avec éloignement, ou opposition de cœur. Je ne sais si j’aurai expliqué ceci de manière qu’il puisse être entendu.

Ces pauvres d’esprit par la perte de leur propriété reçoivent en propre le Royaume du ciel, qui est Dieu même. Dieu règne en eux, et ils règnent en Dieu. Dieu les possède, et ils possèdent Dieu. La possession et la récompense sont proportionnées à la pauvreté qui les a méritées, et la pauvreté d’esprit, étant arrivée jusqu’à la perfection que je viens de décrire, ne mérite rien moins que Dieu : non par un mérite de dignité ou de justice, car la pauvreté, le vide et le néant ne méritent rien, quoique l’âme qui aime à s’y voir réduite pour la gloire de Dieu, mérite tout auprès de Lui, mais par un mérite de disposition et de rapport, car le seul Tout peut remplir le vide du néant. […]




UNE FILIATION MYSTIQUE : CHRYSOSTOME DE SAINT-LÔ, JEAN DE BERNIÈRES, JACQUES BERTOT, JEANNE-MARIE GUYON [Dix-septième siècle, 2003]


(40) Une filiation mystique (txt pour art.2003) .doc

(40) D Tronc Une filiation mystique (art. XVIIe siècle 218 2003) .pdf


Dominique Tronc P.U.F. | Dix-septième siècle 2003/1 — n° 218 pages 95 à 116 ISSN 0012-4273 Article en ligne : http://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2003-1-page-95.htm


Madame Guyon revient à Paris en 1686, âgée de trente-huit ans. Veuve depuis dix ans, restée indépendante vis-à-vis de toute structure religieuse, elle affirme et exerce une autorité spirituelle. Celle-ci lui attache des disciples dont le plus illustre est Fénelon, ce qui lui attire rapidement de redoutables épreuves : elle les surmontera, mais demeurera suspecte. Les circonstances décrites dans sa Vie et surtout dans sa Correspondance active et passive266 doivent être éclairées par une approche historique. Respecter ce dont elle témoigne d’intime dans ses écrits conduit à préciser les influences reçues qui ne sont pas seulement d’origine scripturaire, mais transmises directement de personne à personne. La lecture des sources découvre alors la grandeur, souvent abrupte, d’une filiation mystique reconnue, mais peu étudiée267.

Celle-ci commence avec le franciscain Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), s’illustre par la figure laïque de Jean de Bernières (1602-1659), s’étend au cercle de l’Ermitage dont fait partie le discret, mais important confesseur Jacques Bertot (1620-1681). Le rôle de ce dernier déborde les clôtures religieuses et s’avère déterminant auprès de la jeune Jeanne-Marie Guyon (1648-1717). Elle assumera à son tour la fonction de ses prédécesseurs dans des circonstances devenues difficiles et donc d’une façon cachée.

Les quelques noms qui viennent d’être cités n’épuisent pas les richesses d’un réseau dont les figures couvrent le siècle (et au-delà). Les effets de la condamnation du « quiétisme » (1687) puis des Maximes des saints de Fénelon (1699), ainsi que leurs conséquences — absence de toute structure religieuse favorable, méfiance de laïcs par ailleurs sensibles à l’éloquence de Bossuet — ne sont pas encore totalement effacés. Bremond prévoyait un dernier volume de son grand œuvre consacré à l’histoire de la querelle du Quiétisme268; Cognet avait l’espoir de rédiger une monographie sur Madame Guyon269. L’un et l’autre ont disparu trop tôt. Nous proposons ici un bref aperçu d’une école mystique qui attend son historien pour la replacer au centre de la vie spirituelle du siècle. Nous présentons successivement quatre figures liées par filiation en les situant au sein d’un « réseau » d’amis. Quelques citations donnent la saveur du vaste corpus de textes de nature expérimentale qui restent à éditer et à comprendre.

Les origines. Jean-Chrysostome de Saint-Lô, directeur de Jean de Bernières.

La première communauté du Tiers Ordre Régulier franciscain aurait été reconnue par le Pape en 1401 et se propage jusqu’à Gênes où ils ont en charge l’hôpital270 ; Catherine de Gênes (1447-1510), dont l’influence sera très grande chez Jacques Bertot et Madame Guyon, a été une tertiaire franciscaine. De l’Italie arrivent deux membres du Tiers Ordre Régulier, Vincent de Paris et son compagnon Antoine. Ils recherchent une solitude peu compatible avec les événements politiques de la fin des guerres de religion, comme en témoigne ce récit des tribulations de nos deux ermites aux mains des gens de guerre, alors qu’ils voulaient vivre cachés dans la forêt :

Ils tombèrent entre les mains des Suisses hérétiques, qui espérant une bonne rançon de quelques Parisiens qu’ils avaient pris parce que le siège [de Paris, en 1590] devait être bientôt levé, étaient résolus de les laisser aller, et de prendre les deux hermites. Frère Antoine en eut avis secrètement par une Demoiselle prisonnière, le malade [Vincent] qui tremblait la fièvre quarte entendit ce triste discours, et se jetant hors de sa couche descendit l’escalier si promptement qu’il roula du haut en bas, sans néanmoins aucune blessure. L’intempérance des soldats, et l’excès du vin les avait mis en tel état, que Vincent et Antoine s’échappèrent aisément… 271

Vincent établit le monastère de Picpus entre le Faubourg Saint Antoine et le château du bois de Vincennes ; la congrégation se développe et une bulle de 1603 ordonne qu’un Chapitre provincial soit tenu tous les deux ou trois ans. Le premier Chapitre a lieu en 1604.

Apparaît la figure du père Chrysostome de Saint Lô (1594-1646) dont la vocation est suscitée par Antoine le Clerc sieur de la Forest (1563-1628), un laïc parisien cultivé, consulté par de nombreux spirituels. Chrysostome est élu Provincial de France en 1634, puis, lorsque celle-ci est divisée en deux, prenant les noms de saint François et de saint Yves, il devient en 1640 Provincial de cette dernière, correspondant à la Normandie-Bretagne272. Actif voyageur, mort âgé de cinquante-deux ans, il a cependant eu le temps de rédiger des opuscules273.

Les Pensées d’Éternité d’un certain solitaire et d’un autre serviteur de Dieu nous touchent par la rectitude et la grandeur convenant bien à une « ouverture spirituelle » pour une future école de vie intérieure. Ces textes évoquent les grandes peurs que l’on attribue parfois au Moyen Age mais possèdent aussi un côté biographique nouveau. Jean-Chrysostome résume ainsi très sobrement la durée d’une vie spirituelle sous la forme émouvante d’une liste :

I. Un autre serviteur de Dieu a été conduit à une très haute perfection par les vues pensées de l’Éternité. Il était de maison et façonné aux armes. Voici que environ à l’âge de vingt-trois ans, comme il banquetait avec ses camarades mondains, il entrouvrit un livre, où lisant le seul mot d’Éternité, il fut si fort pénétré d’une forte pensée de la chose, qu’il tomba par terre comme évanoui, et y demeura six heures en cet état couché sur un lit, sans dire son secret. […] III. Ensuite il fut tourmenté de la vue de l’éternité de l’Enfer, environ huit ans […] IV. Après cet état il demeura trois autres années dans une croyance comme certaine de sa damnation : tentation qui était aucune fois si extrême, qu’il s’en évanouissait. […] V. Ensuite de cet état, il demeura un an durant fort libre de toutes peines […]VI. Après cette année, il en demeura deux dans la seule vue de la brièveté de la vie […] VII. Ensuite […] il fut huit ans dans la continuelle vue que Dieu l’aimait de toute éternité…274

Ce guerrier plongé dans le monde pénètre tout à coup le sens profond du mot « éternité ». Une existence résumée en quelques points donne une impression d’élan absolu associée à la brièveté de notre condition. L’inspiration qui animera tous les membres de cette école  est posée de façon saisissante : des expériences mystiques intenses, qui peuvent faire tomber à terre, sont suivies d’années d’épreuves. L’amour de Dieu pour sa créature est premier. La vie spirituelle est dynamique et couvre la durée d’une vie. Le chemin suivi est classique : initiative divine brusque et inattendue qui change la vie, très longue purification, victoire définitive de l’Amour.

Le traité de La Sainte Désoccupation de toutes les créatures, pour s’occuper en Dieu seul balaye le chemin sans compromis : il faut laisser la place et toute la place au divin qui alors anime la créature : « Dieu opère tellement en cette âme, qu’il semble que ce soit plutôt Lui qui produise cet amour […] l’âme demeure souvent comme liée et garrottée, sans rien penser ni agir comme d’elle-même, mais mûe seulement275. » C’est la passiveté mystique au terme d’un long cheminement de « désoccupation très pure, par laquelle l’âme parvient à une continuelle vue et présence de Dieu276. »

Jean-Chrysostome anime un cercle mystique auquel appartiennent Jean de Bernières et Catherine de Bar, la mère du Saint-Sacrement (1614-1698) :

l’on a vu plusieurs personnes de celles qui suivaient ses avis […] courir avec ferveur […] La première est feu M. de Bernières de Caen […] le Père Jean Chrysostome lui avait écrit que l’actuelle pauvreté était le centre de sa grâce […] Ce sentiment d’un directeur […] adressé à un disciple […] en augmentait les ardeurs d’une manière incroyable. Ainsi il commença tout de bon à chercher les moyens d’être pauvre. […] Ayant été soulagé de la fièvre quarte il s’en alla à Saint-Maur […] pour y voir la R. Mère du Saint-Sacrement, maintenant supérieure générale des Religieuses bénédictines du Saint-Sacrement. Elle était l’une des filles spirituelles du bon père, et en cette qualité il voulut qu’elle fût témoin de son agonie. […] [il] mourut le 26 mars 1646 âgé de 52 ans […] L’on remarqua que la plupart des religieux du couvent de Nazareth où il mourut, fondaient en larmes et même les deux ou trois jours qui précédèrent sa mort, et cela sans qu’ils pussent s’en empêcher277.

Jean de Bernières témoigne directement de la direction de celui qu’il considère comme son père spirituel :

[…] ce me serait grande consolation que […] nous puissions parler de ce que nous avons ouï dire à notre bon Père […] puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous faire enfants d’un même Père […] Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence de Dieu278 ?

Jean de Bernières, directeur de Jacques Bertot.

Jean de Bernières279, né en 1602 d’un trésorier général de France, mène une vie laïque, sensible à l’amitié, insensible aux différences sociales, payant de sa personne lorsque maladie et misère sont en cause, désirant la pauvreté (mais capable de conseiller Mme de la Peltrie en procès avec sa famille et de gérer des ressources pour la fondation des missions du Canada), demeurant humain dans la peur de la mort (car il se souvient de l’agonie douloureuse de Jean-Chrysostome). La forme de ses écrits a été considérablement revue, ce dont se plaignaient déjà ses contemporains280.

Bernières est ferme dans ses convictions :

Lorsqu’on attaque ses amis, il les défend avec énergie. Quand le grand archidiacre d’Évreux, Boudon, victime d’une sorte de conjuration, est menacé d’interdiction, Jean déclare à la cohorte ennemie que Boudon aura toujours un refuge en sa maison, et que lui, Jean, « se trouverait heureux d’être calomnié et persécuté pour lui »281.

De concert avec Gaston de Renty (1611-1649), autre mystique laïc, grand seigneur qui passe des armes et des sciences à l’exercice de la charité282, Bernières contribue à la fondation d’hôpitaux, de couvents, de missions et de séminaires.

Il paye de sa personne, car il va chercher lui-même les malades dans leurs pauvres maisons, pour les conduire à l’hôpital […] porte sur son dos les indigents qui ne peuvent pas marcher jusqu’à l’hospice […] il lui faut traverser les principales rues de la ville : les gens du siècle en rient autour de lui283.

Il est aussi « le directeur des directeurs de conscience284 » et parle avec humour d’un « hôpital » un peu particulier qui accueille des hôtes de passage :

Il m’a pris un désir de nommer l’Ermitage l’hôpital des Incurables, et de n’y loger avec moi que des pauvres spirituels […] Il y a à Paris un hôpital des Incurables pour le corps, et le nôtre sera pour les âmes285.

Je vous conjure, quand vous irez en Bretagne, de venir me voir ; j’ai une petite chambre que je vous garde : vous y vivrez si solitaire que vous voudrez ; nous chercherons tous deux ensemble le trésor caché dans le champ, c’est-à-dire l’oraison286.

Il prend ici soin de privilégier les rapports personnels dans sa direction, ce qui évoque des lettres que Madame Guyon adressera bien plus tard de Blois à des dirigés287. Il est cependant bien conscient de n’être que l’intendant de Dieu :

Nous vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus du monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans réflexion […] Je connais clairement que l’établissement de l’Ermitage est par ordre de Dieu, et notre bon Père [Chrysostome] ne l’a pas fait bâtir par hasard ; la grâce d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait288.

Il est de fait au centre d’un large cercle : sur place M. de Gavrus, neveu de Jean, fonde l’hôpital général de Caen ; Boudon deviendra l’archidiacre « persécuté » d’Évreux, écrivain abondant auquel nous devons de précieuses informations ; Lambert de la Motte, Mgr de Béryte, est un des premiers évêques de la Chine.

L’influence de ce cercle s’étend au Canada, dans des circonstances pour le moins inhabituelles : Mme de la Peltrie, veuve, aussi généreuse qu’originale, veut fonder une maison religieuse au Canada. Sa famille s’y oppose, elle consulte un religieux qui suggère l’expédient d’un mariage simulé. La proposition est présentée à M. de Bernières, « fort honnête homme qui vivait dans une odeur de sainteté ». Ce dernier consulte son directeur :

Celui qui le décida fut le Père Jean-Chrysostome de Saint-Lô […] Finalement Bernières se décida, sinon à contracter mariage […] du moins à se prêter au jeu […] en faisant demander sa main. […] La négociation réussit trop bien à son gré. Au lieu de lui laisser le temps de réfléchir, M. de Chauvigny [le père], tout heureux de l’affaire « faisait tapisser et parer la maison pour recevoir et inspirait à sa fille les paroles qu’elle lui devait dire pour les avantages du mariage »289.

Notons l’intervention positive du Père Chrysostome, qui peut être sévère, mais sans étroitesse d’esprit, et la liberté de tous dans cette affaire qui prend une pente assez comique quand Bernières est veillé à Paris par Mme de la Peltrie lors d’une maladie. Finalement le grand départ de Dieppe de la flotte de printemps en 1639 emporte Mme de la Peltrie (? -1671), fondatrice temporelle de la communauté ursuline du Québec, et surtout Marie de l’Incarnation (1599-1672) qui animera cette communauté :

Marie de l’Incarnation est encore sous le coup du ravissement qu’elle vient d’avoir en la chapelle de l’Hôtel-Dieu. M. de Bernières monta dans la chaloupe avec les partantes […], mais on lui conseilla de demeurer en France afin de recueillir les revenus de Mme de la Peltrie, pour satisfaire aux frais de la fondation290.

De nombreux familiers de l’Ermitage suivront le même chemin : Ango de Maizerets, dont la vie se confondra avec celle du séminaire fondé là-bas à l’imitation de l’Ermitage, et qui se dévouera à l’éducation des enfants ; M. de Bernières, neveu de Jean, qui meurt à Québec en 1700 ; François de Montmorency-Laval (1623-1708), évêque de Québec ; M. de Mésy, duelliste raffiné converti, premier gouverneur de Québec ; Roberge, le fidèle valet de chambre et disciple, après la mort de son maître291. Bernières restera le correspondant préféré de Marie de l’Incarnation (avec le fils de cette dernière, dom Claude Martin), mais les longues lettres « de quinze ou seize pages » sont perdues.

Revenons en France : Catherine de Bar devenue Mère Mectilde du Saint-Sacrement, appréciée de Madame Guyon292, fonde les bénédictines de l’Adoration perpétuelle du très Saint Sacrement à Paris ; elles iront en Lorraine et jusqu’en Pologne293. Le père Jean-Chrysostome est son confesseur. Elle se lie à Bernières et ils demeureront en correspondance. Elle passe environ un an au monastère de Montmartre et au moins trois années à Caen294. Son confesseur suivant, Épiphane Louys (1614-1682), mystique attachant, lorrain comme elle, s’est lié aussi avec Bernières.

Le laïc Jean de Bernières est influent à Paris par l’intermédiaire du jeune confesseur Jacques Bertot, son ami et surtout disciple, et il lui adresse quatorze lettres qui tranchent par leur ton et leur profondeur sur l’ensemble de sa correspondance295. Elles sont adressées à « l’ami intime », que nous pensons pouvoir identifier à Bertot grâce à quelques indices tels que « Je connais aussi que vous êtes encore utile et nécessaire aux B[énédictines] et à M[ontmartre]296 » :

… Dieu seul, et rien plus. Je n’ai manqué en commencement de cette année de vous offrir à Notre Seigneur, afin qu’Il perfectionne, et qu’Il achève Son œuvre en vous. Je conçois bien l’état où vous êtes : recevez dans le fond de votre âme cette possession de Dieu, qui vous est donnée en toute passiveté, sans ajouter votre industrie et votre activité, pour la conserver et augmenter. C’est à Celui qui la donne à le faire, et à vous, mon cher Frère, à demeurer dans le plus parfait anéantissement que vous pourrez. Voilà tout ce que je vous puis dire, et c’est tout ce qu’il y a à faire. Plus une âme s’avance dans les voyes de Dieu, moins il y a de choses à lui dire…297

Mon cher Frère, demeurez bien fidèle à cette grande grâce, et continuez à nous faire part des effets qui vous seront découverts : vous savez bien qu’il n’y a rien de caché entre nous, et que Dieu nous ayant mis dans l’union il y a si longtemps, Il nous continuera les miséricordes pour nous établir dans Sa parfaite unité, hors de laquelle il ne faut plus aimer, voir, ni connaître rien298.

Jacques Bertot, directeur de Jeanne-Marie Guyon.

Jacques Bertot naît à Caen le 29 juillet 1622, fils unique d’un marchand drapier de Caen299. L’essentiel de sa vie est résumé longtemps après sa mort dans l’Avertissement placé en tête des œuvres rassemblées par Madame Guyon  sous le titre Le Directeur mistique :

Monsieur Bertot […] natif de Coutances300 […] grand ami de […] Jean de Bernières […] s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs communautés de Religieuses [et] plusieurs personnes […] engagées dans des charges importantes tant à la Cour qu’à la guerre […] Il continua cet exercice jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction des Religieuses Bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche Paris [sic], où il est resté dans cet emploi environ douze ans jusqu’à sa mort [au] commencement de mars 1681 après une longue maladie de langueur. … [Il fut] enterré dans l’Église de Montmartre au côté droit en entrant. Les personnes […] ont toujours conservé un si grand respect [qu’elles] allaient souvent à son tombeau pour y offrir leurs prières.

On peut distinguer deux périodes dans cette vie, autour de deux localisations géographiques successives, à Caen puis à Paris ; on se gardera toutefois d’attribuer une trop grande importance à ces localisations, compte tenu de voyages fréquents.

Pendant vingt ans, de 1655 à 1675, Jacques Bertot, qu’il ne faut pas confondre avec d’autres ecclésiastiques normands301, est prêtre séculier et directeur du monastère des ursulines de Caen :

(La même année 1655 biffé) Au même temps (add. marg.) […] nous perdîmes Monsieur Du Rocher de Bernay […] On procéda incessamment à l'élection d'un autre supérieur. Messieurs François de Laval, et Jacques Bertot furent présentés à l'évêque Monseigneur de Servien qui confirma supérieur Monsieur Bertot.302

Jourdaine de Bernières, sœur du vénéré Jean de Bernières, prestigieuse supérieure du couvent, lui vouait une confiance et une obéissance absolue, comme en témoignent les deux épisodes suivants :

Elle fut élue unanimement pour la dernière fois. Sa surprise la fit sortir du chœur et courir s'enfermer dans sa chambre pour empêcher sa confirmation et en appeler à l'évêque ; mais Monsieur Bertot, supérieur qui présidait à l'élection et M. Postel son assistant, allèrent la trouver et lui faire un commandement exprès de consentir à ce que le chapitre venait de faire. A ces mots, vaincue par son respect pour l’obéissance, elle ouvre la porte et se laisse conduire à l’église pour y renouveler son sacrifice…303

Il fit assembler les religieuses au chœur, et, en leur présence, blâma la conduite de leur supérieure à qui il fit une ferme réprimande avec des termes si humiliants que plusieurs des religieuses qui connaissaient son innocence en furent sensiblement touchées […] le jour même elle fut trouver le supérieur au parloir, non pas pour (se plaindre ou biffé) se justifier, mais pour lui parler des affaires de la maison comme à son ordinaire, dont il fut également surpris et édifié. Toutes choses bien éclaircies, il conçut une plus haute estime de la mère de saint Ursule [Jourdaine de Bernières] qu'il n'avait eu304

Bertot est actif hors de cette charge de supérieur. Il est en relation avec la célèbre Marie des Vallées305, influente sur saint Eudes, et l’apprécie :

Elle me disait que la Miséricorde [en note : c'est-à-dire l’amour-propre chargé des richesses spirituelles de la Miséricorde] allait fort lentement à Dieu, parce qu’elle était chargée de dons et de présents, de faveurs et de grâces de Dieu, qu’ainsi son marcher était grave et lent ; mais que l’amour divin qui était conduit par la divine Justice, allant sans être chargé de tout cela, marche d’un pas si vite que c’est plutôt voler.306.

Il est également lié à l’aventure commune de l’apostolat au Canada307, illustrée par Marie de l’Incarnation. Son rayonnement va donc bien au-delà du monastère de Caen, ce dont témoignent plusieurs lettres308 de Catherine de Bar (devenue la Mère fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement, appréciée par Madame Guyon au monastère de la rue Cassette) :

– à Jean de Bernières lui-même309, qui, dès juillet 1645, atteste du fruit des activités du jeune disciple et nous éclaire sur sa vigoureuse direction (une caractéristique propre à l’école) :

Monsieur. Notre bon Monsieur Bertot nous a quittés avec joie pour satisfaire à vos ordres et nous l'avons laissé aller avec douleur. Son absence nous a touché, et je crois que notre Seigneur veut bien que nous en ayons du sentiment, puisqu'Il nous a donné à toutes tant de grâces par son moyen, et que nous pouvons dire dans la vérité qu'il a renouvelé tout ce pauvre petit monastère et fait renaître la grâce de ferveur dans les esprits et le désir de la sainte perfection. Je ne vous puis dire le bien qu’il a fait et la nécessité où nous étions toutes de son secours […], mais je dois vous donner avis qu'il s'est fort fatigué et qu'il a besoin de repos et de rafraîchissement. Il a été fort travaillé céans, parlant [sans] cesse, fait plusieurs courses à Paris en carrosse dans les ardeurs d'un chaud très grand. Il ne songe point à se conserver. Mais maintenant, il ne vit plus pour lui. Dieu le fait vivre pour nous et pour beaucoup d'autres. Il nous est donc permis de nous intéresser de sa santé et de vous supplier de le bien faire reposer.

Il vous dira de nos nouvelles et de mes continuelles infidélités et combien j'ai de peine à mourir. Je ne sais ce que je suis, mais je me vois souvent toute naturelle, sans dispositions de grâce. Je deviens si vide, et si pauvre de Dieu même que cela ne se peut exprimer. Cependant il faut selon la leçon que vous me donnez l'un et l'autre que je demeure ainsi abandonnée, laissant tout périr. […]

– à la Mère Benoîte de la Passion prieure de Rambervillers, le 31 août 1659 :

Monsieur [Bertot] à dessein de vous aller voir l’année prochaine, il m’a promis que si Dieu lui donne vie il ira. Il voudrait qu’en ce temps-là, la divine Providence m’y fît faire un voyage afin d’y venir avec vous […] Il faut mourir. Monsieur Bertot sait mon mal […] s’il vous donne quelques pensées, écrivez-le-moi confidemment.

– à la Mère Dorothée (Heurelle), sous-prieure, le 8 août 1660 :

À Rambervilliers ce 8 août 1660. M. Bertot est ici, qui vous salue de grande affection […] je ressens d’une singulière manière la présence efficace de Jésus-Christ Notre Seigneur.

Finalement, Bertot part de Caen pour Paris, en 1675310 :

M. Bertot, après avoir été notre Supérieur, voulut se démettre de cette charge, ayant trouvé à Paris des occupations qui l'obligeaient à la résidence ; on fit élection de Monsieur de Launé Hué, (docteur de Sorbonne : ajout marg.), pour remplir sa place (ajout interl : le 15 avril 1675.)

Dans la dernière partie de sa vie, Jacques Bertot est actif comme confesseur à la célèbre abbaye de Montmartre, proche du pèlerinage à saint Denis311. Le rôle de la vénérable abbaye bénédictine, fondée en 1133, était central depuis sa réforme mouvementée qui eut lieu au début du siècle avec l’aide de Benoît de Canfield :

Les religieuses de plus en plus mécontentes des efforts de leur abbesse […] deux fois essayèrent vainement de l’empoisonner ; une autre fois, elles décidèrent quelques-uns de « leurs amis » à l’assassiner, mais l’un d’eux recula devant ce crime et prévint Madame de Beauvilliers qui dès lors logea dans une chambre séparée, à porte double et ne mangea plus d’aucun plat qui ne fut préparé par une des deux sœurs converses sur lesquelles on pouvait compter [elle les avait amenées avec elle] […] L’évêque de Paris […] rassembla les religieuses […] ordonna tout d’abord le rétablissement de la clôture ; toutes se levèrent et s’emportèrent, à ce qu’il paraît, de la façon la plus scandaleuse. Le prélat se retira en promettant à Mme de Beauvilliers de la défendre et en réalité il ne fit rien. Mme de Beauvilliers, soutenue par son seul directeur, le P. Caufeld [sic] prit résolument son parti312

Cela se passait juste avant 1600 : on ne sait pas s’il connaît la réformatrice, Madame de Beauvilliers313, mais il lit certainement attentivement l’opuscule qu’elle compose pour ses religieuses, en suivant de très près Benoît de Canfield :

« s’il est si plaisant et agréable d’entrer dans le secret de notre intime ami, qu’est-ce d’entrer dans le secret et le plus caché du cœur de Dieu ? Et c’est ce que fait, et à quoi arrive l’âme par l’exercice continuel de la conformité de sa volonté à celle de Dieu, car en faisant la volonté de Dieu, l’âme la connaît » 314

Il est surtout lié à Françoise-Renée de Lorraine, Madame de Guise315, abbesse qui lui succède en des temps moins troublés, de 1644 à 1669, avant de mourir en 1682 :

M [ada] me de Guise dirigea l’abbaye pendant vingt-cinq ans. Douée d’une haute intelligence, elle était en relation avec les beaux esprits et les femmes élégantes du temps : le docteur Valant, le médecin de M [ada] me de Sablé et de toute la société précieuse en même temps que de l’abbaye, nous a conservé plusieurs billets d’elle fort galamment tournés316.

On note le choix de Bertot pour régler, vers 1673, une affaire compliquée où Jean Eudes, ami de Jean de Bernières, est attaqué par ses anciens confrères oratoriens qui tentent de le discréditer en ridiculisant son attachement à Marie des Vallées.

On entrevoit tout un réseau de relations transversales entre divers membres du groupe de l’Ermitage317. Madame de Guise a dû aider à la constitution du cercle dévot318 autour de Bertot, dont l’activité est attestée par la publication des deux volumes de ses Retraites sous l’impulsion de l’abbesse. Ces témoignages de son activité sont suivis, plus tardivement, de sa très intéressante mise au point sous le titre Conclusion aux retraites, également destinée à Madame de Guise319. Ce texte fondamental correspond probablement à celui qui est évoqué par Fénelon et expliqué par Orcibal. Ce dernier connaissait les deux volumes de Retraites, dont il fixe la date à 1662, alors que la Conclusion est publiée en 1684, soit peu après la disparition de Bertot320.

Celui-ci se révèle en fait par une œuvre écrite assez abondante, remarquable par sa force et sa netteté en ce qui concerne l’expression du cheminement mystique, mais tombée dans l’oubli à la disparition des cercles guyoniens : l’anonymat (même si l’on évoque l’auteur en préface), l’extrême rareté des exemplaires, dus à leur suppression des bibliothèques de communautés religieuses comme à leur dissémination européenne321, la pauvreté ou l’étrangeté des titres expliquent cet oubli. Il est vrai que le style ne se soucie pas d’élégance, l’auteur visant à préciser l’expérience qu’il partage, quitte à tourner autour d’elle pour en souligner tous les aspects.

Le corpus de l’œuvre, tel que nous avons pu le reconstituer, comporte sept volumes publiés en trois fois sur 64 ans, donc à des dates très différentes : les volumes des Retraites en 1662, leur Conclusion en 1684, Le directeur Mistique en 1726. Un huitième volume qui s’intitulerait De la Contemplation resterait peut-être à découvrir322.

De 1662, Diverses retraites…323 et Continuation des retraites…324 donnent en deux volumes, sous une pagination unique, sinon cohérente, des schémas de retraites probablement rassemblés par les soins d’auditeurs. De 1684, La conclusion des retraites…325, troisième et dernier volume édité après la mort de Bertot, a été retrouvée à Chantilly326. Il s’agit d’un traité bref, mais bien charpenté et très précis, couvrant avec grande autorité toute la voie mystique, dont nous ne connaissons pas d’équivalent contemporain. Les Torrents de Madame Guyon reprennent le fond de cet exposé sous une forme moins sévère, parfois lyrique.

À ces trois volumes s’ajoutent quatre volumes de textes et de lettres qui ont été rassemblés en hommage par sa disciple J.-M. Guyon et édités en 1726, quarante-cinq ans après la mort de Bertot, sous le titre : Le directeur Mistique ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion…327, par le cercle de P. Poiret peu après la mort de ce dernier. Il comporte douze traités, dont le style a pu être revu par Madame Guyon (vol. I), suivi de 221 lettres montrant les qualités de précision et l’autorité du directeur (vol. II à IV). Elles sont adressées à des correspondants non cités, dont en premier lieu Madame Guyon. À l’œuvre de Bertot celle-ci ajoute, nommément cités, une relation concernant Marie des Vallées et des lettres de Maur de l’Enfant-Jésus. L’ensemble se termine sur des lettres de Madame Guyon adressées à des disciples et non plus à Bertot. Cette édition très rare est suivie d’un choix en un volume également rare328.

Il faut ajouter à ces œuvres publiées les lettres de Bertot reprises dans la correspondance de Madame Guyon329 ainsi qu’une belle lettre330 sous forme manuscrite, recopiée de la main de Dupuy, copiste de lettres de Madame Guyon, et datée du 22 mars 1677.

J. Bertot meurt prématurément à cinquante-neuf ans à Paris le 28 avril 1681331. Il n’a exprimé que de très rares confidences sur lui-même :

En vérité il [Notre Seigneur] me détourne tellement des créatures que j’oublie tout volontiers et de bon cœur. Ce m’est une corvée étrange que de mettre la main à ma plume. Tout zèle et toute affection pour aider aux autres m’est ôtée ; il ne me reste que le mouvement extérieur : mon âme est comme un intrument dont on joue, ou si vous voulez comme un luth qui ne dit ni ne peut dire mot que par le mouvement de celui qui l’anime332. Cette disposition d’oubli me possède tellement, peut-être par paresse, qu’il est vrai que je pense à peu de chose.333

L’oubli mystique n’empêche pas une activité intense. Enfin il livre ses affinités par quelques noms d’auteurs spirituels :

Tant de livres ont été faits par de saintes personnes pour aider les âmes en la première conduite, comme Grenade, Rodriguez et une infinité d’autres […] Pour la voie de la foi, il y en a aussi plusieurs, comme le bienheureux Jean de la Croix, Taulère, le Chrétien Intérieur [de Bernières] et une infinité d'autres334 Le livre de la Volonté de Dieu [ou Règle de Perfection] de Benoît de Canfeld peut beaucoup servir335.

Le rayonnement de Bertot, « conférencier très apprécié de l'aristocratie et, en particulier, de divers membres de la famille Colbert336 », déborde sur un cercle laïc que l’on retrouvera autour de Madame Guyon :

Chevreuse dut-il à Fénelon la connaissance de Mme Guyon ? Bien qu'il paraisse l'admettre, Saint-Simon fournit un fort argument à la thèse contraire. Après avoir indiqué que les conférences de Bertot à Montmartre étaient suivies par Mme de Charost et par le duc de Noailles, il ajoute en effet : « MM. de Chevreuse et de Beauvillier fréquentaient aussi cette école. Mme Guyon fit la connaissance de ces deux derniers par Fénelon […] Ces deux ducs et leurs femmes depuis longtemps initiés aux rudiments de cette école par celle de Montmartre, goûtèrent Mme Guyon au point de se mettre sous sa conduite à la suite de l'abbé de Fénelon337.

Saint-Simon, ami des ducs, mais ennemi de la dame qui les séduit d’une façon incompréhensible pour lui, souligne le 10 janvier 1694 les relations qui avaient lié Bertot et Madame Guyon, et la continuité que cette dernière assure :

Elle ne fit que suivre les errements d’un prêtre nommé Bertaut [sic], qui bien des années avant elle, faisait des discours à l’abbaye de Montmartre, où se rassemblaient des disciples, parmi lesquels on admirait l’assiduité avec laquelle M. de Noailles, depuis Maréchal de France, et la duchesse de Charost, mère du gouverneur de Louis XIV, s’y rendaient, et presque toujours ensemble tête à tête, sans que toutefois on en ait mal parlé. MM. de Chevreuse et de Beauvilliers fréquentaient aussi cette école338.

Le témoignage donné en 1695 par un informateur de Madame de Maintenon confirme le rôle central qui fut celui de Bertot dans les cercles laïcs constitués autour de Montmartre. Il met en lumière son activité auprès des Nouvelles Catholiques, auxquelles Madame Guyon et Fénelon furent attachées. Le lecteur appréciera les insinuations sur les jeunes dames tôt levées et le parfum d’enquête policière qui se dégage d’un document par ailleurs fort bien documenté339 :

[f° 2v°] Il y a plus de vingt ans que l'on voit [vit] à la tête de ce parti [le quiétisme], Mr Bertau [Bertot], directeur de feu Madame de Montmartre. […] Cet homme était fort consulté ; les dévots et les dévotes de la Cour avaient beaucoup de confiance en lui ; ils allaient le voir à Montmartre, et sans même garder toutes les mesures que la bienséance demandait ; de jeunes dames de vingt ans partaient pour y aller à six heures du matin tête-à-tête avec de jeunes gens à peu près du même âge. On rendait compte publiquement de son intérieur, quelquefois l'intérieur par écrit courait la campagne. Mr B [ertot] faisait aussi des conférences de spiritualité à Paris dans la maison des Nouvelles Catholiques, et auxquelles plusieurs dames de qualité assistaient et admiraient ce qu'elle n'entendaient pas. […] Madame G [uyon] était, disait-il, sa fille aînée, et la plus avancée, et Madame de Charost était la seconde, aussi soutient-elle à présent ceux qui doutent. Elle paraît à la tête du parti, pendant que Madame Guyon est absente ou caché. […]

[f° 39v°] On pourra tirer des lumières de la sœur Garnier et de la sœur Ansquelin des Nouvelles Catholiques, si on les ménage adroitement, et qu'on ne les commette point. Elles peuvent parler sur Madame Guyon, sur la sœur Malin et sur Monsieur Bertot. Il se faisait chez elles des conférences de spiritualité auxquelles présidait Monsieur Bertot. […] Madame la duchesse d'Aumont et Madame la marquise de Villars pourront dire des nouvelles de la spiritualité du sieur Bertaut avec qui Madame Guyon avait une liaison si étroite qu'il disait que c'était sa fille aînée. […]

M. de Gaumont est un dirigé moins célèbre, “homme d’une pureté admirable340 selon Madame Guyon :

Marie Le Doux maîtresse d'école de la paroisse Saint-Sulpice assura en 1695 qu'elle était autrefois de la communauté des Quinze-Vingt qu'avait établie M. de Gaumont, prêtre, sous la conduite de M. Bertaut [Bertot]. Depuis il donna à ces filles le P. de La Combe pour supérieur et voulait que Mme Guyon fût supérieure341.

En résumé, la vie de Monsieur Bertot, sans événements majeurs, mal connue — nous la décrivons ici pour la première fois — est celle d’un prêtre dévoué à la tâche de direction spirituelle, devenant le lien essentiel entre le groupe normand formé autour de l’Ermitage de Jean de Bernières et du monastère de Jourdaine et le groupe de Paris constitué autour du monastère de Montmartre. Le cercle de Paris deviendra celui de Madame Guyon lorsqu’elle prendra la succession de son directeur spirituel à son retour de voyages.

La dirigée la plus connue — parmi beaucoup d’autres, surtout des dames religieuses — de Monsieur Bertot est donc Madame Guyon342, qu’il rencontre par l’intermédiaire de la mère Geneviève Granger343.

Plusieurs rencontres sont nécessaires, qui mettent en jeu divers membres du “réseau” mystique associé à Bernières et à Bertot : le “bon père” franciscain Archange Enguerrand introduit la jeune femme à la vie intérieure344, lui fait rencontrer la mère Granger345, par ailleurs connue de la duchesse de Charost346. La mère Granger la prend en charge347 et lui donne Bertot pour directeur. Elle le rencontre le 21 septembre 1671 dans des circonstances qui resteront gravées dans sa mémoire :

 je dirai que la petite vérole m'avait si fort gâté un œil que je craignais de le perdre tout à fait, je demandai d’aller à Paris pour m’en faire traiter, bien moins cependant pour cela que pour voir M. B [ertot] que la M [ère] G [ranger] m’avait depuis peu donné pour directeur et qui était un homme d’une profonde lumière. Il faut que je rapporte par quelle providence je le connus la première fois. Il était venu pour la M [ère] G [ranger]. Elle souhaitait fort que je le visse ; sitôt qu’il fut arrivé, elle me le fit savoir, mais comme j'étais à la campagne, je ne trouvais nul moyen d'y aller. Tout à coup mon mari me dit d'aller coucher à la ville pour quérir quelque chose et donner quelque ordre. Il devait m'envoyer quérir le lendemain, mais ces effroyables vents de la St Matthieu vinrent cette nuit-là de sorte que le dommage qu'ils causèrent [attesté et daté dans le journal d’un Montargois] m'empêcha de retourner de trois jours. Comme j'entendis la nuit l'impétuosité de ce vent, je jugeai qu'il me serait impossible d'aller aux Bénédictines ce jour-là et que je ne verrais point M. Bertot. Lorsqu'il fut temps d'aller, le vent s'apaisa tout à coup, et il m'arriva encore une providence qui me le fit voir une seconde fois348.

Nous ne pouvons ici étudier la dimension mystique de la direction spirituelle reçue par Madame Guyon, ce qui grossirait démesurément notre texte349. Elle est assurée sans compromis par Monsieur Bertot. Cette rigueur existe aussi chez le “bon franciscain” Archange Enguerrand350 (? -1699) et se retrouvera, mais avec souplesse, chez Madame Guyon351. C’est une caractéristique de l’école : l’amour du directeur se manifeste dans sa rigueur ; on n’affronte rien qui soit au-dessus de ses forces, mais tout est apporté par la grâce352. Voici un exemple illustrant l’esprit de cette direction :

Vous ne pouvez assez entrer dans le repos et dans la paix intérieure ; car c’est la voie pour arriver où Dieu vous appelle avec tant de miséricorde. Je vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre : car vous ne devez pas vous y reposer ni y jouir ; mais passer doucement plus loin en Dieu et dans le néant ; c’est-à-dire qu’il ne faut plus vous arrêter à rien quoiqu’il faille que vous soyez en repos partout. Sachez que Dieu est le repos essentiel et l’acte très pur en même temps et en toutes choses […] Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu ; si vous y êtes attentive, vous l’entendrez. Soutenez-vous en Dieu nuement et simplement, seule et une […] N’ayez donc plus d’idées, de pensées, de sentiments de vous-même, non plus que d’une chose qui n’a jamais été et ne sera jamais353.

Il est le premier à parler de l’union spirituelle qu’il éprouve avec ses amis et disciples. Il les porte comme un père dans ses prières et les amène à l’union avec lui dans le même état spirituel :

Si j’entre dans cette unité divine, je vous attirerai, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre ; et tous ensemble n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul354

Madame Guyon et ses dirigés.

Jeanne-Marie Guyon commence ses voyages juste après la disparition de Bertot, par l’établissement des Nouvelles Catholiques, connues de ce dernier355, à Gex, près de Genève. Mais découvrant vite l’ambiguïté de la situation des converties, après des voyages en Savoie-Piémont, elle revient en France en 1686, pour se retrouver au centre du cercle parisien — événement apparemment soudain356 que nous comprenons mieux après avoir éclairé sa relation avec Monsieur Bertot.

Sur le plan de la vie intérieure, des textes, beaucoup plus amples que les allusions de Bernières ou de Bertot, attestent une transmission directe de la grâce de personne à personne, qui ne dépend que de Dieu seul et qui s’effectue de préférence en silence. Elle suppose un même recueillement des personnes. Elle est décrite ainsi :

Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur comme il Lui plaît ; et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le cœur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur […] Cela ne dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient nous donner cette disposition ; au contraire notre activité ne servirait qu’à l’empêcher357. »

On trouve de nombreux textes parallèles où se trouvent décrites les modalités de cette transmission, dans les Discours spirituels, la Vie par elle-même358 et les Explications des deux Testaments. Le célèbre verset « … lorsqu‘il y a en quelque lieu deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je suis là au milieu d’elles » est commenté ainsi359 :

Ils se parlent plus du cœur que de la bouche ; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes […] dans une si grande unité, qu’ils se trouvent perdus en Dieu […] l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point. […] Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce.

À la fin de sa vie, de pieux disciples rapporteront la plongée spontanée dans l’intériorité qui s’effectue auprès d’elle, sans nulle suggestion orale ni rappel de sa part :

Elle vivait avec ces Anglais [des Écossais] comme une mère avec ses enfants. […] Souvent ils se disputaient [le premier soulèvement écossais des jacobites eut lieu en 1715], se brouillaient ; dans ces occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder ; elle ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence, et lui en demandait son avis, elle leur répondait : « Oui, mes enfants, comme vous voulez. » Alors ils s’amusaient de leurs jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue en Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans, que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle360.

Madame Guyon affirme ce lien intérieur avec Fénelon, qu’elle considère comme son fils spirituel le plus proche ; elle écrit en avril 1690 :

… j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon cœur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin361.

À cette confiance Fénelon répond :

Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? ou bien serais-je à l'avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer […] Je puis me trouver dans l'embarras ou de reculer sur la voie que vous m'avez ouverte, ou de m'y égarer faute d'expérience et de soutien. Je me jette tête première et les yeux bandés dans l'abîme impénétrable des volontés de Dieu. Lui seul sait ce que vous m'êtes en Lui et je vois bien que je ne le sais pas moi-même, mais je vous perds en Lui comme je m'y perds362

Madame Guyon le considère même comme son successeur :

Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné. […] Je laisse aussi cette Vie que vous m’avez défendu de brûler, quoiqu’il y ait bien des choses inutiles363

Mais malheureusement il meurt avant elle. Dans les dernières années de sa vie, Mme Guyon réunissait à Blois des disciples, qui se voyaient aussi entre eux, indépendamment. On dispose de séries de lettres adressées au marquis de Fénelon, le neveu de l’archevêque, au baron de Metternich, diplomate de la cour de Prusse, à Poiret et à son groupe d’amis, à des Écossais364. Les lettres circulaient entre les disciples, qui eux-mêmes voyageaient beaucoup entre Blois, Paris, Cambrai, la Hollande, l’Écosse proche de celle-ci par mer…

Une école mystique française.

On n’a pas de preuve que ce type de transmission de la grâce de cœur à cœur se soit poursuivi après la mort de Madame Guyon. Mais ses disciples ont continué à se réunir en cercles dont on retrouve les traces jusqu’en 1830 environ. Ainsi, en 1769, J.-Ph. Dutoit, un pasteur de Lausanne et éditeur de son œuvre, fut l’objet d’une visite de la police de Berne, dont le procès-verbal de saisie de ses livres se limite à quatre auteurs : Bernières, Bertot, Madame Guyon, Poiret (outre la Bible et l’Imitation)365. Cela ferme en quelque sorte deux siècles d’histoire.

On connaît par ailleurs l’influence sur des milieux très divers, dont le milieu maçonnique par l’intermédiaire du chevalier Ramsay. Il existe plus qu’une influence chez le jésuite Jean-Pierre de Caussade : L’Abandon à la Providence divine, œuvre préférée à d’autres du même auteur, constitue une résurgence en milieu catholique — avec toute la précaution rendue nécessaire après l’affaire du quiétisme — de la spiritualité de l’école366. Elle trouve aussi refuge dans les terres lointaines du Québec depuis Bernières, ou étrangères du protestantisme depuis Madame Guyon. L’œuvre de celle-ci et de ses prédécesseurs est connue des Quakers américains, de Wesley et des Méthodistes367.

Cette tradition d’origine française est capitale par le témoignage qu’elle donne de la primauté accordée à la vie intérieure et à l’expérience mystique, qui peut s’accompagner d’une pratique religieuse, mais n’en dépend pas. Cette expérience personnelle n’a pas été vécue par des génies solitaires, mais dans des cercles amicaux réunis autour d’un père ou d’une mère spirituelle qui transmettaient la grâce de cœur à cœur. On devine des filiations de ce type chez des Pères du désert, dans le milieu où vécut Syméon le Nouveau Théologien, chez des franciscains, des béguines et chez Ruysbroek, au Carmel, pour ne citer que des exemples antérieurs au sein de cultures d’inspiration chrétienne ; mais les témoignages écrits font le plus souvent défaut.

Honoré de Sainte-Marie, carme contemporain de Madame Guyon, avait cette perception de l’histoire de la spiritualité, qu’il nous présente comme un torrent spirituel, jamais interrompu, et détaille, siècle après siècle, avec une érudition étonnante pour son époque, dans sa belle Tradition […] sur la contemplation368.

Le crépuscule de la vie mystique369  a vu, au sein du catholicisme, un développement étonnant de formes extérieures — culte marial, apparitions — dont beaucoup se détournent. Il vaut la peine de réhabiliter une filiation proposant un « christianisme intérieur » d’une grande sobriété. Certes elle a échoué à s’insérer dans le courant majoritaire, mais elle est parvenue à associer très tôt des catholiques à des protestants, et même à influencer quelques adeptes des lumières.



MADAME GUYON AU CENTRE D’UNE FILIATION MYSTIQUE [Genève 2017]

(41) Mme Guyon au centre d’une filiation 1mars18.docx

Mme Guyon au centre d'une filiation mystique avec les deux annexes 17nov17.docx

Contribution à «Madame Guyon, Mystique et politique à la Cour de Versailles, à l’occasion du troisième centenaire de sa mort»

Université de Genève, 23-25 novembre 2017


J’aborde la notion de filiation mystique vécue chez des spirituels qui se rassemblèrent autour de Monsieur Bertot puis de Madame Guyon (et avant eux autour du P. Chrysostome puis de Monsieur de Bernières). Mon but n’est pas de débattre des idées qui animèrent les adeptes de la quiétude, mais de cerner leur expérience singulière en s’appuyant sur quelques textes qui nous sont parvenus.

Au centre d’une Filiation? La mystique ne se vit pas en s’appuyant sur des livres, mais en partageant l’expérience et la vie d’une personne humaine qui a déjà parcouru un tel chemin. Madame Guyon incarne un fonctionnement mystique et montre comment y accéder. C’est particulièrement manifeste dans les groupes que nous allons évoquer.

Monsieur Bertot et Madame Guyon ne sont pas des génies solitaires. Ils ne se sont pas formés tout seuls, mais l’ont été par de smystiquesaccomplis de générations précédentes370. Ils font partie d’une tradition d’origine franciscaine371.

Chaque génération a un père (ou une mère spirituelle) auquel tous se réfèrent. Le père spirituel (ou la mère) est toujours formé par le précédent. Ce sont indifféremment des laïques ou des clercs, des hommes ou des femmes. C’est l’accomplissement mystique qui compte. Pas de passation de pouvoir au sens humain du terme : on n’est pas dans un ordre monastique où l’on élit un prieur. Pas de vote ni de discussion : on est dans le domaine de l’évidence informelle. Le meilleur forme ses amis; quand il meurt, le plus accompli lui succède, car il est reconnu depuis des années.

Ces passages d’autorité ont eu lieu sans interruption pendant un siècle sur quatre générations.

Je vais citer quelques traces écrites qui relient les figures mystiques centrales avant d’aborder de ce qui se passait entre elles et leurs associé(e)s.

La première figure fut celle du franciscain Chrysostome de Saint-Lô (1594 – 1646) du Tiers ordre Régulier [TOR] directeur du laïc Jean de Bernières (1601 – 1659). Le Père Chrysostome lança l’idée de construire un lieu d’accueil pour y réunir leurs amis et chercher l’oraison. Jean de Bernières le réalisa. Il résume ainsi l’esprit qui animait les visiteurs de l’Ermitage de Caen :

Nous vivons ici en grand repos, liberté, gaieté et obscurité, étant inconnus du monde, et ne nous connaissant pas nous-mêmes. Nous allons vers Dieu sans réflexion, et quelque temps qu’il fasse, bon ou mauvais, nous tâchons de ne nous pas arrêter.372

Bernières et Mère Mectilde (1614-1698), fondatrice des bénédictines du Saint-Sacrement, éditent des écrits de leur «Père» Chrysostome373 fort difficilement récupérés par cette dernière. S’en détachent leurs propres demandes et les réponses de leur directeur.

Puis Bernières prend la suite en 1646 dans la direction des proches, dont son amie Mectilde. Il dirige, parmi d’autres, Mgr de Laval, futur évêque de Québec, et Jacques Bertot (1620 – 1671).

Le confesseur et «directeur mystique» Bertot porte la tradition normande de l’Ermitage au couvent de Montmartre. Il impressionne l’Abbesse374 et attire des gens de la Cour375.

Plusieurs ouvrages dévoilent les liens qui unissent entre eux Chrysostome, Bernières, Mectilde, Bertot376. Mectilde écrit à Bernières377 :

De l’Hermitage du Saint Sacrement, le 30 juillet 1645.

Monsieur,

Notre bon Monsieur Bertot nous a quittés avec joie pour satisfaire à vos ordres et nous l’avons laissé aller avec douleur. Son absence nous a touchées, et je crois que notre Seigneur veut bien que nous en ayons du sentiment, puisqu’Il nous a donné à toutes tant de grâces par son moyen, et que nous pouvons dire dans la vérité qu’il a renouvelé tout ce pauvre petit monastère et fait renaître la grâce de ferveur dans les esprits et le désir de la sainte perfection. Je ne vous puis dire le bien qu’il a fait et la nécessité où nous étions toutes de son secours […], mais je dois vous donner avis qu’il s’est fort fatigué et qu’il a besoin de repos et de rafraîchissement. Il a été fort travaillé céans, parlant [sans] cesse, fait plusieurs courses à Paris en carrosse dans les ardeurs d’un chaud très grand. Il ne songe point à se conserver. Mais maintenant, il ne vit plus pour lui. Dieu le fait vivre pour nous et pour beaucoup d’autres. Il nous est donc permis de nous intéresser de sa santé et de vous supplier de le bien faire reposer. […]

Parmi les fidèles, une jeune veuve de Montargis, Madame Guyon, fait le récit de sa première rencontre :

Je dirai que la petite vérole m’avait si fort gâté un œil que je craignais de le perdre tout à fait, je demandai d’aller à Paris pour m’en faire traiter, bien moins cependant pour cela que pour voir M. B [ertot] que la M [ère] G [ranger] m’avait depuis peu donné pour directeur et qui était un homme d’une profonde lumière. Il faut que je rapporte par quelle providence je le connus la première fois. Il était venu pour la M [ère] G [ranger]. Elle souhaitait fort que je le visse; sitôt qu’il fut arrivé, elle me le fit savoir, mais comme j’étais à la campagne, je ne trouvais nul moyen d’y aller. Tout à coup mon mari me dit d’aller coucher à la ville pour quérir quelque chose et donner quelque ordre. Il devait m’envoyer quérir le lendemain, mais ces effroyables vents de la St Matthieu vinrent cette nuit-là [tempête attestée du 21 septembre 1671] de sorte que le dommage qu’ils causèrent m’empêcha de retourner de trois jours. Comme j’entendis la nuit l’impétuosité de ce vent, je jugeai qu’il me serait impossible d’aller aux Bénédictines ce jour-là et que je ne verrais point M. Bertot. Lorsqu’il fut temps d’aller, le vent s’apaisa tout à coup, et il m’arriva encore une providence qui me le fit voir une seconde fois.378

Mais sa direction fut rude et resta un temps incomprise. Plus tard «sa fille spirituelle» rassemblera ses écrits. Le directeur Mistique ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion [...] paraîtra en 1726379. Un bref résumé de sa vie ainsi qu’un témoignage sur la fidélité de disciples figurent dans l’Avertissement :

«Monsieur Bertot natif de Coutances grand ami de Jean [5] de Bernières s’appliqua à diriger les âmes dans plusieurs communautés de Religieuses [à diriger] plusieurs personnes engagées dans des charges importantes tant à la Cour qu’à la guerre Il continua cet exercice jusqu’au temps que la providence l’attacha à la direction des Religieuses Bénédictines de l’abbaye de Montmartre proche [de] Paris, où il est resté dans cet emploi environ douze ans [6] jusqu’à sa mort [au] commencement de mars 1681 après une longue maladie de langueur. [7] [Il fut] enterré dans l’Église de Montmartre au côté droit en entrant. Les personnes ont toujours conservé un si grand respect [qu’elles] allaient souvent à son tombeau pour y offrir leurs prières.380

Madame Guyon se référera à son autorité jusqu’à la fin de sa vie :

«Je vous envoie une lettre d’un grand serviteur de Dieu qui est mort il y a plusieurs années. Il était ami de Monsieur de Bernières, et il a été mon Directeur dans ma jeunesse.»381

Par ailleurs elle avait fait des vœux secrets typiquement franciscains :

“J’avais fait cinq vœux en ce pays-là [à Gex]. Le premier de chasteté que j’avais déjà fait sitôt que je fus veuve, celui de pauvreté, c’est pourquoi je me suis dépouillée de tous mes biens, je n’ai jamais confié ceci à qui que ce soit. Le troisième d’une obéissance aveugle à l’extérieur à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans d’une totale dépendance de la grâce. Le quatrième d’un attachement inviolable à la sainte Église. Le cinquième était un culte particulier à l’enfance de Jésus-Christ plus intérieur qu’extérieur.”382

J’achève ici cet aperçu de liens entre Chrysostome, Bernières, Bertot, Guyon. Les indices écrits qui nous sont parvenus sont rares puisqu’il n’y a aucune élection humaine. Les mystiques répugnent à attester dans leurs écrits, sinon incidemment, d’une autorité de direction qui se doit d’être intérieure.

De plus l’environnement «externe» est hostile aux mystiques tout au long du siècle383 en commençant par les «objections» faites par des docteurs parisiens à Rouen lisant la troisième partie de la Reigle parue en 1609 du mystique franciscain capucin Canfield384.

Mectilde eut quant à elle de nombreuses difficultés pour récupérer les écrits de Chrysostome des mains de ses confrères du Tiers Ordre Régulier.

“Je tente toutes les fortunes et voies possibles pour tirer quelque chose de si dignes écrits, mais c’est temps perdu que d’y faire effort. Le Père provincial et les autres ont arrêté et protesté que jamais ils ne laisseront sortir d’entre leurs mains ces écrits sans être corrigés d’un esprit conforme à leurs sentiments et disent qu’ils sont tout pleins d’erreurs385

«J’ai bien de l’appréhension qu’on ne les brûle, car ils sont entre les mains de ses persécuteurs.”386

Elle livre un aperçu sur la faible considération dont le P. Chrysostome jouissait auprès de ses «responsables» :

“La sainte abjection l’a accompagné à la vie et à la mort et même après la mort, il est demeuré abject dans l’esprit de quelques-uns de l’ordre. Frère Jean [Aumont] m’a mandé ceci et dit qu’il ne faut point réveiller sa mémoire dans leur maison pour le respect de quatre ou cinq […]  

Plus tard, en l’année fatidique 1694 qui amorce la descente aux enfers de Madame Guyon, le P. Paulin, responsable du même Tiers Ordre Régulier, fera une déposition «mitigée» sur Madame Guyon387.

Il n’est pas surprenant que les quiétistes apprennent à devenir prudents. C’est pourquoi on ne sait pas qui a pris la suite de leur animatrice après 1717.

La notion de filiation reste pourtant vivante au XVIIIe siècle. Si l’intensité mystique semble souvent disparaître, les gens influencés par Madame Guyon gardent la notion d’une succession possible et de l’importance d’avoir un directeur spirituel.

Une demoiselle suisse demande qui succède à Madame Guyon :

‘M. de Marçais m’a conté qu’une demoiselle en Suisse qui était intérieure, et dont j’ai oublié le nom, avait écrit en France pour s’informer si Madame Guyon n’avait point [93] laissé de successeur dans l’état apostolique qui assistât d’autres personnes intérieures. Sur quoi après avoir écrit en bien des endroits, elle avait enfin reçu avis qu’il existait effectivement une personne pareille, savoir la duchesse de Grammont; mais qu’elle se tenait fort cachée quant à son extérieur, à cause du grand nombre d’ennemis qui persécutaient la vie intérieure. Que par cette raison, elle n’était connue que de personnes pareillement adonnées à la vie intérieure. Les lettres furent écrites quelques années après l’année 1720.’388

Une pièce atteste de la filiation Bernières-Bertot-Guyon perçue à la fin du siècle des Lumières. Elle concerne Jean-Philippe Dutoit (1721-1793). Ce pasteur de Morges près de Lausanne, deuxième éditeur de l’œuvre de Mme Guyon après Pierre Poiret, eut un certain rayonnement. Il se lia au comte Frédéric de Fleischbein (1700-1774) dont la femme Pétronille d’Echweiler (1682-1740) fréquenta brièvement Blois, lieu de retraite de Madame Guyon sortie de la Bastille389.

Il s’agit du procès-verbal de saisie opérée par les calvinistes de Berne par l’intermédiaire de leur représentant à Lausanne390 :

‘6e janvier 1769. Nous David Jenner, ci-devant colonel en Hollande, actuellement baillif de Lausanne, au nom et de la part de Leurs Excellences nos Souverains Seigneurs de la ville et république de Berne, savoir faisons qu’en conséquence des ordres que nous aurions reçus de L. L. E.E[ xcellenc] es du Sénat, en date du 5e du courant, pour enlever à Monsieur le Ministre Dutoit de Moudon, tous ses papiers, écrits et livres, faire inventaire des dits et en procurer ensuite l’expédition […]

Lequel Mr Dutoit ayant ouï la notification des ordres reçus, aurait d’abord manifesté qu’il est bien dans l’intention de s’y conformer en toute soumission et sincérité, ainsi que le porte l’inventaire suivant :

La Bible de Madame Guyon et plusieurs de ses ouvrages, mais non pas tous.

Monsieur de Bernières soit le Chrétien intérieur.

La Théologie du Cœur [de Poiret].

Le Directeur mystique de Monsieur Bertot.

La liste se termine sur trois “classiques”, Teresa, Luther, l’Imitation391; Dutoit

Déclarant de bonne foi qu’il ne se sait ici aucun autre livre mystique ou ascétique.’

Je viens d’établir quelques liens internes et de suggérer un contexte externe délicat. La (re) découverte392 d’une filiation dont la colonne vertébrale passe du franciscain Chrysostome de Saint-Lô à monsieur de Bernières, puis à Monsieur Bertot, enfin à Madame Guyon, est confirmée par l’attestation tardive précédente.

Deux nœuds dominèrent : les amis de l’Ermitage de Caen précèdent et donnent naissance au cercle quiétiste parisien animé par monsieur Bertot et repris par madame Guyon et Fénelon. Au-delà de la confirmation d’une transmission, j’ai compris assez vite qu’il fallait en situer l’axe au sein d’un réseau d’amis, retrouver les branches de l’arbre. J’ai établi des dossiers de sources pour quelques-uns393. Hommes et femmes qui bénéficient d’une lignée procédant des aînés aux cadets s’assemblent à leurs contemporains mystiques de même génération.

Sur près de deux siècles, une centaine de figures mystiques parvinrent par quelque précieuse «réaction chimique» à rayonner et à partager leur énergie. La filiation devient un arbre touffu, voire lié à des arbres voisins394. La «Liste de proches : réseaux Normand puis Parisien enfin Européen» reportée en Annexe porte un «regard transversal» absent de la présentation «longitudinale» chronologique.

§

Approchons maintenant le vécu. Chaque père ou mère spirituelle est l’objet d’une vénération et d’une fidélité absolue. C’est évident pour Madame Guyon que ses proches avaient pourtant tout intérêt à abandonner. Pendant qu’elle affronte le pouvoir et les prisons, Fénelon saborde sa carrière à la Cour tandis que les grandes familles des Beauvilliers et des Chevreuse la défendent discrètement.

Seul un rayonnement extraordinaire permet d’expliquer l’attirance puis la fidélité des visiteurs et des amis sur vingt ans (1694 procès d’Issy — 1712/1714 décès des ducs). C’est ce que ressent Madame Guyon quand elle affirme qu’il y a passage de la grâce à travers sa personne vers celui qui vient la voir. Ce groupe a donc une spécificité plus étonnante que son organisation sociale autour d’un maître spirituel. Laquelle?

Le phénomène se reproduit à chaque génération. Voici ce que ressentaient les auditeurs de Chrysostome parlant de Dieu :

Quand il en parlait [du Sauveur], c’était avec des ardeurs qui mettaient le feu divin de tous côtés; particulièrement quand il faisait des conférences de l’anéantissement d’un Dieu dans le mystère de l’Incarnation, il paraissait comme tout accablé sous les grandes lumières qu’il recevait, et qu’il communiquait [notre soulignement] avec des effets extraordinaires de grâce […]395

Aussi la fidélité de Bernières à son père spirituel fut indéfectible comme le montre l’émotion traduite dans une lettre à Mère Mectilde :

‘Ce me serait grande consolation que […] nous puissions parler de ce que nous avons ouï dire à notre bon Père […] puisque Dieu nous a si étroitement unis que de nous faire enfants d’un même Père […] Savez-vous bien que son seul souvenir remet mon âme dans la présence de Dieu?’396

Ils ont commencé à prendre conscience d’un partage de la grâce chez Bernières quand ses amis priaient ensemble à l’Ermitage :

Adieu, ma très chère sœur, Messieurs de Bernières et de Rocquelay vous saluent; ils font des merveilles dans leur ermitage : ils sont quelquefois plus de quinze ermites; ils demandent souvent de vos nouvelles. Si notre bonne mère Prieure voulait écrire de ses dispositions à Monsieur de Bernières, elle en aurait consolation, car Dieu lui donne des lumières prodigieuses sur l’état du saint et parfait anéantissement.397

Bernières constate combien la grâce est active parmi eux. Il utilise le verbe «communiquer» :

Je connais clairement que l’établissement de l’Ermitage est par l’ordre de Dieu, et notre bon Père ne l’a pas fait bâtir par hasard. La grâce d’oraison s’y communique facilement à ceux qui y demeurent, et on ne peut dire comment cela se fait, sinon que Dieu le fait.398

Boudon (1624-1702) témoigne :

Non seulement il était consulté par les laïques, mais par les ecclésiastiques et les religieux. Grand nombre de ces derniers ont fait des retraites dans sa maison avec la permission de leur supérieur […] C’était une chose admirable de voir le changement que l’on remarquait dans les personnes qui avaient des liaisons spéciales avec lui.399

Bernières attend l’inspiration de l’Esprit pour parler :

Ses paroles étaient pleines d’une force divine, et gagnaient les cœurs à Dieu. L’ayant un jour averti de quelques manquements d’une personne qui dépendait de lui, je remarquai qu’il fut assez longtemps sans lui en rien dire; et j’admirais après cela, que lui ayant fait voir ses défauts en très peu de paroles, et pour ainsi parler, sans presque lui rien dire, cette personne demeura tout à coup comme terrassée sous le poids du peu de paroles qu’il lui avait dites, et apporta le remède à ces manquements. Je vis bien qu’il avait tardé à l’avertir, non pas par aucune négligence, mais attendant le mouvement de l’esprit de Dieu qui agissait en lui. S’il lui eût parlé plus tôt, il l’eût fait en homme, et ses avis n’eussent pas eu les effets qui arrivèrent. 400

Avec Bertot on passe à un deuxième degré dans la diffusion de la grâce puisqu’il a la hardiesse d’affirmer que sa prière pouvait faire partager aux autres ses états mystiques pendant qu’il officiait à la messe. Il ne fait pas que rayonner : il porte autrui dans sa prière et fait partager ses états mystiques.

“Demeurons ainsi, j’y veux demeurer avec vous et je vais commencer aujourd’hui à la sainte messe. Je suis sûr que si je suis une fois élevé à l’autel, c’est-à-dire que si j’entre dans cette unité divine [249], je vous attirerai401, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre. Et tous ensemble, n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul, unis à Son Unité, ou plutôt n’étant qu’une unité en Lui seul, par Lui et pour Lui. Adieu en Dieu.” 402

Il offrit à Mme Guyon de transformer leur relation en moments de silence où il pourrait lui communiquer la grâce de cœur à cœur et lui apprend comment s’y prêter :

[240] Puisque vous voulez bien que je vous nomme ma Fille, que vous l’êtes en effet devant Dieu qui l’a ainsi disposé, vous souffrirez que je vous traite en cette qualité, vous donnant ce que j’estime le plus, qui est un profond silence. Ainsi lorsque vous avez peut-être pensé que je vous oublierais, c’était pour lorsque je pensais le plus à votre perfection. Mais je vous parlerai toujours très peu : je crois que le temps de vous parler est passé, et que celui de vous entretenir en paix et en silence est arrivé.403

Après sa mort arrivée tôt en 1681, Madame Guyon va faire ses propres découvertes et va analyser ce qui se passe pendant ses transmissions. Ces écrits sont uniques à notre connaissance, car si ce charisme est bien connu hors du christianisme, chez les soufis, en Inde, dans l’orthodoxie (saint Seraphim de Sarov), il est moins connu dans le monde catholique centré autour de Jésus seul médiateur, la grâce passant par lui et les sacrements suppléant à son absence physique.

Peut-être Madame Guyon avait-elle expérimenté la transmission chez l’évêque Ripa, proche du Cardinal Petrucci, car elle était probablement pratiquée chez Molinos par des quiétistes italiens.

Rentrée en France, elle accueille une foule de visiteurs à Grenoble. C’est à ce moment que les autorités ecclésiastiques commencent à trouver qu’elle empiète sur leur domaine et qu’il faut s’en débarrasser. C’est le premier heurt avec le pouvoir. Pour la combattre, les autorités vont prendre prétexte d’un conflit sur les idées (sur l’oraison passive).

Elle rentre à Paris où elle alternera succès et épreuves. Elle reprend le cercle de Bertot et noue des amitiés qui résisteront à tout : ducs et duchesses de Chevreuse et Beauvilliers, Fénelon, etc.

Pour eux la transmission de la grâce par Madame Guyon est une évidence. Une fois éprouvée, cette expérience ne peut être reniée. Si quelqu’un vient voir Madame Guyon, et s’assoit auprès d’elle en silence, c’est pour ressentir la présence divine : elle transmet l’expérience mystique aux autres sans qu’il y ait d’ascétisme ou d’effort.

Tout se passait avec simplicité, parfois en plaisantant entre «michelins» — saint Michel n’était-il particulièrement apprécié de François d’Assise?

Mon bon abbé [de Béthune-Charost] faites-moi faire un cachet où il y ait un saint Michel qui marche sur le dragon — cela est nécessaire et mystérieux — sinon vous perdrez votre charge. La petite Cécile sera intendante des bouquets de la chapelle des Michelins, elle doit abattre l’oreille droite de Baraquin [le Diable]. Le chien doit lui mordre la gauche, la sœur Ursule lui écraser le bout de la queue. Tous les autres enfants ensemble lui écraseront le corps. S B [Fénelon], un autre et moi lui écraserons la tête. Ne voyez-vous pas P [ut] [Dupuy] qui veut lui marchez sur la patte, mais il craint de lui faire mal, il ne lui touche qu’à l’ongle. […] Ne voyez-vous pas Dom Al [leaume] qui a perdu son collet à la lutte, le bon marquis qui lui coupe une patte de derrière avec son épée? Le Bon [Beauvillier] tient gravement une de ses cornes, mais il ne veut pas se déranger, il se tient bien compassé. Le Tut[eur] [Chevreuse] tient la corne du milieu et lui couvre les yeux le mieux qu’il peut. Voyez la doyenne des d[uchesses] qui tremble de peur, mais elle ne laisse pas de lui mettre un pied sur la croupière. Voyez d’un autre côté une petite d[uchesse] étourdie qui voulait sauter sur lui à pieds joints; elle aurait fait une belle culbute si notre patron [saint Michel] ne l’avait soutenue par-derrière. Allons, courage, montez peu à peu!404

Nous avons le récit de ce qui se passait plus tard à Blois vingt ans après. Outre une ouverture d’esprit tout œcuménique, la «dame directrice» avait atteint l’ultime simplicité :

Elle vivait avec ces Anglais [des Écossais] comme une mère avec ses enfants. […] Souvent ils se disputaient [à propos de politique : le premier soulèvement écossais des jacobites eut lieu en 1715], se brouillaient; dans ces occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder; elle ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s’en occupaient en sa présence, et lui en demandaient son avis, elle leur répondait : «Oui, mes enfants, comme vous voulez». Alors ils s’amusaient de leurs jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue en Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d’elle.

Quand on lui apportait le Saint Sacrement, ils se tenaient rassemblés dans son appartement, et à l’arrivée du prêtre, cachés derrière le rideau du lit, qu’on avait soin de fermer, pour qu’ils ne fussent pas vus parce qu’ils étaient protestants, ils s’agenouillaient [43] et étaient dans un délectable et profond recueillement, chacun selon le degré de son avancement, souvent aussi dans des souffrances assorties à leur état. 405

C’est cette expérience qui est centrale, elle est le fondement du lien entre Madame Guyon et ses disciples : ils sont attachés à une personne qui répand la grâce. C’est le cas envers elle, mais nous l’avons vu chez Chrysostome, puis Bernières, puis Bertot : autrement dit, à chaque génération, un saint se manifeste, à travers lequel on ressent la présence divine. C’est là-dessus que se joue la succession à chaque génération. C’est ce qui explique la vénération et la fidélité de l’entourage.

Il y a une condition pour que la transmission ait lieu : il faut que le mystique soit dans l’état «apostolique» (dans un état identique à celui des premiers Apôtres), i.e. il faut être tellement vide que l’on devient un passage pour la grâce : pas de pouvoir personnel, Dieu fait ce qu’il veut. Ce n’est pas la réussite d’une personne humaine, mais une fonction dans laquelle on ne se met pas volontairement soi-même :

C’est un abus dans la vie spirituelle, et qui s’y glisse même dès son commencement, que de vouloir travailler pour les autres à contretemps. Et ce n’est que par une fausse ferveur que l’on entreprend de les aider par soi-même avant d’en avoir reçu la mission. Plusieurs se croient capables de conduire dans la voie des saints qui n’y sont pas encore bien entrés eux-mêmes, et voulant faire part aux autres des grâces qui ne leur sont données que pour eux, ils en perdent eux-mêmes le fruit et ne peuvent en aider les autres. Il ne se faut point porter à aider le prochain tant qu’on le désire et que l’on n’a pas l’expérience des choses divines et la vocation. Il faut être établi auparavant dans la vie intérieure.406

Il faut aussi être missionné par le père ou la mère spirituels. Madame Guyon écrit à Fénelon qu’elle a reçu de Bertot son «esprit directeur» :

Il m’est venu dans l’esprit ce matin que M. B [ertot] a, en mourant, m’ayant laissé son esprit directeur pour ses enfants, ceux qui se sont égarés aussi bien que ceux qui sont restés fidèles n’auront la communication de cet esprit que par moi, mais dans votre union. Car Dieu me fait être avec vous une et indivisible et, quand toutes les répugnances de vous à moi seront ôtées, vous découvrirez une union d’unité divine qui vous charmera. Il y a plusieurs pédagogues, mais il n’y a qu’un père en Christ407, et le père en Christ ne [137 r°] se sert pas seulement de la force de la parole, mais de la substance de son âme qui n’est autre que cette communication centrale du Verbe que le seul Père des esprits peut communiquer à Ses enfants, et comme cette communication du Verbe dans l’âme est l’opération de la paternité divine et la marque de l’adoption des enfants, c’est aussi la preuve de la paternité spirituelle qui communique à tous en substance ce qui leur est nécessaire sans savoir comme cela se fait.

Il y a des personnes qui, à cause de leur état imparfait, sentent [137 v°] mieux cette communication parce qu’elle est toujours conforme au sujet qui la reçoit, et non à celui qui la communique. Il en est de même de tous dons du Seigneur : ils sont [d’autant] plus sensibles ou spirituels que celui qui les reçoit est plus sensible ou spirituel. Cette communication se reçoit de tous, quoiqu’elle ne se sente pas également de tous. […]408

Elle s’associe Fénelon qu’elle considère comme son successeur dans cette fonction. Fénelon était son disciple le plus cher, et un jour où elle était malade et croyait mourir, elle lui écrivit pour lui léguer la direction de leur groupe spirituel et la possibilité de transmettre la grâce :

«Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné.»409

Cette succession n’aura jamais lieu, car Fénelon mourut en janvier 1715 avant elle (juin 1717).

Fénelon faisait des réunions avec ses amis mystiques à Cambrai. Il rapporte qu’il y ressent la présence de Madame Guyon. Autrement dit, en union avec Madame Guyon. Fénelon partage son état mystique avec son visiteur :

Je sens un très grand goût à me taire et à causer avec Ma.410 Il me semble que son âme entre dans la mienne et que nous ne sommes tous deux qu’un avec vous en Dieu. Nous sommes assez souvent le soir comme de petits enfants ensemble, et vous y êtes aussi [f° 19v°] quoique vous soyez loin de nous.411

Il confirme l’explication qu’en avait donnée Madame Guyon à propos de Mathieu 18, 20 :

“Ils se parlent plus du cœur que de la bouche; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes de cette sorte dans une si grande unité, qu’elles se trouvent perdues en Dieu jusqu’à ne pouvoir plus se distinguer […]

Ces unions ont encore une autre qualité, qui est qu’elles n’embarrassent ni n’occupent point, l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point412. […]

Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce […]”413

Madame Guyon se percevait comme un canal qui donne passage à la grâce en l’absence de toute volonté propre, sans intentionnalité personnelle, dans la «passiveté» totale, dans l’extrême soumission à Dieu :

«Quand l’âme a perdu et tout pouvoir propre et toute répugnance à être mue et agie selon la volonté du Seigneur, alors Il la fait agir comme Il veut […] Quand Dieu la meut vers un cœur, à moins que ce cœur ne refusât lui-même la grâce que Dieu veut lui communiquer, ou qu’il ne fût mal disposé par trop d’activité, il reçoit immanquablement une paix profonde […] Quelquefois plusieurs personnes reçoivent dans le même temps l’écoulement de ces eaux de grâce414.»

Elle insiste sur le fait qu’il n’y a aucun pouvoir personnel, que seule une âme anéantie peut laisser passer la grâce :

Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur comme il Lui plaît; et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le cœur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur […] Cela ne dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient nous donner cette disposition; au contraire notre activité ne servirait qu’à l’empêcher.415

On a les témoignages directs de Madame Guyon qui est la première à avoir analysé ce qui se passe dans cette transmission. Elle n’a lieu que si la personne a atteint l’état apostolique :

Si son propre salut ne la touche pas d’une manière aperçue, celui des autres ne la touche point aussi. Cependant elle y est employée et y travaille par Providence. Dieu la pousse quelquefois fortement à désirer le salut et la perfection de certaines âmes, en sorte qu’elle donnerait sa vie pour les faire correspondre à Dieu dans toute l’étendue de Ses desseins sur elles — mais sans soin ni souci, sans y mettre rien du sien, servant de pur instrument en la main de Dieu, qui donne telle pente et telle activité qu’il Lui plaît, mais activité dans un parfait repos, sans sortir de Lui-même, sans nulle pente propre, quoique la pente soit quelquefois infinie : car l’âme parvenue à l’entière désappropriation et propre à s’écouler en Dieu, y étant abîmée, est comme une eau fluide qui ne peut être fixée, mais qui s’écoule sans cesse suivant la pente qui lui est donnée.

Elle comprend qu’elle participe à la qualité communicable de Dieu et qu’elle ne vit et ne subsiste que pour se répandre. Plus elle s’écoule, plus elle est pleine sans nulle plénitude propre, mais de la plénitude de Dieu en Lui qui se communique à tous les êtres et qui entraîne avec Lui ceux qu’Il a abîmés en Lui. C’est Lui qui leur donne toute pente. Cependant cela se fait sans s’en occuper, sans y penser, sans se soucier du succès : tout périrait et se renverserait que l’âme n’en serait point touchée, ce qui n’empêche pas qu’elle ne souffre les biens ou les maux des âmes qui lui sont unies pour recevoir ses communications. C’est comme une rivière qui s’écoule agréablement lorsqu’on lui fait passage, mais qui remonte avec effort contre elle-même lorsqu’elle n’en trouve point. […] On ne sait plus ce que c’est que parents, amis, biens, enfants, intérêt, honneur, santé, vie, salut, gloire, éternité : tout cela ne subsiste plus pour une telle âme, quoiqu’à l’extérieur elle paraisse toute commune, agissant et faisant comme les autres. 416

Quand l’âme a, ainsi que je l’ai dit, perdu et tout pouvoir propre et toute répugnance à être mue et agie selon la volonté du Seigneur, alors Il la fait agir comme Il veut sans choix des moyens : Il se communique par elle sans qu’il y ait en cela le moindre penchant de son côté. Il le fait vers qui Il lui plaît, quand et comme Il lui plaît. Si elle voulait se communiquer ou d’un autre côté que Dieu ne le fait ou dans un temps qu’Il ne la meut pas, cela serait entièrement inutile et dessécherait plutôt le cœur que de lui communiquer la vie. Mais quand Dieu la meut vers un cœur, à moins que ce cœur ne refusât lui-même la grâce que Dieu veut lui communiquer ou qu’il ne fût mal disposé par trop d’activité, il reçoit immanquablement une paix profonde et même quelquefois savoureuse, qui est la plus forte marque de la communication.

Mais, dira-t-on, comment est-ce que cette âme peut discerner quand et à qui Dieu veut qu’elle se communique? Cela se discerne parce que l’âme sent un surcroît de plénitude qu’elle sent bien n’être pas pour elle — Dieu la tenant à l’égard d’elle-même dans un vide presque toujours égal et dans un entier équilibre, et c’est ce qui fait qu’elle est plus propre à ce que Dieu veut —, elle sent, dis-je, une plénitude très forte qui même l’accablerait si elle ne trouvait personne. Mais Dieu dont la bonté est infinie ne lui donne cette plénitude que lorsqu’il y a des sujets plus ou moins disposés pour la recevoir. L’âme ne peut non plus ignorer pour qui Dieu la remplit de la sorte, parce qu’il penche son cœur du côté qu’il veut qu’elle se communique, comme on met un tuyau dans un jardin pour faire arroser l’endroit que l’on veut arroser et cet endroit-là seulement demeure arrosé. Quelquefois plusieurs personnes reçoivent dans le même temps l’écoulement de ces eaux de grâce, et cela à proportion que leur capacité est plus ou moins étendue, leur activité moindre et leur passiveté plus grande.417

Madame Guyon se livre le plus directement dans ses commentaires aux «Autorités» mystiques qu’elle invoque dans les Justifications assemblées avec Fénelon en 1694. Ses comparaisons sont très directes :

Comme on voit un fer touché de l’aimant attirer d’autres fers, aussi une âme en qui Dieu habite de la sorte, attire les autres âmes par une vertu secrète; de sorte qu’il suffit de l’approcher pour être mis en oraison et en recueillement. C’est ce qui fait que sitôt qu’on s’approche d’elle, on a plus envie de se taire que de parler, et Dieu se sert de ce moyen pour se communiquer aux âmes : marque de la pureté de ces unions et affections.418

De même que les âmes sales et impudiques communiquent cet air corrompu à qui les approchent : ainsi par un contraire effet une âme pure communique la pureté; et comme elle est pleine de grâce et sacrée de l’onction divine, elle communique cette grâce et cette onction à ceux qui l’approchent. Et comme elle n’est pleine que de Dieu, elle ne peut communiquer que Dieu. Comme elle est vide de soi, elle ne se communique plus elle-même, ni rien d’elle, mais l’image et la grâce son divin époux. D’où vient que le souvenir de ces personnes, bien loin d’imprimer leur image impure, porte d’abord à Dieu et recueille en lui; c’est la plus sûre marque que l’âme s’est quittée soi-même pour passer en Dieu, qu’elle est disparue elle-même, qu’elle ne vit plus elle, mais que son Dieu vit en elle; puisqu’elle ne donne plus d’autres espèces que celles dont elle est elle-même affectée.

Il faut remarquer de plus que ce n’est par aucun signe extérieur qu’elle recueille les autres, mais comme elle est arrivée dans le Centre, l’impression se fait par le dedans, comme si c’était Dieu même, sans qu’il en paraisse rien au-dehors; par ce que cette âme en sortant d’elle-même a outrepassé son propre fonds pour se perdre en Dieu au-delà d’elle-même : elle ne laisse donc aucune trace ni cette idée d’elle, mais de Dieu, son amour et sa vie.419

Elle ne se livre pas à des effusions mystiques personnelles, mais éclaire une communication qui s’élargit progressivement :

Dieu Se communique à toutes les créatures, mais il ne Se communique avec autant d’abondance que de délectation sinon dans les âmes bien anéanties, parce qu’elles ne résistent plus et que, Dieu étant Lui-même leur fond, Il Se reçoit Lui-même en Lui-même. De là vient que la communication que nous recevons de Dieu même au-dedans est d’autant plus sensible qu’elle est plus resserrée; et par la même raison, elle est d’autant plus insensible qu’elle est plus immense, car Dieu ne Se communique point autrement par Lui-même que par le néant, puisque c’est la même chose. […]

Comme cette communication demeure mystérieuse pour nous tous, elle s’en remet aux exemples attestés dans l’écrit sacré420 :

La communication se fait par approche pour les âmes qui ne sont pas anéanties et par simple regard ou pensée pour celles qui le sont. Un exemple de ceci est en saint Jean Baptiste : les premières communications se firent par voie d’approche; et ce fut la raison pourquoi la Sainte Vierge demeura trois mois chez Sainte Élisabeth, après quoi Saint Jean n’eut plus besoin de s’approcher de Jésus-Christ dès qu’il fut fort. Aussi n’eut-il point d’empressement pour Le voir, quoique, lorsqu’ils s’approchèrent, il y eut encore un renouvellement de grâce.421

Il a soif : et de quoi, ô Divin Sauveur? De communiquer le don de Dieu : O. si tu savais le don de Dieu, et qui est Celui qui te demande à boire, tu Lui en eus demandé, et Il t’eût donné à boire une eau vive422. Ô c’est Lui-même! Pressé qu’Il est de cette même soif, ne crie-t-Il pas : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne, et des fleuves de paix couleront dans ses entrailles423, mais des fleuves qui montent jusqu’à la vie éternelle, c’est-à-dire qu’ils produisent l’effet de mettre l’âme en vie éternelle et qu’elle puisse recevoir les communications immenses de Dieu même.424

Le modèle primordial est le Christ lui-même qui crie «si quelqu’un a soif, qu’il vienne, et des fleuves de paix couleront dans ses entrailles» (Jean 7,37 – 38). Madame Guyon et ses proches pensent revivre l’expérience des Apôtres qui recevait directement la grâce du Christ et l’ont retransmise à leurs disciples. Elle affirme donc que la grâce peut passer par une personne humaine. Pour Bossuet et les juges, affirmer cela est impossible à tolérer et interprété comme une affirmation de soi!

En réalité pour elle, il ne s’agit en rien de la passation de pouvoir, de la réussite d’une personne, mais d’une fonction imposée par le divin. Tout le monde se moque de ses prétentions, d’autant plus qu’elle est une femme. Les mauvais traitements et la violence verbale des interrogatoires vont lui donner un moment de doute sur elle-même : elle se demande s’il ne faut pas obéir à l’autorité de l’Église incarnée par Bossuet. Puis c’est le tournant, elle se rend compte qu’elle ne peut pas nier sa propre expérience. Elle prend la décision de défendre son expérience. Bossuet va dès lors se heurter à un mur.

Une lettre adressée à Marie-Anne de Mortemart425 raconte comment elle est passée du règne du dogme à l’affirmation de l’expérience :

[…] Qu’un médecin veuille persuader à un malade qu’il ne souffre pas une certaine douleur dont il est fort travaillé, parce que lui, médecin, et d’autres ne la sentent pas, le malade qui sent toujours la même douleur, n’en est pas plus persuadé; tout ce dont il reste persuadé, après bien des raisonnements, est : ou que le médecin ne l’entend pas, ou qu’il ne sait pas expliquer son mal en des termes qui se puissent faire entendre. Il en est de même des expériences de l’intérieur. Je captive et soumets mon esprit pour croire que ce que je souffre ou expérimente n’est ni un tel bien ni un tel mal, et c’est ce qui est du domaine de la raison et de la foi; mais je ne suis pas maître de mes douleurs ni ne puis me persuader ni par la raison ni par la foi que je ne les sens pas, car je les sens véritablement. Tout ce que je puis faire donc, est de croire que je m’en exprime mal, qu’elles ne sont pas d’un tel ordre de certaines maladies, que je donne à ces [f° 192v°] douleurs des noms qu’elles ne doivent pas avoir; mais de me convaincre que je ne les sens pas, cela est impossible : elles se font trop sentir. Je n’en sais ni la cause ni les définitions, mais je sais que je les endure. On me dit à cela que tels et tels les ont contrefaites, que d’autres se sont imaginées d’en avoir, etc., qu’enfin peu d’âmes ont ces douleurs, et que par conséquent je ne les ai pas. Je crois tout cela, mais je n’en puis croire la conclusion qui est que je ne les sens pas, parce que ce qu’on sent et souffre tombe sous l’expérience, demeure réel et ne peut être la matière de ma foi. Je croirai que des gens l’imaginent [que] d’autres contrefont, d’autres exagèrent leurs maux, d’autres abusent; je croirai encore que la tendresse que j’ai pour moi me fait exagérer mes maux, me leur fait donner un nom qu’ils n’ont pas; mais je ne croirai point, lorsque je les sens avec tant de violence, qu’ils soient imaginaires en moi, puisque je les souffre.

Je ne dirai donc pas, si vous voulez, que tels et tels sont intérieurs, je ne dirai pas que je le sois moi-même, mais je sais bien que j’ai fait un chemin où j’ai trouvé bons ces passages. Je ne dispute ni du nom des villes que j’ai trouvées en mon chemin, ni de leur situation, ni même de leur structure, mais il est certain que j’y ai passé. J’ai éprouvé telles et telles douleurs, telles et telles syncopes, je ne dispute ni de leur nom ni de leur origine, mais je sais que je les ai souffertes et n’en puis douter. Il me semble qu’on ne peut pas se dispenser, pour savoir la vérité, de soutenir la vérité de l’expérience intérieure, qui est réelle. Pour les noms, les termes, les dogmes qu’ils veulent introduire, plions et soumettons, mais dans le fait de l’expérience de bonnes et de saintes âmes426, peut-on dire, avec vérité ni même avec honneur le contraire? Et quand nous serions assez lâches pour le faire, l’expérience de tant de saintes âmes qui ont précédé, qui sont à présent et qui viendront après nous, ne rendrait-elle pas témoignage contre nous? Tout passe, la force, les préjugés, etc., mais la vérité demeure. [f° 193] Il me paraît de conséquence de séparer ici le dogme, je ne sais si je dis bien, du fait de l’expérience.

Voilà délivré un texte fondamental à la modernité étonnante après lequel Madame Guyon ne retournera plus en arrière.

À sa mort, si nous ne savons pas qui lui a succédé427, notons que «la petite duchesse», destinataire du texte précédent, reçut la permission d’être en silence auprès des gens :

«… Cependant, lorsqu’elle veut être en silence avec vous, faites-le par petitesse et ne vous prévenez pas contre. Dieu pourrait accorder à votre petitesse ce qu’Il ne donnerait pas pour la personne. Lorsque Dieu s’est servi autrefois de moi pour ces sortes de choses, j’ai toujours cru qu’Il l’accordait à l’humilité et à la petitesse des autres plutôt qu’à moi…»428

Marie-Anne de Mortemart pouvait donc transmettre la grâce dans un cœur à cœur429. Par contre, c’est Madame de Grammont qui est nommée par des Écossais430 (et la même en réponse à la demande précédemment citée d’une demoiselle suisse). Nous avons donc le choix entre deux dames qui vécurent jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Coopéraient-elles et furent-elles aidées431? L’étude des filiations en France, écossaise, hollandaise, suisse et germanique (Fleischbein, Dutoit, etc.) ne fournit pas de figure mystiquement comparable à Guyon ou Fénelon432. Peut-être le secret obligé fut-il trop bien gardé.

§

Je terminerai en énonçant ce que furent les conséquences du comportement de Madame Guyon :

Dans un siècle où la liberté n’est pas une norme, vivre sa vérité au milieu des pouvoirs, mais sans revendiquer de pouvoir, mène à des conflits avec les tenants de l’autorité. Son vécu mystique et sa fonction de transmission de la grâce ont amené Madame Guyon à accomplir trois «exploits» :

1) résister au pouvoir royal : Guyon a l’occasion d’introduire l’oraison à Saint-Cyr; elle a de l’influence sur les Grands et surtout sur Fénelon. Madame de Maintenon ne peut tolérer son intrusion à Saint-Cyr et déclenche la colère du roi. Prétexte : les idées quiétistes. Le roi s’inquiète, car à l’époque il n’y a pas de liberté de conscience et il a la mainmise sur les idées.

Il faut dire que Madame Guyon a amené la mystique dans un lieu inapproprié : la Cour de Louis XIV. Elle s’est trouvée mêlée à des problèmes de pouvoir de par son ascendant sur les Ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, sur Fénelon devenu précepteur du Dauphin, donnant ainsi beaucoup d’espoir au parti dévot. Cette entreprise était naïve puisqu’il s’agissait de vivre les valeurs de l’amour chrétien au milieu de la Cour, mais elle portait un espoir immense : mettre sur le trône du «Roi très Chrétien433» un dauphin qui aurait gouverné en incarnant ses valeurs.

2) résister au pouvoir religieux : les clercs se dissimulent derrière un débat d’idées à propos de l’oraison passive. En réalité, ils ne supportent pas d’être éliminés de la relation avec Dieu : la transmission directe de la grâce leur enlève leur statut d’intermédiaires entre Dieu et les chrétiens.

3) résister au pouvoir masculin : cette femme ose affirmer son expérience alors qu’elle est sous tutelle d’hommes qui savent mieux qu’elle ce qu’elle doit ressentir ou penser. Elle se bat en particulier pour avoir un confesseur qui la respecte.

En conclusion, son vécu mystique et sa fonction de transmission de la grâce ont amené Madame Guyon à accomplir trois choix évidents à notre époque, mais inacceptables au XVIIe siècle :

1) En tant que femme, elle a refusé le pouvoir masculin.

2) En tant qu’individu, elle a refusé le principe d’autorité en restant ferme dans sa liberté de conscience.

3) En tant que mystique, elle a établi le primat à l’expérience sur le dogme.

Voilà trois révolutions accomplies par une petite femme qui ne voulait qu’être plongée en Dieu.

ANNEXES

Liste de proches : réseau normand, puis parisien, enfin européen434 :

PREMIER NŒUD des proches de l’Ermitage de Caen :

Marie des Vallées (1590-1656), la «sainte de Coutances»

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646) du TOR, «notre bon Père»

Jourdaine de Bernières (1596-1645), proche éditrice de son frère

Marie de l’Incarnation (1599-1672), apôtre du Canada

Jean Eudes (1601-1680), canonisé et fondateur des eudistes

Jean de Bernières (1602-1659), du Tiers Ordre séculier, créateur de l’Ermitage

Jean Aumont (1608-1689), «le vigneron de Montmorency» du TO

Gaston de Renty (1611-1649), ami de Bernières

Catherine de Bar (1614-1698), Annonciade puis «Mère du Saint-Sacrement», bénédictine fondatrice.

Louis-François d’Argentan (1615-1680), capucin, éditeur corédacteur du Chrétien intérieur.

Jacques Bertot (1620-1681) prêtre, confident de Bernières, discret «passeur mystique» de Caen à Montmartre, père spirituel de Madame Guyon.

François de Montmorency Laval (1623-1708), canonisé, premier évêque de Québec, fondateur d’un séminaire et du nouvel Ermitage.

Henri Boudon (1624-1702), du TO séculier (?), auteur abondant

Archange Enguerrand (1631-1699), récollet, «le bon franciscain» rencontré par la jeune madame Guyon.


DEUXIÈME NŒUD des proches de Mme Guyon et de Fénelon et de leurs disciples :

Des initiateurs et initiatrices :

Mère Geneviève Granger 1600-1674

Jacques Bertot 1620-1671

Archange Enguerrand 1631-1699

François Lacombe 1640-1715

Duchesse de Béthune-Charost [née Marie Fouquet] 1641?-1716

Jeanne-Marie Guyon 1647-1717


Des amis disciples «cis» :

François de Fénelon 1651-1715

Paul de Beauvillier 1648-1714 x Duchesse de Beauvillier 1655-1733 [née Colbert]

Charles-Honoré de Chevreuse 1656-1712 x Duchesse de Chevreuse, -1732 [née Colbert]

Marie-Anne de Mortemart 1665-1750 [née Colbert]

Isaac Dupuy apr.1737

Marquis de Fénelon 1688-1746

Marie-Christine de Noailles «la colombe» 1672-1748 x A. de Gramont comte de Guiche


Des amis disciples «trans» :

Pierre Poiret 1646-1719

Ramsay «chevalier» écossais 1686-1743

James 16 th Lord Forbes 1689-1761 & Lord Deskford 1690-1764

Friedrich von Fleischbein baron de Pyrmont piétiste 1700-1774

Jean-Philippe Dutoit-Mambrini pasteur à Morges 1721-1793



L’École du cœur, madame Guyon au centre d’une Filiation mystique

[tableau identique à celui d’Expériences IVa]

Traduction anglaise (Mme Sara Lewis)  :

MADAME GUYON AT THE CENTRE OF A MYSTICAL TRANSMISSION

(42) Madame Guyon at the center of mystical transmission.odt

Dominique Tronc

Contribution by Dominique Tronc to 'Madame Guyon, Mystique et politique à la Cour de Versailles, à l’occasion du troisième centenaire de sa mort', (Madame Guyon, Mysticism and Politics at the Court of Versailles, to mark the three hundredth anniversary of her death University of Geneva, 23-25 November 2017

I examine here the notion that a mystical transmission was experienced by those living a devout life who gathered round M. Bertot and then Madame Guyon (and before them, round Fr. Chrysostome and then M. de Bernières). I do not aim to discuss the ideas which inspired the adepts of quietude, but to identify their particular experience on the basis of some of the texts available.

At the centre of a Transmission? A mystic does not live by relying on books, but by sharing the experience and the life of a human being who has already walked such a path. Madame Guyon embodied a mystical function and showed how to achieve it. This is particularly evident in the groups evoked here.

M. Bertot and Madame Guyon were not solitary geniuses. They were not formed in isolation, but by accomplished mystics of previous generations.435 They formed part of a tradition of Franciscan origin.436 Each generation acknowledged the authority of a spiritual father (or mother). The spiritual father (or mother) was always formed by his or her predecessor. They could be either clergy or lay, men or women. It was their mystical accomplishment which mattered. Power was not transmitted in the human sense of the term: this was not a monastic order which elected a prior(ess). No voting or discussion: this was a case of informal evidence. The best person formed his friends; on his death his successor, recognised as such for years, was the most accomplished person.

These transmissions of authority took place uninterruptedly during a century, through four generations. Below I cite some written traces linking the central mystical figures, before examining what took place between them and their associates.

The first of these figures was the Franciscan Chrysostome de Saint-Lô (1594 – 1646) of the Regular Third Order, director of the layman Jean de Bernières (1601 – 1659). Fr. Chrysostome launched the idea of establishing a meeting place where their friends could gather and seek to practise inner prayer. Jean de Bernières realised this idea. He described the state of mind which inspired visitors to the Hermitage at Caen as follows:

We live here in great repose, liberty, gaiety and obscurity, being unknown to the world and not knowing ourselves either. We go towards God without reflecting, and whether conditions are good or bad we try not to stop.437

Bernières and Mother Mectilde (1614-1698) who founded the Benedictines of the Blessed Sacrament published some of their "Father" Chrysostome's writings, which Mother Mectilde had obtained with great difficulty. They feature their questions and their director's replies.

Then in 1646 Bernières assumed the direction of his associates, including his friend Mectilde. Among others, he directed Mgr de Laval, the future bishop of Quebec, and Jacques Bertot (1620 – 1671).

The confessor and "mystical director" Bertot took the Norman tradition of the Hermitage to the convent of Montmartre. He impressed the Abbess438 and attracted members of the Court.439.

Several works reveal the ties which united Chrysostome, Bernières, Mectilde and Bertot.440 Mectilde wrote to Bernières:441

From the Hermitage of the Blessed Sacrament, 30 July 1645.

Sir,

Our good M. Bertot has left us joyfully to satisfy your orders, and we have let him go with pain. His absence has affected us, and I believe that Our Lord wishes us to be affected, since he has given us all so many graces by his means, and we can truthfully say that he has renewed all this poor little monastery and revived the grace of fervour and the desire of holy perfection in our minds. I cannot tell you the good he has done and how much we all needed his aid […], but I must warn you that he is very tired and needs rest and refreshment. He had to work hard here, speaking constantly, and made several journeys to Paris by coach in extremely hot weather. He never thinks of taking care of himself. But now he no longer lives for himself. God makes him live for us and for many others. So we are allowed to be concerned about his health, and to beg you to make him have a good rest. […]

One of the faithful, a young widow from Montargis, Madame Guyon, described her first meeting with M. Bertot :

I should say that the smallpox had so greatly damaged an eye that I was afraid I would lose it altogether, I asked to go to Paris to have it treated, although much less for that reason than to see M. B [ertot], whom M[other] G [ranger] had recently given me as director, and who was a man filled with light. I must recount how I had the good fortune to meet him for the first time. He had come for M [other] G [ranger]. She very much wanted me to see him; as soon as he arrived she let me know, but as I was in the country I could not find any means of going there. Suddenly my husband told me to go and stay overnight in town to seek something and give some orders. He should have sent me to seek it the next day, but those frightful St Matthew's winds came that night [storm recorded on 21 September 1671], so that the damage they caused prevented me from returning for three days. When I heard the force of that wind at night, I judged that it would be impossible for me to go to the Benedictines that day, and so I would not see M. Bertot. When it was time to go the wind suddenly calmed, and I received more good fortune which enabled me to see him a second time.442

But his direction was severe and for a while was not understood. Later, his "spiritual daughter" gathered his writings. Le directeur Mistique ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion [...] was published in 1726.443 Its Foreword gives a brief summary of his life and testimony to the fidelity of his disciples:

«Monsieur Bertot born in Coutances a great friend of Jean [5] de Bernières acted as a director of souls in several communities of Nuns [and directed] several persons occupying important positions both at Court and in the war. He continued this practice until providence appointed him to direct the Benedictine Nuns of the Abbey of Montmartre near Paris, in which employment he remained for about twelve years [6] until his death at the beginning of March 1681 after a long wasting disease. [7] [He was] buried in the Church of Montmartre, at the right side on entering. Some persons have always preserved such great respect [that they] often went to his tomb to offer their prayers.444

Madame Guyon referred to his authority until the end of her life:

«I am sending you a letter from a great servant of God who died several years ago. He was a friend of Monsieur de Bernières, and he was my Director in my youth.»445

Moreover, she had made typically Franciscan secret vows:

«In that place [at Gex] I made five vows. The first, of chastity, which I had already made as soon as I became a widow, that of poverty, which is why I gave up all my possessions, I have never confided that to anyone. The third, to blindly obey all external events or what my superiors or directors indicated for me, and within, to depend totally on grace. The fourth, inviolable attachment to holy Church. The fifth was a special cult, more inner than external of the childhood of Jesus Christ.»446

This concludes my glimpse of the links between Chrysostome, Bernières, Bertot and Guyon. Only rare written indications have reached us because no human choice was involved. In their writings mystics are reluctant, except in passing, to refer to the authority of a direction which must be inner.

Moreover, the "external' environment throughout the century was hostile to mystics,447 starting with the "objections" raised by Parisian academics at Rouen on reading the third party of the Reigle by the Franciscan Capuchin mystic Canfield which appeared in 1609.448

As for Mectilde, she had much difficulty in recovering Chrysostome's writings from his brethren in the Regular Third Order.

«I try every chance and means to obtain some of those so worthy writings, but the effort is a waste of time. The Provincial and the others have decreed and protested that they will never let those writings out of their hands unless they are corrected in a way which matches their opinions, and they say they are completely full of errors449

«I am much afraid they may be burned, for they are in the hands of his persecutors.»450

She gave a glimpse of the low regard in which Fr. Chrysostome was held by those "responsible" for him» :

«Holy abjection accompanied him in life and death, and even after death he has remained abject in the opinions of some members of the order. Brother Jean [Aumont] told me this and says that to respect four or five of them, his memory must not be evoked in their house [...]  

Later, in the fatal year 1694 when Madame Guyon's descent into hell began, Fr. Paulin, leader of that same Regular Third Order, made a "lukewarm" statement on Madame Guyon.451

It is not surprising that the quietists learned to become prudent. That is why we do not know who succeeded their leader after 1717. Nevertheless, the notion of transmission remained alive in the eighteenth century. If mystical intensity often seemed to disappear, people influenced by Madame Guyon retained the idea of a possible succession and the importance of having a spiritual director. A young Swiss lady asked who had succeeded Madame Guyon :

«M. de Marçais told me that a lady living a devout life in Switzerland, whose name I have forgotten, written to France to enquire whether Madame Guyon had left [93] a successor in the apostolic state who might assist other persons living a devout life. After writing to a number of places, she was finally informed that there was indeed such a person, that is, the Duchess of Grammont; but that externally she stayed well hidden, owing to the great number of enemies who persecuted the inner life. This was why she was only known to other persons following a devout life. The letters were written several years after 1720.»452

A document bears witness to the Bernières-Bertot-Guyon transmission as perceived at the end of the Age of Enlightenment. It concerns Jean-Philippe Dutoit (1721-1793). This pastor from Morges near Lausanne, the second publisher of Madame Guyon's works after Pierre Poiret, had a certain influence. He had links with Count Frédéric de Fleischbein (1700-1774), whose wife Pétronille of Echweiler (1682-1740) spent a short time in Blois, Madame Guyon's retreat after her release from the Bastille.453 The document is the report of a seizure carried out for the Calvinists of Berne by their representative in Lausanne:454 :

«6 January 1769. We David Jenner, formerly colonel in Holland, currently bailiff of Lausanne, in the name and on behalf of Their Excellencies our Sovereign Lords of the city and republic of Berne, make known that as a result of the orders which we received from Their Excellencies of the Senate, to take away from the Rev. Dutoit de Moudon all his papers, writings and books, make an inventory of them and then arrange for their despatch [...]

After being informed of the orders received, the Rev. Dutoit first indicated that it was his firm intention to obey them in full submission and sincerity, as shown by the following inventory :

Madame Guyon's Bible and several of her works, but not all.

Monsieur de Bernières, i.e. the Chrétien Intérieur.

La Théologie du Cœur [by Poiret].

The Mystical Director by Monsieur Bertot.

The list ended with three "classics", Teresa, Luther and the Imitation;455 with Dutoit Declaring in good faith that he knows of no other mystical or ascetic book here.»

I have now established some internal links and suggested a delicate outside situation. The (re)discovery456 of a transmission whose backbone passed from the Franciscan Chrysostome de Saint-Lô to M. de Bernières, then M. Bertot, and finally Madame Guyon, is confirmed by the late evidence quoted above.

There were two main links: the friends of the Hermitage at Caen preceded and gave birth to the Parisian quietist circle led by M. Bertot and taken over by Madame Guyon and Fénelon. In addition to confirming a transmission, I understood quite quickly that its axis must be situated in a network of friends and the branches of the tree re-discovered. For some I have drawn up dossiers of sources.457 Men and women benefiting from a lineage leading from older to younger gathered with their mystical contemporaries from the same generation.

For nearly two centuries, about a hundred mystical figures managed through some precious «chemical reaction» to exert an influence and share their energy. The transmission became a tree with thick foliage, and even links to neighbouring trees.458 In the Annex the «List of relations: Norman, then Parisian and finally European networks» gives a «transversalview » absent from the «longitudinal» chronological presentation. Two diagrams with comments follow, showing the transmission visually with support from the sources.

§

We now come to the actual experience. Every spiritual father or mother is an object of veneration and absolute fidelity. In Madame Guyon's case this is clear, although it would have been in the interests of those close to her to abandon her. While she had to face power and prison, Fénelon scuppered his career at the Court, and the great Beauvilliers and Chevreuse families discreetly defended her. Only an extraordinary influence makes it possible to explain the attraction and then the fidelity of her friends during twenty years (from the Issy trial in 1694 to the death of the Dukes in 1712/1714). It is what Madame Guyon experienced when she affirmed that grace passed through her person to someone who came to see her. So this group had a specific quality more exceptional than a social organisation around a spiritual leader. What was it? The phenomenon was reproduced in each generation. This is what those who heard Chrysostome speak of God experienced:

When he spoke [of the Saviour], it was with ardours which lit the divine fire on all sides; particularly when he gave conferences on the annihilation of a God in the mystery of the Incarnation, he seemed as if completely overcome beneath the great lights which he received, and which he communicated [emphasis added] with extraordinary effects of grace […]459

Bernières' fidelity to his spiritual father was also unshakeable, as shown by the emotion expressed in a letter to Mother Mectilde:

«It would be a great consolation for me if [] we could speak of what we have heard our good Father say [] since God has united us so closely as to make us children of the same Father […]Do you know that just his memory places my soul in the presence of God?»460

They began to become aware of the sharing of grace by Bernières when his friends prayed together at the Hermitage :

Farewell, my very dear sister, MM de Bernières and de Rocquelay greet you; they are doing wonders in their hermitage: sometimes there are more than fifteen hermits; they often ask for news of you. If our good Mother Prioress wished to write to M. de Bernières about her states of mind, she would be consoled for them, for God gives him prodigious light on the state of blessed and perfect annihilation.461

Bernières noted how active grace was among them. He used the verb «communicate» :

I clearly know that the Hermitage is established by order from God, and our good Father did not have it built by change. The grace of inner prayer is communicated easily there to those who dwell there, and one cannot say how this is done, except that God does it.462

Boudon (1624-1702) testified:

He was consulted not only by laymen, but by the clergy and monastics. A great number of the latter have made retreats in his house with the permission of their superior […] It was admirable to see the change observed in persons who had special relations with him.463

Bernières waited for inspiration from the Spirit before speaking :

His words were full of a divine force and won hearts to God. After informing him one day about some faults committed by a person in his employment, I noticed that for quite some time he said nothing about it to him; and after that I admired him because although he used very few words to make that person see his faults, saying almost nothing to him, so to speak, that person was as if suddenly struck down by the weight of the few words [Bernières] had said to him, and corrected those faults. I saw clearly that it was not through any negligence, but for a movement of the spirit of God acting in him, that he had waited to warn him. If he had spoken earlier he would have done so as a man, and his advice would not have the effects which resulted. 464

Bertot marks the passage to a second degree in the diffusion of grace, as he boldly stated that his prayer could make others share his mystical states while he said Mass. He did not merely influence; he carried others in his prayer and shared his mystical states with them.

«Let us remain thus, I wish to remain there with you and I will begin today in the holy mass. I am sure that if I am once raised up at the altar, that is to say if I enter into that divine unity [249], I will draw you to it,465 you and many others who are merely waiting. And all together, being one in feeling, in thought, in love, in conduct and in mood, we will fall happily into God alone, united with His Unity, or rather being one sole unity in Him alone, by Him and for Him. Farewell in God.» 466

He invited Mme Guyon to transform their relationship into moments of silence when he could communicate grace from heart to heart, and taught her how to favour this:

[240] «Since you wish me to call you my Daughter, which you are indeed before God who has so decided, you will allow me to treat you as such by giving you what I value most, which is a profound silence. Thus, when perhaps you think I might have forgotten you, it will be so that I can think most about your perfection. But I will always speak very little to you; I believe that the time to speak to you is over, and the time to converse with you in peace and silence has arrived.467

After his death early in 1681, Madame Guyon made her own discoveries and began to analyse what took place during her transmissions. So far as we know these writings are unique, for while this charisma is well-known outside [Western] Christianity, among the Sufis, in India and in Orthodoxy (Saint Seraphim of Sarov), it is less well-known in the Catholic world centred around Jesus as the sole mediator, grace being transmitted by him and with the sacraments compensating for his physical absence.

Perhaps Madame Guyon had experienced transmission with Bishop Ripa, who was close to Cardinal Petrucci, as some Italian quietists probably practised it with Molinos.

On her return to France she received a crowd of visitors at Grenoble. This was when the ecclesiastical authorities began to find that she was trespassing on their territory, and that they needed to get rid of her. This was her first brush with power. To oppose her the authorities used the pretext of a conflict over ideas (on passive inner prayer).

She returned to Paris, where she alternated between successes and ordeals. She took over Bertot's circle and developed friendships which withstood everything, with the Dukes and Duchesses of Chevreuse and Beauvilliers, Fénelon, etc. For them, it was evident that Madame Guyon transmitted grace. Once felt, that experience could not be denied. If someone went to see Madame Guyon and sat beside her in silence, it was to experience the divine presence; she transmitted the mystical experience to others without any asceticism or effort. It all happened simply, sometimes with joking between "Michaelites" -- did not St. Francis of Assisi particularly appreciate St. Michael?

My good father [of Béthune-Charost], have a seal made for me with Saint Michael trampling on the dragon — this is necessary and mysterious — otherwise you will lose your post. Little Cecile will be in charge of the bouquets for the Michaelites' chapel, she must cut off the Baraquin's [the Devil's] right ear. The dog must bite his left ear and Sister Ursula crush the end of his tail. All the other children together will crush his body. S B [Fénelon], another and I will crush his head. Do you not see P [ut] [Dupuy] who wants to step on his paw, but is afraid of hurting him and only touches a nail? [...] Do you not see Dom Al [leaume] who has lost his collar in the struggle, the good marquis who is cutting off one of his rear paws with his sword? The Good [Beauvillier] solemnly holds one of his horns,but he does not want to be disturbed, he holds himself very stiffly.. The Tut [or] [Chevreuse] holds the middle horn and covers his eyes as best he can. See the senior d [uchess] who is trembling with fear, but she still puts one foot on his hindquarters. See from the other side a scatterbrained little d [uchess] who wanted to jump on him with both feet joined; she would have had a fine fall if our patron [St Michael] had not supported her from behind. Come on, courage, go up little by little!468

We have the account of what happened afterwards at Blois, twenty years later. Together with fully ecumenical open-mindedness, the «lady directress» had reached ultimate simplicity:

She lived with those English [Scots] like a mother with her children. […] They often argued [over politics: the first Scottish Jacobite rising took place in 1715], and quarrelled; on those occasions she brought them round with her gentleness and urged them to give way; she did not forbid them any lawful amusement, and when they amused themselves in her presence and asked her opinion, she answered: «Yes, my children, as you wish». Then they amused themselves with their games, and during that time this great saint remained plunged and lost in God. Soon these games became insipid to them, and they felt such an inner attraction that they left everything and remained inwardly recollected with her in the presence of God.

When the Blessed Sacrament was brought to her, they remained gathered in her apartment, and when the priest arrived, hidden behind the bed curtain, which was carefully closed so they would not be seen because they were Protestants, they knelt down [43] and were in a deep and delectable state of recollection, each according to the degree of his progress, often also in sufferings relating to their state. 469

This was the central experience which was the foundation of the link between Madame Guyon and her disciples : they were attached to someone who gave out grace. This was so in her case, but we have seen it with Chrysostome, then Bernières, then Bertot: in other words, in each generation there appeared a saint through whom the divine presence was experienced. This is what decided the succession in each generation. This is what explains the veneration and fidelity of their followers.

There was one condition for the transmission to take place: the mystic must be in the "apostolic" state (in a state identical to that of the first Apostles), i.e. so empty that one became a passage for grace: no personal power, God did as he wished. It was not an achievement by a human being, but a function which someone did not assume voluntarily:

It is an abuse in the spiritual life, and which slips in even from its start, to want to work for others at the wrong time. And only a false fervour makes one set out to use one's own power to aid them before having received the mission to do so. Some people believe they are capable of leading on the path of the saints when they have not started on it properly themselves, and by wishing to share with others graces they have been given only for themselves, they lose the fruit themselves and cannot aid others with them. One must not seek to aid one's neighbour, no matter how much one wishes to do so, if one does not have experience of divine matters and a vocation. One must first be established in the inner life.470

One must also be appointed by the spiritual mother or father. Madame Guyon wrote to Fénelon that she had received her "spirit of direction" from Bertot» :

It came to my mind this morning that as M. B [ertot], when dying, left me his spirit of direction for his children, neither those who have strayed nor those who have stayed faithful will have that spirit communicated to them except by me, but in union with you. For God makes me be one and indivisible with you, and when all the reservations from you to me have been removed, you will discover a union of divine unity which will charm you. There are several teachers, but there is only one father in Christ,471 and the father in Christ uses [137 r°] not only the force of his speech, but the substance of his soul, which is no other than that central communication of the Word which the Father of spirits alone can communicate to His children, and as that communication by the Word in the soul is the operation of the divine paternity and the mark of adoption of his children, it is also the proof of the spiritual paternity which communicates to all in substance what they need, without knowing how this is done.

There are some persons who, because of their imperfect state, feel [137 v°] this communication better, because it is always in accordance with the subject who receives it, and not with the one who communicates it. It is the same with all the gifts of the Lord : they are [all the more] sensitive or spiritual when the recipient is more sensitive or spiritual. All receive this communication, although all do not feel it equally. [...]472

She associated herself with Fénelon, whom she regarded as her successor in that function. Fénelon was her dearest disciple, and one day when she was ill and thought she was dying, she wrote to him to bequeath to him the direction of their spiritual group and the possibility of transmitting grace :

«I leave you the spirit of direction which God has given me.»473

This succession never took place, as Fénelon died in January 1715, before her (June 1717).

Fénelon held meetings with his mystic friends at Cambrai. He reported that he sensed Madame Guyon's presence at them. In other words, in union with Madame Guyon. Fénelon shared his mystical state with his visitor:

I feel a very great desire to be silent and to speak with Ma.474 It seems to me that her soul enters mine and that we two are just one with you in God. Quite often in the evening we are together like little children, and you are there too [f ° 19v °] although you are far away from us.475

He confirmed the explanation given by Madame Guyon concerning Matthew 18, 20:

«They speak more from the heart than from the mouth; and the distance between them in no way prevents that inner conversation. God ordinarily unites two or three persons of that sort in so great a unity that they find themselves lost in God until they can no longer distinguish between them […]

These unions have yet another quality, which is that they in no way cause embarrassment or take control, the mind remaining as free and as empty of images as if they did not exist.476 […]

God also makes unions of relationships, binding certain souls to others as if to their parents in grace [...]»477

Madame Guyon saw herself as a channel acting as a passage for grace, with no will of her own, without any personal intention, in total «passiveness», in extreme submission to God:

«When the soul has lost both all her own power and all reluctance to be moved and acted upon according to the Lord's will, then He makes her act as He wishes [] When God moves her towards a heart, unless that heart itself refuses the grace which God wishes to communicate to it, or is ill prepared through too much activity, it unfailingly receives a profound peace […] Sometimes several persons receive the outpouring of these waters of grace at the same time. 478»

She insisted on the fact that there was no personal power [involved], that only an annihilated soul could allow the passage of grace:

You have asked me how the union of the heart takes place. I will tell you that when the soul is entirely freed from all penchants, all inclinations and all natural friendship, God moves the heart as He pleases; and seizing the soul through a stronger contemplation, He makes the heart incline towards someone. If that person is prepared, he or she too must experience a sort of inner contemplation, and something which influences the heart [...] This in no way depends on our will: but God alone operates it in the soul, as and when He pleases, and often when it is least in one's thoughts. All our efforts could not give us that state of mind; on the contrary, our activity would only serve to prevent it.479

We have direct testimony from Madame Guyon, who was the first to analyse what happens during that transmission. It only takes place if the person has attained the apostolic state:

Her own salvation does not visibly concern her, and neither does that of others. Nevertheless, she is engaged in it and working for it through Providence. Sometimes God impels her to strongly desire the salvation and perfection of certain souls, so that she would give her life to make them comply with the full extent of God's intentions for them - but without care or anxiety, without contributing anything of her own, serving purely as an instrument in the hands of God, who gives whatever inclination and activity He pleases, but an activity in perfect repose, without parting from Him, without any personal inclination, although sometimes the inclination may be infinite: for the soul which has arrived at complete detachment and is fit to be poured out into God, being plunged there, is like flowing water which cannot be fixed but flows ceaselessly according to the slope given to it.

She understands that she participates in God's communicable quality, and that she lives and subsists solely to pour it out. The more it flows, the fuller she is, not with her own fullness, but with the fullness of God in Him which is communicated to all beings and draws along with it those He has plunged into Himself. It is He who gives her all her inclinations. However, this is done without paying attention to them, thinking of them or worrying about whether they will succeed: everything could perish and be overthrown without affecting her soul, though this does not prevent her from sharing the good or bad fortune of the souls who are united with her to receive her communications. It is like a river which flows pleasantly when it is given passage, but rises effortfully against itself when its passage is blocked. [...] One no longer knows who or what are relatives, friends, possessions, children, interests, honour, health, life, salvation, glory, eternity: none of that exists any longer for such a soul, although from the outside she seems quite ordinary, acting and doing like others. 480

When the soul has lost both all her own power and all reluctance to be moved and acted upon according to the Lord's will, then He makes her act as He wishes without choosing her methods. He communicates through her without the slightest inclination on her part.[…] He communicates with whoever He pleases, as and when he pleases. If she wished to communicate herself, or communicate in a direction not chosen by God, at a time when God did not so move her, this would be entirely useless and would dry up the heart rather than transmitting life to it. But When God moves her towards a heart, unless that heart itself refuses the grace which God wishes to communicate to it, or is ill prepared through too much activity, it unfailingly receives a profound and sometimes even delectable, which is the strongest sign of communication. [...]

But one may say, how can that soul discern when and to whom God wishes her to communicate? It is discerned because the soul feels an excess of fullness and clearly senses that it is not for her — for with regard to herself God almost always keeps her in emptiness and complete equilibrium, and this makes her fitter for what God wishes —, as I said, she feels a very strong fullness which would even overwhelm her if she found no one. But God whose goodness is infinite only gives her that fullness when there are subjects more or less prepared to receive it. Nor can the soul be unaware for whom God fills her in this way, because He inclines her heart in the direction where He wants her to communicate, as we place a hosepipe in a garden to water the spot we wish to water, and only that spot is watered. Sometimes several persons receive the outpouring of these waters of grace at the same time, in proportion to their greater or lesser capacity and whether they are less active and more passive.481

Madame Guyon expressed herself most directly in her commentaries on the mystical "Authorities" she evoked in the Justifications collected with Fénelon in 1694. Her comparisons were very direct:

As iron touched by a magnet is seen to attract iron, so a soul in whom God dwells in this way attracts other souls by a secret virtue; so that it is sufficient to approach her in order to be placed in inner prayer and recollection. This is why as soon as one approaches her, one desires to be silent rather than to speak, and God makes use of that means to communicate with souls: a sign of the purity of these unions and affections.482

Just as soiled and shameless souls communicate that corrupted air to those who approach them: similarly, by a contrary effect a pure soul communicates purity; and as she is full of grace and anointed with the divine ointment, she communicates that grace and that ointment to those who approach her. And as she is full only of God, she can only communicate God. As she is empty of herself, she no longer communicates herself or anything of hers, but the image and the grace of her divine spouse. This is why remembering these persons, far from calling up their impure image, turns first to God and contemplates in Him; this is the surest sign that the soul has left herself to pass into God, that she herself has disappeared, that she herself no longer lives, but her God lives in her; since she no longer gives anything but what affects herself.

It should also be noted that she does not draw others by any external sign, but as she has arrived at the Centre, the impression is made from within, as if it were God himself, without anything appearing externally; as by leaving herself behind, that soul has gone beyond her own being to lose herself in God beyond herself: so she leaves behind no trace or idea of herself, but only of God, His love and His life. 483

She did not express personal mystical effusions, but clarified a communication which progressively grew:

God communicates Himself to all creatures, but He does not communicate Himself with as much abundance and delectation except in fully annihilated souls, because they no longer resist, and as God himself is their basis, He receives Himself in Himself. This is why the communication we receive from God, even within, is felt more easily when it is narrower; and for the same reason, it is less easy to sense when it is more immense, for God does not communicate Himself by Himself except through nothingness, since that is the same thing. [...]

As this communication remains mysterious for all of us, she turned to examples recorded in the scriptures:484 

For souls who are not annihilated communication takes place through an approach, but for those who are it is by a simple look or thought. St John the Baptist is an example of this: the first communications took place by means of an approach: and this was why the Blessed Virgin remained three months with Saint Elizabeth, after which St. John no longer needed to approach Jesus Christ once he was strong. Thus he was not in a hurry to see Him, though when they met there was again a renewal of grace.485

He thirsts: and for what, O Divine Saviour? To communicate the gift of God. Oh, if you knew the gift of God, and who He is who asks you for a drink, you would have asked Him, and he would have given you living water to drink.486 Oh, it is Himself! Driven as He is by that same thirst, does He not cry: If someone is thirsty, let him come, and rivers of peace will flow within him,487 but rivers which mount up to eternal life, that is to say that they produce the effect of placing the soul in eternal life so that she may receive the immense communications of God Himself.488

The primordial model is Christ himself, who cries «if someone is thirsty, let him come, and rivers of peace will flow within him» (John 7,37 – 38). Madame Guyon and those close to her thought they were re-living the experience of the Apostles, who received the grace of Christ directly and re-transmitted it to their disciples. She therefore affirmed that grace can pass through a human being. For Bossuet and her judges it was impossible to tolerate that affirmation, which they interpreted as self-affirmation!

In fact, for her this had nothing to do with the transmitting of a person's power or personal success, but with the transmitting of a divinely imposed function. Everyone mocked her claims, all the more so because she was a woman. Ill-treatment and the verbal violence of her interrogations led her to doubt herself for a moment; she asked herself whether she should not obey the authority of the Church embodied in Bossuet. Then came the turning-point; she realised she could not deny her own experience. From then on Bossuet was up against a wall.

A letter addressed to Marie-Anne de Mortemart489 described how she had passed from the realm of dogma to the affirmation of experience:

[...] If a doctor wishes to persuade a sick person that he does not suffer from a certain pain which greatly troubles him, because he, the doctor, and others do not feel it, the sick person, who still feels the same pain, still remains unconvinced; after much arguing he is convinced only that either the doctor does not understand him or that he does not know how to explain his illness in terms which can be understood. It is the same with inner experiences. I imprison and submit my mind in order to believe that what I suffer or experience is neither such a good nor such an evil, and belongs in the sphere of reason and faith; but I am not the master of my pains and cannot persuade myself by either reason or faith that I do not feel them, for I truly do feel them. So all I can do is believe that I express them badly, that they are not of the order of certain illnesses, that I give these [f ° 192v °] pains names they ought not to have; but to convince myself that I do not feel them is impossible; they make themselves felt all too much. I know neither their cause nor their definitions, but I know I endure them. I am told that some have pretended to have them, that others have imagined they had them, etc., that after all few souls have these pains and consequently I do not have them. I believe all that, but I cannot believe the resulting conclusion, which is that I do not feel them, because what one feels and suffers forms part of experience, remains real and cannot be matter for my faith. I will believe that some imagine them, others pretend to have them, others exaggerate their ills, that others misuse them; I will also believe that my fondness for myself makes me exaggerate my ills, makes me give them a name they do not have; but when I feel them in me with such violence I will not believe that they are imaginary, since I suffer from them.

If you wish, I will not say that certain persons live a devout life, I will not say that I do myself, but I know well that I have followed a way on which I found these passages good. I do not argue about the names of the towns I met on my way, their location or even their structure, but it is certain that I passed through them. I have experienced certain pains or fainting fits, I dispute neither their name nor their origin, but I know I suffered them and cannot doubt that. It seems to me that to know the truth, one cannot avoid maintaining the truth of the inner experience, which is real. For the names, the terms, the dogmas they want to introduce,we may give way and submit, but regarding the factual experience of good and holy souls,490 can one say the contrary with truth or even honour? And if we were so cowardly as to do so, would not the experience of so many holy souls who have preceded us, are alive now and will come after us give testimony against us? Everything passes, force, prejudices, etc., but the truth remains. [f° 193] It seems important to me to separate the dogma, I do not know if that is how to put it, from the fact of experience.

Here Madame Guyon produces a fundamental and astonishingly modern text, after which she no longer backed down.

Although we do not know who succeeded her after her death,491 we may note that the «little duchess», the recipient of the above text, received permission to be silent when with other people:

« However, when she wishes to be in silence with you, do it through your littleness and do not prevent it. God could grant to your littleness what He would not give for the person. When God made use of me in the past for this sort of thing, I always believed He granted it to the humility and littleness of others rather than to me…»492

So Marie-Anne de Mortemart could transmit grace from heart to heart.493 On the other hand, it was Madame de Grammont who was named by the Scots494 (and also in reply to the request from a young Swiss lady referred to above). Thus we have a choice between two ladies who lived until the middle of the eighteenth century. Did they cooperate, and were they assisted?495The study of Scottish, Dutch, Swiss and Germanic transmissions in France (Fleischbein, Dutoit, etc.) does not reveal a figure mystically comparable to Guyon or Fénelon.496 Perhaps the obligatory secret was too well kept.

§

I will end by noting the consequences of Madame Guyon's behaviour:

In a century where freedom was not the norm, living one's personal truth in the midst of the authorities, but without claiming authority, led to conflicts with the holders of authority. Madame Guyon's mystical experience and function of transmitting grace led her to perform three «exploits» :

1) resisting the royal power: Guyon had the opportunity to introduce inner prayer to Saint-Cyr; she influenced leading aristocrats and, above all, Fénelon. Madame de Maintenon could not tolerate her intrusion in Saint-Cyr, and provoked the king's anger. Pretext: quietist ideas. This worried the king, since at that time freedom of conscience did not exist and he had a stranglehold on ideas.

It must be said that Madame Guyon had taken mysticism into an inappropriate place: the Court of Louis XIV. She found herself involved in problems of power through her influence over the Dukes of Chevreuse and Beauvilliers and over Fénelon who had become the Dauphin's tutor, thus giving the devout party much hope. This undertaking was naive, as it meant practising the values of Christian love in the midst of the Court, but it carried the immense hope of placing on the throne of the 'most Christian King"497 a dauphin whose rule would have embodied its values.

2) resisting the power of official religion: the clergy hid behind a debate of ideas concerning passive inner prayer. In fact they did not accept being eliminated from relations with God: the direct transmission of grace deprived them of their status as intermediaries between God and Christians.

3) resisting the authority of men: this woman dared to affirm her experience, although she was under the sway of men who knew better than her what she should feel or think. She fought especially to have a confessor who respected her.

In conclusion, her mystical experience and her function of transmitting grace led Madame Guyon to accomplish three choices which seem obvious nowadays, but were unacceptable in the seventeenth century :

1) As a woman, she refused masculine authority.

2) As an individual, she refused the principle of authority by staying firm in her freedom of conscience.

3) As a mystic, she established the primacy of experience over dogma.

Three revolutions achieved by a little woman who wanted only to be plunged in God.


ANNEXES

List of contacts: Norman, then Parisian and finally European networks:498 

FIRST GROUP of those close to the Hermitage of Caen :

Marie des Vallées (1590-1656), the «saint of Coutances»

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646) member of the Regular Third Order, «our good Father»

Jourdaine de Bernières (1596-1645), who published her brother's writings

Marie de l’Incarnation (1599-1672), apostle of Canada

Jean Eudes (1601-1680), canonised and founder of the Eudists

Jean de Bernières (1602-1659), member of the Secular Third Order, creator of the Hermitage

Jean Aumont (1608-1689), «the winegrower of Montmorency» member of the Third Order

Gaston de Renty (1611-1649), friend of Bernières

Catherine de Bar (1614-1698), Annonciade then « Mother of the Blessed Sacrament», founder of a Benedictine order.

Louis-François d’Argentan (1615-1680), Capuchin, publisher and co-editor of the Chrétien Intérieur.

Jacques Bertot (1620-1681) priest, confidant of Bernières, discreet «mystical transmitter» from Caen to Montmartre, Madame Guyon's spiritual father.

François de Montmorency Laval (1623-1708), canonised, first bishop of Quebec, founder of a seminary and a new Hermitage.

Henri Boudon (1624-1702), of the Secular Third O (?), a prolific author

Archange Enguerrand (1631-1699), Recollect, the "good Franciscan" met by the young Madame Guyon.

SECOND GROUP of those close to Mme Guyon and Fénelon, and their disciples :

Initiators (men and women) :

Mother Geneviève Granger 1600-1674

Jacques Bertot 1620-1671

Archange Enguerrand 1631-1699

François Lacombe 1640-1715

Duchess of Béthune-Charost [née Marie Fouquet] 1641?-1716

Jeanne-Marie Guyon 1647-1717


Disciple friends «at home» :

François de Fénelon 1651-1715

Paul de Beauvillier 1648-1714 x Duchess de Beauvillier 1655-1733 [née Colbert]

Charles-Honoré de Chevreuse 1656-1712 x Duchess de Chevreuse, -1732 [née Colbert]

Marie-Anne de Mortemart 1665-1750 [née Colbert]

Isaac Dupuy after.1737

Marquis de Fénelon 1688-1746

Marie-Christine de Noailles «the dove» 1672-1748 x A. de Gramont, Count of Guiche


Disciple friends «abroad» :

Pierre Poiret 1646-1719

Chevalier Ramsay (Scottish) 1686-1743

James 16th Lord Forbes 1689-1761 and Lord Deskford 1690-1764

Friedrich von Fleischbein, Baron of Pyrmont, Pietist 1700-1774

Jean-Philippe Dutoit-Mambrini, pastor at Morges 1721-1793



Madame Guyon at the centre of a mystical transmission (diagrams with comments and sources)

L’École du cœur, madame Guyon au centre d’une Filiation mystique


Commentaries and Sources :

Commentary :

The first diagram shows the founding figures around whom numerous devotees gathered in "Schools of the Heart". Three branches of a "spiritual delta" formed, starting from a first "group" led by Jean de Bernières under the direction of « our good Father Chrysostome » :

--A second Hermitage was founded in Quebec by Mgr de Laval.

-- The Circle of Quietude created by M. Bertot at Montmartre was taken over by Madame Guyon.

-- The Benedictines of the Blessed Sacrament were the 'daughters’ of Mother Mectilde.

Madame Guyon took over the Circle of Quietude.

The second diagram shows the European influence in four columns.499 Disciples « at home » et « abroad » [in other countries] are laid out vertically by date and horizontally according to four geographical regions. Cross-relations are omitted. For couples or brothers, the dates of death are separated by ‘&’.


I realised that it was necessary to locate this transmission and support it by possible recourse to the mystical texts produced by devotees in these networks of friends. Texts in relation with the writings of Madame Guyon are available in two collections: «Sources mystiques» (published by the «Centre Jean-de-la-Croix») and «Chemins mystiques» (online Internet purchase via the printer http://lulu.com, search key  Dominique Tronc). Consult the site http://www.cheminsmystiques.com and the references in the communication, including in chronological order :

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), of the Third Order of Saint Francis of Assisi, Founder of the School of Pure love

Jean de Bernières, Œuvres mystiques I Chrétiens [Sources mystiques] & II Correspondence [forthcoming]

The Friends of the Hermitages of Caen & Quebec [v. DT]

The Mystical Friendships of Mother Mectilde of the Blessed Sacrament 1614-1698

Jacques Bertot mystical director [for available examples, v. DT]

Archange Enguerrand (1631-1699), Franciscan Recollect director and 'Good monastic' according to Madame Guyon

François Lacombe (1640-1715), Life, Works, Ordeals of Madame Guyon's Father Confessor

Memoirs de Saint-Simon concerning Fénelon, Madame Guyon and their associates

Marie-Anne de Mortemart (1665-1750) The « little duchess » […]

Schools of the Heart in the Age of Enlightenment, Disciples of Madame Guyon & Influences

Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur [forthcoming]



CONTEMPLATION ET VIE ORDINAIRE CHEZ M. BERTOT ET Mme GUYON [Paris, CRESC 2019]

Dominique et Murielle Tronc, 21 mars 2019.

Contribution au Colloque des vingt ans du CRESC « Centre de recherches et d’études de spiritualité cartusienne : Du monde au désert, l’aspiration à la solitude au XVIIe siècle. »


La plupart des mystiques, du moins au 17e siècle, estiment nécessaire de partir à l'écart du monde pour chercher l'expérience intérieure. Ils vivent en général dans des bâtiments prévus à cet effet et embrassent la vie monastique pour ne pas être distraits de leur contemplation. Ils pensent que la nature humaine est trop faible pour résister sans un cadre fort. Parce qu’ils vivent ensemble, ils peuvent échanger oralement des conseils spirituels.

Ceux dont je vais parler ne disposent ni de bâtiments ni de règles. Ils ne sont guère encouragés à délivrer quelque enseignement, mais ils échangent entre eux des lettres qui nous sont parvenues et même en très grand nombre. Cette époque inquisitoriale oblige à l’autocensure pour pouvoir communiquer des textes à des collectivités religieuses ; le seul espace de liberté est souvent réduit aux correspondances et les lettres s’échangent discrètement entre les rares mystiques vivant au sein d’une majorité de dévots.

En général les dialogues entre mystiques  ne nous sont parvenus  que très exceptionnellement parce que les lettres d’un saint reconnu, souvent fondateur d’Ordre, sont privilégiées au détriment de correspondant(e)s jugés moins intéressants. L’assymétrie due à la disparition des correspondances « passives » n’existe pas dans un groupe qui privilégie la transmission spirituelle en dehors de règles et de pratiques.

Dans la filiation de la quiétude à laquelle s’intéresse cette contribution, de nombreux dialogues se sont répétés, liant « aînés » à « cadets » (pris au sens spirituel), mystiques accomplis à pèlerins en marche sur quatre générations : du Père Chysostome de Saint-Lô (1594-1646) du Tiers-Ordre Régulier franciscain au laïc Jean de Bernières (1601-1659) ainsi qu’à Mère Mectilde (1614-1698) la fondatrice des Bénédictines du Saint-Sacrement dont la longue vie lui fit rencontrer Madame Guyon et Fénelon ; de Monsieur de Bernières au prêtre Jacques Bertot (1620-1681) ; de Monsieur Bertot à Madame Guyon (1648-1717), qui dirigera Fénelon (1651-1715), la duchesse de Mortemart (1665-1750), le pasteur Poiret (1646-1719) et bien d’autres500.

Parmi ces figures, nous avons choisi le dialogue épistolaire entre M. Bertot et sa dirigée Mme Guyon car ils se sont posé le problème de la solitude.

Jeanne de la Motte-Guyon (1648-1717) a d'abord été une jeune fille de la riche bourgeoisie provinciale. Éduquée chez les bénédictines, elle eut la chance de rencontrer la Mère Geneviève Granger (1600-1674) dont la profondeur et le rayonnement l'attirèrent très jeune vers la vie contemplative. Elle menait donc de front la pratique de l’oraison et la vie traditionnelle d’une jeune fille  : elle consacrait plusieurs heures par jour à la prière et faisait des retraites. Mais elle fut arrachée à ce cadre idéal quand on la maria au riche et vieux M. Guyon qui voulait qu'elle lui consacre tout son temps ! Sa belle-mère la surveillait et l'empêchait de prier. Ces contraintes la rendaient malade, engendraient chez elle une immense souffrance et un désir de solitude impossible à satisfaire.

Par bonheur, la Mère Geneviève Granger, qui se sentait vieillir, l'envoya à l'un des plus grands mystiques de son temps, le père Jacques Bertot (1620-1681), qui avait apporté à l’abbaye de Montmartre la spiritualité de l’Ermitage fondé à Caen par Jean de Bernières (1602-1659).

Leur rencontre eut lieu le 21 septembre 1671. C’est une date essentielle pour elle. Aussi elle en rapporte précisément les circonstances assez inhabituelles501 :

Il faut que je rapporte par quelle providence je le connus la première fois. Il était venu pour la Mère Granger [supérieure des bénédictines de Montargis]. Elle souhaitait fort que je le visse ; sitôt qu’il fut arrivé, elle me le fit savoir, mais comme j'étais à la campagne, je ne trouvais nul moyen d'y aller. Tout à coup mon mari me dit d'aller coucher à la ville pour quérir quelque chose et donner quelque ordre. Il devait m'envoyer quérir le lendemain, mais ces effroyables vents de la saint Matthieu vinrent cette nuit-là de sorte que le dommage qu'ils causèrent m'empêcha de retourner de trois jours. Comme j'entendis la nuit l'impétuosité de ce vent, je jugeai qu'il me serait impossible d'aller aux Bénédictines ce jour-là et que je ne verrais point M. Bertot. Lorsqu’il fut temps d’aller, le vent s’apaisa tout à coup, et il m’arriva encore une providence qui me le fit voir une seconde fois…

Mme Guyon se plaça sous son autorité, ce qui nous vaut maintenant de lire leur échange de correspondance. Elle lui confie combien elle souffre dans une belle famille où elle ne peut pas se consacrer à la recherche de Dieu

M. Bertot connaissait bien lui-même cette attirance vers la solitude où l’on pense trouver Dieu plus facilement. Voici la jolie lettre envoyée à Mme Guyon en 1674 où il avoue sa nostalgie502   :

« L’air du monde non seulement est infecté en plusieurs manières, mais encore il n’a nul agrément, comparé à celui de la solitude où l’on goûte en vérité le printemps et une sérénité qui contient le goût de Dieu. Dieu seul est le printemps de la solitude et c’est là qu’on le goûte.

« Il est vrai qu’avant que cela soit et que l’âme ait le calme, le désembarrassement et le reste que Dieu communique en solitude, il faut peiner et travailler, la nature se vidant d’un million de choses qui empêchent l’âme de goûter à loisir cet air doux et agréable d’une solitude calme et tranquille qui, à la suite, lui est vraiment Dieu : car qui fait cette solitude si belle, si sereine, si douce et si agréable, sinon Dieu, qui, se donnant à l’âme et l’âme l’ayant trouvé, elle le goûte et en jouit comme nous jouissons de l’air agréable du printemps, de la beauté des fleurs, de leur odeur plaisante et de tout le reste.

« En vérité, les créatures, et le soi-même encore plus, sont un vrai hiver à l’âme qui y habite, et quand l’âme trouve Dieu, elle trouve le printemps en toute manière par la solitude et l’éloignement du créé, en repos et cessation de tout. Je vous avoue qu’un je ne sais quoi me fait soupirer, avec patience et sans désir, après l’entier dégagement de la manière que Dieu le voudra. »

Et pourtant, Bertot refusa toujours de céder à ce désir, considérant qu'il fallait pratiquer l'oraison là où, selon son expression, « l’ordre de Dieu » l’avait placé. Jamais il n’encouragea Mme Guyon à fuir son environnement, mais au contraire il lui ordonna une pratique qui se révélera plus profonde, car elle transcende les contraires : l’oraison au milieu des contraintes domestiques. Leur échange de lettres montre une jeune femme qui obéit comme elle peut aux instructions de Bertot. Petit à petit, on la voit passer du dégoût d'avoir à veiller un vieux mari et du regret de ne pouvoir prier tranquillement dans sa chambre, à une acceptation paisible. Elle part d'un état où elle croit que toute occupation humaine est une perte de temps en comparaison de la vie en Dieu : ce serait tellement mieux si elle était ailleurs. Or, à sa grande surprise, elle va expérimenter tout le contraire :

« Il m’est arrivé une fois ou deux, parce que je m'y trouvais fort recueillie, de me retirer pour m'en aller faire oraison, croyant aller faire merveilles, et j'expérimentais tout le contraire : c'était une inquiétude et une dissipation qui me peinai [en] t beaucoup et je ne pouvais pas être là en repos, voyant que ce n’était pas l’ordre de Dieu503. »

C'est donc dans la médiocrité du réel que se trouve la perfection, car là, à cet instant, Dieu se manifeste. Bertot approuve cette nouvelle expérience :

« […] dire que la soumission et la subordination à un mari et tout le reste d’une condition soit à une âme éclairée divinement un ordre si divin, il faut l'expérience pour le croire ; cependant cela est vrai. C'est pourquoi vous trouverez toujours, lorsque l'ordre divin demandera quelque chose de vous, que vous trouverez plus Dieu en son exécution qu'à faire oraison ou à vous employer dans les plus divins exercices, car l'un vous est Dieu et l'autre ne vous peut être tout au plus qu'une sainte et vertueuse pratique504. »

Quand l’état de son mari empire, elle sait maintenant rester bien centrée au cœur de la grâce et ne désire plus rien d’autre que ce qu’elle est en train de vivre :

« Depuis dix ou douze jours M. N. [M. Guyon] a eu la goutte. J’ai cru qu'il était de l'ordre de Dieu de ne le pas quitter et de lui rendre tous les petits services que je pourrais. J'y suis demeurée, mais avec une telle paix et satisfaction que je n'en ai expérimentées de même. Quoique tous ces ajustements me soient insupportables, je ne puis désirer autre chose et j'y suis tellement contente que je ne me trouve pas ailleurs de même. Car quand je le quitte pour des moments pour faire quelques lectures ou prières, c’est avec inquiétude de ce que je n’y vois pas l’ordre de Dieu505. »

En acceptant les difficultés comme étant d’origine divine, elle commence donc à ressentir la vie de la grâce, et Bertot en est tout heureux :

« Je ne puis vous exprimer ma joie [en] remarquant que vous commencez de goûter les effets de cette eau vive et que, comme vous dites fort bien, ce qui vous aurait donné la mort et qui vous aurait été insupportable vous est présentement délicieux et que non seulement vous y trouvez la vie, mais une souveraine consolation506. »

Bertot et Mme Guyon à sa suite vivent donc l'intériorité au milieu des tracas de la vie ordinaire et des circonstances où la Providence divine les met. On ne cherche pas à y échapper, on n’en change pas volontairement, car ce serait affirmer une volonté propre :

« La vraie dévotion, écrit Bertot, est de mourir à sa volonté et conduite propre par l’état que la divine Providence nous a choisi, nous laissant entre les mains de la divine Providence comme un morceau de bois en celle d’un sculpteur pour être taillé et sculpté selon son bon plaisir. Il faut bien savoir que cela s’exécute assurément par l’état de votre vocation : les ouvriers qui doivent travailler à faire cette statue sont monsieur votre mari, votre mère, vos enfants, votre ménage507. »

Ce que Bertot pratique et enseigne là, a été énoncé bien avant lui par Ruusbroec (1293-1381) sous le nom de « vie commune ». Chez lui, le mystique n’est pas accompli tant qu’il n’est pas capable de vivre en même temps sur les deux plans, accueillant les mouvements de la grâce divine tout en agissant sur le plan humain. Voici ce qu’il en dit à la fin de La Pierre brillante :

« […] il est un instrument de Dieu vivant et disponible, avec lequel Dieu opère ce qu’il veut et comme il veut ; et il ne s’attribue pas cela, mais il en donne à Dieu l’honneur ; et voilà pourquoi il reste disponible et prêt pour faire tout ce que Dieu commande, et fort et vaillant pour pâtir et supporter tout ce que Dieu établit sur lui. Et c’est pourquoi il mène une vie commune, parce qu’il est également prêt à contempler et à agir, et il est parfait dans les deux508. »

On vit donc comme tout le monde, on ne se réfugie nulle part. Si la solitude vient, c’est qu’elle est voulue par Dieu. Et elle n’est pas toujours agréable, comme par exemple les années de prison pour Mme Guyon. Toute la personne s’abandonne entre les mains de la grâce. Pour le faire comprendre, Bertot utilise la comparaison suivante 

« N’avez-vous jamais pris garde, sur le bord de quelque rivière, comment elle entraîne à son gré par son mouvement propre quelque morceau de bois qui flotte dans l’eau : il ne fait rien et il fait tout, car il se laisse aller au gré de l’eau qui le porte insensiblement jusqu’au plus profond de la mer. Voilà l’exemple d’une âme qui correspond en simple abandon au vouloir divin dans le mal, lequel supplée et contient pour lors tout exercice, de telle manière que souvent même on les perd ; mais encore toutes les lumières, tous les goûts, et tout ce que l’on savait des voies de Dieu s’efface, devenant dénué de tout509. »

La métaphore sera développée par Madame Guyon dans les Torrents510 :

« Pour les âmes du troisième degré que dirons-nous sinon que ce sont comme des Torrents qui sortent des hautes montagnes ? Elles sortent de Dieu même, et elles n’ont pas un instant de repos qu’elles ne soient perdues en Lui. Rien ne les arrête. Aussi ne sont-elles chargées de rien. Elles sont toutes nues et vont avec une rapidité qui fait peur aux plus assurées. Ces torrents coulent sans ordre çà et là par tous les endroits qu’ils rencontrent propres à leur faire passage. Ils n’ont ni leurs lits réguliers, comme les autres, ni leur démarche dans l’ordre. […] ».

De tels textes susciteront l’indignation du clergé, car il y verra la permission de faire n’importe quoi. En réalité, même si ces gens vivaient au milieu de la société, ils menaient discrètement une vie très sérieuse. Témoins les vœux secrets de chasteté et de pauvreté que Mme Guyon confia au duc de Chevreuse511 :

« J’avais fait cinq vœux en ce pays-là : le premier de chasteté, que j’avais déjà fait sitôt que je fus veuve ; celui de pauvreté ; c’est pourquoi je me suis dépouillée de tous mes biens. Je n’ai jamais confié ceci à qui que ce soit. Le troisième, d’une obéissance aveugle, à l’extérieur, à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans, d’une totale dépendance de la grâce. Le quatrième, d’un attachement inviolable à la sainte Église, ma mère, non seulement dans ses décisions générales, où tout catholique est obligé de se soumettre, mais dans ses inclinations, et de procurer le salut de mes frères dans ce même esprit. Le cinquième était un culte particulier à l’enfance de Jésus-Christ, plus intérieur qu’extérieur. Et quoique mon âme ne fût plus en état d’avoir besoin de ces vœux, Notre Seigneur me les fit faire extérieurement et me donna, en même temps, au-dedans, l’effet réel de ces mêmes vœux.

Depuis ce temps, il n’est pas en mon pouvoir de garder de l’argent : je vis avec une entière pauvreté. J’ai eu une obéissance d’enfant, qui ne me coûte rien parce que je ne trouve pas même en ma volonté un premier mouvement de résistance. Je peux dire le même sur tout le reste. »

Ces vœux secrets la situent dans la mouvance du Tiers-Ordre franciscain. L’influence du Tiers ordre franciscain passe du Père Chrysostome de Saint-Lô au laïc Jean de Bernières, de ce dernier au P. Jacques Bertot ; de Bertot à Madame Guyon. On trouve également de nombreux capucins qui influèrent sur eux dont Benoît de Canfield est la figure de proue, « le bon franciscain » Archange Enguerrand, etc.

Le troisième vœu que nous venons de citer nous intéresse directement :

« […] une obéissance aveugle à l’extérieur à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans d’une totale dépendance de la grâce. »

Mme Guyon suit donc exactement la même voie que son père spirituel : un abandon qui nécessite d’instant en instant d’ouvrir sa vie aux impulsions divines. Cette ouverture ne nécessite même pas d’effort : elle n’est pas un acte, mais un état où l’on se perd en Dieu d’instant en instant :

«  […] Remarquez bien que, quand je vous dis que le moment de ce que vous avez à faire ou à souffrir devient Dieu et est Dieu à une telle âme […] j’entends que tout ce qu’elle a à faire ou à laisser, quelque petit ou naturel qu’il soit, comme le travail, la conversation, le boire, le manger, le dormir et le reste d’une vie sagement raisonnable, est Dieu à telle âme et qu’elle doit être et faire ces choses dans les mêmes dispositions sans dispositions, car c’est par état512. »

Le monde entier devient alors signe de Dieu, chaque événement est divin :

« […] il n’y a rien de naturel pour les âmes qui sont assez heureuses de vivre en foi, et qu’encore que les choses arrivent naturellement, tout est divin et conduit par l’infiniment sage Providence. Si bien qu’il ne faut jamais rien regarder naturellement, mais divinement, soit les maladies ou le reste qui nous arrive, tout étant pour la perfection de l’état où nous sommes513. »

Si l’on vit dans un monde où le divin est partout, on ne dépend pas d’un lieu pour trouver Dieu. Se retirer dans un lieu particulier n’a pas de sens. Bertot et Guyon ne veulent plus faire des allées et venues entre vie ordinaire et moments de contemplation : ils cherchent la grande unité, la plongée permanente dans le divin, tandis que l’extérieur est soumis aux aléas voulus par la Providence divine. Leur désir est de passer de la dualité extérieur/intérieur, de l’alternance contemplation/vie ordinaire à l’unité en Dieu sans interruption. C'est le but vers lequel Bertot guide la jeune Mme Guyon, là où Dieu disparaît en tant qu'objet à atteindre, pour devenir la Présence au sein de laquelle on vit :

« […] quand, par dénuement et simplicité, l’âme tombe en Dieu, elle devient sans objet, et ce qu’elle a à faire et à souffrir de moment en moment lui devient Dieu et véritablement lui est Dieu. Heureuse une âme qui est appelée de Sa Majesté pour cette grâce ! Car elle trouve le moyen de jouir de Dieu sans moyen [intermédiaire], par où Dieu peu à peu lui devient toutes choses, et toutes choses lui deviennent Dieu514. »

Cette vie en Dieu a une contrepartie : une solitude toute intérieure, faite de nudité et d’éloignement du créé. C’est une sorte de désert, de mort, car l’on quitte intérieurement ce qui est humain pour vivre dans le divin :

« Cette mort, cette humilité, et cette petitesse ne se trouvent pas dans les écoles et dans les grands traités de Théologie. Ainsi quoique vous voyez quantité de savants vous en trouvez peu divinement éclairés de la Sagesse divine. Elle se trouve en la fuite du monde, en la solitude, en l’oraison et dans les autres petits exercices, qui nous cachent peu à peu à nous-mêmes et aux créatures ; et ainsi insensiblement en nous dérobant de la lumière humaine, nous trouvons la divine, et en nous enterrant en quelque façon tout vivant nous trouvons la mort qui nous perd aux créatures, à nous-mêmes et à l’humain (comme le tombeau nous dérobe nos amis,) pour nous trouver dans la vérité de la foi, qui a et renferme toute vérité ; et de cette manière ces pauvres mourants et morts sont entrés dans les vérités éternelles de Jésus-Christ et des saintes Écritures tout autrement que les savants. Ce n’est pas qu’ils en soient exclus ; au contraire quand ils sont humbles ils ont un secours admirable : car la science est une lumière excellente, étant relevée et divinement éclairée par la foi et ensuite par la lumière divine515. »

Malgré la sévérité de ce texte, il ne faut pas penser que Bertot est attiré par le grand modèle de l'époque qu'est la Trappe. S'il s'incline devant ces héros de la spiritualité, on sent qu'il a quelques doutes sur leur volontarisme et leur orgueil ascétique. Il préfère la modération et quand il analyse sa propre façon de vivre la solitude, c'est avec modestie et réalisme :

« […] en vérité il faut que cela soit bien modéré puisque, quand il y en a plus qu’il ne faut, cela fait toujours un autre tracas et embarras. Heureuses les âmes qui ont le don de la pauvreté absolue, car par là elles ont l’entière solitude sans aucune crainte. Mais c’est une chose que j’admire de loin, me contentant de ma petite grâce et de ma petite solitude. Car selon ce don de pauvreté, la solitude est grande. Pauvreté de biens, d’amis, de créatures : voilà la grande solitude, à laquelle je ne prends part que selon le don de Dieu à mon âme. »

Il termine en appelant Mme Guyon à prendre conscience que tout est « bruit » en comparaison du grand silence intérieur :

« Je prie Dieu de vous y donner et de vous faire bien entendre le grand bruit des créatures, du soi-même et généralement du créé516. »

Lorsque Mme Guyon a succédé à Bertot et pris la direction spirituelle de son groupe, la continuité a été totale. Contrairement à Fénelon qui tentait de convertir les gens, elle a toujours jugé sans intérêt de changer de lieu, d'état ou de religion, car l'essentiel est intérieur : s'abandonner à la volonté du Seigneur et accueillir sa grâce dans une solitude intérieure de plus en plus profonde.

À cause de son rayonnement intérieur exceptionnel, s'est formé autour d'elle un groupe extrêmement soudé, qui a résisté vaillamment aux attaques des pouvoirs ecclésiastique et royal. Ils n’étaient soumis à aucune règle, ils ne formaient pas un ordre, ils ne se sont pas réfugiés dans un bâtiment spécial et ne sont pas partis dans la montagne pour vivre l'oraison. Chacun reste là où Dieu l'a placé, et il se trouve qu'au début, ce lieu de vie fut paradoxalement la Cour de Versailles puisque Fénelon était précepteur du Dauphin et Chevreuse ministre de Louis XIV. Ils se réunissaient discrètement pour pratiquer l'oraison dans les appartements des uns ou des autres517 : Fénelon vivait à trente mètres des Chevreuse !

Mais leur rêve de convertir la Cour fut détruit par la disgrâce royale : Fénelon perdit son appartement, Mme Guyon fut enfermée à la Bastille pendant des années, supportant une solitude imposée. Fénelon subit les attaques de Bossuet et finit sa vie exilé à Cambrai où il recevait et dirigeait discrètement ses amis mystiques518  :

« Vous me direz peut-être, ma bonne D [uchesse], que ce silence intérieur est difficile, quand on est dans la sécheresse, dans le vide de D [ieu] et dans l’insensibilité que vous m’avez dépeinte. Vous ajouterez peut-être que vous ne sauriez travailler activement à vous recueillir. Mais je ne vous demande point un recueillement actif, et d’industrie. […] Il suffit de laisser souvent tomber l’activité propre par une simple cessation ou repos qui nous fait rentrer sans aucun effort dans la dépendance de la grâce. » 

Il se forma à Cambrai un cercle spirituel parallèle à celui de Mme Guyon à Blois, en union avec elle. Nous sont parvenus deux témoignages sur la « vie commune » menée par de paisibles convives traités à égalité par l’Archevêque :

« Moins hagiographique, mais non moins élogieux que Ramsay, l’abbé Ledieu, secrétaire de Bossuet, en fait également une relation détaillée lorsqu’il passe par Cambrai en septembre 1704 […] Avec simplicité l’archevêque bénit la table et prend sa place tandis que chacun s’installe, Ledieu à la droite du prélat. Il y a là des amis, des collaborateurs, des secrétaires et aumôniers, des gens de la famille, un écuyer : quatorze personnes en tout, placées sans hiérarchie, ce qui provoque l’étonnement et l’admiration de l’hôte habitué à moins de modestie chez M. de Noailles ! […] Les échanges sont libres, affables et même gais. Comme tous les vrais pessimistes, Fénelon goûte les petits détails comiques, il aime les gens joyeux, et il fait partager avec douceur son enjouement… 519»

Mme Guyon fut libérée, mais comme elle était surveillée, la seule solution fut d'être accueillie à Blois près de son fils. Des amis de toutes nationalités, catholiques et protestants, vinrent y visiter « notre Mère ». La spiritualité y était très cachée : en apparence, une vieille dame recevait ses amis… Ils étaient forcés de vivre la quintessence de la mystique sans aucune forme extérieure. Dans la plus grande simplicité, la grâce faisait partie du quotidien, comme le raconte ce texte par lequel je conclurai :

« Plusieurs Anglais et Écossais protestants firent connaissance avec elle durant son exil à Blois. Ils avaient aussi vu M. de Cambrai et M. Poiret. Ils se rendirent chez elle et mangeaient à sa table, […] Elle vivait avec ces Anglais comme une mère avec ses enfants […] Souvent ils se disputaient, se brouillaient ; dans ces occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder ; elle ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s'en occupaient en sa présence, et lui en demandaient son avis, elle leur répondait : “Oui, mes enfants, comme vous voulez.”  Alors ils s'amusaient de leurs jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue en Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d'elle.520 »

Voilà donc une expérience de la grâce au beau milieu de la vie ordinaire.

Cette expérience se situe au-delà des contraires, qu’ils soient politiques (Écossais en lutte contre les Anglais en 1715, récit précédent) ou religieux (règles d’exclusion observées entre catholiques et protestants). Le respect des religions n’empêche pas la plongée mystique. Les protestants la vivent en compagnie de « notre Mère » en présence du prêtre catholique envoyé par Mgr Berthier, évêque de Blois ami de l’Archevêque Fénelon, moyennant un peu d’ingéniosité :

« Quand on lui apportait le Saint Sacrement, ils se tenaient rassemblés dans son appartement, et à l’arrivée du prêtre, cachés derrière le rideau du lit, qu’on avait soin de fermer, pour qu’ils ne fussent pas vus parce qu’ils étaient protestants, ils s’agenouillaient et étaient dans un délectable et profond recueillement, chacun selon le degré de son avancement, souvent aussi dans des souffrances assorties à leur état. ».

Si ces mystiques mènent une vie retirée, c'est par nécessité face aux menaces extérieures qui les contraignent à se cacher. Le problème n'est pas pour eux de trouver la vie d'oraison grâce à la retraite hors du monde, mais de se soustraire à l'hostilité du monde envers la mystique.


Bibliographie : sources des citations précédentes et de textes parallèles.

Nous venons d’utiliser des extraits pris au sein des échanges qui lièrent mystiquement madame Guyon à son directeur Monsieur Bertot.

La bibliographie521 qui suit donne les sources de nos citations. Elle ouvre également accès à des échanges antérieurs (P. Chrysostome, Bernières, Mère Mectilde) et postérieurs  (Guyon et disciples, puis « chrétiens intérieurs » du Siècle des Lumières. Limpact de ces échanges entre membres de l’école est de même forte intensité si l’on s’intéresse au vécu mystique intime. Leurs expressions s’avèrent souvent « étrangement » semblables [selon un érudit, Guyon « plagia » Bertot]. Ces échanges multiples ont surtout permis de maintenir une filiation vivante sur près de deux siècles.

Les références bibliographiques sont attachées en notes par figures précédemment citées. L’ordre chronologique  se trouve respecté et l’on observe comment elles ont tour à tour œuvré pour éviter la disparition d’une vie mystique commune. Les « partages » eurent successivement lieu aux Ermitages de Caen522 puis de Québec523, au couvent de Montmartre, à Paris, au sein même du château de Versailles, à Blois, à Cambrai, enfin hors du Royaume.

Les écrits du Père Chrysostome de Saint-Lô524 furent préservés par Jean de Bernières qui l’édita à ses frais à Caen525. Ils incluent des échanges entre eux deux526. Mère Mectilde527 obtint difficilement les écrits « de notre bon Père » gardés par des frères du Tiers Ordre Régulier franciscain qui ne l’estimaient guère. Jourdaine de Bernières préserva les lettres de son frère après la réécriture très libre du Chrétien intérieur528 opérée par le co-rédacteur capucin Louis-François d’Argentan. Madame Guyon529 obtint le transfert d’écrits de Bertot530 grâce probablement à l’intervention de la duchesse de Charost ; pendant ses emprisonnements, elle a réussi à faire préserver par des proches ces écrits et les nombreuses lettres reçues directement de son Directeur mystique. L’éditeur Pierre Poiret devenu disciple a rassemblé et publié presque tous les écrits de Madame Guyon531 malgré l’opposition de certains autres disciples [ils se disputèrent sur l’opportunité de publier une Vie par elle-même très véridique donc peu hagiographique — le « récit des prisons » resta manuscrit]. Les bénédictines « filles » spirituelles de Mectilde sauveront durant trois siècles ses lettres et ses « dits » par des copies et recopies multiples, incluant au passage quelques lettres de Bernières, une contribution précieuse qui permet d’évaluer la fidélité de ce qui ne nous est parvenu ailleurs qu’imprimé)532. Enfin d’utiles témoignages sur la vie des « chrétiens intérieurs » sont livrés par des disciples au siècle des Lumières (Fleischbein, Dutoit, Klinckjöström...)533 et en particulier en Écosse534.

Trois vastes recueils épistolaires s’en détachent. Ils se relaient dans une belle continuité : lettres de Bernières de ~1635 à 1659, lettres de Bertot de 1660 à 1681, recueil que nous venons de mettre en valeur, lettres de Guyon de ~1686 à 1717. On y trouve les traces, les preuves et surtout l’essentiel mystique de l’École du Cœur.






SEPT SOURCES BIOGRAPHIQUES

Une lecture annotée du Crépuscule des mystiques de Louis Cognet constitue le « premier pas » avant rédaction d’une biographie de Madame Guyon. D’où ma réédition avec notes de bas de page - celles de l’auteur figurant au fil du texte courant - livrant annotations et corrections de J. Orcibal et mon dialogue avec L.C. 535.

Je ne pense ni devoir ni pouvoir devenir biographe. Ce serait entreprendre un travail inutile si l’on s’en tient à une taille raisonnable, reprenant ce qui a été fait par Cognet qui ouvrit la voie, par Gondal, par la romancière Mallet-Joris et par quelques autres.

Une biographie « longue » existe déjà sous nos yeux536 sous forme de témoignages directs et intenses (Guyon et Dupuy) et d’études portant sur deux décades  (Le Crépuscucle centré sur la période publique auquel succède Les années d’épreuves centré sur les interrogatoires et l’embastillement). Une biographie nouvelle apporterait certes des précisions historiques mais en les accompagnant de gloses qui affadiraient le récit direct.

Par contre une biographie anglaise537 future et la sino-japonaise en cours538 sont les deux travaux requis pour s’ouvrir sur le vaste monde539. Cela en vaut la peine puisque Madame Guyon est une mystique « moderne »540 !

Sept sources de première main :

(1) La Vie par elle-même (augmentée du récit des Prisons), témoignages qui n’ont jamais été pris en défaut,

(2) Le Crépuscule pour sa précision et la maîtrise de son auteur qui ne fut pas seulement un historien541,

(3) Les échanges Bertot-Guyon, Guyon-Fénelon et les témoignages intenses transitant par Chevreuse puis par la « petite duchesse » de Mortemart (dans les trois tomes de Correspondances parus chez Champion et dans la présente série Opus Guyon.

(4) Les années d’épreuves y apportent ordre chronologique et y ajoute les interrogatoires.

(5) La Relation par Dupuy au présent tome542. C’est le témoignage unique d’un intime aux deux associés : homme de confiance de Guyon (le disciple règle des problèmes d’argent) puis de Fénelon (le copiste et correcteur de précieux cahiers de lettres de Mme Guyon accompagne le ‘cher neveu’ marquis de F. entre Cambrai et Barèges en passant par Blois).

S’y ajoutent :

(6) Présentations et anthologies assemblées par Madame Gondal (Millon, Grenoble)

(7) Contributions en deux « Rencontres autour de Madame Guyon », tenues à Thonon (actes parus en 1997) puis à Genève (actes sous presse ? Covid !)

(8) études et notes de J. Orcibal qui ont éclairées des événements essentiels.

Ces sources limitées (!), ignorant ce qui va au-delà de Guyon soit « le Quiétisme » à l’immense production devenue poussière, obligeront un futur biographe à ne pas commettre moins d’un millier de pages !

Un tel volume pourrait suivre au plus près la chronologie en privilégiant les témoignages d’époque - par bon emploi de la présente série « chronologique » tomes 1. à 14. Soit :

1648-1681 (33 années bien sûr !)

Vie I jeunesse + Lettres Bertot-Guyon = la formation mystique

1682-1695 (14 années ‘visibles’)

Vies II et III maturité [appui Crépuscule] = la décennie combative

1696-1703 (8 années)

Années d’épreuves [appui Rencontres] = l’échec humain

1703-1717(14 années ‘discrètes’)

Lettres à Fénelon et aux disciples = la liberté mystique


CHRÉTIENS INTÉRIEURS HORS CONFESSIONS

Les ‘sectaires’ - Anabaptistes compromis par Thomas Münzer puis ‘sauvés’ par Menno Simons, sociniens, collégiants, membres d’autres groupuscules, puis plus tard piétistes et quiétistes - ne sont pas reconnus par les grandes confessions catholique, luthérienne, calviniste. C’est le « troisième » monde du domaine ‘spirituel’ !

Sans frontière, il est souvent confondu avec des excentriques, des révolutionnaires (Münzer), des médecins et des alchimistes, des maçons, etc. Leurs auteurs restent méconnus puiqu’ils ne peuvent s’adosser à des structures – Ministères protestants , Ordres catholiques - qui puissent les accueillir puis défendre leur apport après disparition.

Parmi les sectes, les Quakers ont eu un comportement d’ouverture irréprochable depuis quatre siècles (pacifistes, anti-esclavagistes, venant en aide aux défavorisés).

Mais leur rejet de toute pratique autre que la simple présence au sein d’un cercle de prière en silence, l’absence de ‘conversion’ suggérée, d’églises ou de temples, n’ont pas favorisé une croissance quantitative – ils sont moins de trois cent mille dans le monde, moins de trente mille en Europe et Amérique du Nord – toutefois résiliants après quatre siècles.

Je place deux études au-dessus de bien des histoires de la mystique marquées par l’appartenance visible de leur auteur à une confession ou s’opposant à toute intériorité ‘spirituelle’ non justifiable. Elle sont l’oeuvre d’un certain Rufus Matthew JONES (1863-1948), quaker qui tenta (vainement) d’unifier leurs communautés divisées en deux branches au XIXe siècle, qui rencontra pour ouvrir une porte de sortie aux juifs le terrrible nazi Heydrich (réussite limitée !), mais heureusement d’autres dont Gandhi543. Voici ces deux ‘découvertes’ bibliographiques relevées parmi d’autres sources infinies en nombre sur le web 544  :

M. JONES, Studies in mystical religion, 1909, 1-497 545 couvre l’histoire chrétienne depuis son origine avec compétence, compréhension et ouverture. L’ouvrage reste solide, mais il ne fut pas traduit d’où ma découverte tardive.

M. JONES, Spiritual reformers in the 16th & 17th centuries, 1914, 1-351 + index 546 présente avec grande précision des ‘chrétiens intérieurs’ hors confessions dont Frank, Castellion, Jacob Böhme, Coornhert, les collégiants hollandais (à Rynsburg!547), Spinoza, Weigel, …, Traherne.

Cette étude approfondie qui présente quelques individus - pas des sectes - vient en quelque sorte en contrepoint au ‘christianisme intérieur’ de la filiation passant par Guyon. Toutefois ces derniers restent profondément fidèles à l’Eglise catholique malgré des condamnations.

SENTENCES PERSANES

Appréciées par Poiret et probablement connues de Madame Guyon.

On sait que Madame Guyon accueillait chrétiens protestants comme catholiques à une époque de tension interconfessionnelle. Son éditeur le Pasteur Pierre Poiret semble avoir apprécié un écho de la vie spirituelle rapporté dans le Voyage en Perse de Chardin publié en 1711.

On trouve à la suite d’une édition des Torrents un choix de Sentences persanes suivies de l’Avertissement suivant : « On a joint ici en guise de suplement une petite piece très estimée de feu le celebre Poiret ; et que surement, il tenait de la même precieuse source, dont lui sont venu [sic] tant d’autres immortels écrits publiés successivement par son entre-mise. Du moins devait-il être bien sur, que l’éditeur des Torrens avoit accordé une grande approbation à cette piece. » [accentuation incertaine respectée]

Madame Guyon aurait ainsi apprécié un écho spirituel provenant du pays où régnait le « Grand Soufi 548», en allant au-delà de la curiosité générale provoquée par une ambassade auprès de notre « Grand Roi » ? Elle pouvait les lire ou se les faire lire dans une retraite à Blois qui s’achève en 1717. L’hypothèse reste incertaine — elle n’est pas confirmée dans quelque lettre qui nous soit parvenue. On sait que Poiret, fidèle à « notre Mère » et fort apprécié d’elle sinon de tous les « cis », n’aurait mis en péril ses disciples par une juxtaposition qui pouvait être scandaleuse pour certains. Que s’est-il passé ?

La recherche opérée sur les éditions conduit à deux textes de même corps et même paginations donc de même imprimeur. On relève quand même un léger décalage de ligne, indiquant une reprise d’impression : Poiret a disparu en 1723, mais ses proches poursuivirent son œuvre, par exemple en éditant Bertot en 1726 soit trois ans après sa mort. Ils auraient réédité les Opuscules spirituels en incluant la « petite pièce très estimée » de leur ami.

La dernière page 272 des « Torrents » diffère en effet en bas de page par « SEN —» (repère d’imprimerie pour « Sentences » qui suivent dans de rares éditions découvertes par Jean Bruno, conservateur à la B.N. : un exemplaire à la B.N. de Versailles, un autre à la Bibliothèque d’Orléans) ou par « TA —» (Pour « Table des chapitres » qui suivent dans l’édition  de 1720 courante : nombreux liens sous Google books). La rareté des exemplaires « SEN —» explique que l’on ignore cette preuve d’un intérêt œcuménique !

Les « Sentences persanes » couvrent les pages 273 à 283 l’avertissement suivant en 285 non paginée.

c’est un choix opéré dans Chardin. Dans (mon) édition de 1723 faite à Rouen, on relève : tome V pages 165 à 189 s’achevant sur un renvoi à des inscriptions relevées au tome précédent III pages 53 à 72… Je n’ai pas fait une comparaison qui serait certainement éclairante.

Extraits (12 sur 42) :

« La source du plaisir est dans le sein de l’objet aimable. Pour moi je ne travaille à autre chose qu’à me jeter à corps perdu dans cet abîme.

« Ser vir Dieu par intérêt c’est un service de marchand, par crainte est un service d’esclave ; par amour, c’est un service d’homme libre.

« En cet océan mille navire ont coulé bas dont on n’a pas trouvé une planche sur le rivage. Quel profit de passer les jours et les nuits la tête inclinée sur cet abîme !

« A un de ces oiseaux de Paradis, on couvre les yeux comme à un faucon. Et à celui à qui on laisse les yeux ouverts les ailes sont coupées. Personne n’a trouvé le chemin pour aller à ce trésor, car si quelqu’un l’a trouvé il s’est perdu.

« Une goutte d’eau tomba de la nue dans la mer ; elle demeura toute étourdie en considérant l’immensité de la mer. … Surement où la mer est, je ne suis qu’un vrai rien… elle devint la perle fameuse de la couronne du Roi.

« Rien n’est plus intime à l’homme que Dieu, et rien cependant qui lui soit moins connu ; chose étrange !

« Celui qui s’embarque dans la contemplation de l’Unité de Dieu, après avoir vogué longtemps sur l’océan de la multiplicité des êtres, arrive au port de cette Union, qui rassemblant tous les objets différens n’en fait plus qu’un/

« L’Unité ne se trouve que dans ce qui est nécessaire et éternel…

« L’Amour est proprement une pente et une inclination au seu l et véritable Bien, pour sa souveraine beauté… Lorsque Dieu contemple sa propre esssence dans le miroir de son essence même, sans le milieu d’aucune autre substance, c’est alors qu’il produit de toute éternité ce premier amour.

« [sur un tombeau d’un Roi de Perse] Tout ce qui n’est pas Dieu n’est rien.

« L’Amant qui se plaint d’être séparé de son objet et voudrait vivre toujours dans l’union et la puissance, n’est pas véritable amant ; puis qu’il ne se résigne pas au bon plaisir de ce qu’il aime.

« Le comble du plaisir est d’être uni à l’objet qu’on aime. Pour moi je ne travaille à autre chose qu’à me jeter à corps perdu dans cet abîme.



TABLE DES MATIERES


Table des matières

3

ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES 5

6

S’agit-il de madame Guyon ou de sa fille? (Dessin découvert par Jean Bruno.) 6

Au sein d’un cercle mystique 7

Naissance — Milieu familial — Jeunesse 9

Archange Enguerrand (1631-1699), « le bon franciscain ». 11

Geneviève Granger (1600-1674). 13

La Mère Bon (1636-1680), ursuline. 15

Transmission : Monsieur Bertot dialogue avec une dirigée… 23

Maur de l’Enfant-Jésus (1617-1690) disciple de Jean de Saint-Samson (1571-1636) 42

Le P. La Combe (1640-1715), confesseur. 43

Voyages 49

Malaval (1627-1719), l’aveugle de Marseille. 51

La succession de Bertot 52

La chasse et les prisons. 58

Chronologie 66

Les familles 90

1. Famille BOUVIER de la Mothe (ou MOTTE) : 90

2. Famille LE MAISTRE de LA MAISONFORT : 91

3. Famille GUYON : 92

4. Les familles FOUQUET & CHAROST-BETHUNE apparentées GUYON : 94

5. Les trois sœurs COLBERT, duchesses de BEAUVILLIER, CHEVREUSE et MORTEMART : 95

6. Les deux FéNELON 96

Résumé analytique de la « Vie par elle-même » 98

Études ciblées 137

Affaire Cateau Barbe : 139

Correspondance éditée par Levesque. 141

Divers écrits de Madame Guyon (ms. 2057). 143

Fénelon : Explication des Maximes des Saints (1697) : 149

Laurent de la Résurrection et son œuvre. 151

Liste d’abréviations et de surnoms : 153

Manuscrits  155

Relations et autres pièces biographiques. 157

Soumissions et attestations vues par Levesque.  157

Glossaire 163

ACCÈS À L’ŒUVRE 171

1.1. Sources manuscrites 171

I. Noye, État documentaire des manuscrits 171

« double » informatisé des manuscrits 172

1.2. Éditions parues au XVIIe siècle [note]. 173

1.3. Édition Poiret au début du XVIIIe siècle. 175

[1713] Le Nouveau Testament 175

[1714-1715] Les livres de l’Ancien Testament 176

[1716]  Discours 178

[1717] L’âme amante 178

[1717-1718] Lettres 178

[1712, 1720] Les Opuscules 179

[1720] La Vie 180

[1720] Les Justifications 180

[1722] Poésies et Cantiques 180

[1726] Le Directeur Mistique. Oeuvres spirituelles de M. Bertot 181

1.4. Réédition Dutoit à la fin du XVIIIe siècle. 183

[1767-1768] : Lettres 183

[1790]  Discours 184

[1790]  Justifications 184

[1790]  L’Âme amante 185

1.5 Mise à disposition d’éditions du dix-huitième siècle 187

1.6 Rééditions modernes 189

1.8 Relevé de liens vers Google Books 191

La Vie 191

Opuscules 192

Lettres 193

Justifications 194

Discours 195

Poésies 195

Bible 196

Poiret 202

Fénelon 204

Par où commencer ? 205

TÉMOIGNAGES 207

[1697?] Abrégé de la vie de Madame Guyon par le Duc de Chevreuse 209

[ « Il est juste Monsieur de vous expliquer les raisons... »] 209

[« elle a un don particulier de communiquer la grâce »] 211

[« il se présenta la nuit en songe une petite religieuse fort contrefaite... »] 212

[« Elle consulta M. Bertaut...] 214

[1733] Relation par Isaac Dupuy 217

Présentation de Monsieur Dupuy (D.Tronc) 217

Homme de confiance 217

[dialogue avec Fénelon de 1710] 219

Deux précieux manuscrits 221

Relation du différend entre Bossuet et Fénelon 221

[Madame Guyon et Saint-Cyr] 223

[M. Boileau de l’Archevêché – Sœur Rose] 225

[Madame Guyon se retire et demande un examen] 226

[Remise de la Vie à Bossuet - Conférence] 227

[Madame de Maintenon — « horrible déchaînement »] 229

[« Qu’on lui fasse son procès »] 230

[Examen par M. de Meaux ?] 232

[Les Justifications] 233

[Madame Guyon à Meaux — Fin de l’Affaire ?] 235

[Une Attestation à substituer ?] 238

[Fénelon défend Mme Guyon auprès de Mme de Maintenon] 240

[« Rien ne pouvait la calmer… » — Le confesseur Pyrot] 244

[Bossuet entreprend d’écrire] 246

[Fénelon évite le piège d’une « collaboration »] 248

[« Un dessin diabolique qui était l'âme de tous ses livres »] 249

[« Il ne restait plus à Monsieur de Cambrai qu'une seule ressource, c'était d'écrire… »] 250

[Monsieur de Paris après avoir vu l'ouvrage… où il a paru depuis sous le titre de Maximes des saints] 253

[Madame Guyon était le motif secret de cette division]  257

[M. de Cambrai lut son mémoire article par article à M. de Paris en présence de Madame de Maintenon] 259

[Monsieur de Meaux et ses émissaires assuraient que ce livre était une apologie secrète de Madame Guyon] 265

[La disgrâce de M. de Cambrai devenue publique] 270

[M. de Cambrai comme un second Molinos] 272

[Sitôt que l'affaire avait été portée à Rome, M. de Meaux écrivit à Monsieur l'Abbé Bossuet] 273

[M. le duc de Beauvilliers insista, du moins pour qu'on leur laissât leurs pensions…] 281

[Le livre fut remis entre les mains des consulteurs du Saint-Office] 284

[Sitôt que M. de Cambrai apprit la décision du Saint-Père, il se mit en devoir d’exécuter ce qu’il avait promis] 290

ÉTUDES (J. Baruzi, L.Cognet, J.Orcibal, autres références) 295

[1931] Jean BARUZI, SAINT JEAN DE LA CROIX […] 297

[1967] GUYON (JEANNE-MARIE BOUVIER DE LA MOTTE) par L. Cognet, Dictionnaire de Spiritualité. 305

I. BIOGRAPHIE 306

1° Années de formation et mariage. 306

2° Initiation spirituelle et veuvage. 308

3° Le temps des grandes aventures. 313

4° Saint-Cyr, Fénelon et l’affaire du quiétisme. 323

5° L’exil et les dernières années. 332

2. ŒUVRES 336

3. SPIRITUALITÉ 341

1° Personnalité et sources. 341

2° Anti-intellectualisme et oraison du cœur. 343

3° L’anéantissement et l’abandon. 345

350

[1978] Jean ORCIBAL Préface aux Opuscules spirituels 350

INTRODUCTION 350

PRINCIPALES VARIANTES 355

DES EDITIONS DES TORRENTS DE 1712 ET 1720 355

PREMIÈRE PARTIE 355

SECONDE PARTIE 360

MOYEN COURT 363

COURTE APOLOGIE 365

CANTIQUE DES CANTIQUES 365

RÈGLE DES ASSOCIÉS 366

PIÈCES DIVERSES 367

NOTES 367

Quelques autres références 371

Choix « d’incontournables »  371

Une filiation incluant madame Guyon 372

À la suite de Mme Guyon 372

www.cheminsmystiques.fr 373

ÉTUDES (D. Tronc) 375

L’EXPÉRIENCE « QUIETISTE » DE MADAME GUYON [Mélanges Carmélitains] 377

I Le vécu et son cadre. 377

Aperçu biographique. 377

Les contraintes de l’époque, causes de ces épreuves. 381

Le « Quiétisme » historique. 383

Le « Quiétisme » mystique. 385

II L’œuvre. 387

Une excellente préservation d’écrits méconnus. 387

Trois volets : expérience, enseignement, tradition. 389

Un enseignement qui couvre trois longues périodes de la vie mystique. 391

III Un choix de textes. 392

UNE PRÉSENTATION DE JEANNE-MARIE GUYON [La Théologie —Une anthologie, 4.] 409

Avertissement destiné aux Pasteurs et prédicateurs. 410

Explication de la première Béatitude. 413

UNE FILIATION MYSTIQUE : CHRYSOSTOME DE SAINT-LÔ, JEAN DE BERNIÈRES, JACQUES BERTOT, JEANNE-MARIE GUYON [Dix-septième siècle, 2003] 417

Les origines. Jean-Chrysostome de Saint-Lô, directeur de Jean de Bernières. 419

Jean de Bernières, directeur de Jacques Bertot. 422

Jacques Bertot, directeur de Jeanne-Marie Guyon. 427

Madame Guyon et ses dirigés. 443

Une école mystique française. 446

MADAME GUYON AU CENTRE D’UNE FILIATION MYSTIQUE [Genève 2017] 449

Contribution à « Madame Guyon, Mystique et politique à la Cour de Versailles, à l’occasion du troisième centenaire de sa mort » 449

ANNEXES 476

Liste de proches : réseau normand, puis parisien, enfin européen : 476

DEUXIÈME NŒUD des proches de Mme Guyon et de Fénelon et de leurs disciples : 477

MADAME GUYON AT THE CENTRE OF A MYSTICAL TRANSMISSION 479

CONTEMPLATION ET VIE ORDINAIRE CHEZ M. BERTOT ET Mme GUYON [Paris, CRESC 2019] 511

SEPT SOURCES BIOGRAPHIQUES 528

CHRÉTIENS INTÉRIEURS HORS CONFESSIONS 532

SENTENCES PERSANES 534

Appréciées par Poiret et probablement connues de Madame Guyon. 534

TABLE DES MATIERES 538

fin 543


fin

1 La vie admirable de Marie des Vallées et son abrégé suivis des Conseils d’une grande servante de Dieu, Sources mystiques, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, 2013.

2 Sinon indirectement, s’adressant à un étranger : « Je vous envoie une lettre d’un grand serviteur de Dieu [Bertot], qui est mort il y a plusieurs années : il était ami de monsieur de Bernières, et il a été mon directeur dans ma jeunesse. » (Lettre au Baron de Metternich, [CG I], pièce 425). — Madame Guyon s’appuie par contre sur une autorité du début du siècle qui ne fut jamais mise en cause, celle du grand carme aveugle Jean de Saint-Samson (1571-1636) qu’elle découvrit probablement par l’intermédiaire de son disciple Maur de l’Enfant-Jésus.

3 A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, 115-118 : l’« Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit », nous mène à la fin du siècle des Lumières.

4 La Vie par elle-même…, op. cit., 1.8.6 à 1.8.9.

5 La Vie… 1.12.7.

6La Vie… 1.13.3, 1.14.5, 1.17.6, 1.17.7, 1.19.9, 1.19.10, 1.23.3, 1.20.7, 1.20.6, 1.22.7. Voir infra section sur la Mère Granger.

7Reproduite infra.

8 L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958, analyse, sous un titre pour le moins incomplet, car l’autocensure s’imposait encore au milieu du siècle dernier pour un sulpicien, la première partie « publique » de la vie de Madame Guyon. En effet le récit qui la concerne directement couvre la moitié du texte soit 197 pages (sur un total de 396) tandis que les pages 9 à 55 introduisent au mysticisme du XVIIe siècle ; le reste (env. 150 pages) implique Fénelon et les adversaires… La suite annoncée page 7 ne put être réalisée par suite de la disparition précoce de l’abbé. L’analyse de la « période publique » est précise, claire, exacte (dans le cas d’une réédition, on devra toutefois tenir compte de corrections notées par J. Orcibal sur un exemplaire disponible aux A. S.-S — et photographiée dans notre base de données). L’autre source, DS 6.1306-1336, art. Guyon (1967), rétablis pour la première fois cette femme comme authentique mystique au sein du catholicisme français. Enfin Cognet conseilla la perspicace Mallet-Joris.

9 Les années d’épreuves de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien…, Dominique Tronc, Paris, Honoré Champion, 2009.

10 F. Mallet-Joris, Jeanne Guyon, Flammarion, 1978 [pour le contexte social de l’époque à la Cour]; M.-L. Gondal, Madame Guyon, un nouveau visage, Beauchesne, 1989 [résumant sa thèse : L’Acte mystique, 1985].

11 L. Cognet, op.cit. ; J. Orcibal, in Etudes… op.cit. : “Le Cardinal Le Camus témoin au procès de Madame Guyon” (1974), 799-818 ; “Madame Guyon devant ses juges” (1975), 819-834 ; “Introduction à Jeanne Marie Bouvier de la Mothe-Guyon : les Opuscules spirituels” (1978), 899-910 - M.-L. Gondal, Madame Guyon (1648-1717), un nouveau visage, op.cit. - Rencontres autour de la Vie et l’œuvre de Madame Guyon, Grenoble, Millon, 1997. - D. Tronc, présentations distribuées dans les éditions de l’œuvre, Honoré Champion, six tomes, 2001-2009. - Madame Guyon, Mystique et politique à la Cour de Versailles, à l’occasion du troisième centenaire de sa mort, Genève, 2017, Actes à paraître.

12 Les citations sont extraites de La Vie par elle-même.

13Cette belle figure de religieuse, présentée dans Expériences… II, « Une succession de bénédictines… », 106-110, fut son soutien et son premier guide intérieur.

14 Expériences… II, « 4. Franciscains, Archange Enguerrand… », 337-352.

15 Expériences…, II, 4. Franciscains, Franciscains récollets, Archange Enguerrand, 337 sq.

16 Enguerrand se fait ici l’écho de son père spirituel, le « simple vigneron » Jean Aumont, qui écrivait : « Et partant, toujours chercher Dieu et ne le point trouver, c'est toujours semer et ne point recueillir ; et cela parce qu'on le cherche mal en le cherchant au-dehors, et c'est au-dedans qu'il se donne. » (L’ouverture intérieure du royaume de l’Agneau occispar un pauvre villageois…, 1660, 558).

17 interdiction : trouble, étonnement, surprise.

18 Vie 1.8.6-7.

19 Vie 4.1 [3.20.6 dans les anciennes éd.].

20André Derville, S.J., « Un Récollet Français méconnu : Archange Enguerrand », Archivum Franciscanum Historicum, 1997, 177-203.

21 On notera la symbolique affective illustrée par les belles gravures de l’Agneau occis du « simple vigneron » : « Le cœur purifié et vidé de l’amour propre est dans son fond le lieu de l’union à Dieu. »

22 Maurice Le Gall de Querdu (1633-1694), auteur attachant de L’Oratoire du cœur ou méthode très facile pour faire oraison avec J. C. dans le fond du cœur, utilisait des images naïves et symboliques, proches de celles utilisées par Vincent Huby et de missionnaires en Bretagne. Voir DS 9 529.

23 Instruction pour les personnes qui se sont unies à l'esprit et au dessein de la dévotion de l'adoration perpétuelle du Saint-Sacrement établie dans la congrégation des religieuses bénédictines… qui est de faire réparation d'honneur et amende honorable à Jésus-Christ, Paris, 1673.

24 Expériences… II, « 2. Traditions…, Une succession de bénédictines réformatrices, Trois bénédictines à Montargis, Geneviève Granger…, 106 sq.

25 La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, op.cit. — Références données par la séquence des numéros : section/chapitre/paragraphe.

26 Madame Guyon, Vie par elle-même, 1.27.8 (première partie, chapitre 27, paragraphe 8).

27 La Vie de la Mère Marie Bon de l’Incarnation, religieuse Ursuline de Saint Marcellin, en Dauphiné, où l’on trouve les profonds secrets de la conduite de Jésus-Christ sur les âmes, et de la vie intérieure, par le P. Jean Maillard, S.J., à Paris chez Jean Couterot et Louis Guérin, 1686, d’où nous tirons des extraits. — Le Journal des illustres religieuses de l'ordre de sainte Ursule […] tirées des Chroniques… section : « 19e mars. La V. Mère Marie de l'Incarnation, Bon, […] de S. Marcelin en Dauphiné », 348-355, parle des « parloirs remplis de tous sexes et de toutes conditions, qui tous venaient la consulter… ».

28 Bremond, Histoire…, tome V, « Conquête… », 342-344 (longue note sous le nom de Maillard, consacrée en fait à Marie Bon) ; Bremond signale qu’il eut en main un Traité de la direction… attribué par un lecteur à Mme Guyon ! V. aussi tome VI, « Turba magna », 421.

29 La Vie de la Mère Marie Bon…, op.cit., 10.

30 La Vie de la Mère Marie Bon…, op. cit., 125-126.

31 Je reprend partiellement ma contribution au Colloque des vingt ans du Centre de recherches et d’études de spiritualité cartusienne : « Du monde au désert, l’aspiration à la solitude au XVIIe siècle », 21 mars 2019.

32 Jean de Bernières et l'Ermitage de Caen, une école d'oraison contemplative au XVIIe siècle. Lettres & Maximes. Tome I 1631 – 1646/Tome II 1647 – 1659, Édition critique présentée par Dom Éric de Reviers, o.s. b., Étude par J.-M. Gourvil, H.C., 2018 ; en instance de publication chez Honoré Champion.

33 Jacques Bertot Directeur mystique, op.cit. ; Monsieur Bertot, Écrits mystiques, op.cit.

34 [CG I, CG II, CG III]


35 Lettre 30, 1674 (?), [CG I], 107.

36 Lettre 26, Ibid., 100.

37 Lettre 27, Ibid., 101.

38 Lettre 28, avant octobre 1674. Ibid., 103.

39 Lettre 29, Ibid., 105.

40 Lettre 24, Ibid., 92.

41Ruusbroec l’Admirable, La Pierre brillante, Traduction et commentaire par le P. Max Huot de Longchamp, coll. « Sources mystiques », Centre Saint-Jean-de-la-Croix — Éditions du Carmel, 2010, 2.1.3. « Conclusion sur la vie contemplative », 43-44.

42 Lettre 34. Avant 1678, Ibid., 118.

43 Madame Guyon, Œuvres mystiques, Honoré Champion, coll. Sources Classiques, Paris, 2008, section « Les Torrents », Chapitre IV, 167.

44 L’influence du Tiers Ordre franciscain passe du R. P. Chrysostome de Saint-Lô au laïc Jean de Bernières, de ce dernier au P. Jacques Bertot ; de Bertot à Mme Guyon ; de Guyon à (?) Marie-Anne de Mortemart.

45 [CG I], Lettre 22, 1672.

46 Lettre 34. Avant 1678.

47 Lettre 22, 1672.

48 J. Bertot, Opuscule III, « Profondeur des saints évangiles », § 11.

49 Lettre 30, 1674 (?)

50 Université de Genève, 23-25 novembre 2017, Colloque « Madame Guyon. Mystique et politique à la Cour de Versailles » en instance de publication. Contribution par Mathieu da Vinha : « Mme Guyon et les réseaux à la cour de Versailles à la fin du XVIIe siècle (ca. 1685-1700) » [avec plan des appartements  situés dans l’aile gauche du château à proximité de Madame de Maintenon et du Roi].

51 Fénelon mystique, section « Duchesse de Mortemart », 297-352, coll. « Chemins mystiques» , H.C. - Marie-Anne de Mortemart 1665-1750, La « Petite Duchesse » en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu », coll. « Chemins mystiques », lulu.com ; E-pub téléchargeable sur www.cheminsmystiques.fr

52 Jeanne-Marie Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Honoré Champion, Paris, 2001, 2014, « Supplément à la Vie », 1005-1006.

53 La Vie… 1.19.1 (leçon du ms. d’Oxford ; 1.19.2 chez Poiret).

54 DM II, lettre 6, p. 29 ; [CG I] lettre n23 ; Jacques Bertot Directeur mystique, op.cit., 58-59.

55 DM IV, Lettre 4.75.

56 Lettre 3.65. Réponse : arriver en Dieu, son centre.

57 Lettre 3.33. La mort à soi.

58 Lettre 4. 79. Tendre à Dieu en lui-même.

59 Cf. Jean, 12, 32.

60 DM IV, lettre 75, 247.

61 Lettre 4.71. [2e lettre]. Silence devant Dieu.

62 Lettre 3.32. Se voir en Dieu.

63 Lettre 4. 72. Béatitude en cette vie.

64 Expériences… II, « 2. Traditions…, La réforme du Carmel français par Jean de Saint-Samson et ses disciples », 133 sq. – Jean de Saint-Samson, Le vrai esprit du Carmel, Œuvre assemblée par le P. Donatien de S. Nicolas. Sources manuscrites, par Dominique Tronc avec une étude du P. Max Huot de Longchamp, Éd. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, coll. « Sources mystiques » ; Maur de l’Enfant-Jésus, Écrits de la maturité 1664-1689, coll. « Sources mystiques », Toulouse, Éditions du Carmel, 2007, & Entrée à la Divine Sagesse, Ibid., 2008.

65 Maur de l’Enfant Jésus, [CG I], 41-44 pour leur introduction, et 50-74 pour leur édition reprise du Directeur mystique, tome IV, pages 265 à 309, « Seconde partie, / contenant/ Quelques Lettres Spirituelles du R. P. Maur de l’Enfant Jésus et de Madame Guyon,/ qui n’ont point encore vu le jour. / Première section ou/ Lettres du R. P. Maur de l’enfant Jésus, Religieux Carme (Ces lettres sont écrites à une même personne et dans le même ordre). »

66 François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Épreuves du Père Confesseur de Madame Guyon. Étude et Écrits restitués par D. Tronc, coll. « Chemins mystiques », 2016, 648 p. Présente et rassemble l’opus complet du mystique à l’exception d’écrits italiens qui seraient disponibles dans des archives barnabites piémontaises.

67 Thèmes abordés dans la Vie par elle-même : 2.3.7 (guérison), 2.5.9 (père en croix), 2.6.8 (droiture), 2.7.11 (maternité spirituelle), 2.10.1, 2.11.4 (« je voyais jusque dans le fond de son âme »), 2.11.6 (sa voie changée en voie de foi), 2.11.8, 2.12.1, 2.12.8 (« à près de cent lieues je sentais ses dispositions », union en croix), 2.13.3 (rêve), 2.13.4,12 (communication), 2.14.4 (guérison au bord de la mort), 2.15.4 (union en croix), 2.15.8 (incompréhension), 2.20.4 (communication), 2.22.7 (communication en croix), 3.1.2 (union en unité), 3.8.3 (communication de prison).

68 François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Épreuves […], 1re lettre du P. La Combe et du Sieur de Lasherous, 10 octobre 1695, 337.

69 Les années d’épreuve de Madame Guyon, Emprisonnements et interrogatoires sous le Roi Très Chrétien, Documents biographiques rassemblés et présentés chronologiquement par D. Tronc. Étude par Arlette Lebigre. Paris, Honoré Champion, coll. « Pièces d’Archives », 2009, 173.

70 ms. TP 5140/2, publié comme Voyes de la Vérité à la vie, 1795.

71 Romains 8, 26 (réf. reprises de l’éd. 1795).

72 I Cor. 12, 31.

73 Poète chrétien (348-après 405) très lu au Moyen Âge.

74 Luc 18. 1 ; I Thessa. 5, 17 ; Ps. 15, 8 et 45 ; vs. 11 et 72 vs. 28 Vulg.

75 Proverbes 3, 6.

76 I Jean 5, 15.

77 Deutéronome 4, 29.

78 Ce qu’atteste « la donation faite par Monsieur l’Abbé Bertot dont 3000 L[ivres] t[ournois] étaient destinées pour amortir 150 L [ivres] t [ournois] de rente aux petits pauvres renfermés et aux nouvelles catholiques » (Archives Eudistes, Fonds du Chesnay).

79 « Il [le comte de Fénelon] prit ce livre [le Moyen court], il le condamna d'abord, et alla soulever une partie de la ville, entre autres soixante-douze personnes, qui se disent ouvertement les soixante-douze disciples de M. de Saint-Cyran. Je n'étais arrivée qu'à dix heures du matin, et il n'était que quelques heures après midi que tout était en rumeur contre moi. Ils allèrent pour cela trouver Monsieur de Marseille [Charles-Gaspard-Guillaume de Vintimille], lui disant qu'à cause de ce petit livre il me fallait chasser de Marseille. Ils lui donnèrent le livre, qu'il examina avec son théologal, et qu'il trouva fort bon. Il envoya quérir Monsieur de Malaval et un bon père récollet […] Il me pria de rester à Marseille, qu'il me protégerait, il me fit même demander où je logeais pour me venir voir. » (Madame Guyon, Vie, 2.23.3).

80 DS 10 155.

81 [CG II], pièce 504, « Mémoire sur le quiétisme, enquête adressée à madame de Maintenon », 816.

82 Madame Guyon, Oeuvres mystiques, Honoré Champion, 2008, « Discours spirituels, 2,68 Communication de cœurs et d’esprits », 734.

83 Guyon, La Vie par elle-même…, op. cit. : 2,11, 2,13, 2,17 à 2.20, 2,22, 3,8, 3,10.

84 v. Le Saint Évangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, Tome II, chap. XVIII, versets 19 & 20.

85 [CG I], lettre 248 à Fénelon écrite en avril 1690.

86 Ibid., lettre 249 de Fénelon du 11 avril 1690 (& J. Orcibal, [CF], tome II, Paris, Klincksieck, 1972, Lettre 111).

87 Ibid. lettre 248 - Madame Guyon était alors malade. Elle vivra jusqu’en juin 1717 tandis que Fénelon meurt en janvier 1715.

88 Les trois forts volumes de la Correspondance parus chez Honoré Champion témoignent d’une vie mystique vérifiée dans les tribulations, caractérisée par une entière disponibilité à la grâce. Le Tome II Années de Combat fournit le dossier des pièces qui manquaient jusqu’à maintenant pour étudier précisément la « querelle » lors des années publiques.

89 En s’inspirant du récit de synthèse ouvrant Les années d’épreuves…, op.cit., période « invisible » de la vie de Mme Guyon. — Les archives, extraits de lettres rédigées à chaud, les interrogatoires, le « Récit des Prisons », révèlent l’intensité d’une « épreuve obscure » égale à celles de prisonniers des dictatures modernes.

90 La Vie par elle-même, chapitre 3.21 (ms. signé « décembre 1709 »).

91 Dans l’aile gauche du château de Versailles.

92 La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, op.cit., 2001, 2014.

93 R. Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1943 ; Genève, 2000. Le mot d’ordre de Guy de la Brosse, « la vérité et non l’autorité », n’était pas réalisable en pratique.

94 Au vu des détails rapportés par elle-même et très certainement commentés, voire « améliorés » par le demi-frère ennemi Dominique de la Mothe, fort bien informé puisqu’il appartenait au même ordre des Barnabites que le confesseur La Combe : « J'étais dans ce couvent, et je n'avais vu le Père La Combe que ce que j'ai marqué. Cependant on ne laissait pas de faire courir le bruit que je courais avec lui, qu'il m'avait promenée en carrosse dans Genève, que le carrosse avait versé et cent folies malicieuses. […]. Le Père La Mothe débita de plus que j'avais été en croupe à cheval derrière le Père La Combe, ce qui était d'autant plus faux que je n'ai jamais été de cette manière. » (Vie, 2.7.3).

95 Au début du septième interrogatoire : « … il paraît que cette petite Église, est une Église de secte particulière, et le Roi (qui est protecteur de la vraie et seule Église catholique), a droit et intérêt de savoir quelle est cette petite Église dans son Royaume, et quelle est la secte qui l’a établie et qui la reconnaît… ».

96 « Le 16 octobre 1696. Le sieur Desgrez a été averti par M. le curé de Saint-Sulpice à qui il a donné un billet pour monseigneur l'archevêque de se rendre ce matin même à sept heures à l'archevêché pour y recevoir par les mains de monseigneur l'archevêque les ordres du roi pour transférer madame Guyon du donjon de Vincennes au lieu qui lui serait marqué par monseigneur l'archevêque… » (Les années d’épreuves, op.cit, 274).

97 Notes et soulignements ajoutés aux greffes des interrogatoires de proches (3 janvier au 17 janvier) (Papiers La Reynie, B.N.F. ms. fr. nouv. Acq. 5250)

98 « Cette dame fut mise aux filles de Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine dans le temps que le père la Combe était [enfermé] aux pères de la Doctrine. Elle y fut interrogée à la grille neuf ou dix séances par monsieur Chéron, monsieur Pirot présent. On l'interrogea sur sa conduite, sur ses voyages de Savoie, de Piémont, de Provence, de Dauphiné et autres, et sur la doctrine et ses livres… » (Mémoire de Pirot, 1696). — Au cas où Pirot aurait exagéré son zèle en considérant toute comparution à la grille comme interrogatoire distinct, nous retenons le chiffre de quatre, décrits par l’intéressée dans sa Vie. Le même Mémoire nous informe sur 14 à 16 interrogatoires de La Combe, le confesseur lié à madame Guyon, avant même son placement en prison d’État à Oléron. Tous les acteurs sont donc très bien informés lors de la reprise par La Reynie en 1696. Pirot reprend alors du service comme confesseur imposé.

99 Madame Guyon, Œuvres mystiques, Honoré Champion, 2008. – Dans ce choix de textes, une place importante aux écrits de la maturité est accordée aux côtés du Moyen court, des Torrents.

100 [CG I], 587-870.

101 Nous utilisons en premier la Vie dont nous donnons des citations référencées par la séquence livre, chapitre, paragraphe, v. notre Avertissement. Les principaux travaux sur lesquels s’appuie ce défrichement biographique sont l’œuvre de Cognet (v. le Crépuscule des Mystiques), Bruno, Orcibal (v. la Correspondance de Fénelon, tome III, pp. 480 à 496), Gondal (v. Madame Guyon, un nouveau visage).

102 Citations de la Vie en italiques.

103 = La Vie de Madame Guyon écrite par elle-même, Première partie, chapitre 2, § 1.

104 = Deuxième partie, chapitre 2, paragraphes 8, 12 et 13.

105 Var B = Variante du manuscrit de Saint-Brieuc

106 Au cours de l’été, son père offre le logis à la mère de Fouquet et à sa fille Marie, épouse d’Armand de Béthune duc de Charost, exilée depuis 1664 à Ancenis, qui venait d’être autorisée à se rapprocher de Paris. Bruno.

107 Lorsque les événements rapportés dans la Vie sont subordonnés à la description détaillée d’états propres au cheminement intérieur, nous attirons l’attention par l’usage du terme description.

108 « La variole se serait déclarée chez Mme Guyon et chez son fils cadet le 4 octobre. Une généalogie date du 20 septembre la mort d’Armand-Claude. » BRUNO, Vie… donne la référence B. N. Dossiers bleus, 342.

109 Poiret pratique des omissions. Gommant la vivacité primitive, il déplace le sens vers un rigorisme suggérant la frigidité ; ainsi « dès la seconde année de mon mariage » devient chez lui : « dans mon mariage ».

110 Après la tempête nocturne attestée dans le journal d’un Montargeois.

111 Selon Jean Bruno : « Mme Guyon situerait ces deux morts en juillet, après avoir écrit qu’elle pressentit le décès de son père le jour de la St Erasme (qui est le 2 juin) et qu’elle se proposait de faire une retraite de l’Ascension à la Pentecôte (tombant cette année-là les 26 mai et 5 juin). Une généalogie date la mort de la petite Marie-Anne du 28 mai… Les différents sur la succession… furent tranchés par un acte du 3 juillet et le partage établie le 13 août… il était mort en fait le 1er juin. »

112 A la demande de son mari, pour avoir des enfants.

113 « Les Dossiers bleus le font naître un an plus tard, le 31 mai 1675, ce qui s’accorderait mieux avec les recoupements fournis par Mme Guyon qui déclare avoir appris le décès de la mère Granger (5 octobre 1674) avant d’être revenue du pèlerinage où son mari avait prié St Edmond de Cantorbéry, enterré à Pontigny, de favoriser de nouvelles naissances. Cependant Mme Guyon dira au chapitre 29 qu’elle a deux jeunes enfants de 4 et 6 ans (différence qui correspond aux dates de 1674 et 1676) et les registres paroissiaux ont bien enregistré le baptême de Jean-Baptiste-Denys le 29 septembre 1674. » BRUNO, Vie

114 « Le nobiliaire de Saint-Allais et GUERRIER L., Madame Guyon, sa vie, sa doctrine et son influence…, Paris, 1881, p.177 fixaient sa naissance au 4 juin 1676. » BRUNO, Vie…

115 Faut-il avancer sa rupture avec l’ex belle-mère (voir ci-dessous l’année 1680) ?

116 1681. 

117 M. — L. GONDAL, « Madame Guyon à Thonon », dans Madame Guyon, Rencontres…, Millon 1997, p.16.

118 GONDAL, Marie-Louise, « Madame Guyon à Thonon… », op. cit.

119 La Vie retarde d’un an ces événements.

120 Ou bien de retour d’avoir prêché le Carême en Val d’Aoste, selon GONDAL, Marie-Louise, « Madame Guyon à Thonon », op. cit.

121 GONDAL, Marie-Louise, « Madame Guyon à Thonon », op.cit., analyse cette maladie-recréation spirituelle pp. 17-31 : « Un centre inaperçu, “insu”, se met à vivre… une source jaillissante. Il s’est produit comme un déplacement du point de gravité dans l’être… Les puissances… sont devenues secondes. Et c’est l’activité du fond qui est première, qui insiste et s’affirme. » (p. 23) — On songe aussi à la « creative illness » évoquée dans un tout autre contexte, celui des grands découvreurs de l’inconscient (Henry F. ELLENBERGER, Histoire de la découverte de l’inconscient, Fayard 1994 [The discovery of the Unconscious. The history and evolution of Dynamic Psychiatry, 1970].

122 si l’on interprète ainsi les add.marg. des mss. d’Oxford (2.4.10) et de Saint-Brieuc p. 3 403.

123 Ce sera le seul très bref séjour en pays protestant.

124 À ne pas confondre avec le célèbre Jean-Pierre Camus (1584 - 1652), écrivain spirituel abondant. Sur toute cette période voir ORCIBAL, Jean, Études d’Histoire et de Littérature Religieuses, Klincksieck, 1997, article « Le cardinal Le Camus… »

125 Bombardement par Duquesne du 17 au 23 mai 1684 ; signature de la paix à Versailles le 12 février 1685, audience solennelle accordée par Louis XIV au Doge de Gênes et à quatre sénateurs le 3 mai. Ce qui situe le passage de Madame Guyon en mars 1685 : « il n’y avait plus que trois jours jusqu’à Pâques » (2.23.8)

126 reproduite par LE MASSON : Eclaicissements sur la vie…

127 Publications parallèles en latin du P. La Combe, en français de Madame Guyon (Explication de l’Apocalypse). Un véritable travail d’équipe !

128 Vie 3.9.10, inédit édité par Masson en 1907 en introduction à la correspondance secrète de Fénelon.

129 Pages retirées du manuscrit remis à Bossuet et des éditions : ms. A.S.S. 2057 f° 315v° à 318 v°. V. p. 00

130 Var. Poiret ; ne se trouve pas dans le ms. O

131 Frère de l’écrivain.

132 Gilles Fouquet, frère du surintendant, compagnon et disciple de Bertot.

133 les partisans de l’effort par soi-même comme Saint Christophe qui porta difficilement l’enfant Jésus opposés aux spirituels, vainqueurs du mal comme Saint Michel le fut du Dragon.

134 Elle rédigera séparément un « récit des prisons » auquel nous empruntons les citations qui suivent.

135 Ms. de Chantilly/Sèvres ou « Récits de Captivité », dénoté C et suivi de sa pagination.

136 Tronson, A.S.S. ms. correspondance, vol. 34, pièce 326 (annotation en marge) du 16 avril 1697.

137 Probablement vers la fin de l’année.

138 Le texte suivant figure au début de la Vie éditée par Poiret : « Extrait d’une lettre sur quelques circonstances de la mort de Mad [ame] Guion : Mad [ame] Guion est remontée à son origine après une longue et pénible maladie de trois mois. J’étais auprès d’elle pendant les dernières six semaines, et j’ai vu la consommation de son sacrifice sur la croix. Elle a porté dans ses derniers moments l’état de délaissement de Jésus-Christ sur la croix, depuis six heures du matin jusqu’à onze heures et demi du soir le 9 de juin, qu’elle expira dans une grande paix et dans un silence profond, accompagné d’une insensibilité et une perte de connaissance de tous les objets extérieurs depuis six heures du soir jusqu’au moment de sa mort. /Quand on eut ouvert son corps, on n’y trouva aucune partie saine, à la réserve du cœur, qui pourtant était flétri, et du cerveau, qui se trouva entier comme celui d’un enfant, seulement un peu plus humide qu’à l’ordinaire. Toutes les autres parties et entrailles étaient ou pourries ou enflammées ; et ce qui est remarquable son fiel était pétrifié comme celui de S. François de Sales. Elle avait été, comme ce grand Saint, extrêmement vive et prompte naturellement, mais par la grâce elle était devenue la plus douce des humains et d’une patience angélique, comme il parût par la grandeur et le nombre de ses maladies. De Blois ce 16 juin 1717. »

139On les juge très abondants — mais ils restent d’un volume inférieur à ceux de contemporains (de Madame Palatine à Voltaire) et l’on peut en déduire la moitié constituée par les Explications bibliques, genre qui se prête aux développements larges. L’abondance ne choque que parce que l’on n’associe pas la littérature à Madame Guyon et parce qu’elle décrivit à risque sa pratique personnelle. /C’est bien plutôt la disparition d’une partie des œuvres de mystiques telle que la correspondance et certains écrits de Jean de la Croix qui est à déplorer (L. Cognet, La Spiritualité moderne, pp.106 & 111). Ceci renforce l’intérêt de l’exception guyonnienne — par suite d’une improbable, mais heureuse conjonction avec l’actif éditeur protestant Pierre Poiret. Même les œuvres incomplètes d’auteurs anciens tels que Syméon le Nouveau Théologien (9 vol. traduits dans la collection Sources Chrétiennes), ou tel que Ruysbroeck (10 vol. du Corpus Christianorum) ne sont pas négligeables.

140J’associe un titre simplifié à la référence bibliographique complète. Il figure en table des matières en troisième niveau, facilitant la navigation dans l’ensemble des écrits guyonniens.

141D. Tronc, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques […] Honoré Champion, 2001, 2014. – Je regroupe infra les reproductions disponibles de ces éditions anciennes dans ma base « BB, Guyon » à la fin de leurs descriptions bibliographiques. – Les références bibliographiques couvrent les A.S.-S ; et la B.N.F. mais non pas la Bibliothèque de Solesmes fort riche — à laquelle nous avons eu recours pour certains volumes.

142Sort fréquent de femmes mystiques : Marie des Vallées sans Jean Eudes ? Jeanne de Cambry sans son frère ? Marie de l’Incarnation (du Canada) sans son fils dom Martin ? Maria Petyt sans son confesseur ?

143 L’ensemble des 20 tomes regroupant les explications relatives aux deux Testaments comporte donc un total de 7713 pages, dont de nombreuses tables, errata, additions… soit au total environ 13 millions de signes.

144 L’ensemble comporte 1,5 million de signes environ.

145 Opérant un choix rigoureux dans ces 4 volumes ainsi que dans celui de l’Âme amante… qui forment un corpus de plus de 1500 pages, nous avons retenu pour une édition future 300 passages auxquels on ajoutera quelques poèmes transcrits de manuscrits des A.S.-S, dont ceux écrits en prison, intéressants parce que leur style n’a pas été « amélioré » par l’éditeur.

146 Outre la réédition d’un large choix en un volume à Berlebourg, Le directeur Mistique est un des rares livres présent chez Dutoit lors de leur saisie par la police Bernoise. De nombreuses lettres adressées à Madame Guyon, souvent en réponse aux questions que celle-ci (se) pose sous forme de « lettres à l’auteur » constituent une suite fascinante qui complète ce qu’elle rapporte dans la première partie de la Vie.

147 L’ensemble comporte environ 2 millions de signes. Les aspects théologiques sont mis au second plan, ce qui contribue à concentrer l’intérêt sur la vie intérieure. Les Justifications forment une belle anthologie mystique chrétienne. Il serait souhaitable de rétablir le texte à partir des manuscrits B.N.F. fr. 25 092 à 25 094 compte tenu de l’ordre différent des passages au sein de chaque chapitre obéissant à une logique toute intérieure et afin de restituer la précision et le tranchant du style. Devant l’inertie propre à la B.N.F., j’ai finalement choisi de reprendre l’édition soigneusement mise en forme par Poiret, même si quelques termes vifs ont été omis [les mises en variantes seraient révélatrices]. /La structure est originale et fait apparaître une objectivité toute moderne : au lieu d’un schéma directeur toujours arbitraire parce qu’il ne peut rendre compte que d’un point de vue, l’anthologie évite un tel a priori par recours à 67 notions clés. Pour chacune sont donnés en premier lieu les passages des Torrents, du Moyen court et du Commentaire au Cantique, ensuite les passages pertinents des auteurs classiques autorisés toujours substantiels, parfois longs et couvrant plusieurs pages, en particulier lorsqu’il s’agit de Jean de la Croix et de Jean de Saint-Samson (Bernières ne pouvait être invoqué compte tenu de sa condamnation post-mortem).

148Et elles seules, les « études sur » font l’objet d’un choix infra.

149 Cette reproduction du texte issu du travail de Masson sur l’édition Dutoit est complétée des passages spirituels négligés par ce dernier et présents dans les éditions de Poiret et Dutoit, mais elle ne tient pas compte de la découverte par I. Noye — antérieure à 1982 — du ms. B.N.F., N. a. f. 11 010 qui donne la suite de cette correspondance ; à ce jour seules les lettres de Fénelon ont été publiées.

150 Le texte des Torrents est considéré dans la préface comme une expression poétique de « l’avidité du rien » et non comme la description d’une réalité mystique ; il est livré en un flux unique.

151 Dont prophétiques. Voir Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde […], Parole et Silence, 2017, section « Madame de Béthune, 263 sq.

152A.-S.-S., ms. 2057, f°310-313.

153A.S.-S., ms. 2046.

154 Souvent désigné par « Put[eus] » ou même « p. », à partir du puits (latin puteus) comme ce fut le cas de l’académie des frères « putéans » Pierre et Jacques Dupuy. Orcibal, dont nous reprenons la note 5 à la lettre 101 de la [CF] t. III, cite Pintard, Le Libertinage érudit, p.93.

155 Le bon « Put » écrira le 8 février 1733 : « Je commençai à connaître Mme Guyon en ce temps-là (1687-1688) » (Fénelon [Gosselin], t. X, p. 60). 

156 Orcibal cite : B.N.F., Nouv. Acq. Fse 1432, f° 75r°.

157 Orcibal cite Boislisle, t. II, p. 412, puis ajoute : « Dès janvier 1696, le duc de Noailles le désignait au Roi comme le responsable de la conversion de la duchesse de Guiche au quiétisme. […] On ne s'étonnera donc pas qu'il ait été chassé en juin 1698 avec les autres amis de Fénelon. »

158 Madame Guyon, Correspondance I Directions spirituelles, Lettre 347 au duc de Chevreuse du 7 octobre 1695.

159 Sur le récit de la « chasse » à la Guyon, voir « Les années d’épreuves… » Honoré Champion, 2009, synthèse : 24-27 ; et récit : 104-109 (incluant le fragment cité : 107).

160 « Les années d’épreuves… » Honoré Champion, 2009, pp. 435 sq. – On y ajoutera l’extrait de la seule autre lettre d’après 1690 qui nous est parvenue :… Le bon put [Dupuy] vous mandera bien des choses que nous avons dites ensemble. Il vous dira aussi la situation où nous sommes et les raisons, outre la mauvaise santé, qui ont empêché M. F [orbes] de vous aller voir. R [amsay] ne saurait le quitter. Ils sont bons enfants… » ([CG I] L. 294).

161 Triste conflit dévastateur entre jésuites et jansénistes. On parle de schisme. Fénelon est en train de retrouver une place de choix comme pacificateur…

162 Lettre 335, 11 février ? 1715 : « …. Si vous voyez Put [Dupuy], dites-lui que j’ai reçu sa lettre et que je l’aime bien. S’il prenait un grain de cardamome, il n’aurait plus de toux : c’est le plus excellent et court remède. »

163 L . 358. : « Dites à Put [Dupuy] que j’embrasse, que lorsqu’il aura reçu l’argent de M. de Gautret, qu’il le mande à la petite Marc [au service de Mme Guyon], car c’est pour elle. »

Testament du 17 décembre 1714 devant P. Belin notaire à Blois, 2 ex. confiés au duc de Charost [mari de la fille de Mme Guyon] et à Dupuy, pièce 10/2325 des Archives diocésaines de Blois.

164 La copie par Isaac Du Puy, A.S.-S. ms. 2055 « lettres au duc de Chevreuse », 229 ff., 22,4 cm., appartint au duc de Chevreuse, puis finalement à Mme de Giac, veuve Chaulnes. Ce long ms. couvre la période de juillet 1693 à janvier 1698. Il s’arrête abruptement, probablement amputé des dernières pages. On complète par de La Pialière. Voir [CG II], « Manuscrits : descriptions complémentaires », 908-910.

165 [CG I] & [CG II].

166 V. [CG I] L. 382 & L. 383 en réponse de Dupuy au marquis. Nous avons édité le début de cette préface aux Œuvres spirituelles de feu Monseigneur François de Salignacde la Mothe-Fénelon…, Rotterdam, 1738, 2 vol. in-4°, dans [CG II], « Un récit de la “Querelle” », 19-34.

167 À.S.-S., ms. 2046.

168 Sixième carton. Huit. Relation du différend entre Bossuet et Fénelon par Monsieur Dupuy. /Manuscrit A.S.-S. 2046.

169Il fut son confesseur.

170Mme Guyon est absente de ce relevé des Justifications.

171Dans le ms.

172Dans le ms.

173ms.

174Précepteurs des princes.

175« gentiljhomme de la Manche » (secrétaire, donc rédacteur capable et au courant de tous les événements comme le montreront infra ce qu’il rapporte des circonstances romaines).

176Par le Duc de Chevreuse.

177Le Dauphin.

178En particulier le Duc de Beauvillier ministre des finances.

179Appartement du château.

180Numérotation erronée : 149 au recto précédant le présent verso [150 non marqué] suivi des rectos 148, puis147, puis 149…

181Lieutenant des gardes et les cités supra Dupuy, l’Eschelles…

182Les « parties de » au sens d’“opposants à”.

183Exact.

184Exact ; heureusement complémenté par Quiroga. v.oir Jose de Jesus Maria (Qujiroga), Obras […], Dossier établi par DT, 1-599, Lulu.com, 2016.

185 Dictionnaire de Spiritualité [ …], « Guyon (Jeanne-Marie) » [fasc.] 6. [col.]1306-6.1336. Lire aussi du même L. Cognet : « Fénelon (François de Salignac de la Mothe —) » 5.151-5.170.

186L. Cognet, 1917-1970 : auteur d’ouvrages historiques et spirituels « incontournables » (pour les français) dont le Crépuscule des mystiques (c’est-à-dire celui de Mme Guyon qui ne pouvait guère être citée à l’époque, mais occupe la plus grande partie de l’ouvrage).

J’ai proposé une réédition de l’ensemble de ses études à la suggestion de Philippe Sellier (fichier : « Cognet Bibliographie.doc » rangé sous//n° 134-148 Dominique Études), mais l’ampleur éditoriale requise décourageait alors même que ses éditions demeuraient accessibles en 2003.

« Sulpicien prudent », mais assurant le seul cours traitant de mystique en profondeur à l’Institut catholique — cours jamais repris depuis lors. Notable approche de Jean de la Croix rédigée à cette occasion : Saint Jean de la Croix et la pensée chrétienne, cours donnés à l’Inst. Cath. de Paris, 1962-1963, rev. et corr. par l’auteur, Paris (multigraphié, 115 pages [disponible photos].


187Archange Enguerrand (1631-1699) […] Etudes et Lettres par André Derville, dossier assemblé par Dominique Tronc, Lulu.com, 2017. – J’annote le texte du DS parced qu’il est de lecture recommandée : ici pour référer à une étude, infra pour compléments.

188Problème : si l’on est « intérieur » sans adhérer de façon visible à un enseignement, n’est-on pas un « illuminé ? Illusion possible en début de ‘carrière’ mystique. Voir mes précisions et citations dansLes amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement […]”, Parole et Silence, 2017, 264-265, 272 sq.

Si illusions il y eut — et elles étaient encouragées — s’y ajoutera pour les membres du cercle, pour Fénelon comme pour elle, l’espoir déçu d’un futur “bon roi” en la personne du Dauphin qui sera fauché par maladie brutale.

Mme Guyon parvint à l’achèvement mystique “grâce” aux épreuves et à ses “séjours” en prisons après 1686, plus de huit années au total.

189Indices favorables. Le rêve fairt remonter des modifications profondes encore cachées à saisie consciente (d’où son usage fréquent par des spirituels orientaux).

190Intéressant ; à retrouver.

191Expériences [...] II L’Invasion mystique des ordres anciens, ‘Trois bénédictines à Montargis’, 104-110. « … lumière surnaturelle pour connaître l’intérieur… on trouvait le calme en l’approchant. » (Blémur Eloges II, 417 sq.).

192François La Combe […] Dossier établi par DT, Lulu.com, 1-648.

193La filiation. Bertot : choix 2005 ; opus I, II, III, 2019.

194Article fort critique mais bien informé. v. notre Bertot, 2005, 1-66, 2019 III, 593 sq.

195 Lire La Règle de perfection de Benoît de Canfield.

196Lire la très grande Mme de Chantal, dont un choix dans l’édition de 1875. Rien depuis, grande misère des éditions mystiques ! v. DT Etudes IV, 195-210.

197Complété depuis par l’année 1690 ; la suite demeure un anonyme introuvable.

198Amie de la fondatrice Mère Mectilde.

199Témoignage essentiel du point de vue mystique.

2005. Correspondance II Autres directions.

201?

202 Le manuscrit de Saint-Brieuc.

203Avec les notes précieuses de Jean Bruno !

204Exact ! Et quelques-uns sont remarquables du point de vue mystique, v. le choix d’un dixième en fin de 3. Oeuvres mystiques : Moyen Court – Torrents – Abrégé – Cantique – Poèmes.

205Intéressant, à creuser, je n’ai rien recherché.

206De Bertot — mais le maître et sa dirigée sont très semblables. — Noter le beau travail de restitution des œuvres comme de la biographie opéré par L. Cognet.

207Je ne les ai pas lues. - En fait je découvre tardivement la valeur de cette étude parue en 1967 en la corrigeant ligne par ligne et l’annotant parfois. Heureusement ! car elle pouvait décourager tandis qu’il faut croire découvrir ! Et n’apprécier que par contact sans intermédiaire des écrits de la mystique.

208Absente de 5. Correspondance II Autres directions […]

209Observer le gauchissement vers l’usage conforme de « Dieu », observé dans les dernières modifications conduisant à l’imprimé de 1720.

210Haplographie : Faute d'écriture qui consiste à ne mettre qu'une seule fois une lettre (ou un groupe de lettres) qui devrait être doublée. Par exemple, il y a haplographie lorsque l'on écrit « philogue » au lieu de « philologue ».

211 Nombreuses corrections apologétiques. – Soulignons combien il sera nécessaire pour une édition pleinement critique des Torrents d’intégrer toutes les variantes relevées par Orcibal [l’admirable spécialiste d’un travail minutieux ! v. l’appareil critique de la Correpondance de Fénelon, l’édition de la Règle de perfection de Benoît de Canfield]. D’où le présent travail de mise à disposition d’une « Préface » aux Opuscules devenue rare.

Pour une réédition améliorée de notre édition des Torrents, utiliser de même l’édition Morali d’un des « jets » manuscrits primitifs avec ses variantes ? Travail travail…

212Gruin : enveloppe du froment, gruau. (Godefroy).

213Prudence.

214 Biblioteca dissidentium.

215Les jésuites mystiques sont considérables, mais constituent des cercles isolés au sein même de leur Ordre : le cercle breton est abordé dans Armelle Nicolas Le Triomphe de l’Amour divin ; Surin est présent par Jean-Joseph Surin Lettres. Monsieur de Bernières et Madame Guyon estimaient les jésuites. François de Sales et madame de Chantal influent sur tous les mystiques du siècle — dont la jeune Madame Guyon — mais je n’ai pas retrouvé au sein de la Visitation une suite mystique attestée.

216Mes rééditions : Maur de l’Enfant-Jésus (deux ouvrages), Jean de Saint-Samson Le vrai esprit du carmel, Maria Petyt I & II (rattachée aux Carmes par son directeur), Marc de la Nativité Directoire des novices, Carmélites françaises à l’âge classique, etc.

217Voir Etudes II, 10-68 & Etudes IV, 303-310, 311sv. – Etudes I à IV présentent mes introductions aux textes édités de la mystique ainsi que les tables de titres précisant leurs contenus.

218 Son soutien et premier guide intérieur, belle figure de religieuse.

219 Le mot d’ordre de Guy de la Brosse, « la vérité et non l’autorité », n’est pas réalisable en pratique ; voir la description de ravages occasionnés par le mensonge obligé dans R. Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1943 ; Genève, 2000.

220 C’est le nom que lui donne l’honnête Tronson, envers qui elle plaçait en dernier recours sa confiance.

221 Il faut pour cela croire à l’existence de la grâce, et donc en avoir fait l’expérience. Ce dernier point est fort gênant puisque Madame Guyon, dont la certitude ne s’appuie que sur cette expérience, ne peut guère l’invoquer vis-à-vis de ses ennemis. On se moquera à la Cour de la « naïveté » du bon duc de Chevreuse qui en fera état.

222 On trouvera des parallèles dans l’Espagne de la première moitié du XVIe siècle, v. Melchiades Andres, La teologia espanola…, 1976, parte II, cap. 14. Il faudrait aussi étudier les figures de mystiques qui nous paraissent très proches : Joseph de Jésus Maria Quiroga (1562-1628), disciple et défenseur de Jean de la Croix ; Grégoire Lopez (1542-1596), mexicain lu et apprécié par Poiret et des proches de madame Guyon ; Falconi (1596-1638) dont la Lettre du serviteur de Dieu est éditée avec des opuscules de la même ; etc.

223 Laissant de côté un troisième monde, d’une extrême diversité, celle des anabaptistes, quakers, etc.

224 Voir la notice « quiétisme » à la fin du second tome de l’édition des Œuvres de Fénelon dans la Bibliothèque de la Pléiade, par J. Le Brun ; cette notice introduit en outre à la Métaphysique des saints, texte fondamental qui résume la controverse vue du cercle guyonnien. Les articles « quiétisme » du Dictionnaire de spiritualité [DS], par E. Pacho et J. Le Brun, couvrent l’Espagne, l’Italie et la France.

225 DS, art. « Quiétisme » par E. Pacho et J. Le Brun, col. 2762.

226 Id., col. 2774-2775.

227 En 1686, Lacombe fit imprimer son Orationis mentalis analysis, Madame Guyon son Explication de l’Apocalypse, Ripa son Orazione del cuore facilitata, « fruits de cette association spirituelle ».

228 DS, art. « Quiétisme » par J. Le Brun, col. 2806.

229 Id., col. 2817.

230 Id., col. 2820 et 2821.

231 Quiroga [José de Jésus-Maria, 1562-1629], Apologie mystique […], Chap. 6, « Où l'on expose plus à fond cette quiétude de la contemplation… », Krynen, Thèse secondaire, A.S.-S., gV-189 ; M. Huot de Longchamp, FAC, 1990.

232 Discours Chrétiens et Spirituels sur … la vie intérieure…, [1716], « 2.65 État Apostolique. Appel à enseigner. » (Madame Guyon, De la vie intérieure…, La Procure, Phénix, 2000, p. 384).

233 Par contre on a perdu la plus grande partie de l’œuvre de Jean de la Croix : « ce qui nous reste … ne représente qu’une faible partie de ce qu’il a écrit… » (Cognet, La Spiritualité moderne, p. 105).

234 La liste des défenseurs qui ont surmonté une certaine « étrangeté » est cependant et diverse et de qualité : on en détachera les noms de Fénelon, Poiret, Dutoit, Chavannes, Masson, Brémond, Bergson, Cognet, Mallet-Joris, Gondal, Le Brun.

235 Implicite, non atténuée par une appartenance religieuse comme cela est le cas pour Marie de l’Incarnation, qui en dehors de son admirable témoignage personnel montre un conformisme qui rassure ; on note l’extrême difficulté pour sortir du cercle clérical dès que le domaine de l’intériorité propre à la « vocation » est en cause : les modèles féminins proposés récemment par l’église catholique sont Thérèse de l’Enfant-Jésus et Edith Stein, deux religieuses. Il est sain qu’une femme d’expérience comme Madame Guyon parle à des laïcs des étapes de leur vie d’autant plus précisément qu’elle a eu une vie sociale, familiale, physiologique qui se rapproche de la leur (tout en ayant malheureusement manqué un plein épanouissement). La règle ordinaire suppose une vie accomplie jusqu’à la quarantaine (ainsi dit Ruusbroec) pour voir s’épanouir une vie intérieure au-delà d’aspirations qui sont une des merveilles de la jeunesse.

236 Bref Cum Alias d’Innocent XII, 12 mars 1699.

237 Complétant ainsi le très objectif Bertot. Ce dernier aussi précise longuement pour assurer un bon diagnostic, fait des ajouts pour dissiper tout malentendu, tout comme un bon médecin dont le fait n’est pas le style.

238 Le Moyen court fut publié à l’insu de l’auteur dès 1685.

239 On note l’insistance de Bertot sur le contrôle nécessaire par un directeur. Mais les directeurs mystiques sont rares.

240 Relation de 1654 de Marie de l’Incarnation, etc.

241 Les Torrents ne furent publiés que tardivement par Poiret (1704, 1712, 1720).

242 Les points de suspension séparés du texte indiquent une omission, ici conséquente : du cinquième au trentième paragraphe. Nous omettons dans cet article la mise entre crochets afin d’alléger la lecture.

243 Impureté foncière, qui est l'effet de l'amour-propre et de la propriété que Dieu veut détruire. Ajout de l’édition de 1720.

244 Il s’agit de la conclusion de ce long récit autobiographique : 3,21 désigne le 21e chapitre de la 3e partie.

245 Bernardino de Laredo, Subida del Monte Sion ; Jean de la Croix, Subida del Monte Carmelo ; etc.

246 1.01 désigne le premier opuscule ou « discours » de la première partie.

247 Des Noms Divins, chap. 4 : « [704 A] C’est cette Beauté qui produit toute unité et qui est principe universel, parce qu’elle produit et qu’elle meut tous les êtres… [713 B] Par désir amoureux… nous entendons une puissance d’unification et de connexion, qui pousse les êtres supérieurs à exercer leur providence à l’égard des inférieurs, ceux de rang égal à entretenir de mutuelles relations… » (trad. M. de Gandillac).

248 Madame Guyon est issue du courant spirituel fondé par le franciscain du tiers ordre régulier Chrysostome de Saint-Lô ; elle cite beaucoup Catherine de Gênes, tertiaire — à égalité avec Jean de la Croix ainsi qu’avec le réformateur des Grands Carmes en France, Jean de Saint-Samson, dans ses Justifications. Ces trois figures viennent largement en tête des 76 auteurs représentés.

249 Ps 104, 30 : « Envoyez votre esprit et ces choses seront créées ; et vous renouvellerez la face de la terre. »

250 La Vie par elle-même en donne des descriptions précises dont sa découverte à Thonon, avec le P. Lacombe.

251 Dutoit, t. II, Lettre CXCII, p.588-590 - Masson, 1907, Lettre LXXIV, p. 179-180. Nous ne donnerons pas par la suite, dans cet article, ces références de sources que l’on trouvera dans notre édition.

252 D.2.1 : Première lettre du deuxième volume publié par Dutoit ; le titre qui suit est de ce dernier.

253 Le Directeur Mystique…, 1726, 4.81 : 81e lettre qui conclut la contribution de Bertot au quatrième volume du DM. Nous donnons des extraits de cette lettre adressée à la jeune madame Guyon : elle montre l’esprit commun qui anime Bernières, Bertot, Guyon.

254 Cette lettre d’une personne simple (on a cependant peine à l’attribuer sans retouches à une simple paysanne) fut placée intentionnellement à la fin de la correspondance de madame Guyon éditée en cinq volumes par Dutoit.


255 Conséquences des observations astronomiques et des expériences mécaniques de Galilée. Puis Pascal établit la possibilité du vide physique qui « fissure » le monde.

256 Les pasteurs Poiret puis Dutoit. Les suspicions « théologiques » furent levées en terres catholiques par Cognet, Orcibal, Le Brun, Gondal. L’œuvre bénéficie depuis 1990 d’éditions critiques. Elle est décrite dans Jeanne-Marie Guyon, La vie par elle-même…, Champion, Paris, 2001, « Bibliographies », 1103 sq. ; mise à jour dans Madame Guyon, Œuvres mystiques, Champion, Paris, 2009.

257 Chapitre XXIII du Moyen court et très facile pour l’oraison…, 1685, 1686, 1690, 1699. – Source de l’extrait présent : Madame Guyon, Œuvres mystiques, op.cit., « Moyen court », Chapitre XXIII, 64 sq.

258 Le Nouveau Testament de N.S.J.C. & Les livres de l’Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure…, vaste ensemble couvrant tous les livres de la Vulgate, rédigé en 1684 (publié en 1713 en 20 vol.). — Source de l’extrait présent : Madame Guyon, Œuvres mystiques, op.cit., « Évangile selon Matthieu, Chapitre V, 3. Bienheureux les pauvres d’esprit… », 202 sq.

259 Hans-Jürgen Schrader, « Mme Guyon et le piétisme allemand », Rencontres autour de la vie de l’œuvre de Mme Guyon, Millon, Grenoble, 1997, 83 sq.

260 Pr 5, 52.

261 Ps 114, 6 [116, 6].

262 Mt 19, 14.

263 Pr 9, 4-5.

264 Mt 11, 25.

265 Explications…, vol. I, Évangile selon Matthieu, 5.3 : « Bienheureux les pauvres d’esprit ; car le Royaume du ciel est à eux. » 

266La Vie écrite par elle-même et autres textes biographiques, éd. par D. Tronc, Champion, coll. « Sources classiques », Paris-Genève, 2001 ; Correspondance : vol. I Directions spirituelles, vol. II Combats, vol. III Mystique, éd. par D. Tronc, Champion, coll. « Bibliothèque des Correspondances », à paraître. — Autres textes, v. La Vie…, op. cit., Bibliographie de Madame Guyon, pp. 1103-1113, dont Les Opuscules spirituels, Georg Olms, 1978 [qui incluent Le Moien court et Les Torrens] ; Madame Guyon : la passion de croire, choix de textes par M.-L. Gondal, 1990 ; Le Moyen court et autres récits…, éd. par M.-L. Gondal, Millon, Grenoble, 1995 ; De la Vie intérieure, choix de quatre-vingts Discours spirituels […], éd. par D. Tronc, Phénix - La Procure, Paris, 2000. 

267 Brèves informations sur cette filiation au sein de « l’école des mystiques normands » dans : Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 ; P. Pourrat, Dictionnaire de Spiritualité (Dict. Spir.), tome I, col. 1537-1538, art. « Bertot » (1937) et du même auteur, La Spiritualité Chrétienne, IV Les temps modernes, Lecoffre, Paris, p. 183 (1940, pub. 1947) ; R. Heurtevent, L’œuvre spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, Paris, 1938, p. 63 ; I. Noye, article « Enfance de Jésus », Dict. Spir., vol. 4, col. 676 (1959) ; J. Le Brun, article « France », Dict. Spir., vol. 5, col. 948 (1962) ; il faut y adjoindre les notes rassemblées par le P. Berthelot du Chesnay qui préparait une grande étude sur Bernières (Fonds du Chesnay, Archives Eudistes).

268Voir E. Goichot, Henri Bremond historien du sentiment religieux, Ophrys, Paris, 1982, p. 275.

269L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958, p. 7. On dispose toutefois de sa contribution au Dict. Spir., art. « Guyon », ainsi que de l’ouvrage de M.-L. Gondal, Madame Guyon, un nouveau visage, Beauchesne, Paris, 1989.

270Histoire Générale et particulière du Tiers Ordre de S. François d’Assize, par le R. P. Jean Marie de Vernon, Religieux pénitent du tiers ordre de saint François, Paris, 1667, tome troisième, p. 76.

271Id., p. 118.

272Id., p.141.

273Nous avons repérés sept exemplaires des écrits « composés par un Religieux [le P. Chrysostome] d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes » : un des trois ex. de la B. M. de Valognes comporte son portrait gravé (réf. C4837) ; un ex. est à la B.N.F. ; trois ex., consultés à Chantilly, sont actuellement à Lyon. Ils se ramènent — l’ordre des matières peut varier — à deux titres : Divers traités spirituels et méditatifs à Paris, 1651 ; Divers exercices de piété et de perfection, composés par un religieux d’une vertu éminente et de grande expérience en la direction des âmes, à la plus grande gloire de Dieu et de NSJC, à Paris, 1655. De nombreux autres titres, que nous n’avons pu localiser, sont donné par Boudon, Œuvres II, Migne, col. 1320 ss.

274Divers traités…, « Pensées d’éternité… », chap. V, pp. 85-89.

275Id., traité second, « De la sainte désoccupation… » p. 179.

276Id., p. 178.

277L’homme intérieur ou la vie du vénérable père Jean Chrysostome, religieux pénitent du troisième ordre de S.François, [par Henri-Marie Boudon], à Paris, 1684, extraits des pp. 337, 340, 372, 377, 378.

278Bernières, Œuvres Spirituelles II, 282 (lettre du 15 février 1647 probablement adressée à Mectilde du Saint-Sacrement). Voir aussi Œuvres Spirituelles II, 121 : lettre du 25 août 1653 : « Vous savez […] que le Père Chrysostome avait réglé ma conduite, et que la vie pauvre et contemplative devait être mon occupation. » Il existe deux belles correspondances : brève entre Catherine de Bar et Chrysostome, abondante entre Catherine et Bernières (transcriptions rassemblées au monastère de Rouen à partir des mss. 101, 115, Dumfries13, Paris160).

279Souriau, Deux mystiques normands au XVIIe siècle, M. de Renty et Jean de Bernières, Paris, 1913 ; R. Heurtevent, L’œuvre Spirituelle de Jean de Bernières, Beauchesne, 1938 ; L. Luypaert, « La doctrine spirituelle de Bernières et le Quiétisme », Revue d’Histoire Ecclésiastique, 1940, pp. 19-130.

280Etablir une édition critique proche des liasses manuscrites perdues paraît illusoire. Notre projet d’un choix de textes utilise les Œuvres spirituelles en deux volumes (Maximes puis Lettres), réunies par monsieur de Saint-Gilles, frère de Michelle Mangon, la fille spirituelle de Jean de Bernières, puis accessoirement Le Chrétien intérieur en huit livres, en privilégiant les textes datés des Pensées. L’édition tardive du Chrétien intérieur en deux livres est inutilisable, le P.d’Argentan ayant eu tout le temps de défigurer sa source. Nous pensons que les lettres ont constitué la principale source des Chrétiens De précieuses sources manuscrites existent pour les lettres (Rouen, Dumfries, Tourcoing).

281Souriau, Deux mystiques…, p. 92 ; Boudon, Œuvres I, Migne, p. 77.

282 Renty précède Pascal (1623 - 1662) auquel — au génie près — il fait penser : Voir Gaston de Renty, Correspondance, éd. par R. Triboulet, Desclée de Brouwer, 1978.

283Souriau, Deux mystiques, p. 112 ; Boudon, Œuvres II, Migne, p.1311.

284Souriau, Deux mystiques, p. 196.

285Bernières, Chrétien Intérieur, p. 565.

286Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 122.

287Lettre au marquis de Fénelon de mars 1717 : « …vous serez dans la maison du petit Maître tant que vous le voudrez et pourrez. Si les bons Écossais viennent, vous pourrez découcher et descendre dans le bas, car je fais de vous comme des choux de mon jardin. »

288Bernières, Œuvres Spirituelles, II, p. 364.

289Dom Oury, Marie de l’Incarnation, Mémoires de la Société Archéologique de Touraine, tome LVIII, 1973, pp. 280 et suivantes.

290Dom Oury, Marie de l’Incarnation, op. cit., p. 320 ; v. aussi Dict. Spir., vol. 10, col. 490.

291Souriau, Deux mystiques…, op. cit., p. 376.

292Lettre au duc de Chevreuse du 10 janvier 1693 : « La Mère du Saint-Sacrement est celle dont je vous ai parlé, qui est l’Ins [ti] tutrice de cet ordre, fut de mes amies et [est] une s [ain] te. » - Fénelon écrira à l’occasion de sa mort : « Conservez la simplicité […] que notre chère Mère vous a enseignée. »

293Daoust, Catherine de Bar…, Paris, Téqui, 1979 - de Catherine de Bar : Documents historiques, par les bénédictines du Saint-Sacrement, Rouen, 1973 ; […] ; Catherine de Bar 1614-1698, Téqui, 1998 [v. la revue bibliogr. par Dom J. Letellier, p. 11-96].

294Conférence de L. Cognet, pp. 26-27, dans Catherine de Bar : Documents historiques, op. cit.

295Œuvres spirituelles , II, « Voie illuminative » : lettres 25, 30 à 32,  et « Voie unitive » : lettres 43 à 48, 50, 51, 59, 6. Les lettres de Bernières furent publiées en suivant l’ordre classique des trois voies.

296Lettre 43. Les indices sont ténus par suite du nettoyage éditorial auquel n’échappe que des éléments fondus dans le texte tels que la prêtrise de Bertot, son éloignement à Paris, l’envoi d’un écrit… Nous ne pouvons entreprendre ici de prouver l’id.entification qui pose quelque problème si l’on prend en compte la jeunesse de Bertot : il n’est toutefois pas impossible à quelques uns de commencer tôt la vie mystique. Du point de vue du fond, Bertot répète Bernières comme Guyon répétera Bertot. (v. Dict. Spir., art. « Bertot » où Heurtevent suppose un aménagement du style de ce dernier par Madame Guyon).

297Œuvres spirituelles, II, « Voie illuminative », lettre 30 (1652) — Bertot écrira à Madame Guyon : « Puisque vous voulez bien que je vous nomme ma Fille […] je vous traite en cette qualité, vous donnant ce que j’estime le plus, qui est un profond silence. » (Le Directeur Mystique, vol. IV, lettre 71.)

298Œuvres spirituelles, II, « Voie unitive », lettre 61.

299Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, BNF, F. Fr. 11 911, f°. 34-35 : « il s’appelait Jacques Bertot natif de St Sauveur de Caen, fils de Louis Bertot et de Judith Le Mière […] Louis Bertot était m [archan] d drappier de profession à Caen. Il quitta le négoce environ l’année 1640 vivant de son bien qui est scis en la paroisse de Tracy proche Villers » - Dans les archives notariales du couvent des ursulines fondé par Jourdaine de Bernières une « liasse à 24 pièces » est relatives aux ventes de parcelles de terres de la paroisse de Tracy à Louis et Philippe Berthot, des années 1495 à 1601 (Arch. Départ. de Caen, 2H249), témoignage silencieux d’un don de Bertot.

300En fait Caen.

301Notre Bertot, que nous trouvons orthographié Bertaut par Saint-Simon, Berthod par Bremond, etc., porte un nom normand courant. L’on trouve ainsi parmi les bienfaiteurs des missions de Jean Eudes : Bertaut (Bertin), un prêtre originaire de Valognes, Bertout (Claude), chanoine de la cathédrale de Coutances mêlé aux affaires relatives à Marie des Vallées… (du Chesnay, Les missions de Saint Jean Eudes…,1967, Procure des Eudistes, app. I, p. 326.)

302Page 126 des « Annales de ce monastère de Ste Ursule de Caen établi en 1624 le 26 février et on vint en cette maison le 13 juillet 1636/Sous le gouvernement de la Rnde Mère Jourdaine de Bernières de Louvigny dite de Ste Ursule première supérieure de cette maison, en charge pour lors/tout ceci recueilli par la mère Madeleine de Ste Ursule de Bernières Louvigny sa nièce. En l'année 1714 qu'elle était zélatrice et secrétaire du chapitre. » Ce manuscrit, trésor des ursulines du Pensionnat Saint Pierre de Caen, porte quelques traces de brûlures : il fut sauvé en 1944 d’un bombardement où deux des trois sœurs du couvent des ursulines descendant de celui fondé par Jourdaine de Bernières trouvèrent la mort. Paginé de 1 à 598, il retrace jusqu'en 1738 les événements marquants de la communauté ; seule une copie tardive, peu fidèle, fut utilisée par Souriau. Rédigées avec intelligence, ces Annales mériteraient une édition.

303Id., p.156.

304Annales…, op. cit., pp. 209 et 212. Nous omettons les intéressantes péripéties de ce qui fut perçu comme un affrontement par les sœurs du monastère.

305L’Addition de la fin du vol. II du Directeur Mystique rapportant les Conseils d’une grande servante de Dieu… Marie des Valées [sic], renvoie aux deux lettres que nous citons : 40 et 64 du même vol. II ; on connaît par ailleurs les liens étroits entre Marie des Vallées, Jean Eudes, Bernières, Renty.

306Le Directeur Mystique, vol. II, lettre 64, p. 349 ; voir Madame Guyon, Torrents, Chapitre 3, §1 : « ces grandes rivières qui vont à pas lents et grave » qui contrastent avec le torrent impropre aux charges. — v. aussi du même Bertot : « Et remarquez bien une belle parole que m’a dite autrefois une âme très unie à sa Divine Majesté, savoir, que les montagnes recevaient bien les pluies, mais que les seules vallées les gardent, fructifient et en deviennent fertiles. » (DM, vol. II, lettre 40, p. 234.). 

307Directeur Mystique, vol. III, page 506 : une lettre est écrite en 1674 à un dirigé canadien.

308Catherine de Bar, Lettres inédites, Bénédictines du Saint Sacrement, Rouen, 1976, pp. 183-184 puis p. 192.

309Archives du monastère de Dumfries, Écosse, pièce D 13, p. 51-53. (Le monastère des Bénédictines de Rouen possède une copie de ces archives).

310Annales…, op. cit., p. 261.

311Le Denys des mystiques que la légende fait venir à Paris — l’auteur ancien le plus souvent cité par Madame Guyon dans ses Justifications.

312E. de Barthélemy, Recueil des Chartes de l’abbaye royale de Montmartre, Champion, 1883, p. 16. Cette description de la tumultueuse réforme est donnée dans l’Introduction.

313« Madame de Beauvilliers mourut dans son abbaye le 21 avril 1657, à 83 ans, après 60 années d’abbatiat », E . de Barthélemy, Introduction au Recueil, p. 19. Voir la mère de Blémur, Eloges de plusieurs personnes illustres en piété de l’ordre de St Benoît, 1679, 143-184.

314Exercice divin, ou pratique de la conformité de notre volonté à celle de Dieu, par R[évérende] M[ère] M[arie] D[e] B[eauvilliers]. À Paris, chez Fiacre Dehors, 1631, chapitre X p. 65 ; J. Orcibal, Benoît de Canfield, La règle de perfection, PUF, 1982, souligne, p. 16, la reprise par Marie de Beauvilliers de l’Abrégé de la Règle.

315Françoise-Renée de Lorraine (1629 – 1682), abbesse de Montmartre ; fille de Charles de Lorraine, duc de Guise, de Joyeuse, pair de France - Bertot est en relation avec deux membres de la famille de Guise, l’abbesse et l’altesse [Mademoiselle de Guise] : « Il fut confesseur et Directeur des Ursulines […] envoyé à Paris pour leurs affaires, il y fut arrêté par Madame l’Abbesse de Montmartre et par Mademoiselle de Guise, touchées de son élévation dans les voyes de Dieu… » Huet, Origines… op. cit. ; v. aussi Lettre de M. du Houël à P.-D. Huet, op. cit.

316E. de Barthélemy, Introduction au Recueil, p. 22.

317Incluant Mgr Pallu, qui demande l’avis de Bertot en 1667 sur un projet de congrégation apostolique, puis de Surate en 1672 sur un auteur spirituel portugais. Mgr Pallu s’était embarqué avec le neveu du père de Mme Guyon, Philippe de Chamesson-Foissy, dont la rencontre en 1661 avec cette dernière, encore toute jeune, fut importante (Vie par elle-même… 1.4.6).

318Dont nous trouvons cité seulement quelques figures illustres : M. de Noailles : il s’agit d’Anne, marié en 1645 à Louise Boyer très pieuse, 1er duc de Noailles en 1663, mort en 1678 ; M. le duc de St Aignan : il s’agit de François de Beauvilliers et de St Aignan, 1er duc de Saint-Aignan en 1663 (v. 1608 - 1687) ; M. de duc de Beauvilliers : il s’agit de Paul de Beauvilliers, duc de St Aignan, dit de Beauvilliers (1648 – 1714) qui épouse en 1671 Henriette-Louise Colbert (+ 1733) couple en relation étroite avec Madame Guyon comme celui de Chevreuse. On comprend comment cette dernière « reprit » la direction du cercle à son retour de voyages. Nous nous reportons à Ch. Levantal, Ducs et Pairs et duchés-pairies laïques à l’époque moderne (1519-1790), Maisonneuve et Larose, 1996.

319Annotation relevée sur l’exemplaire (unique) de Chantilly.

320Orcibal, note 1 à la lettre no. 78, p. 200, de l’édition de la Correspondance de Fénelon, tome III.

321On se reportera pour Le Directeur Mystique aux exemplaires des éditions de Poiret repérés par  M. Chevallier, Pierre Poiret, Bibliotheca Dissidentium, tome V, Koerner, Baden-Baden, 1985 ; pour les autres titres, nous indiquons dans les notes qui suivent les exemplaires que nous avons repérés.

322On trouve ce titre dans la correspondance de Huet à F.Martin : « Il y a eu un nommé M. Bertot, prestre, natif de Froide-Rue, parent de M. Le Myère [de Basly], qui a écrit de la Contemplation, et qui a esté abbé de Saint-Gildas. » (Rev. Cath. de Normandie, t. V, 15 sept. 1895, p.107 citée par du Chesnay.) — Une allusion à un livre inconnu est faite page 170 de la Conclusion des Retraites : « Nous avons déjà parlé un peu de cela en un autre livre… » Il ne peut ici s’agir des deux livres de Retraites désavoués en préface — Mais il pourrait s’agir du cinquième traité publié dans le premier volume du Directeur Mystique sous le titre « Degrés de l’oraison… ».

323Diverses Retraites où une âme après avoir connu son désordre par la lumière du Saint Esprit, se résoud à le quitter, et embrasser le chemin de la sainte perfection, A Paris, pour Madame l’Abesse (sic) de Montmartre, in-16, Avertissement, Trois dispositions, approbations : 60 pages non numérotées ; suivies de quatre retraites : pages 1 à 384 — Nous avons retrouvé un second exemplaire des Diverses retraites… à Valogne, Bibl. Municipale, C 6785 (signalé par du Chesnay).

324Continuation des Retraites dans lesquelles l’âme puisera des lumières pour travailler solid.ement à sa perfection, seconde partie, Paris, pour Madame l’Abesse (sic) de Montmartre, in-16, table suivie de cinq retraites : pages 375 (sic) à 855. (cotes A 401/677-678 des Fontaines de Chantilly ; maintenant à Lyon) ;

325Conclusion des Retraites où il est traité des degrés et des états différens de l’Oraison, et des moyens de s’y perfectionner, A Paris, chez Jean-François Dubois, rue Saint-Jacques, à la Reyne du Clergé & à l’Image S. Denis, vis-à-vis S. Yves, 1684, [in-16, 210 pages. Une annotation moderne en vis-à-vis de la page de titre rectifie comme suit une autre annotation moderne elle aussi portée sur la page de titre elle-même : « Le livre de Jacques Bertot est écrit pour Françoise-Renée de Lorraine et non par elle »].

326Le P. A. Derville, S.J., nous écrivait en 1997 : « De Bertot […] nous avons aussi 3 petits livres (dont l’unique exemplaire connu de La conclusion…) donnant des retraites aux religieuses bénédictines de Montmartre en 1660 et 1680 ; ces livres sont anonymes… »

327Le directeur MISTIQUE [sic], ou les œuvres spirituelles de monsr. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Made. Guion, avec un recueil de Lettres Spirituelles tant de plusieurs Auteurs anonime, que du R. P. Maur de l’Enfant Jésus, Religieux Carme, & de Madame Guion, qui n’avaient point encore vu le jour. Divisé en Quatre volumes, A Cologne, Chez Jean de la Pierre. 1726. [respectivement de 453pp., 430pp., 526pp., 368pp., disponibles à Paris aux A.S.-S. et à la B.N.F.].

328Le Directeur Mistique ou Extrait des oeuvres Spirituelles de Monsr. Bertot. Ami intime de feu Mr Bernières et directeur de Mad. Guyon, tiré des quatre volumes de ces mêmes œuvres de Mr. Bertot imprimé à Cologne 1726. À Berlebourg, imprimé par Christoffle Michel Regelein, 1742.

329Ainsi Madame Guyon écrivant au baron de Metternich lui joint la longue lettre de Bertot publiée aussi dans Le directeur Mistique, vol. III, p. 438 : Lettre d’un grand Serviteur de Dieu, dont il a été fait mention dans la précédente, sur la même matière, et de l’état où l’on trouve que Dieu est toutes choses en tout, s’achevant par : « Allez, allez, à la bonne heure ; et soyez forte et constante… » (Mme Guyon, Lettres chrétiennes et spirituelles. Nouvelle édition [par J. Ph. Dutoit-Mambrini], Londres [Lyon], 1768, t. IV, Lettre 121 et suivante).

330Incipit : « Il est de la dernière conséquence » Copie Isaac du Puy (Dupuy). Archives Saint Sulpice, ms. 2174, pièce 7248.

331 Les sources se contredisent et Orcibal lui-même n’a pu la déterminer. La vraie date du décès est bien celle donnée par le Directeur mistique et par Madame Guyon, dans La Vie 1.30.13 (Première partie, chapitre 30, § 13) ; confirmations : « Dans Gall. Christ. XIV, 963 : succédant à Michel Ferrand +24. 12 .1676 : Jacobus Bertot occubuit penultima die Aprilis 1681 » et « 11e septembre 1684, Transaction devant les notaires de Caen au sujet du testament du sieur abbé Bertot […] on célébrera tous les ans à perpétuité un service solennel le jour de son décès arrivé le 28 avril 1681… (Fonds du Chesnay, Arch. Eudistes).

332« quand Il les émeut, tous les êtres deviennent pour lui comme un jeu d’anches. Les monts, les bois, les rochers, les arbres, toutes les aspérités, toutes les anfractuosités, résonnent comme autant de bouches » Tchoang-tzeu, trad. Wieger.

333Le Directeur Mystique, vol II, lettre 6 p. 26.

334Directeur Mystique, vol II, lettre 11, p. 44

335DM, vol II, Lettre 16 p. 74 ; Canfeld avait joué un rôle important dans la réforme de à Montmartre.

336Orcibal, note 1, op. cit.

337Orcibal, note 15 à la lettre no. 44, p. 155 de l’édition de la Correspondance de Fénelon, tome II

338 Addition 127 au Journal de Dangeau dans Boislisle, t. II, p. 413, citée par Orcibal ; du Chesnay mentionne la note de Saint Simon, Boislisle, t. XXI, p. 302 : « Dans ce petit troupeau était une disciple des premiers temps [la duchesse de Béthune], formée par M. Bertau qui tenait des assemblées à l’abbaye de Montmartre, où elle avait été instruite », ainsi que la note associée 2 de Boislisle : « … c’est lui qui fut donné par Mme Granger [la Mère Geneviève Granger] à Mme Guyon et fut son premier initiateur. Saint-Simon parlera encore de lui, toujours à propos de Mme de Béthune, en 1716 » ; enfin au t. XXX, 71 : « … entendre un M. Bertau à Montmartre, qui était le chef du petit troupeau qui s’y assemblait et qu’il dirigeait. ».

339A. S.-S., pièce manuscrite 2072 du fonds Fénelon, intitulée : Mémoire sur le Quiétisme adressé à Madame de Maintenon. Auteur inconnu. – Ce précieux mémoire informe sur toutes les relations de Madame Guyon, incluant les personnes humbles qu’elle côtoyait. Il indique également la façon « de s’y prendre », en commençant par interroger des témoins défavorables à la dame quiétiste, afin de pourvoir faire pression sur les autres… Il est souligné, à la lecture, de la même main (de Mme de Maintenon ?) que celle qui lut les interrogatoires de 1696 de Madame Guyon (v. B.N.F., ms. 5250, dossier La Reynie.).

340La Vie…3.2.4.

341Arch. Saint-Sulpice., 6e carton, n° 10, f. 39 v°. (Orcibal).

342« Mme Guyon était sous la direction de M. Bertot, disciple de Jean de Bernières, que la mère Garnier faisait prêcher aux Nouvelles Catholiques de Paris… » Orcibal, Études…, Klincksieck, 1997, « Le Cardinal Le Camus », p. 800.

343Dont il était le directeur en titre ; nous pensons, vu les âges respectifs, Geneviève Granger étant née en 1600 soit environ vingt ans avant Bertot, que les rapports étaient plutôt d’échange entre membres du groupe animé par la triade Jean-Chrysostome, Jean de Bernières, Michelle Mangon (religieuse du couvent de Jourdaine).

344La Vie par elle-même…, op. cit., 1.8.6 à 1.8.9 ; on note qu’Archange Enguerrand a lui-même rencontré Jean Aumont, « le pauvre villageois », disciple de Bernières ; c’est une deuxième filière reliant Madame Guyon au groupe de l’Ermitage, mais cette fois à travers deux intermédiaires ; voir A. Derville, Un Récollet Français méconnu : Archange Enguerrand, Archivum Franciscanum Historicum, 1997, 177 — 203 ; L’ouvrage de J. Aumont, L’ouverture intérieure du royaume de l’agneau occis, Paris, 1660, ainsi que sa correspondance, actuellement à l’état de manuscrits, sont notables.

345La Vie… 1.12.7 ; sur Geneviève Granger, nous relevons des éléments biographiques très édifiants dans Eloges tome second (édités par J. Bouette de Blémur, Paris, 1679, pp. 417 — 455). On sait que la mère de Blémur a été bénédictine à la Trinité de Caen de 1630 à 1678. Voir notre présentation de la mère Granger dans J.-M. Guyon, La Vie par elle-même…, op. cit. pp. 28-29.

346La Vie… 1.8.3.

347La Vie… 1.13.3, 1.14.5, 1.17.6, 1.17.7, 1.19.9, 1.19.10 (contrat de mariage à Notre Seigneur enfant, le jour de la Madeleine), 1.23.3 (« Quoi! Vous n’aimez plus Dieu ? »). Lorsqu’elle meurt (1.20.7) Jeanne-Marie Guyon est terriblement seule (1.20.6) même si la mère se manifeste par rêve (1.22.7).

348La Vie… 1.19.1 (prenant le ms. d’Oxford pour leçon ; 1.19.2 chez Poiret)

349Nous esquissons cette direction dans J.-M. Guyon, La Vie par elle-même…, Paris, Champion, 2001, « Introduction », pp. 36 à 42 ; elle sera approfondie par sa Correspondance, vol. I, et dans une monographie : Jacques Bertot, directeur mystique de Madame Guyon, Phénix — La Procure (à paraître).

350Le P. Derville, son biographe, nous disait un jour « qu’il était fou » de diriger aussi durement une religieuse éprouvée.

351Une carmélite nous déclara, à la lecture de la correspondance de Madame Guyon, qu’elle lui semblait « terrible » dans son exigence spirituelle.

352Ceci n’est pas vrai seulement chez des mystiques chrétiens : on retrouve une « dureté » comparable chez des maîtres sufis.

353Le Directeur Mystique, vol. IV, lettre 75, p. 247.

354Ibid., p.248.

355Ce qu’atteste « la donation faite par Monsieur l’Abbé Bertot dont 3000 L [ivres] t [ournois] étaient destinées pour amortir 150 Lt de rente aux petits pauvres renfermés et aux nouvelles Catholiques » (Arch. Eudistes, Fonds du Chesnay).

356E. Aegerter, Madame Guyon, une aventurière mystique, Paris, 1941.

357Guyon, « Discours spirituel » 2.68. (éd. dans Guyon, La vie intérieure…, op. cit.).

358Guyon, La Vie par elle-même…, op. cit. : 2.11, 2.13, 2.17 à 2.20, 2.22, 3.8, 3.10.

359v. Le Saint Évangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure,Tome II, chap. XVIII, versets 19 & 20.

360« Supplément à la vie de Madame Guyon… », édité dans La Vie…, éd. citée, p. 1006.

361Lettre à Fénelon écrite en avril 1690, B. N. F., ms. Nouv. acq. fr. 11 010, f°. 72 v°.

362Lettre de Fénelon du 11 avril 1690, B. N. F., ms. Nouv. acq. fr. 11 010, f°. 74 v°, publiée par J. Orcibal, Correspondance de Fénelon, tome II, Paris, Klincksieck, 1972, Lettre 111.

363Lettre à Fénelon écrite en avril 1690, B. N. F., ms. Nouv. acq. fr. 11 010, f°. 72v°. Madame Guyon était alors malade. Elle vivra jusqu’en 1717, plus longtemps que Fénelon (1651-1715).

364Correspondance ( I Directions spirituelles), op. cit. (à paraître). Nous éditons ces lettres par destinataire, ce qui permettra de comparer directions reçues (de Bertot et de Maur de l’Enfant-Jésus) et directions données (aux deux Fénelons, etc.).

365A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, « Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit » pp. 115-118.

366M. D’Istria, Le Père de Caussade et la querelle du pur amour, Aubier, 1964, p.12 ; J. Gagey, L’abandon à la providence divine d’une dame de Lorraine au XVIIIe siècle, Millon, 2001 — Nous pensons que Madame Guyon est directement impliquée dans l’Abandon à la Provid.ence divine, même si le texte a pu être retravaillé ensuite pour lui donner un très beau style classique. Voir Olphe-Galliard, Introduction au Traité sur l’Oraison du cœur, note 17, p. 44, et une présomption possible tenant compte du séjour de Madame Guyon chez les visitandines de Meaux dont Madame de Bassompierre fut supérieure. Une étude fine comparative de textes devra confirmer notre supposition.

367 Voir J. Orcibal, « L’originalité théologique de John Wesley et les spiritualités du continent », Etudes…, Klincksieck, 1997, p. 527 ; P. Ward, Rencontres…, « Madame Guyon et l’influence quiétiste aux Etats-Unis », Millon, Grenoble, 1997, p. 131.

368Tradition des Pères et des auteurs ecclésiastiques sur la contemplation, par le R.P. Honoré de Sainte-Marie, carme déchaussé, tomes I et II à Paris, 1708 ; tome III, 1714.

369L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet Fénelon, Desclée, 1958.

370Une filiation de directeurs mystiques a été présentée dans «Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon», XVIIe siècle, PUF, n° 1-2003, 95-116, http://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2003-1-page-95.htm).

J’ai compris qu’il fallait situer cette filiation et la conforter par recours aux textes produits par des spirituels au sein de réseaux d’amis. Des textes nécessaires à qui s’intéresse à Madame Guyon sont aujourd’hui disponibles. Ils sont édités au sein de deux collections : «Sources mystiques» (édition du «Centre Jean-de-la-Croix») et «Chemins mystiques» (sur le Net par achat en ligne. Consulter le site http://www.cheminsmystiques.com)

 Voici quelques titres complémentaires aux sources de cette communication citées plus bas : Les Amis des Ermitages de Caen & de Québec, D. Tronc, Dossier, «Chemins mystiques», 2016 — Archange Enguerrand (1631-1699), directeur franciscain récollet et «Bon religieux» auprès de Madame Guyon, Dossier, «Chemins mystiques», 2017 — François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Épreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources, «Chemins mystiques», 2016. Une synthèse paraîtra prochainement : Dominique et Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur.

371D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, récollets), Éd. du Centre Saint-Jean-de-la-Croix, «Sources mystiques», 2014.

372Jean de Bernières, Œuvres mystiques II Correspondance, Lettres et Maximes introduites et annotées par dom Éric de Reviers, o. s. b., H.C. (à paraître chez Parole et Silence), Lettre du 13 mai 1654 adressée à Mère Mectilde (1614-1698) qui souffre de ne pas être en accord avec le Père Lejeune S. J.

373Dont Divers exercices de piété et de perfection, Caen 1654. Réédité dans : Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), Du Tiers Ordre de Saint François d’Assise, Fondateur de l’École du Pur Amour. Dossier, D. Tronc, 2017, pages 84 à 327.

374Françoise-Renée de Lorraine, Madame de Guise, abbesse de 1644 à 1669. Elle fera éditer la Conclusion des retraites […] de Bertot.

375Bertot est le chef du «petit troupeau» pour un Saint-Simon précisément informé par ses amis les ducs de Chevreuse et Beauvilliers : «[on pouvait] entendre un M. Bertau à Montmartre, qui était le chef du petit troupeau qui s’y assemblait et qu’il dirigeait» (Mémoires, éd. Boislisle, t. XXX, p. 71).

376Jacques Bertot Directeur mystique, «Sources mystiques», D. Tronc, Éditions du Carmel, Toulouse, 2005; Rencontres autour de Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. «Mectildiana», Parole et Silence, 2013; Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, coll. «Mectildiana», Parole et Silence, 2017; échanges entre Mectilde et Bernières parus dans : Jean de Bernières, Œuvres mystiques  II Correspondance, Lettres et Maximes introduites et annotées par dom Éric de Reviers, o. s. b., Parole et Silence (parution prochaine). — Tout un réseau de relations se révèle entre les membres du groupe de l’Ermitage. Ils débordent vers d’autres spirituels dont Marie des Vallées, figure simple, mais de grande influence. Les liens se croisent : tel passage d’une lettre de Bertot serait adressé à Jean Eudes qui avait été aidé par l’abbesse de Montmartre, laquelle appréciait et éditera une œuvre de Bertot

377Jean de Bernières, Œuvres mystiques II Correspondance, op.cit.

378Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Édition critique avec introduction et notes par D. Tronc, Étude littéraire par Andrée Villard, Paris, Honoré Champion, coll. «Sources Classiques», 2001, 2014, 1.19.1.

379Quatre tomes publiés en Hollande par les associés de Poiret (Madame Guyon et Pierre Poiret sont morts respectivement en 1717 et 1723).

380Le directeur Mistique [sic] ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion., 4 vol., 1726. : ici vol. I, «Avertissement» — Les points de suspension représentent des coupures permettant de ne conserver que les rares passages apportant une précision biographique; ils sont distribués sur quatre pages [4] à [7].

381Correspondance I Directions spirituelles, 2003, Lettre 22 adressée au subtil comte de Metternich.

382Madame Guyon, Correspondance, Tome II Années de Combat, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. «Correspondances», 2004, «194. Lettre au duc de Chevreuse, 11 septembre 1694’. — Influence franciscaine par rencontre avec “le bon franciscain” Enguerrand de retour de l’Alverne (La Verna).

383Il n’y a pas de conflit entre mystiques, mais avec leurs environnements! Le Mémoire sur le Quiétisme adressé à Madame de Maintenon, Auteur inconnu, informe sur toutes les relations de Madame Guyon, en l’an 1695, incluant les personnes du peuple et indique la façon de s’y prendre, en commençant par les témoins défavorables, afin de pouvoir faire pression sur les autres… (Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion-Slatkine, 2003, pièce 504).

384Circonstances rapportées par Jean Orcibal en introduction à Benoît de Canfield, La Règle de Perfection – The rule of Perfection, P.U.F., 1982. De même Surin face à Chéron. De même l’épreuve subie par Marie des Vallées. De même la mise sous interdit du couvent de Jourdaine de Bernières qui retarda l’édition des Lettres et Maximes.

385Jean de Bernières, Œuvres mystiques  II Correspondance, Lettres et Maximes, op.cit., Lettre de Mectilde à Bernières, le 26 avril 1646.

386Ibid., Lettre de Mectilde à Bernières du 10 avril 1646.

387Correspondance, Tome II Années de Combat, op.cit., pièce 478 «Déposition de “F. Paulin d’Aumale, religieux du couvent de Nazareth, ce 7e de juillet 1694. Ecce coram Deo, quia non mentior.” — A. S.-S., Fénelon, Correspondance, XI1, f° 37, “copie de la déclaration du P. Paulin contre Mme Guyon”. — Fénelon, 1828, vol. 7, lettre 36. La copie est précédée, f° 35, d’un billet de l’évêque de Chartres à Tronson, du 4 juillet 1694 : “L’on me prie, monsieur, de vous recommander de ne pas montrer les deux copies où sont contenues des avis sur les livres de M. G [uyon] […]”. Sur cette déclaration, voir la lettre de Mme Guyon au duc de Chevreuse du 10 décembre 1694, pièce 255 : “Plus je pense à la lettre du P. Paulin, plus je suis convaincue qu’il se méprend et confond toutes choses… -- Le P. Paulin reste un auteur spirituel notable (La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. Tome I., coll. ‘Sources Mystiques’, 2014, pages 203-214).

388Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, op.cit., «5,3 Histoire des dernières années» (ms. de Lausanne TP 1154), 1022-1023.

389Jules Chavannes, Jean-Philippe Dutoit (1865), Kessinger Legacy Reprints — D. Tronc, Écoles du Cœur au siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & Influences, «Les filiations suisse et germanique», coll. «Chemins mystiques».

390A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, 115-118 : «Inventaire et Verbal de la saisie des livres et écrits de M. Dutoit».

391Bien modeste «bibliothèque» trouvée dans la petite chambre où vécut Dutoit : «[...] Œuvres de Ste Thérèse (N. B. Appartient à Mr Grenus.)/La Bible de Martin [Luther]. /L’Imitation d’A Kempis.»

392(Re) découverte : car déjà Pourrat étudiait le discret Bertot précédant Madame Guyon (Dict. Spir. art. «Bertot»; La Spiritualité Chrétienne, Lecoffre, 1947, tome IV, p. 183-195). Baruzi suggérait d’étudier les cercles tardifs du XVIIIe siècle (Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, 1931, 442 note 1). Luypaert aborde les «précurseurs» (p.25, n.2), dont l’influence du capucin Benoît de Canfeld (p.26, n.3), car tout ne vient pas de Molinos! (La doctrine spirituelle de Bernières et le quiétisme, RHE, 1940, mauvaise date pour que cette étude soit pleinement reconnue). Etc.

393Collections «Chemins mystiques» (édité sur le Web), et «Sources mystiques» (édité par le Centre Jean-de-la-Croix).

394Graphe non planaire si l’on tient compte des relations croisées. Et de plus la structure diverge à partir de l’Ermitage en trois branches vivant séparément : en Nouvelle-France, à Paris et en Europe, enfin cachée au sein de l’ordre religieux fondé par Mectilde (ses archives permettent de contrôler des imprimés et de retrouver des relations avec la branche de la quiétude).

395Boudon, “Vie de Chrysostome” (1684), in Œuvres (Migne), col. 1275.

396Jean de Bernières, Œuvres mystiques II Correspondance, op.cit., Lettre du 15 février 1647 à Mère Mectilde. -- Cette dernière, «une sainte» connue de Madame Guyon, autre lien qui traverse le siècle : Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Un florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, coll. «Mectildiana», Parole et Silence, sous presse.

397Lettre à la Mère Dorothée de Ste Gertrude (Heurelle), ms de Tourcoing actuellement à Rouen, vol. 5, p. 219.

398Lettre du 13 mai 1654 à Mère Mectilde qui souffre de ne pas être en accord avec le Père Lejeune s. j.

399Boudon, op.cit., col. 1316. — Autre exemple de partage : Jean de Bernières, op.cit., Lettre du 30 août 1657 : «Jésus soit notre tout pour jamais. Je ne manquerai pas durant votre retraite d’avoir un soin très particulier de vous devant Notre Seigneur, afin qu’il achève en vous ce qu’il a si bien commencé. Dans votre solitude tenez votre âme dans le repos que Dieu lui communique, sans l’interrompre pour faire quelque lecture que ce soit, ou des prières vocales que lorsque vous en aurez facilité. Dans ce divin repos, votre âme reçoit une union spéciale et secrète avec Dieu, et en cette union consiste principalement votre oraison.»

400Boudon, op.cit., col. 1317.

401cf. Jean, 12, 32.

402Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par D. Tronc, coll. «Sources mystiques», Éditions du Carmel, Toulouse, 2005, Lettre 4.75. Perte de tout en Dieu. In Le Directeur Mystique, 1726, vol. IV, lettre 75.

403Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par D. Tronc, op.cit., «Lettre 4.71. Silence devant Dieu».

404Madame Guyon, Correspondance II, Lettre 222. À Nicolas de Béthune-Charost. Octobre 1694. – C’est dans un esprit très simple que l’on peut apprécier sa production poétique sur des airs à la mode, chansons pouvant occuper une soirée d’hiver. Une «plongée» mystique peut se faire inopinément sans effort : «ils se sentaient si attirés»

405 «Supplément à la vie de madame Guyon…» (ms. de Lausanne TP 1155), p. 1006 de La Vie…, op. cit.

406Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, présentés par Murielle et Dominique Tronc, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, Collection «Sources mystiques», Tome II, Discours 2,65 = Madame Guyon, Écrits sur la Vie Intérieure, Arfuyen, 2005, «10 États apostolique», pp. 124-125.

407Il s’agit de la paternité spirituelle.

408Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Édition critique établie par D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. «Correspondances», 2003, Lettre 0.  À Fénelon. Été 1690.

409Madame Guyon, Correspondance, Tome I, Directions spirituelles, op.cit., 495 (Lettre à Fénelon écrite au début avril 1690). – « L’esprit directeur » est tiré du Psaume 50, 13-14 : « … affermissez-moi en me donnant un esprit de force/J’enseignerai vos voies… »

410La Marvalière ? L’association d’idées serait d’autant plus naturelle que celui-ci était le secrétaire du duc de Beauvillier. [note de Jean Orcibal].

411Madame Guyon, Correspondance, Tome I, Directions spirituelles, op.cit., Lettre 266. De Fénelon. 25 mai 1690.

412Saint Jean de la Croix : « l’ame demeure par fois comme en un grand oubly ; de sorte qu’elle ne sçauroit dire apres où elle estoit, ny ce qui s’est fait, & il ne luy semble pas qu’aucun temps se soit passé en elle. D’où il se peut faire, et il arrive ainsi, que plusieurs heures se passent en cet oubly ; & que l’ame revenant à soy, cela ne luy semble pas un moment. » (La Montée du Mont Carmel, Livre II, chapitre XIV, p.58 — « Et comme Dieu n’a point de forme, ny image qui puisse estre comprise par la mémoire […] elle demeure comme sans forme et sans figure […] en grand oubly, sans se souvenir de rien. » Livre III, Chapitre I, p.112. (Les Œuvres spirituelles du B. Père Jean de la Croix […], Paris, Jacques D’allin, 1665.

413Jeanne-Marie Guyon, Explications de la Bible, L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, introduites et annotées par D. Tronc, Paris, Phénix, 2005, « Explication sur saint Matthieu », chap. XVIII, verset 20 (« En quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes rassemblées en mon nom, je m'y trouve au milieu d'elles ») pages 240-241. -- De même Jean de Saint-Samson cité par Madame Guyon dans ses Justifications I, « clef VIII Communications », Autorité 12 : « Votre Révérence sait assez comme les cœurs se parlent mutuellement, et comme quoi tant plus ils sont éloignés dans plus ils s'unissent et parlent ensemble. Ce qui est d'autant plus vrai entre nous, que notre affection est simple et unique en Dieu dans lequel nous vivons. Nous conversons ainsi mutuellement en simplicité d'esprit, par-dessus tout ce qui se peut dire des présents et divers événements ; d'autant que ce que nous transférons l'un à l'autre est vie en la même vie de Dieu, l'amour duquel nous ravit sans cesse à l’aimer et à nous perdre en lui jusqu'au dernier point possible. Encore que nous apercevions du désordre dans ce siècle, c'est néanmoins à quoi nous ne pensons point, laissant les événements tels qu'ils puissent être à la providence divine. Lettre 8 [de Jean de Saint-Samson]. »

414Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discours 2,64, p. 232.

415Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit, Discours 2.68. (v. aussi Discours 2.67.)

416Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit, Discours 2.61. = Écrits sur la Vie Intérieure, op.cit., pp. 105-107.

417Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discours 2.64 = écrits sur la Vie Intérieure, op.cit., pp.114-116.

418Madame Guyon & François de Fénelon, Florilège mystique/Les «Justifications», Édition intégrale, Chemins mystiques, HC, 2017, «VIII. Communications. Conversations», commentaire au Cantique, chap.7 vs.8.

419Florilège mystique/Les «Justifications», op.cit., «XXI. Fécondité spirituelle sans sortir de l’Unité divine», commentaire au Cantique, chap.4 vs.11.

420Dont elle a connaissance exceptionnelle comme le montre un relevé de ses citations qui couvrent la Bible sous tous ses aspects : elle l’a commentée dès sa jeunesse en plus de huit mille pages (la fameuse «écriture automatique»).

421Cette citation et la précédente : Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discours 2,67 = écrits sur la vie intérieure, op.cit., pp. 147-149.

422Jn 4, 10.

423Jn 7, 37–38.

424Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discours 2.67 = Ecrits sur la vie intérieure, op.cit., p. 150.

425Madame Guyon, Correspondance, Tome II Combats, op.cit., Lettre 404. «À la Petite Duchesse». Juin 1697, p. 591. «Petite duchesse» non par sa taille, mais comme la cadette de sa famille. Sur «l’esprit Mortemart» bien affirmé, Mémoires de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches, dossier, coll. «Chemins mystiques».

426 ? : «bonnes et saintes âmes» biffées et de lecture difficile (corrigé depuis Correspondance II p.591).

427D. Tronc, Écoles du Cœur au siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & Influences, op.cit.

428Madame Guyon, Correspondance II, op.cit., Lettre 428 « À la Petite Duchesse». Septembre 1697.

429Madame Guyon, Correspondance II, op.cit., Champion — Marie-Anne de Mortemart (1665-1750) La «petite duchesse» en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu, Dossier assemblé par D. Tronc, 2016, éd. web.

430« There is one there whom I believe L.F. and his br. [/note1] have seen, Md La D. de G—che [/note2] . . . who is much esteem’d by all the friends of that side as inheriting most of N.M.’s spirit.» (D. Henderson, Mystics of the North-east, Aberdeen, 1934 [réédité 2016, coll. “Chemins mystiques”], in “Lettre XLVIII [From Dr. James Keith to Lord Deskford]”. [/note1 :] «Lord Forbes and his brother [James]», [/note2 :] «cf. Cherel, Fénelon au XVIIIe siècle en France, p. 163, quoting a letter which says» priez pour moi —, et obtenez les prières des personnes les plus intérieures de votre connaissance, surtout celles de Madame de Guiche le duc de Guiche took the title duc de Gramont in 1720»

431Marie-Anne de Mortemart née Colbert +1750; Marie-Christine de Noailles, duchesse de Gramont «La colombe» +1748. Proches d’Isaac Dupuy + apr.1737 et du Marquis de Fénelon 1688-1746. — Ce sont les quatre figures du cercle parisien qui atteignirent le milieu du XVIIIe siècle. Voir Annexe : «Liste de proches».

432Ecoles du Cœur au siècle des Lumières, op. cit. ; Dominique et Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur, H.C., à paraître [Quiétismes; I L’école du cœur en France et Nouvelle-France 1601-1671 : École du cœur et Bernières, L’Ermitage, Bertot, Canada; II Mme Guyon, Fénelon et leurs amis 1648-1717 : Mme Guyon, Fénelon, L’œuvre, La Voie; III Filiations 1717-1792 : France, Écosse, Hollande, Suisse & Allemagne; IV Influences : Chez les catholiques, Chez les protestants, Échos au XIXe siècle, Écho et usage au XXe s.].

433Le «Roi Catholique» étant le Roi d’Espagne.

434La liste porte un «regard transversal» absent de la présentation «verticale» de la filiation, objet de la communication. Cette liste est ici réduite par sélection dans une turba magna qui reste à mieux appréhender. Une cinquantaine de figures sont bien identifiées. Synthèse : Dominique et Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur. (ouvrage assemblé à paraître). Dossiers pour quelques figures : coll. «Chemins mystiques». (Web).

435Transmission by mystical directors was presented in «Une filiation mystique : Chrysostome de Saint-Lô, Jean de Bernières, Jacques Bertot, Jeanne-Marie Guyon», XVIIe siècle, PUF, n° 1-2003, 95-116, http://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2003-1-page-95.htm).

I realised that it was necessary to situate this transmission and support it by means of texts produced by devotees in these networks of friends. Texts needed by those interested in Madame Guyon are now available. They are published in two collections: «Sources mystiques» (published by the «Centre Jean-de-la-Croix») and «Chemins mystiques» (online Internet purchase. See the site http://www.cheminsmystiques.com)

Some titles in addition to the sources of this study cited below are: Les Amis des Ermitages de Caen & de Québec, D. Tronc, Dossier, «Chemins mystiques», 2016 — Archange Enguerrand (1631-1699), directeur franciscain récollet et «Bon religieux» auprès de Madame Guyon, Dossier, «Chemins mystiques», 2017 — François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Épreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources, «Chemins mystiques», 2016. A synthesis will appear shortly: Dominique et Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur.

436D. Tronc, La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. Tome I. Introductions, Florilège issu de Traditions franciscaines (Observants, Tiers Ordres, récollets), Centre Saint-Jean-de-la-Croix, «Sources mystiques», 2014.

437Jean de Bernières, Œuvres mystiques II Correspondance, Letters and Maxims introduced and commented by Dom Éric de Reviers, o. s. b., H.C. (to be published by Parole et Silence), Letter of 13 May 1654 addressed to Mother Mectilde (1614-1698) who was suffering from not agreeing with Father Père Lejeune S. J.

438Françoise-Renée de Lorraine, Madame de Guise, abbess from 1644 to 1669. She had Bertot's Conclusion des retraites […] published.

439Bertot was the leader of the «little flock» for a Saint-Simon who was reliably informed by his friends the Dukes of Chevreuse and Beauvilliers : «[on pouvait] entendre un M. Bertau à Montmartre, qui était le chef du petit troupeau qui s’y assemblait et qu’il dirigeait» [one could hear at Montmartre a M. Bertau, who was the head of the little flock which gathered there, and which he directed] (Mémoires, éd. Boislisle, t. XXX, p. 71).

440Jacques Bertot Directeur mystique, «Sources mystiques», D. Tronc, Éditions du Carmel, Toulouse, 2005; Rencontres autour de Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. «Mectildiana», Parole et Silence, 2013; Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, coll. «Mectildiana», Parole et Silence, 2017; exchanges betweene Mectilde and Bernières in: Jean de Bernières, Œuvres mystiques  II Correspondance, Lettres et Maximes, introduced and commented by Dom Éric de Reviers, o. s. b., Parole et Silence (forthcoming shortly). — There was clearly a whole network of relations between the members of the Hermitage group. They extended towards other devotees, including Marie des Vallées, a simple but very influential figure. The links were interwoven: a passage from a letter by Bertot was addressed to Jean Eudes, who had been aided by the Abbess of Montmartre, who appreciated and published a work by Bertot

441Jean de Bernières, Œuvres mystiques II Correspondance, op.cit.

442Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Critical edition with introduction and notes by D. Tronc, Literary study by Andrée Villard, Paris, Honoré Champion, coll. «Sources Classiques», 2001, 2014, 1.19.1.

443Four volumes published in Holland by Poiret's partners (Madame Guyon and Pierre Poiret died in 1717 and 1723 respectively).

444Le directeur Mistique [sic] ou les Œuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guion., 4 vol., 1726. : here vol. I, « Foreword » — The suspension points represent cuts making it possible to retain only the rare passages giving biographical details; they are spread over four pages [4] to [7].

445Correspondance I Directions spirituelles, 2003, Letter 22 addressed to the subtle Count Metternich.

446Madame Guyon, Correspondance, Tome II Années de Combat, Critical edition drawn up by D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. «Correspondence», 2004, «194. Letter to the Duke of Chevreuse, 11 September 1694’. — Franciscan influence through the meeting with “the good Franciscan" after returning from the Alverne (La Verna).

447The conflict was not between the mystics, but with their surroundings! The Mémoire sur le Quiétisme adressé à Madame de Maintenon, Auteur inconnu, provided information on all Madame Guyon's contacts in  1695, including ordinary people, and indicated how to approach them, starting with unfavourable witnesses so as to be able to put pressure on the others… (Madame Guyon, Correspondance II Combats, Champion-Slatkine, 2003, item 504).

448Circumstances reported by Jean Orcibal in the introduction to Benet of Canfield, La Règle de Perfection – The rule of Perfection, P.U.F., 1982. Similarly, Surin faced with Chéron. Equally, the ordeal suffered by Marie des Vallées. And again, the interdiction placed on Jourdaine de Bernière's convent, which delayed the publication of Lettres et Maximes.

449Jean de Bernières, Œuvres mystiques  II Correspondance, Lettres et Maximes, op.cit., Letter from Mectilde to Bernières dated 26 April 1646.

450Ibid., Letter dated 10 April 1646 from Mectilde to Bernières.

451Correspondance, Tome II Années de Combat, op.cit., item 478 «Statement by “F. Paulin d’Aumale, monk of the monastery of Nazareth, 7 July 1694. Ecce coram Deo, quia non mentior.” — A. S.-S., Fénelon, Correspondence, XI1, f° 37, “copy of the statement by Fr. Paulin against Mme Guyon”. — Fénelon, 1828, vol. 7, letter 36. The copy is preceded, f° 35, by a note from the Bishop of Chartres to Tronson dated 4 July 1694 : “Sir, I am requested to advise you not to show the two copies containing opinions on the books by M. G [uyon] […]”. On this statement, see Madame Guyon's letter of 10 December 1694 to the Duke de Chevreuse, item 255 : “The more I think about Fr. Paulin's letter, the more convinced I am that he misunderstands and confuses everything…” -- Fr. Paulin remains a notable spiritual author (La vie mystique chez les Franciscains du dix-septième siècle. Tome I., coll. “Sources Mystiques”, 2014, pages 203-214).

452Madame Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, op.cit., «5,3 History of the last years» (Lausanne ms.TP 1154), 1022-1023.

453Jules Chavannes, Jean-Philippe Dutoit (1865), Kessinger Legacy Reprints — D. Tronc, Écoles du Cœur au siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & Influences, «The Swiss and Germanic transmissions», coll. «Chemins mystiques».

454A. Favre, Jean-Philippe Dutoit, Genève, 1911, 115-118 : « Inventory of and report on the seizure of books and writings from M. Dutoit».

455A very modest «library» found in the little room where Dutoit lived: «[...] Works by Saint Theresa (N.B. Belongs to Mr Grenus.)/The Bible of Martin [Luther]. /The Imitation of A Kempis.»

456(Re)discovery: because Pourrat was already studying the discreet Bertot who preceded Madame Guyon (Dict. Spir. art. «Bertot»; La Spiritualité Chrétienne, Lecoffre, 1947, Vol. IV, p. 183-195). Baruzi suggested studying the later circles in the eighteenth century (Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, 1931, 442 note 1). Luypaert refers to the «precursors» (p.25, n.2), including the influence of the Capuchin Benet of Canfeld (p.26, n.3), for not everything came from Molinos! (La doctrine spirituelle de Bernières et le quiétisme, RHE, 1940, not the best date for the work to become widely known). Etc.

457Collections «Chemins mystiques» (published on the Web), and «Sources mystiques» (published by the Centre Jean-de-la-Croix).

458Not a flat graph if the cross-relations are taken into account. In addition, from the Hermitage the structure diverges into three branches existing separately, in Nouvelle-France, at Paris and in Europe, and is finally hidden with the religious order founded by Mectilde (her archives make it possible to check the printed matter and find relations with the branch of quietude).

459Boudon, “Vie de Chrysostome” (1684), in Œuvres (Migne), col. 1275.

460Jean de Bernières, Œuvres mystiques II Correspondance, op.cit., Letter dated 15 February 1647 to Mother Mectilde. -- «a saint» whom Madame Guyon knew, another link which runs through the century : Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, An anthology drawn up by D. Tronc with the aid of nuns of the Institute of Benedictines of the Blessed Sacrament, coll. «Mectildiana», Parole et Silence, forthcoming.

461Letter to Mother Dorothée de Ste Gertrude (Heurelle), ms from Tourcoing, now at Rouen, vol. 5, p. 219.

462Letter of 13 May 1654 to Mother Mectilde, who was suffering from not being in agreement with Father Lejeune s. j.

463 ;Boudon, op.cit., col. 1316. — Another example of sharing: Jean de Bernières, op.cit., Letter of 30 August 1657 : «May Jesus be our all for ever. I shall not fail during your retreat to take particular care of you before Our Lord, so that he may complete in you what he has so well begun. In your solitude, keep your soul in the repose which God communicates to it, without interrupting it for any reading, or for vocal prayers except when you can do so easily. In that divine repose, your soul receives a special and secret union with God,and your inner prayer consists mainly in that union.»

464Boudon, op.cit., col. 1317.

465cf. Jean, 12, 32.

466Jacques Bertot Directeur mystique, Texes presented by D. Tronc, coll. «Sources mystiques», Éditions du Carmel, Toulouse, 2005, Letter 4.75. Loss of everything in God. In Le Directeur Mystique, 1726, vol. IV, letter 75.

467Jacques Bertot Directeur mystique, Textes présentés par D. Tronc, op.cit., «Letter 4.71. Silence before God».

468Madame Guyon, Correspondance II, Letter 222. To Nicolas de Béthune-Charost. Octobre 1694. — It takes a very simple mind to appreciate her output of poems based on popular tunes, songs to occupy a winter evening. A mystical "immersion" can take place unexpectedly, without effort: "they felt so attracted»

469«Supplement to the life of Madame Guyon…» (Lausanne ms. TP 1155), p. 1006 from La Vie…, op. cit.

470Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, presented by Murielle and Dominique Tronc, Centre Saint-Jean-de-la-Croix, Collection «Sources mystiques», Tome II, Discours 2,65 = Madame Guyon, Écrits sur la Vie Intérieure, Arfuyen, 2005, «10 Apostolic States», pp. 124-125.

471This refers to spiritual paternity.

472Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, Critical edition established by D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. «Correspondances», 2003, Lettre 0.  À Fénelon. Été 1690.

473Madame Guyon, Correspondance, Tome I, Directions spirituelles, op.cit., 495 (Letter to Fénelon written at the beginning of April 1690). – The « Spirit of direction» is taken from Psalm 50, 13-14 : « …strengthen me with a perfect spirit / I will teach thy ways… »

474La Marvalière ? As he was the Duke of Beauvillier's secretary, the association of ideas would be all the more natural. [note by Jean Orcibal].

475Madame Guyon, Correspondance, Tome I, Directions spirituelles, op.cit., Letter 266. From Fénélon, 25 May 1690.

476Saint John of the Cross: « the soul rests sometimes in a great forgetfulness, so that it could not say where it was, nor what it did there, and it does not seem to it that any time has passed in it. Thus it can happen, and sometimes it does, that several hours pass in that forgetfulness; and when the soul returns to itself, it seems that only a moment has passed. » (The Ascent of Mount Carmel, Book II, chapter XIV, p.58 – « And as God has neither form nor image which may be understood by the memory [...] it remains as if without form and without figure [...] in great forgetfulness, without remembering anything. » Book III, Chapter I, p.112. (Translated from Les Œuvres spirituelles du B. Père Jean de la Croix […], Paris, Jacques D’allin, 1665.

477Jeanne-Marie Guyon, Explications de la Bible, L’Ancien Testament et le Nouveau Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, with an introduction and notes by D. Tronc, Paris, Phénix, 2005, «Explanation on Saint Matthew », chap. XVIII, verse 20 (« Wherever two or three are gathered together in my name, there am I in the midst of them ») pages 240-241. -- Similarly Jean de Saint-Samson, cited by Madame Guyon in her Justifications I, «key VIII Communications », Authority 12 : « Your Reverence well knows how hearts speak mutually to each other, so that the further apart they are, the more they unite and speak together. This is all the more true between us, as our affection is simple and unique in God in whom we live. Thus we converse with one another in simplicity of mind, above all that may be said of current and various events; the more so since what we transfer to one another is life in the life of God Himself, whose love unceasingly inspires us to love Him and lose ourselves in him to the utmost possible point. Even though we may perceive some disorder in these times, nevertheless we do not think about it, leaving events, however they may be, to divine providence. Letter 8 [from Jean de Saint-Samson]. »

478Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discourse 2.64, p. 232.

479Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit, Discours 2.68. (v. also Discourse 2.67.)

480Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit, Discourse 2.61. = Écrits sur la Vie Intérieure, op.cit., pp. 105-107.

481Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discourse 2.64 = écrits sur la Vie Intérieure, op.cit., pp.114-116.

482Madame Guyon & François de Fénelon, Florilège mystique/Les «Justifications», Complete edition, Chemins mystiques, HC, 2017, «VIII. Communications. Conversations», Commentary on the Song of Songs, chap.7 vs.8.

483Mystical anthology/«Justifications», op.cit., «XXI. Spiritual fecondity without leaving the divine Unity», Commentary on the Song of Songs, chap.4 vs.11.

484Which she knew exceptionally well, as shown by a list of her citations which cover every aspect of the Bible: she commented it from her youth in over eight thousand pages (the famous "automatic writing").

485This and the previous citation: Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discourse 2.67 = écrits sur la vie intérieure, op.cit., pp. 147-149.

486Jn 4, 10.

487 ; Jn 7, 37–38.

488Madame Guyon, Discours sur la vie intérieure, op.cit., Discourse 2.67 = Ecrits sur la vie intérieure, op.cit., p. 150.

489Madame Guyon, Correspondence, Volume II Combats, op.cit., Letter 404. «To the Little Duchess». Juin 1697, p. 591. «Little duchess» not because she was small, but as the youngest member of her family. On the well-attested « Mortemart spirit»  Mémoires de Saint-Simon concernant Fénelon, Madame Guyon et leurs proches, dossier, coll. «Chemins mystiques».

490?: «bonnes et saintes âmes» ("good and holy souls') crossed out and difficult to read (corrected from Correspondance II p.591).

491D. Tronc, Écoles du Cœur au siècle des Lumières, Disciples de madame Guyon & Influences, op.cit.

492Madame Guyon, Correspondance II, op.cit., Letter 428 «To the Little Duchess». September 1697.

493Madame Guyon, Correspondance II, op.cit., Champion — Marie-Anne de Mortemart (1665-1750) La «petite duchesse» en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu (The "Little Duchess" in contact with Madame Guyon, Fénelon and his nephew), Dossier put together by D. Tronc, 2016, pub. online.

494« There is one there whom I believe L.F. and his br. [/note1] have seen, Md La D. de G—che [/note2] . . . who is much esteem’d by all the friends of that side as inheriting most of N.M.’s spirit.» (D. Henderson, Mystics of the North-east, Aberdeen, 1934 [republished 2016, coll. “Chemins mystiques”], in “Letter XLVIII [From Dr. James Keith to Lord Deskford]”. [/note1 :] «Lord Forbes and his brother [James]», [/note2 :] «cf. Cherel, Fénelon au XVIIIe siècle en France, p. 163, quoting a letter which says “priez pour moi —, et obtenez les prières des personnes les plus intérieures de votre connaissance, surtout celles de Madame de Guiche le duc de Guiche a pris le titre de duc de Gramont in 1720»

495Marie-Anne de Mortemart née Colbert +1750; Marie-Christine de Noailles, duchesse de Gramont «The Dove» +1748. Close to Isaac Dupuy + apr.1737 and the Marquis de Fénelon 1688-1746. — These are the four members of the Parisian circle who lived until the middle of the eighteenth century. See the Annex : «List of Contacts».

496Ecoles du Cœur au siècle des Lumières, op. cit. ; Dominique and Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur, H.C., forthcoming [Quiétismes; I L’école du cœur en France et Nouvelle-France 1601-1671 : École du cœur and Bernières, L’Ermitage, Bertot, Canada; II Mme Guyon, Fénelon and their friends 1648-1717 : Mme Guyon, Fénelon, The Work, the Way; III Transmissions -1792 : France, Scotland, Holland, Switzerland & Germany; IV Influences : Catholic, Protestant, Echos in the nineteenth century, Echos in the twentieth century].

497The «Catholic King» being the King of Spain.

498The list uses a 'transversal view' which is not used in the 'vertical' presentation of the transmission which is the subject of this contribution. This list is reduced here by selecting from a turba magna [great crowd] which needs further examination. Some fifty figures are clearly identified Synthesis: Dominique et Murielle Tronc, Expériences mystiques en Occident IV. Une École du Cœur. (a forthcoming collection). For dossiers on some figures, see : coll. «Chemins mystiques». (Web).

499Fortunately, Experimental Theology in America, Madame Guyon, Fénelon, and their readers by Patricia A. Ward covers both Madame Guyon and the New World

500 Références aux sources en bibliographie concluant cette contribution.

501 Madame Guyon, Vie par elle-même, Première partie, chapitre 19, §1.

502 Lettre 30, 1674 (?). Madame Guyon, Correspondance, Tome I , extrait, 107.

503 Lettre 26, Ibid., 100.

504 Lettre 27, Ibid., 101.

505 Lettre 28, avant octobre 1674. Ibid., 103.

506 Lettre 29, Ibid., 105.

507 Lettre 24, Ibid., 92.

508 Ruusbroec l’Admirable, La Pierre brillante, Traduction et commentaire par le P. Max Huot de Longchamp, « Sources mystiques », Centre Saint-Jean-de-la-Croix — Editions du Carmel, 2010, 2.1.3. « Conclusion sur la vie contemplative », 43-44.

509 Lettre 34. Avant 1678, Ibid., 118.

510 Madame Guyon, Oeuvres mystiques, Édition critique présentée par D. Tronc, Etude de M. Tronc, Etude du P. Max Huot de Longchamp, Paris, Honoré Champion, coll. « Sources Classiques », 2008, section « Les Torrents », Chapitre IV, 167.

511 Madame Guyon, Correspondance, Tome II, op.cit., Lettre au duc de Chevreuse, 11 septembre 1694.

512 Madame Guyon, Correspondance, Tome I , Lettre 22, 1672.

513 Lettre 34. Avant 1678.

514 Lettre 22, 1672.

515 J. Bertot, Opuscule III, « Profondeur des saints évangiles », § 11.

516 Lettre 30, 1674 (?)

517 Université de Genève, 23-25 novembre 2017, Colloque « Madame Guyon. Mystique et politique à la Cour de Versailles » (en instance de publication). Contribution par Mathieu da Vinha : « Mme Guyon et les réseaux à la cour de Versailles à la fin du XVIIe siècle (ca. 1685-1700) » [avec plan des appartements  situés dans l’aile gauche du château à proximité de Madame de Maintenon et du Roi].

518 Fénelon mystique, section « Duchesse de Mortemart », 297-352, coll. « Chemins mystiques» , H.C. - Marie-Anne de Mortemart 1665-1750, La « Petite Duchesse » en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu », coll. « Chemins mystiques», lulu.com 

519 Sabine Melchior-Bonnet, Fénelon, Perrin, 2008, « 9 L’évêque et son troupeau », « Une journée de l’archevêque », 290-296. – L’abbé Ledieu n’est pas suspect de complaisance.

520 Jeanne-Marie Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Honoré Champion, Paris, 2001, 2014, « Supplément à la Vie », 1005-1006.

521 De nombreuses sources inéditées sont téléchargeable sur www.cheminsmystiques.fr

522 Rencontres autour de Monsieur de Bernières (1603-1659) Mystique de l’abandon et de la quiétude, coll. «Mectildiana», Éditions Parole et Silence, 2013.

523 Les Amis des Ermitages de Caen & de Québec, dossier assemblé par D. Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 2015.

524 Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646), Du Tiers Ordre de Saint François d’Assise, Fondateur de l’École du Pur Amour. Dossier de sources transcrites et présentées par Dominique Tronc. Lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 2017.

525 Divers exercices de piété et de perfection/Composés par un religieux d’une vertu éminente et de grande expérience dans la direction des âmes, A Caen, 1654, exemplaire unique de la B. M. de Valognes, réf. C4837.

526 Jean de Bernières et l'Ermitage de Caen, une école d'oraison contemplative au XVIIe siècle. Lettres & Maximes. Tome I 1631 – 1646/Tome II 1647 – 1659, Édition critique présentée par Dom Éric de Reviers, o.s. b., Etude par J.-M. Gourvil, Lulu H.C., 2018, en instance de publication chez Champion.

527 Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde du Saint-Sacrement 1614-1698, Moniale et fondatrice bénédictine au XVIIe siècle, florilège établi par D. Tronc avec l’aide de moniales de l’Institut des Bénédictines du Saint-Sacrement, Parole et Silence, 2017.

528 Jean de Bernières, Le Chrétien intérieur, textes choisis suivis des Lettres à l’Ami intime, Texte établi et présenté par Murielle et D. Tronc, Paris, Arfuyen, « Les carnets spirituels », 2009. – Jean de Bernières, Œuvres Mystiques I, L’Intérieur chrétien suivi du Chrétien intérieur augmenté des Pensées, Edition critique avec une étude sur l’auteur et son école par D. Tronc, Ed. du Carmel, coll. « Sources mystiques », 2011.

529 Madame Guyon, Correspondance, Tome I Directions spirituelles, 2003 - Tome II Combats, 2004 – Tome III Chemins mystiques, 2005, D. Tronc, Paris, Honoré Champion, coll. « Correspondances ». — Certains éléments ont été repris dans des correspondances « ciblées »  par destinataire : François Lacombe (1640-1715), Vie, Œuvres, Épreuves du Père Confesseur de Madame Guyon, Sources assemblées par D.Tronc, coll. « Chemins mystiques », lulu.com, 2016 ; Fénelon mystique, un florilège, par D. Tronc, lulu.com, H.C. ; Marie-Anne de Mortemart 1665-1750, La « Petite Duchesse » en relation avec Madame Guyon, Fénelon et son neveu, lulu.com, coll. « Chemins mystiques », 2016.

530 Jacques Bertot Directeur mystique, D. Tronc, coll. « Sources mystiques », Éditions du Carmel, Toulouse, 2005 ; exemplaires disponibles D.T. ; Epub téléchargeable sur www.cheminsmystiques.fr — Monsieur Bertot, Oeuvres, édition intégrale, H.C., 2019, en instance d’achèvement (volume considérable dont la plus grande partie est constituée de lettres : pp. 1-2300).

531 Bibliographie de ses éditions augmentée de leur reprise par le pasteur Dutoit-Membrini in Jeanne-Marie Guyon, La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, Honoré Champion, Paris, 2001, 2014, pp. 1103-1113.

532 Les Amitiés mystiques de Mère Mectilde…, op.cit., chapitre « Histoire des transmissions », par sœur M.-H. Rozec, du monastère des Bénédictines du Saint-Sacrement de Craon.

533 Ecoles du Cœur au Siècle des Lumières, Disciples de Madame Guyon et leurs influences, D. Tronc, lulu.com – Expériences mystiques en Occident, tome IV Une École du Cœur, « Filiations cis  et trans, lulu.com, à paraître chez Dervy.

534 Henderson, G. D., Mystics of the North-East, Aberdeen, printed for the Third Spalding Club, 1934, comportant étude et correspondances. Ouvrage rare disponible en réédition, lulu.com, coll. « Chemins mystiques ».

535 Louis Cognet, Crépuscule des mystiques, Réédition annotée par Jean Orcibal, commentée avec ajouts bibliographiques par Dominique Tronc, 2020.

536 Suggestion : lire les deux ouvrages qui recouvrent toute la vie de Mme Guyon. Le Crépuscule puis Les années d’épreuves (~800 pages). Seulement ensuite l’opus Guyon ordonné chronologiquement (~ 6000 pages).

537 Elle n’existe pas car – première condition requise - elle suppose une maîtrise solide du français. Aucune traduction moderne sérieuse de Guyon en anglais. La récente chinoise de la Vie par elle-même utilise une anglaise datée.

538 Kenzo Yamamoto, pratiquant le français ayant vécu plusieurs années à Paris, ami érudit qui m’a fait connaître Izutsu et Dogen....

539 Le français est devenu langue de culture réservée à peu de lecteurs.

540 Vivant à une époque pas trop ancienne comme femme mariée, bourgeoise avec enfants, gérant ses biens, aidant des disciples - en contraste avec les vies de 95 % des noms mystiques figurant dans le Dictionnaire de Spiritualité et de Mystique et la précédant (qui vécurent « en religion » comme moines, clercs, religieuses fondatrices, etc.). - L’appellation de « mystiques modernes » fut appliquée par Bossuet à Guyon et Fénelon en un tout autre sens.

541L’apprécier aussi sur les Rhéno-flamands et sur Jean de la Croix.

542 Texte préférable à et source de la Préface édité en Correspondance II Années de combat, pages 19-34. Découvert trop tard !

543 brève biographie Wikipedia.

544 Voici un lien qui ouvre aux principales bibliothèques en ligne :

https://www.google.com/search?newwindow=1&client=firefox-b-d&sxsrf=ALeKk00qVNFyPNqEdTKtiTTcNXeyOuW52A:1605094100004&q=Project+Gutenberg&stick=H4sIAAAAAAAAAONgFuLUz9U3sIjPrUxT4gAxTYvjjbX4nPNzc_PzgjNTUssTK4sXsQoGFOVnpSaXKLiXlqTmJaUWpe9gZQQAeJRkJz4AAAA&sa=X&ved=2ahUKEwjhoaW9sfrsAhW9SRUIHTXWAcUQxA0wFXoECBYQBQ&biw=1600&bih=838

545 https://archive.org/details/studiesinmystica00joneuoft/page/126/mode/2up

546 http://www.gutenberg.org/cache/epub/24934/pg24934-images.html

547où vécut plus tard l’éditeur Poiret : je suppose qu’il eut des contacts ou récits/souvenirs l’encourageant dans son entreprise ‘oecuménique’ d’éditer « à Cologne » sans distinctions mystiques catholiques, protestants, du troisième monde spirituel. Probablement aucune trace de liens ? Rien dans la biographie par Marjolaine Chevallier.

548Shah Abbas (1571-1629) fur le plus grand des Safavides – Plus tard Le 19 février 1715 à 11 h, Mehmet Riza Beğ, ambassadeur extraordinaire de Perse, fait son entrée au Château de Versailles, à cheval, avec sa suite, et accompagné de l’introducteur des ambassadeurs et du lieutenant des armées du roi. La foule a envahi l’avenue de Paris et les cours pour assister à la venue de cette visite exotique. On a dressé, dans la galerie des Glaces, quatre rangs de gradins pour accueillir les courtisans. — Plus tard, en 1721, la réception de l’ambassade de Perse servira de prétexte aux Lettres persanes de Montesquieu.

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